La lettre juridique n°950 du 22 juin 2023 : Fiscalité des entreprises

[Focus] Plus-values professionnelles : l’exclusion des régimes d’exonération en présence d’un mandat de gestion

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par Jérôme Mazeres, Fiscaliste - Diplômé en gestion de patrimoine, Les fourmis du patrimoine

le 21 Juin 2023

Mots-clés : plus-value professionnelle • actif immobilisé • mandat de gestion • sociétés

1.- Lors de la cession d’un élément d’actif immobilisé, affecté à l’exercice d’une activité relevant des bénéfices industriels et commerciaux, des bénéfices agricoles ou des bénéfices non commerciaux, il est possible de bénéficier de plusieurs régimes d’exonération de la plus-value professionnelle. Certains régimes peuvent se cumuler entre eux. Ces régimes trouvent à s’appliquent lorsque l’activité opérationnelle est exercée par une entreprise individuelle, ou une société de personnes relevant de l’impôt sur le revenu. Ces régimes ne trouvent pas à s’appliquer en présence d’une entreprise ou d’une société relevant de l’impôt sur les sociétés.


 

Nous pouvons notamment citer les régimes suivants :

  • article 238 quindecies du Code général des impôts N° Lexbase : L8929MCP (exonération en fonction de la valeur des éléments cédés) ;
  • article 151 septies A du Code général des impôts N° Lexbase : L0305MGE (exonération en cas de départ à la retraite) ;
  • article 151 septies B du Code général des impôts N° Lexbase : L1142IEZ (exonération des plus-values immobilières professionnelles à long terme).

2.- L’article 151 septies du Code général des impôts permet quant à lui de bénéficier d’un régime d’exonération en fonction du chiffre d’affaires de l’entreprise. Plusieurs conditions cumulatives doivent être respectées :

  • exercice d’une activité artisanale, commerciale, industrielle, agricole ou libérale ;
  • à titre professionnel,
  • durant à minima 5 ans ;
  • le chiffre d’affaires doit être en deçà d’un certain seuil :
  • Inférieur à 250 000 euros pour des activités de vente, afin de bénéficier d’une exonération totale de plus-values. Entre 250 000 euros et 350 000 euros de chiffre d’affaires, l’exonération sera partielle ;
  • Inférieur à 90 000 euros pour des activités de service, afin de bénéficier d’une exonération totale des plus-values. Entre 90 000 euros et 126 000 euros  de chiffres d’affaires, l’exonération sera partielle.

I. L’activité doit être exercée à titre professionnel

3.- Parmi les conditions devant être remplies pour l’application de ce régime, il est nécessaire que l’activité soit exercée à titre professionnel. Les commentaires administratifs [1] précisent pour le cas de l’entreprise individuelle : « L'exercice à titre professionnel implique la participation personnelle, directe et continue à l'accomplissement des actes nécessaires à l'activité. En revanche, le volume de l'activité déployée est sans incidence sur son exercice à titre professionnel, sans préjudice, notamment, de la condition tenant à une participation continue à cette activité ».

4.- Les contrats déléguant l’exercice de l’activité opérationnelle de l’entreprise à un tiers sont susceptibles de remettre en cause l’exercice de l’activité à titre professionnel, et notamment l’exigence d’une participation personnelle, directe et continue. À ce titre, les commentaires administratifs précisent [2] : « La notion de participation directe exige du contribuable qu'il s'implique dans la gestion opérationnelle de l'activité. Les contribuables qui se bornent à exercer leurs seules prérogatives d'associés ou de propriétaires de l'entreprise en participant aux conseils de direction ou aux assemblées générales, ou en exerçant un contrôle a posteriori de la gestion, ne peuvent pas être considérés comme participant directement à l'activité de l'entreprise ».

À titre d’exemple, les propriétaires d’un fonds de commerce donnant celui-ci en location-gérance [3] ne peuvent pas bénéficier du régime d’exonération en fonction du chiffre d’affaires.

5.- Lorsque l’activité opérationnelle est exercée par une société, les commentaires administratifs semblent poser une présomption relative à l’exercice à titre professionnel. Ceux-ci précisent [4] : « Les sociétés ou groupements qui exercent une activité de nature industrielle, commerciale, artisanale, libérale ou agricole de manière continue sont réputés exercer une activité professionnelle ».

