Lecture: 28 min
N5938BZX
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Mathieu Disant, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
le 21 Juin 2023
La question prioritaire de constitutionnalité est à l’origine d’une jurisprudence toujours abondante du Conseil constitutionnel comme du Conseil d’État et de la Cour de cassation. Cette chronique trimestrielle est rédigée par Mathieu Disant, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (Ecole de Droit de la Sorbonne, UMR CNRS 8103), Directeur du Master 2 Systèmes de justice et droit du procès, chercheur associé au Centre de recherche sur les relations entre le risque et le droit (C3RD). Elle s’attache à mettre en exergue les principales applications et évolutions procédurales de la QPC. Les apports sur le fond du droit sont quant à eux traités au sein de chacune des rubriques spécialisées de la revue.
Sommaire
A. Normes contrôlées dans le cadre de la QPC
1) Notion de « disposition législative »
2) Statut de l’interprétation de la loi
3) Disposition n’ayant pas déjà été déclarée conforme à la Constitution
4) Applicabilité d’une disposition législative au litige
B. Notion de « Droits et libertés que la Constitution garantit »
1) Accessibilité universelle et de solidarité de la société à l'égard des personnes handicapées
2) Principe de séparation des pouvoirs
3) Incompétence négative
II. Procédure devant les juridictions ordinaires
A. Instruction de la question
1) Introduction de la requête
2) Juridiction administrative spécialisée
3) Présentation de la requête
B. Caractère « sérieux » de la question
III. Procédure devant le Conseil constitutionnel
A. Organisation de la contradiction
1) Défense de la loi
2) Interventions devant le Conseil constitutionnel
3) Procédure orale
4) Impartialité du Conseil constitutionnel
B. Modalités de contrôle
1) Champ du contrôle du Conseil constitutionnel
2) Techniques de contrôle employées par le Conseil constitutionnel
La présente chronique couvre la période du 1er mars au 31 mai 2023.
Durant cette période, le Conseil constitutionnel a rendu 14 décisions QPC, toutes aboutissant à la conformité des dispositions contestées, dont une assortie de réserve d’interprétation. 49 décisions ont été rendues par le Conseil d’État, 32 par la Cour de cassation. La période s’achève avec un fléchissement inédit du nombre de QPC en instances devant le Conseil constitutionnel.
A. Normes contrôlées dans le cadre de la QPC
1) Notion de « disposition législative »
Les questions qui ne visent aucune disposition de nature législative ne peuvent qu’être déclarées irrecevables (Cass. crim. 16 mai 2023, n° 23-81.494, F-D N° Lexbase : A42849WL).
Une QPC qui, sous couvert de la critique d’une disposition législative, ne tend en réalité qu’à contester la conformité de dispositions réglementaires, est jugée irrecevable (Cass. com., 15 mars 2023 n° 22-20.771, F-D N° Lexbase : A69679IU).
2) Statut de l’interprétation de la loi
Par une décision n° 2023-1045 QPC du 21 avril 2023 N° Lexbase : A23479QY, le Conseil constitutionnel a confirmé la conformité à la Constitution de l’article 1242, alinéa 4, du Code civil N° Lexbase : L0948KZ7, tel qu’interprété par la Cour de cassation, instituant une responsabilité de plein droit du seul parent chez lequel la résidence habituelle de l’enfant mineur a été fixée, quand bien même l’autre parent exercerait conjointement l’autorité parentale.
