La lettre juridique n°949 du 15 juin 2023 : Consommation

[Brèves] Covid-19 et voyages à forfait : la règlementation française d’exception est contraire au droit de l’Union européenne

Réf. : CJUE, 8 juin 2023, aff. C-407/21 N° Lexbase : A80959YH

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N5787BZD

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par Vincent Téchené

le 14 Juin 2023

La réglementation nationale française libérant temporairement les organisateurs de leur obligation de remboursement intégral en cas de résiliation n’est pas compatible avec le droit de l’Union ;

Par ailleurs, un État membre ne peut invoquer la crainte de difficultés internes pour justifier l’inobservation des obligations résultant du droit de l’Union lorsque cette inobservation ne répond pas aux conditions de la force majeure.

Faits et procédure. Deux associations de défense des intérêts des consommateurs, ont saisi le Conseil d’État d’une demande d’annulation de l’ordonnance relative aux conditions financières de résolution de certains contrats de voyages touristiques et de séjours en cas de circonstances exceptionnelles et inévitables ou de force majeure (ordonnance n° 2020-315, du 25 mars 2020 N° Lexbase : L5732LW9, M. Rouanne, Lexbase Droit privé, mars 2020, n° 819 N° Lexbase : N2790BYY).

Cette réglementation française a été adoptée dans le cadre de la pandémie de Covid-19, afin de permettre aux organisateurs de voyages, en cas de résiliation du contrat de voyage à forfait intervenue en raison de circonstances exceptionnelles et inévitables, d’émettre un bon à valoir ayant une durée de validité de 18 mois et ne pouvant donner lieu au remboursement des paiements effectués par les voyageurs qu’après la non-utilisation de ce bon pendant ce délai. Cela constituait une dérogation aux exigences de la Directive relative aux voyages à forfait (Directive n° 2015/2302, du 25 novembre 2015 N° Lexbase : L6878KUB) prévoyant un remboursement intégral de ces paiements dans les quatorze jours au plus tard après la résiliation.

Selon le Gouvernement français, cette mesure visait à préserver la viabilité du secteur touristique en évitant que, en raison du nombre important de demandes de remboursement liées à la pandémie de Covid-19, la solvabilité des organisateurs de voyages soit affectée au point de mettre en péril leur existence.

Décision. La Cour juge que les États membres ne peuvent invoquer la force majeure pour libérer, même temporairement, les organisateurs de voyages à forfait de l’obligation de remboursement prévue par la Directive. Elle précise que le « remboursement » doit s’entendre comme une restitution sous forme d’argent. Le législateur de l’Union n’a pas envisagé la possibilité de remplacer cette obligation de paiement par une prestation revêtant une autre forme, comme la proposition de bons à valoir.

S’agissant des motifs de résiliation d’un contrat de voyage à forfait, la Cour considère qu’une crise sanitaire mondiale telle que la pandémie de Covid-19 doit être considérée comme étant susceptible de relever des « circonstances exceptionnelles et inévitables » au titre desquelles la Directive prévoit un remboursement intégral, en tant qu’événement échappant manifestement à tout contrôle et dont les conséquences n’auraient pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises.

De plus, elle constate que les conditions de la force majeure ne sont, en tout état de cause, pas remplies, puisque :

  • la réglementation litigieuse aboutit à une suspension provisoire généralisée de l’obligation de remboursement, sans prendre en compte la situation financière concrète et individuelle des organisateurs de voyages concernés ;
  • les conséquences financières déplorées par le Gouvernement français auraient pu être évitées par l’adoption, par exemple, de certaines aides d’État au bénéfice des organisateurs de voyages concernés ;
  • ladite réglementation (qui libère les organisateurs de voyages de leur obligation de remboursement pendant une période pouvant aller jusqu’à 21 mois) n’est pas conçue de manière à limiter ses effets à la période nécessaire pour remédier aux difficultés causées par l’événement susceptible de relever de la force majeure.

La CJUE ajoute que la faculté d’aménager, dans des circonstances exceptionnelles les effets d’une décision d’annulation n’est pas applicable en l’espèce.

La Cour suit, en substance, le même raisonnement dans un autre arrêt rendu le même jour dans une affaire concernant cette fois-ci la Slovaquie (CJUE, 8 juin 2023, aff. C-540/21 N° Lexbase : A80999YM). Elle constate qu’en adoptant une modification législative privant temporairement les voyageurs de leur droit de résilier un contrat de voyage à forfait sans frais et de recevoir un remboursement intégral, la Slovaquie a manqué à l’obligation qui lui incombe en vertu de la directive relative aux voyages à forfait.

Enfin, on relèvera que la CJUE a précisé dans un arrêt du 12 janvier 2023 qu’un voyageur a droit à une réduction du prix de son voyage à forfait lorsqu’une non-conformité des services de voyage compris dans son forfait est due à des restrictions qui ont été imposées sur son lieu de destination pour lutter contre la propagation d’une maladie infectieuse, telle que la Covid-19 (CJUE, 12 janvier 2023, aff. C-396/21 N° Lexbase : A644287Q, V. Téchené, Lexbase Affaires, janvier 2023, n° 742 N° Lexbase : N3964BZT).

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