La lettre juridique n°950 du 22 juin 2023 : Baux commerciaux

[Brèves] « Loyers covid » : la Cour de cassation confirme l’exclusion de la force majeure

Réf. : Cass. civ. 3, 15 juin 2023, n° 21-10.119, FS-B N° Lexbase : A99419Z9

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N5912BZY

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par Vincent Téchené

le 21 Juin 2023

► Le débiteur d'une obligation contractuelle de somme d'argent inexécutée ne peut s'exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure. Il en résulte que l'impossibilité d'exercer une activité du fait des mesures gouvernementales prises pour lutter contre la propagation du virus covid-19 ne peut exonérer un locataire à bail commercial du paiement des loyers.

Faits et procédure. Le 27 septembre 2012, le propriétaire de deux appartements situés dans une résidence de tourisme les a donnés à bail commercial à une société. Le 22 avril 2014, le bailleur a assigné la locataire en paiement d'un arriéré locatif, indemnisation de ses préjudices, remboursement de frais d'huissier de justice et communication de documents comptables de la résidence.

Actualisant, en cause d'appel, sa demande au titre de l'arriéré locatif, le bailleur l'a étendue au solde des loyers des premier et deuxième trimestres 2020, soit ceux échus, pour partie, alors que les mesures gouvernementales d'interdiction de recevoir du public afin de lutter contre la propagation du virus covid-19, étaient en vigueur.

Le locataire, ayant été condamné par la cour d’appel (CA Grenoble, 5 novembre 2020, n° 16/04533 N° Lexbase : A643333N, J.-P. Dumur, Lexbase Affaires, novembre 2020, n° 656 N° Lexbase : N5458BYS), a formé un pourvoi en cassation invoquant différent moyen.

Décision. Le moyen qui retiendra essentiellement notre attention ici est celui relatif à la force majeure qui résulterait, selon le preneur, de l'impossibilité d'exercer son activité, en raison des interdictions prononcées pour lutter contre la pandémie de covid-19.

On sait que dans l’un des trois arrêts « loyers covid » de mars 2022, la Cour de cassation l’a clairement exclue, estimant que la cour d’appel avait exactement retenu que le locataire, créancier de l’obligation de délivrance de la chose louée, n’était pas fondé à invoquer à son profit la force majeure (Cass. civ. 3, 30 juin 2022, n° 21-20.190, FS-B N° Lexbase : A859678U).

Dans son arrêt du 15 juin 2023, la Cour de cassation confirme cette solution acquise en étayant un peu plus son raisonnement. Ainsi elle y affirme qu’aux termes de l'article 1148 du Code civil N° Lexbase : L1249ABU, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131, du 10 février 2016, il n'y a lieu à aucuns dommages et intérêts lorsque, par suite d'une force majeure ou d'un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit.

Elle rappelle que constitue un cas de force majeure un événement présentant un caractère imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution (Cass. ass. plén., 14 avril 2006, n° 02-11.168, P N° Lexbase : A2034DPZ), l'irrésistibilité n'étant pas caractérisée si l'exécution est seulement rendue plus difficile ou onéreuse.

Dès lors, le débiteur d'une obligation contractuelle de somme d'argent inexécutée ne peut s'exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure (Cass. com., 16 septembre 2014, n° 13-20.306, F-P+B N° Lexbase : A8468MWK).

Il en résulte donc logiquement, selon la Haute cour, que l'impossibilité d'exercer une activité du fait des mesures gouvernementales prises pour lutter contre la propagation du virus covid-19, ne pouvait exonérer la locataire du paiement des loyers échus pendant les premier et deuxième trimestres 2020.

Plus généralement, sur la question des « loyers covid », la Cour de cassation a fermé la porte à la plupart des moyens développés par les preneurs. En effet, la mesure générale et temporaire d'interdiction de recevoir du public n’entraîne pas la perte de la chose louée et n’est pas constitutive d'une inexécution, par le bailleur, de son obligation de délivrance (Cass. civ. 3, 30 juin 2022, trois arrêts, n° 21-20.127, FS-B  N° Lexbase : A858778K ; n° 21-20.190, FS-B N° Lexbase : A859678U et n° 21-19.889, FS-D N° Lexbase : A194279S, B. Brignon, Lexbase Affaires, juillet 2022, n° 726 N° Lexbase : N2205BZP ; v. également, Cass. civ. 3, 23 novembre 2022, deux arrêts, n° 21-21.867, FS-B N° Lexbase : A10758UD et n° 22-12.753, FS-B N° Lexbase : A10768UE, D. Houtcieff, Lexbase Affaires, janvier 2023, n° 742 N° Lexbase : N3986BZN). Dans ces deux arrêts du 23 novembre, la troisième chambre civile a également écarté l’application des clauses ordinaires admettant la suspension des loyers en cas de circonstances exceptionnelles.

Pour terminer et être complet sur l’arrêt rapporté du 15 juin, il convient de noter que la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel sur trois points.

Tout d’abord, elle retient au visa de l’article 4 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1113H4Y qu’en  condamnant la locataire à payer au bailleur une certaine somme au titre du loyer dû pour le quatrième trimestre de l'année 2014, au motif que le montant des loyers de retard fixé dans la décision déférée n'est pas contesté, la cour d'appel a modifié l'objet du litige dès lors que la locataire soutenait être à jour de l'ensemble des loyers au début de l'année 2020.

Ensuite, elle rappelle que selon l’article 1153, alinéa 4, du Code civil N° Lexbase : L1254AB3, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts des intérêts moratoires de la créance.

Or, pour condamner la locataire à payer au bailleur une certaine somme à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des retards de paiement du loyer, l'arrêt d’appel retient que ces retards ont entraîné l'impossibilité de régler certaines dépenses afférentes aux biens donnés à bail, le rejet de prélèvements bancaires et l'engagement de frais de recouvrement.

Ainsi, pour la Cour de cassation, en statuant ainsi, sans constater la mauvaise foi de la locataire, la cour d'appel a violé l’article 1153 précité.

Enfin, elle relève que pour condamner la locataire à communiquer sous astreinte les comptes d'exploitation des années 2013 et 2014, l'arrêt d’appel retient qu'il résulte de ses conclusions que ces documents ne sont pas régulièrement communiqués. En outre, il ajoute que concernant les années ultérieures, la preuve de l'envoi au bailleur des comptes d'exploitation n'est pas rapportée.

Ainsi, pour la Haute juridiction, en statuant ainsi, sans examiner, même sommairement, les courriers des 25 juin et 20 juillet 2016, 11 avril 2019 et 24 avril 2020, relatifs à la communication au bailleur des documents en litige pour les années 2013 à 2019, la cour d'appel a violé l’article 455 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6565H7B (le juge doit procéder à l'examen, même sommaire, des pièces produites par les parties).

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : L'obligation du locataire de payer le loyer du bail commercial, L'exigibilité du loyer du bail commercial en période de crise sanitaire (Covid-19), in Baux commerciaux, (dir. J. Prigent), Lexbase N° Lexbase : E504834Q.

 

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