3) Disposition n’ayant pas déjà été déclarée conforme à la Constitution
Selon les dispositions combinées du troisième alinéa de l’article 23-2 et du troisième alinéa de l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel N° Lexbase : L0276AI3, le Conseil constitutionnel ne peut être saisi d’une QPC relative à une disposition qu’il a déjà déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une de ses décisions, sauf changement des circonstances. Dans sa décision n° 2014-691 DC du 20 mars 2014 N° Lexbase : A1554MHZ, le Conseil constitutionnel a spécialement examiné les mots « plus de soixante-cinq ans et dont les ressources annuelles sont inférieures à un plafond de ressources en vigueur pour l’attribution des logements locatifs conventionnés fixé par arrêté du ministre chargé du Logement » figurant au premier alinéa du paragraphe III de l’article 15 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 N° Lexbase : L8461AGH et les mots « soixante-cinq ans ou si ses ressources annuelles sont inférieures au plafond de ressources mentionné au premier alinéa » figurant au deuxième alinéa du paragraphe III du même article, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 N° Lexbase : L8342IZY. Il a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif de cette décision. Dans sa décision n° 2023-1050 QPC du 26 mai 2023 N° Lexbase : A66429WW, relative à l’obligation de relogement en cas de délivrance d’un congé à un locataire âgé et disposant de faibles ressources, le Conseil constitutionnel relève que la QPC porte sur les mots « sans qu’un logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités lui soit offert dans les limites géographiques prévues à l’article 13 bis de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948 précitée » figurant à la première phrase du premier alinéa du paragraphe III de l’article 15 de la loi du 6 juillet 1989, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 N° Lexbase : L4876KEC. Ces dispositions n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution, elles sont donc examinées sans qu’il soit besoin de justifier d’un changement des circonstances.
Dans les motifs et le dispositif de sa décision n° 2010-70 QPC du 26 novembre 2010 N° Lexbase : A3870GLW, le Conseil constitutionnel a jugé l'article 155 A du CGI N° Lexbase : L2518HLT conforme à la Constitution, sous la réserve que « dans le cas où la personne domiciliée ou établie à l'étranger reverse en France au contribuable tout ou partie des sommes rémunérant les prestations réalisées par ce dernier, [ces dispositions ne conduisent pas] à que ce contribuable soit assujetti à une double imposition au titre d'un même impôt ». Les décisions postérieures du Conseil constitutionnel remettant en cause des présomptions irréfragables instaurées par le législateur afin d'établir une imposition dans le but de lutte contre la fraude ou l'évasion fiscales ne constituent pas un changement de circonstances (CE, 22 mars 2023 n° 455084 N° Lexbase : A39249KK).
Ni la nomination en 2020 du ministre de la Justice, ni sa reconduction dans ses fonctions en 2022, alors qu’il est prétendu que celui-ci aurait été en situation de conflit d’intérêts avec des magistrats, ni les deux décisions rendues respectivement les 15 septembre 2022 et 19 octobre 2022 par le Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline et faisant état d’une « situation objective de conflit d’intérêts » du garde des Sceaux ne sauraient caractériser un changement de circonstances, qu’elles soient de droit ou de fait, de la décision n° 2013-676 DC du 9 octobre 2013, relative à la transparence de la vie publique N° Lexbase : A4216KM4 (Conseil supérieur de la magistrature, 22 mars 2023, n° 9/2023).
En revanche, le Conseil supérieur de la magistrature estime que la reconnaissance de la valeur constitutionnelle au droit au silence dans les procédures pénales (Cons. const., décision n° 2016-594 QPC du 4 novembre 2016 N° Lexbase : A4730SC8, n° 2021-894 QPC du 9 avril 2021 N° Lexbase : A89634NB), est une évolution jurisprudentielle constituant un changement des circonstances de droit au regard de la décision n° 2010-611 DC du 19 juillet 2010 N° Lexbase : A7699E4W ayant déclaré conformes les articles 52 et 56 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958, qui organisent l’audition du magistrat poursuivi devant le rapporteur du CSM (Conseil supérieur de la magistrature, 12 avril 2023, n° 10/2023).
4) Applicabilité d’une disposition législative au litige
Les dispositions de l’article L. 721-1 du Code de justice administrative N° Lexbase : L3180ALD ne sont pas applicables au litige dès lors que le requérant ne demande pas la récusation de membres de la formation de jugement appelée à se prononcer sur sa QPC mais le renvoi, pour cause de suspicion légitime, de son examen à une autre formation du Conseil d'État ou à une autre juridiction administrative. Une QPC déposée à l’encontre de cet article est donc jugée irrecevable (CE, 10 mars 2023, n° 468104 N° Lexbase : A77999HC).
