La lettre juridique n°949 du 15 juin 2023 : Contrôle fiscal

[Jurisprudence] Droit de communication de l’administration, rejet de la comptabilité et reconstitution du chiffre d’affaires, majoration pour manquement délibéré

Réf. : CAA Douai, 13 avril 2023, n° 21DA02714 N° Lexbase : A93599PC

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par Franck Laffaille, Professeur de droit public (IDPS) - Université de Paris XIII

le 14 Juin 2023

Mots-clés : droit de communication • pénalités • chiffre d’affaires • comptabilité

Dans cette espèce, le contribuable exploite - dans le cadre d’une entreprise individuelle - deux établissements de restauration rapide à emporter. À la suite d’un contrôle de comptabilité, l’administration fiscale écarte ladite comptabilité comme non probante. Elle reconstitue son chiffre d’affaires puis lui adresse deux propositions de rectification. Lui sont alors notifiées des cotisations supplémentaires d’IR (BIC) et des rappels de TVA, assortis de pénalités mis en recouvrement. Saisi par le contribuable, le TA de Lille rejette sa demande. Devant la CAA de Douai, les moyens suivants sont avancés : la procédure d’imposition est fondée sur un droit de communication mis en œuvre de manière irrégulière par l’administration … c’est à tort que cette dernière a écarté sa comptabilité … la méthode de reconstitution de son chiffre d’affaires n’est pas opératoire … la majoration pour manquement délibéré (CGI, art. 1729 N° Lexbase : L4733ICB) est infondée.

Trois questions méritent étude : quid de la régularité de la procédure d’imposition ? Quid du bien-fondé des impositions en litige ? Quid des pénalités subies par le requérant ?


 

1er point : La régularité de la procédure d’imposition (reconstitution du chiffre d’affaires, exercice par l’administration de son droit de communication)

Il s’agit ici de cogiter sur la reconstitution du chiffre d’affaires, ladite reconstitution ayant été opérée sur le fondement du droit de communication qui appartient à l’administration. La CAA fait lecture de plusieurs dispositions législatives. En vertu de l’article L. 10 du LPF N° Lexbase : L3156KWS, il revient à l’administration de contrôler les déclarations et actes utilisés afin d’établir impôts, droits, taxes, redevances ; il en va de même s’agissant des documents déposés en vue d’obtenir des déductions, restitutions, remboursements ou en vue d’acquitter tout ou partie d’une imposition via une créance sur l’État. Quant à l’article L. 81 du LPF N° Lexbase : L5795MAU, il dispose que le droit de communication permet aux agents de l’État – afin d’établir l’assiette et le contrôle des impôts - de prendre connaissance des documents et renseignements, justifications ou éclaircissements relatifs aux déclarations (souscrites) ou aux actes (déposés). Ce droit de communication s’exerce indépendamment du support usité pour la conservation des documents. Toute demande de renseignements relative à des écritures comptables d’exercices vérifiés doit être regardée – nous dit-on – comme « un élément du dialogue » inhérent à la vérification de comptabilité. En d’autres termes, une demande de renseignement (entrevue comme un élément de dialogue) ne relève pas de l’exercice du droit de communication (visé à l’article L. 81 du LPF). Dans ce contentieux, il a été demandé au contribuable de compléter des relevés de vente - pour chacun de ses établissements – afin de procéder à la reconstitution du chiffre d’affaires. Cette dernière opération aurait été établie – selon le requérant – sur la base de l’exercice irrégulier, par l’administration, de son doit de communication. Il soutient que la reconstitution du chiffre d’affaires serait le fruit de l’exercice du droit de communication de l’administration auprès d’une société créée au cours des opérations de vérification. La CAA ne retient pas fondée l’argumentation du requérant. Certes, constate le juge, nous sommes en présence d’une personne morale nouvellement créée ; cependant, il appert que la demande de l’administration n’a pas été adressée à cette société mais au contribuable vérifié. D’ailleurs, celui-ci a fait droit à cette demande, communiquant en son nom propre les documents complétés ; il ne s’est aucunement prévalu de cette société nouvellement instituée. Il s’ensuit que le requérant ne peut soutenir que la demande a été adressée à cette société autre. Un ultime argument est soulevé par lui : il dénonce le fait que le courrier reçu ne comporte pas explicitement une mention indiquant qu’il s’agissait d’une simple demande d’information dépourvue de caractère contraignant. À cela, le juge répond : eu égard aux termes mêmes de cette demande, celle-ci ne saurait présenter un caractère contraignant vis-à-vis du contribuable. À l’aune des divers éléments mentionnés en amont, la procédure de reconstitution du chiffre d’affaires n’est pas viciée ; elle n’a pas été réalisée sur la base de l’exercice irrégulier, par l’administration, de son droit de communication.