Cependant, elle tempère celle-ci en indiquant : « Cela étant, les activités qui ne requièrent pas le déploiement de diligences régulières ou continues ne sont pas éligibles à la présente exonération. Les entités qui se bornent à exercer leurs seules prérogatives d'associés ou de propriétaires d'une entreprise en participant aux conseils de direction ou aux assemblées générales, ou en exerçant un contrôle a posteriori de la gestion, ne peuvent pas être considérés comme participant directement à l'activité de l'entreprise au sens des dispositions de l'article 151 septies du CGI ».

6.- Ainsi, l’activité doit être poursuivie par le contribuable lui-même, ce qui explique que la location-gérance ne permet pas au bailleur de bénéficier du régime prévu à l’article 151 septies du Code général des impôts [5].

Par ailleurs, la jurisprudence a eu l’occasion de préciser, qu’en cas de cession d’un élément d’actif par une société, la notion d’exercice de l’activité à titre professionnel s’apprécie au niveau de la société de personnes et non au niveau de ces associés [6]. En effet, la société de personnes dispose d’une personnalité distincte de celle de ses membres [7].

II. L’appréciation de la condition relative à l’activité à titre professionnel est appréciée différemment au cas de la location meublée 

7.- L’analyse de la condition relative à l’exercice de l’activité à titre professionnel s’apprécie de manière différente pour les activités de location en meublé.

En effet, l’article 155 du Code général des impôts N° Lexbase : L6174LU9 précise pour ce type d’activité, que celle-ci est exercée à titre professionnel, dès lors que les deux conditions cumulatives suivantes sont respectées :

  • les recettes annuelles retirées de cette activité par l’ensemble des membres du foyer fiscal excèdent 23 000 euros ;
  • les recettes issues de la location meublée excèdent les autres revenus professionnels du foyer.

Si l’activité est qualifiée de professionnelle, la plus-value portant sur l’immeuble ouvre droit au régime des plus-values professionnelles, et notamment à l’application de l’article 151 septies du Code général des impôts. Si tel n’est pas le cas, c’est le régime des plus-values immobilières privées qui s’applique [8].

III. Les conséquences liées à la mise en place d’un mandat de gestion: le risque de perte du régime de faveur !

8.- La cour administrative d’appel de Lyon vient de rendre un arrêt [9] publié au recueil Lebon, le 20 avril 2023, concernant les risques liés à la mise en place d’un mandat de gestion pour l’application de l’article 151 septies du Code général des impôts.

9.- Dans cette affaire, une EURL était propriétaire de plusieurs lots d’un ensemble immobilier. Ceux-ci étaient affectés à une activité hôtelière. L’EURL ainsi que les autres investisseurs avaient délégué la gestion de l’hôtel à une SNC. En outre, l’EURL était associée d’une société en participation. La gérance de la société en participation avait été confiée à la SNC.

L’EURL a cédé les lots qu’elle détenait, et a fait application de l’article 151 septies du Code général des impôts.

L’administration fiscale a remis en cause l’application du régime d’exonération, considérant que l’EURL n’exerçait pas une activité professionnelle d’exploitant hôtelier.

10.- L’interrogation portait ainsi sur le fait de savoir si le mandat de gestion est susceptible de déqualifier l’exercice à titre professionnel.

Si la doctrine administrative pose une présomption d’exercice d’activité à titre professionnel, lorsque l’activité est exercée par une société, il ne s’agit que d’une présomption simple.

Le fait de déléguer la gestion d’une activité à un tiers est susceptible de déqualifier l’exercice de l’activité à titre professionnel.

La cour administrative d’appel de Lyon s’inscrit ainsi complètement dans cette logique, lorsqu’elle précise : « Pour bénéficier de l'exonération prévue par les dispositions précitées, le contribuable doit justifier que le bien dont la cession a dégagé une plus-value a été affecté à l'une des activités professionnelles visées à cet article, que celle-ci a été exercée pendant cinq ans avant la cession et que sa participation à l'accomplissement des actes nécessaires à l'activité a été personnelle, directe et continue.

Si, en principe, tout membre d'une société en participation qui a pour objet une activité imposable dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux, des bénéfices agricoles ou des bénéfices non commerciaux doit être présumé y exercer une activité professionnelle, il en va, en revanche, différemment lorsqu'une ou plusieurs personnes autres que l'intéressé, qu'il s'agisse des associés ou non, ont été désignées pour gérer la société. Dans ce cas, il ne peut être regardé comme exerçant personnellement l'activité mise en société que si sa participation effective à cette activité est établie ».