Les dispositions législatives non entrées en vigueur à la date des décisions contestées ne peuvent faire l’objet d’une QPC (TA Paris, 10 mars 2023, n° 2109868 N° Lexbase : A15149IW).
Lorsque l’indemnisation de dommages relève des articles L. 421-1 N° Lexbase : L2536LBK et L. 424-1 N° Lexbase : L6173DIH à L. 424-7 du Code des assurances (indemnisation des victimes d'accidents de la circulation survenus dans un pays de l'Espace économique européen), elle ne peut permettre d’engager une QPC visant l’article 706-3 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L7532LPN (procédure d'indemnisation des victimes de certaines infractions par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme). Une telle QPC est portée à l’encontre d’une disposition non applicable (Cass. civ. 2, 5 avril 2023 n° 23-40.002, FS-D N° Lexbase : A62239NS).
B. Notion de « Droits et libertés que la Constitution garantit »
1) Accessibilité universelle et de solidarité de la société à l'égard des personnes handicapées
Dans notre précédente chronique, nous avions relevé le renvoi d’une QPC visant les aides facultatives issues des fonds départementaux de compensation du handicap. Au soutien de cette QPC, était invoquée la reconnaissance d’un principe à valeur constitutionnelle « d’accessibilité universelle et de solidarité de la société à l'égard des personnes handicapées », qui serait issu du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, ainsi que les principes d’égalité et de fraternité (CE, 20 janvier 2023, n° 468567 N° Lexbase : A583689Z). Dans sa décision n° 2023-1039 QPC du 24 mars 2023 N° Lexbase : A50179KZ, le Conseil constitutionnel a validé tant les principes que la gestion du financement de ces fonds. À cette occasion, écartant implicitement la reconnaissance du principe invoqué, dont au demeurant on détermine mal l’éventuel contenu autonome, le Conseil s’en tient à sa solution établie selon laquelle « les exigences constitutionnelles résultant [des dispositions des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946] impliquent la mise en œuvre d’une politique de solidarité nationale en faveur des personnes handicapées. Il est cependant possible au législateur, pour satisfaire à ces exigences, de choisir les modalités concrètes qui lui paraissent appropriées » [1]. Le Conseil constitutionnel maintient ainsi une grande marge de manœuvre au législateur [2]. Ce qui laisse à considérer, même si la QPC rapportée n’était pas dirigée contre le mécanisme de compensation lui-même, que le fait que la compensation financière ne soit pas intégrale ne saurait méconnaitre le principe de fraternité [3].
2) Principe de séparation des pouvoirs
Le Conseil constitutionnel s’est prononcé, de façon inédite dans sa jurisprudence, sur l’invocabilité du principe de séparation des pouvoirs dans le cadre d’une QPC (décision n° 2023-1046 QPC du 21 avril 2023, Perquisitions réalisées dans les locaux d'un ministère N° Lexbase : A23489QZ). Il est jugé, depuis 2016 [4], que la méconnaissance du principe de séparation des pouvoirs ne peut être invoquée à l’appui d'une QPC que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit. En l’espèce, le Conseil constitutionnel écarte le grief tiré de la méconnaissance de l’étendue de sa compétence par le législateur dans des conditions affectant le principe de la séparation des pouvoirs.
Sur le fond, l’indépendance du pouvoir exécutif n’est pas explicitement reconnue, même si le Conseil constitutionnel prend soin de souligner que « le principe de la séparation des pouvoirs s’applique notamment [entendons : aussi] à l’égard du Gouvernement ». Les modalités et l’encadrement des interventions du juge dans l’activité gouvernementale ne sont pas réglés. La décision du Conseil constitutionnel semble laisser la main au législateur, sans toutefois l’éclairer sur le cadre et les limites de l’entreprise. Une question de cette importance, parce qu’elle doit être saisie globalement et articulée avec les différents enjeux des rapports entre la justice et l’exercice du pouvoir politique, ne peut être résolue par quelques ajustements. Elle mériterait d’être tranchée par le Constituant.