2ème point : le bien-fondé des impositions en litige (rejet de la comptabilité, méthode de reconstitution des résultats et chiffres d’affaires)

Voyons, de prime abord, la question du rejet de la comptabilité. La CAA fait lecture de l’article L. 192 du LPF N° Lexbase : L9265LNH : la charge de la preuve échoit à l’administration lorsqu’elle écarte la comptabilité d’un contribuable à raison de l’existence de graves irrégularités. Si l’administration a écarté ici la comptabilité du contribuable, c’est à raison de l’absence de production de pièces justificatives des recettes comptabilisées et de la globalisation des recettes journalières. Cette double carence – non justification des recettes comptabilisées, globalisation des recettes journalières – font obstacle au processus d’individualisation des recettes et au suivi des produits (achat puis revente). La CAA prend acte de cette double carence et rejette les prétentions du requérant. Autre grief émanant de l’administration : la faiblesse du taux de marge des résultats déclarés. Là encore, la CAA fait sien le raisonnement de l’administration : alors que le taux de marge du contribuable est de 2,10 (2006) et 2,12 (2007), celui des entreprises de restauration rapide (cf. les données départementales) et des friteries (cf. le même secteur géographique) se situe entre 2,66 et 2,91. L’argumentation du requérant est simple : la faiblesse de son taux de marge découle des tarifs qu’il pratique, inférieurs à ceux de ses concurrents. La CAA n’est pas convaincue : il n’existe, à ses yeux, « aucun élément » attestant que la faiblesse du taux de marge des résultats est fille d’une concurrence conduisant le contribuable à pratiquer des prix inférieurs à ceux des autres opérateurs exerçant, mutatis mutandis, une activité similaire. Au regard des irrégularités constatées et de l’absence d’élément de nature à prouver les dires du requérant, l’administration était fondée à écarter sa comptabilité à raison de son caractère non probant. Certes, certes… La logique herméneutique du juge nous semble biaisée tant il fait peser le fardeau probatoire sur les épaules du contribuable. Selon nous, il revenait à l’administration de prouver que le fameux écart - entre le taux de marge du contribuable et celui des entreprises de restauration rapide et des friteries – était anormal au regard du marché ciblé. D’autant que rien de substantiel ne nous est dit quant à la teneur de la césure entre d’un côté les chiffres du contribuable (2,10 puis 2,12), et de l’autre la fourchette retenue par l’administration (entre 2,66 et 2,91). Ce n’est pas à un contribuable de démontrer – alors que l’administration est par définition l’entité à laquelle s’applique le principe actori incumbit probatio – qu’il pratique des prix inférieurs à ses concurrents.

Voyons ensuite ce qui a trait à la méthode de reconstitution des résultats et chiffres d’affaires. Le contribuable soutient que cette reconstitution ne pouvait être fondée sur les éléments recueillis à la suite de la demande initiale de l’administration : ces éléments portent sur une période trop courte (postérieure à la période vérifiée), et concernent une autre entreprise juridiquement distincte. La CAA ne suit pas le requérant. Elle estime que la reconstitution des résultats et chiffres d’affaires n’a pas seulement été opérée sur le fondement des éléments fournis par le contribuable à la suite de la demande initiale de l’administration. Ont été prises en compte ses observations « tout au long de la procédure de vérification » : factures d’achats des marchandises comptabilisées, tarifs pratiqués, quantité d’aliments par produit vendu, pourcentage de pertes sur le chiffre d’affaires et sur divers ingrédients. Il a encore été tenu compte d’un taux d’offerts de 3 % (cf. notamment les aliments et boissons consommés par le personnel). Puis le juge en vient au fardeau probatoire : le requérant « n’apporte aucun élément permettant d’établir que les éléments transmis relatifs à l’activité de ses deux établissements diffèreraient notablement [1] de l’activité qu’il a exercée au cours de la période vérifiée ». Pourtant, le requérant propose une méthode de reconstitution différente, rectifiant selon lui le bâton tordu, à savoir les incohérences inhérentes à la méthode retenue par l’administration. Il estime notamment – le diable est dans les détails factuels en droit fiscal – que l’administration a indument minoré la quantité de sauce ou de condiment, tout comme elle a sous-évalué le nombre de repas consommés chaque jour par les salariés. La CAA rejette les prétentions du requérant : il n’apporte pas « d’élément probant de nature à démontrer que la méthode retenue par l’administration serait viciée et non conforme à son activité au cours des exercices vérifiés ». Le raisonnement du juge apparaît vicié : il ne revient pas au contribuable de prouver - tâche ardue sinon impossible - les errements interprétatifs de l’administration quand celle-ci remet en cause ses déclarations via des assertions postulatoires et généralisantes. La méthode herméneutique du juge conduit à une inversion de la logique probatoire, au détriment du contribuable-requérant, au profit de l’État (alors même que pèse une substantielle dissymétrie entre les acteurs en présence).

3ème et dernier point : quid des pénalités ?

Les dispositions législatives concernées ici sont l’article 1729 du CGI et l’article L. 195 A du LPF. En vertu de l’article 1729 du CGI, application de la majoration de 40 % il y a en cas de manquement délibéré en présence d’inexactitudes ou d’omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l’indication d’éléments à retenir pour l’assiette ou la liquidation de l’impôt ; il en va de même s’agissant de la restitution d’une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenue de l’État. En vertu de l’article L. 195 A du LPF, la preuve de la mauvaise foi revient à l’administration dans l’hypothèse où sont contestées des pénalités fiscales appliquées à un contribuable au titre des impôts directs, de la TVA. Dans le cas présent, l’administration avance – pour justifier l’application du a de l’article 1729 du CGI (emportant application de la majoration de 40% en cas de manquement délibéré) – une violation « des règles élémentaires de la comptabilité qui ne peuvent résulter d’une simple erreur matérielle ». En outre, l’administration relève des « omissions importantes et répétées des recettes » : elles génèrent une minoration du chiffre d’affaires (49 644 pour 2005, 53 154 pour 2006, 78 336 pour 2007). Par ce simple constat, l’administration est réputée apporter la preuve d’une intention délibérée d’éluder l’impôt ; c’est à bon droit qu’elle pouvait appliquer aux droits en litige la majoration de 40 %.

 

[1] Par nous souligné.

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