11.- Dans cette affaire, la juridiction administrative lyonnaise relève l’existence d’un mandat de gestion. On comprend que c’est la SNC qui gérait l’hôtel.

On rappellera que la participation doit être effective, et qu’elle ne peut pas se cantonner à l’exercice de ses droits d’associés. Il faut aller au-delà.

Cela explique également pourquoi l’attestation du gérant de la société en participation, attestant de la présence du gérant de l’EURL à chaque réunion, et son intervention sur chaque décision n’avait que peu de chance de prospérer.

La jurisprudence [10] considère être en présence d’une activité à titre professionnel lorsque des tâches d’exécution sont réalisées comme par exemple : l’accueil téléphonique de la clientèle, l’accueil des clients, la réception des commandes, la préparation des livraisons…

Au cas présent, il semble que l’associé unique de l’EURL n’ait pas cherché à démontrer l’exercice de tâches spécifiques à la gestion de l’hôtel, comme la gestion des clients ou des fournisseurs par exemple.

On peut cependant penser que si de tels éléments de preuve avaient été apportés, que la solution n’aurait certainement pas été la même.

12.- Cependant, un point peut surprendre quant au raisonnement mis en œuvre par la cour administrative d’appel de Lyon. En effet, celle-ci considère que « c’est à bon droit que l’administration a estimé que l’EURL, ainsi que son associé » n’exerçaient pas une activité professionnelle » au sens des articles 151 septies et 155, IV du Code général des impôts.

On doit avouer que l’on a un peu de mal à comprendre pourquoi l’associé est visé. Il s’agit ici de la cession de lots d’immeubles détenus par l’EURL.

Ce point surprend dans la mesure où, en cas de cessions des éléments d’actif par l’EURL, il nous semble, conformément à la jurisprudence citée précédemment, que dans la mesure où celle-ci dispose d’une personne morale distincte de ses membres, c’est à son niveau que doit être caractérisé l’exercice à titre professionnel.

Ce type de raisonnement amenant à s’interroger sur la participation de l’associé nous semble plutôt découler de l’article 151 nonies du Code général des impôts N° Lexbase : L9116LKT (voir de l’article 70 du même Code pour les sociétés agricoles).

La position de la CAA de Lyon nous semble être une référence à la position du Conseil d’Etat [11], notamment sur la participation de l’associé d’une société en participation. Cette affaire concernait là encore le secteur hôtelier. La problématique portait sur la déduction des intérêts de l’emprunt contracté par l’associé pour acquérir des parts.

13.- Au final, cet arrêt qui est susceptible de poser certaines questions entraine la perte des régimes d’exonération des contribuables.

Autant dire, qu’il convient de bien mesurer les conséquences liées à la conclusion d’un mandat de gestion, et ceux d’autant plus que la CAA de Lyon a écarté l’application du régime des plus-values immobilières privées.

 

[1] BOI-BIC-PVMV-40-10-10-10 n° 90 et suivants, du 9 janvier 2013 N° Lexbase : X6643ALM.

[2] BOI-BIC-PVMV-40-10-10-10 n° 180 et suivants.

[3] Pour un exemple voir CAA de Paris, 9 novembre 2011, n° 10PA05595 N° Lexbase : A5404H8N.

[4] BOI-BIC-PVMV-40-10-10-10 n° 230.

[5] CAA de Nantes, 12 décembre 2019, n° 17NT03228 N° Lexbase : A9094Z9P.

[6] TA Toulouse, 19 mars 2019, n° 1705932 et n° 1706034.

[7] CE Contentieux, 11 juillet 2011, n° 317024, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0239HWR.

[8] BOI-BIC-CHAMP-40-20 n° 240 et suivant, du 3 mai 2023 N° Lexbase : X6921ALW.

[9] CAA Lyon, 20 avril 2023, n° 21LY03722 N° Lexbase : A67419SH.

[10] CE 9° et 10° ch.-r., 8 juin 2016, n° 387826 N° Lexbase : A2415RSA.

[11] CE 3° et 8° ssr., 9 juillet 2003, n° 230116 N° Lexbase : A1935C9K.

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