3) Incompétence négative
De façon constante, la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l’appui d’une QPC que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit. À ce titre, le Conseil constitutionnel juge que la méconnaissance par le législateur de l’étendue de sa compétence dans la détermination de l’assiette ou du taux d’une imposition n’affecte par elle-même aucun droit ou liberté que la Constitution garantit (décision n° 2023-1043 QPC du 13 avril 2023 N° Lexbase : A00869PU). Le Conseil constitutionnel consolide ainsi une solution stricte initiée dans la décision « Société Praxair » (décision n° 2014-419 QPC du 8 octobre 2014 N° Lexbase : A9168MXT), quoique nuancée quelques semaines après [5], mais reproduite depuis lors [6]. Dans l’affaire rapportée, le grief tiré de ce que le législateur n’aurait pas suffisamment défini les « poussières totales en suspension », dont le poids entre dans l’assiette de la taxe générale sur les activités polluantes, est écarté, quelles que soient ses branches. Dit de façon plus directe, le flou qui peut exister, en l’espèce, dans la liste des émissions de polluants ne vaut pas incompétence négative.
II. Procédure devant les juridictions ordinaires
A. Instruction de la question
1) Introduction de la requête
On rappellera qu’une QPC déposée par une personne n’ayant pas qualité de partie à l’instance et ne justifiant pas d’un intérêt suffisant à intervenir est écartée (CE, 27 mars 2023 n° 465736 N° Lexbase : A03409L8).
Par ailleurs, une QPC déposée lors d’observations complémentaires est irrecevable comme présentée après le dépôt du rapport (Cass. crim. 16 mai 2023, n° 23-81.494, F-D N° Lexbase : A42849WL).
2) Juridiction administrative spécialisée
Une QPC à l’encontre des articles L. 4122-3 N° Lexbase : L6101LRE et L. 4124-7 N° Lexbase : L6102LRG du Code de la santé publique a été déposée devant la Chambre disciplinaire nationale de l'Ordre des médecins. Elle contestait sous différents aspects la séparation entre les compétences administratives et juridictionnelles de l’ordre, et s’appuyait sur les principes d’indépendance et d’impartialité des juridictions. Cette QPC est jugée dépourvue de caractère sérieux (Chambre disciplinaire nationale de l'Ordre des médecins, 23 février 2023, n° 15715 /QPC).
3) Présentation de la requête
Il est remarquable de relever que le défaut de mémoire distinct, exigé afin de porter une QPC, est encore régulièrement sanctionné. Sur la période, 131 jugements et arrêts recensés dans la base « QPC 360° » reposent sur le manquement à ce critère procédural.
B. Caractère « sérieux » de la question
Les attributions et la composition du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel (CSTACAA), résultant des dispositions des articles L. 232-1 N° Lexbase : L8256L4K et L. 232-4 N° Lexbase : L3059LGE du Code de justice administrative, concourent à garantir l'indépendance et l'impartialité de la juridiction administrative. La circonstance que l'article L. 232-4, relatif à la composition du CSTACAA, prévoit qu'il comprend, parmi ses treize membres, le vice-président du Conseil d'État, en qualité de président, le conseiller d'État, président de la mission d'inspection des juridictions administratives et le secrétaire général du Conseil d'État, alors qu'ils disposent de prérogatives sur la gestion du corps des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, n'est en rien de nature à porter atteinte à l'indépendance des membres du corps des conseillers des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel. Au demeurant, ainsi que l'a d'ailleurs jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2017-666 QPC du 20 octobre 2017 N° Lexbase : A1284WWH, quelles que soient les prérogatives du vice-président du Conseil d'État sur la nomination ou la carrière des membres de la juridiction administrative, les garanties statutaires reconnues à ces derniers aux titres troisièmes des livres premier et deuxième du Code de justice administrative assurent leur indépendance, en particulier à son égard. Par suite, le moyen tiré de ce que ces dispositions méconnaîtraient les principes d'indépendance et d'impartialité indissociables de l'exercice de fonctions juridictionnelles consacrés par l'article 16 de la Déclaration de 1789 N° Lexbase : L1363A9D ne soulève pas une question sérieuse (CE, 10 mars 2023, n° 468104 N° Lexbase : A77999HC).
L’appréciation du « sérieux » s’appuie parfois expressément sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur des objets analogues. Ainsi, s’appuyant sur la jurisprudence considérant que le fait pour le législateur de prévoir une sanction administrative réprimant des manquements définis par le pouvoir réglementaire n'est pas contraire au principe de légalité des délits et des peines (décision n° 2017-634 QPC du 2 juin 2017 N° Lexbase : A2994WGY), il est jugé qu’en reconnaissant à l'AMF la possibilité de publier des instructions et des recommandations aux fins de préciser l'interprétation de son règlement général, et notamment des dispositions de ce règlement édictant des obligations dont la violation donne lieu à sanction administrative, le législateur n'a, a fortiori, pas méconnu sa propre compétence (Cass. com., 5 avril 2023, n° 22-19.127, F-D N° Lexbase : A62739NN).
III. Procédure devant le Conseil constitutionnel
A. Organisation de la contradiction
1) Défense de la loi
L’affaire précitée n° 2023-1046 QPC du 21 avril 2023, relative aux perquisitions réalisées dans les locaux d’un ministère présente une configuration assez inédite et illustre l’indépendance de la fonction de défense de la loi dans le procès QPC. Les services du Premier ministre sont conduits à prendre position contre les intérêts du pouvoir exécutif et contre le gouvernement.
2) Interventions devant le Conseil constitutionnel
Selon le deuxième alinéa de l’article 6 du règlement intérieur du 4 février 2010, seules les personnes justifiant d’un « intérêt spécial » sont admises à présenter une intervention.
Au regard de son objet statutaire, le syndicat de la magistrature ne justifie pas d’un tel intérêt spécial dans une affaire relative à la procédure administrative d’expulsion du domicile d’autrui. Par conséquent, son intervention n’est pas admise (décision n° 2023-1038 QPC du 24 mars 2023 N° Lexbase : A50169KY). En revanche, sont acceptées les observations en intervention présentées pour la Fédération nationale droit au logement, la fondation Abbé Pierre pour le logement des défavorisés, l’association Secours catholique-Caritas France.
Dans l’affaire n° 2023-1037 QPC du 17 mars 2023 N° Lexbase : A69009IE, relative à la communication des pièces du dossier de la procédure d’instruction à un tiers, le Conseil constitutionnel a logiquement admis des observations en intervention présentées pour le syndicat des avocats de France, et celles présentées pour l’association des avocats pénalistes.
De même, l’Union nationale des industries de carrières et des matériaux de construction est intervenue dans l’affaire n° 2023-1043 QPC du 13 avril 2023 N° Lexbase : A00869PU, relative à la taxe générale sur les activités polluantes à raison de l’émission de poussières. L’association France nature environnement a présenté des observations dans l’affaire n° 2023-1042 QPC du 31 mars 2023 N° Lexbase : A58709LY, relative aux pouvoirs de police des agents contractuels de droit privé de l’Office national des forêts, et dans l’affaire n° 2023-1044 QPC du 13 avril 2023 N° Lexbase : A00879PW, à propos de droits de visite, de communication et de saisie des agents chargés de la protection de l’environnement.
L’association SOS Soutien ô sans papiers est intervenue dans l’affaire n° 2023-1048 QPC du 4 mai 2023 N° Lexbase : A77789SU, portant sur les conditions de délivrance de la carte de résident permanent. L’association intervenante soulevait les mêmes griefs et motifs que le requérant, l’objet de son intervention était de faire reconnaître par le Conseil constitutionnel, sans succès, un « droit des ressortissants étrangers au séjour ».
La société Mutuelle assurance instituteur France est intervenue dans l’affaire n° 2023-1045 QPC du 21 avril 2023 N° Lexbase : A23479QY, relative à la responsabilité civile du parent chez lequel a été fixée la résidence habituelle de l’enfant mineur auteur d’un dommage. Il s’agit d’un créancier tiers à la relation familiale, mais partie au litige au fond et, comme tel, recevable à intervenir devant le Conseil constitutionnel.
De façon remarquable, sur la question contestée de l’isolement et de la contention en milieu psychiatrique, et sur un texte déjà réécrit deux fois, le débat contradictoire a été largement porté par une série d’interventions dans les affaires jointes n° 2023-1040/1041 QPC du 31 mars 2023 N° Lexbase : A58719LZ, portant, d’une part, sur la notification des droits du patient faisant l’objet d’une telle mesure et, d’autre part, sur l’assistance ou la représentation par un avocat dans le cadre du contrôle de ces mesures. Sept observations en intervention y ont été produites, assorties de secondes observations : l’association Cercle de réflexion et de proposition d’action sur la psychiatrie ; l’association Avocats, droits et psychiatrie ; le Conseil national des barreaux ; l’ordre des avocats au barreau des Hauts-de-Seine ; l’ordre des avocats au barreau de Paris ; l’ordre des avocats au barreau de Seine-Saint-Denis ; le syndicat des avocats de France, le syndicat de la magistrature et l’union syndicale de la psychiatrie. Certaines parties intervenantes ont fait valoir plusieurs arguments autonomes, souvent en prolongement des griefs principaux, qui n’étaient pas soulevés en tant que tels par la partie requérante. Il en est ainsi notamment des arguments sur l’atteinte à la dignité de la personne humaine, qui en réalité reposent par ricochet sur l’argumentation développée sur le terrain du droit au recours juridictionnel effectif.
3) Procédure orale
Depuis mars 2023, M. Benoit Camguilhem, Chargé de mission au Secrétariat général du gouvernement, assume la représentation du Premier ministre lors de l’audience publique en QPC. Il succède à M. Antoine Pavageau.
Les membres du Conseil constitutionnel posent désormais régulièrement des questions lors de l’audience publique (décisions n° 2023-1037 QPC du 17 mars 2023 N° Lexbase : A69009IE, n° 2023-1046 QPC du 21 avril 2023 N° Lexbase : A23489QZ, n° 2023-1048 QPC du 4 mai 2023 N° Lexbase : A77789SU, portant sur les conditions de délivrance de la carte de résident permanent), parfois sur plusieurs aspects soulevés par le débat constitutionnel (décision n° 2023-1036 QPC du 10 mars 2023 N° Lexbase : A20229HD). Il n’est plus rare qu’une note en délibéré soit sollicitée par une question lors de cet échange (ainsi, décision n° 2023-1044 QPC du 13 avril 2023, à propos de droits de visite, de communication et de saisie des agents chargés de la protection de l’environnement.
Dans l’affaire précitée n° 2023-1039 QPC du 24 mars 2023 N° Lexbase : A50179KZ, l’Avocat de la partie requérante n’a pas présenté d’observations orales. Il a toutefois présenté une note en délibéré. Celle-ci concerne des éléments chiffrés permettant d’établir le volume des fonds départementaux de compensation des frais restant à la charge des personnes handicapées, leurs contributeurs et le volume des aides versées.
4) Impartialité du Conseil constitutionnel
La décision n° 2023-1046 QPC du 21 avril 2023, relative aux perquisitions réalisées dans les locaux d'un ministère a fait l’objet de deux déports, par Mme Véronique Malbec et M. Jacques Mézard.
B. Modalités de contrôle
1) Champ du contrôle du Conseil constitutionnel
Dans l’affaire n° 2023-1036 QPC du 10 mars 2023, le Conseil constitutionnel s’est prononcé pour la première fois sur le régime de responsabilité du fait des produits défectueux, en particulier la limitation, aux seuls produits issus du corps humain, de l’impossibilité pour le producteur d’invoquer les risques de développement en présence d’un dommage corporel résultant d’un produit de santé. La partie en défense soutenait qu’il n’y avait pas lieu pour le Conseil constitutionnel d’examiner les dispositions contestées, dans la mesure où, selon elle, les griefs des requérants étaient, en réalité, dirigés contre des dispositions qui, en instaurant la cause d’exonération de responsabilité pour risque de développement, se bornaient à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises d’une directive européenne. Après avoir relevé que cette directive prévoit que les États membres peuvent, par dérogation, l’exclure de leur législation, le Conseil constitutionnel a jugé qu’ « en prévoyant qu’en cas de dommages causés par les éléments et produits issus du corps humain, le producteur ne pourra pas invoquer la cause d’exonération pour risque de développement, les dispositions contestées ne se bornent pas à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises de la directive du 25 juillet 1985 ». Il était donc compétent pour les contrôler.
2) Techniques de contrôle employées par le Conseil constitutionnel
a) Protection du droit au recours juridictionnel effectif
Dans l’affaire n° 2023-1040/1041 QPC du 31 mars 2023 précitée, portant sur l’isolement et la contention en milieu psychiatrique, l’absence de notification des droits au patient et l’absence d’assistance systématique d’un avocat ont été jugés conforme par le Conseil constitutionnel, notamment en raison de l’ensemble des voies de droit ouvertes et du contrôle exercé par le juge judiciaire, et en ce que les mesures d’isolement et contention, qui constituent en quelque sorte un ultime recours, ont uniquement pour objet de prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui et ne constitue pas une sanction ayant caractère de punition. On relèvera que le Conseil constitutionnel semble confirmer le contrôle concret exercé en matière de protection du droit au recours juridictionnel effectif, afin de déterminer si, de manière effective, le droit au recours est méconnu, au regard des objectifs de protection de la santé et des objectifs d’ordre public. Est ainsi pris en compte l’état du patient au moment de la décision de prendre la mesure contestée, notamment la capacité de celui-ci à comprendre et pouvoir exercer ses droits. La garantie réelle prime sur la garantie formelle.
b) Pénalisation de la protection de l’environnement
Deux décisions du Conseil constitutionnel concernent le sujet de la pénalisation accrue du droit de l’environnement.
D’une part, dans la décision n° 2023-1042 QPC du 31 mars 2023, relative aux pouvoirs de police des agents contractuels de droit privé de l’Office national des forêts, le Conseil s’est prononcé sur les dispositions confiant à ces agents le droit de constater des infractions pénalement réprimées. Le Conseil constitutionnel ne s’engage pas, en l’état, sur un examen plus poussé des conditions dans lesquelles l’autorité judiciaire est amenée à exercer son contrôle, en dépit d’un élargissement par la loi des possibilités d’intervention de ces agents. On rappellera que l’enjeu du contrôle porte sur la nature et l’entendue des missions, et garanties essentielles auprès de l’autorité judiciaire, pas sur la nature des agents.
Un raisonnement comparable est à relever dans la décision n° 2023-1044 du 13 avril 2023, à propos de droits de visite, de communication et de saisie des agents chargés de la protection de l’environnement, sur le terrain du droit au respect de la vie privée et du droit à un recours juridictionnel effectif. Cela confirme que les inspecteurs de l’environnement doivent être considérés comme des « OPJ à part entière » afin de rendre plus efficace la politique pénale en matière de protection de l’environnement. On rappellera que les compétences des inspecteurs de l’environnement connaissent depuis plusieurs années une expansion non négligeable. L’étendue de leurs pouvoirs est désormais validée par le Conseil constitutionnel.
c) Réserves d’interprétation
Saisi des dispositions relatives à l’évacuation forcée des squatteurs, issues de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020, d’accélération et de simplification de l’action publique N° Lexbase : L9872LYB, dite « ASAP », le Conseil constitutionnel a énoncé une réserve d’interprétation : décision n° 2023-1038 QPC du 24 mars 2023, Procédure administrative d’expulsion du domicile d’autrui. Les dispositions contestées prévoient que la personne dont le domicile est occupé de manière illicite, qu’il s’agisse ou non de sa résidence principale, peut, sous certaines conditions, demander au préfet de mettre en demeure l’occupant de quitter les lieux. En cas de refus de ce dernier, le préfet doit procéder sans délai à l’évacuation forcée du logement. Le Conseil constitutionnel précise que « ces dispositions prévoient que le préfet peut ne pas engager de mise en demeure dans le cas où existe, pour cela, un motif impérieux d’intérêt général. Toutefois, elles ne sauraient, sans porter une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et au principe de l’inviolabilité du domicile, être interprétées comme autorisant le préfet à procéder à la mise en demeure sans prendre en compte la situation personnelle ou familiale de l’occupant dont l’évacuation est demandée ». Une telle réserve laisse ouverte une appréciation au cas par cas. On notera, en creux, qu’aucune réserve ne concerne les droits procéduraux, le dispositif reposant sur une conciliation équilibrée au regard des objectifs assignés.
En revanche, on relèvera que le Conseil constitutionnel n’a pas fait droit à la demande de réserve d’interprétation, dans l’affaire précitée n° 2023-1036 QPC du 10 mars 2023, tendant à empêcher que le risque de développement ne soit pas invocable, non pas seulement pour un dommage résultant d’un produit issu du corps humain, mais d’un dommage résultant d’un produit de santé sans distinction. Une telle démarche consistait à solliciter le Conseil constitutionnel en vue de supprimer une limitation prévue par la loi, ce qui revenait en l’espèce à censurer une abstention délibérée du législateur et à modifier le texte dans un sens opposé à l’intention première du législateur.
Dans la décision n° 2023-1036 QPC du 10 mars 2023, le Conseil constitutionnel juge que la différence de traitement, selon qu’il s’agisse de produits de synthèse ou de produits issus du corps humains, repose sur une différence de situation et est en rapport avec l’objet de la loi. Dès lors que les produits et éléments du corps humain sont soumis à un régime juridique distinct de celui des autres produits, et en particulier de celui des produits de santé, et qu’ils présentent des risques spécifiques, le législateur a pu organiser différemment les conditions dans lesquelles il pouvait être répondu des dommages dont ils sont la cause. En filigrane, le Conseil constitutionnel veille ainsi à préserver, de façon rigoureuse, le statut singulier des produits du corps humain au regard des produits du commerce, quitte à le maintenir sur le terrain du régime d’imputation de responsabilité et à ce que cela impacte une partie des victimes de produits défectueux. On peut penser, par ailleurs, que cette décision prend soin de ne pas préempter la discussion en cours devant le Conseil européen à propos d’un projet de Directive qui pourrait permettre d’opposer l’exonération de responsabilité sur les produits issus du corps humain.
[1] Cons. const., décision n° 2018-772 DC du 15 novembre 2018 N° Lexbase : A1890YLL, Loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique.
[2] Déjà, Cons. const., décision n° 2011-123 QPC du 29 avril 2011 N° Lexbase : A2799HPD, Conditions d'octroi de l'allocation adulte handicapé.
[3] Déjà, à propos du reste à charge, Cons. const., décision n° 2011-136 QPC du 17 juin 2011 N° Lexbase : A6176HTW, Financement des diligences exceptionnelles accomplies par les mandataires judiciaires à la protection des majeurs.
[4] Cons. const., décision n° 2016-555 QPC du 22 juillet 2016 N° Lexbase : A7431RXI.
[5] Cons. const., décision n° 2014-431 QPC du 28 novembre 2014 N° Lexbase : A3791M48.
[6] Déjà sur la TGAP, Cons. const., décision n° 2016-537 QPC du 22 avril 2016 N° Lexbase : A9208RKA et n° 2019-819 QPC du 7 janvier 2020 N° Lexbase : A9130Z9Z.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:485938