Lexbase Social n°535 du 11 juillet 2013 : Social général

[Textes] Commentaire de l'article 15 de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l'emploi, sur la mobilité interne

Réf. : Loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l'emploi (N° Lexbase : L0394IXU)

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[Textes] Commentaire de l'article 15 de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l'emploi, sur la mobilité interne. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/8890677-textes-commentaire-de-larticle-15-de-la-loi-n-2013504-du-14-juin-2013-relative-a-la-securisation-de-
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 12 Juillet 2013

La loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l'emploi, publiée au Journal officiel du 16 juin 2013, contient de nombreuses dispositions intéressant tant la protection sociale que la formation professionnelle, les relations collectives, la mobilité du salarié, le licenciement économique ou encore le temps de travail ou la conciliation prud'homale. Lexbase Hebdo - édition sociale vous propose de revenir, avec Christophe Radé, sur l'article 15 instaurant des règles sur la mobilité interne. Contexte. Parmi les critiques les plus vives adressées par les milieux patronaux à la jurisprudence, figure indiscutablement son tropisme contractuel particulièrement sensible en matière de modification du contrat de travail. On sait pourtant que la Cour de cassation a évolué dans le sens d'un assouplissement de sa jurisprudence en inventant, après 1998, la notion de "secteur géographique" à l'intérieur duquel s'exerce le pouvoir de direction (1), et en 2003 la notion de "clause informative" pour éviter que la désignation du lieu d'exécution du travail par le contrat de travail ne vienne paralyser le droit pour l'employeur de déplacer le lieu d'exécution à l'intérieur de ce "secteur géographique" (2).

Intérêt du dispositif. Le présent dispositif doit permettre à l'employeur de rendre les salariés encore plus facilement mobiles au-delà de l'actuel secteur géographique, et sans être contraint d'insérer dans chaque contrat de travail une clause de mobilité. Il s'agit donc ici d'une mobilité collective favorisée par la conclusion d'un accord en échange de garanties elles-mêmes collectives.

Dispositions de l'ANI du 11 janvier 2013 (N° Lexbase : L9638IUI). Dans l'accord du 11 janvier 2013, les partenaires sociaux avaient souhaité donner encore plus de souplesse aux entreprises en permettant à un accord collectif de définir une zone conventionnelle de mobilité, opposable aux salariés, et de permettre aux employeurs qui prétendent l'imposer de ne pas redouter la mise en oeuvre d'un plan de sauvegarde de l'emploi dans l'hypothèse où les salariés s'y opposeraient en masse (3).

Accord de mobilité. Le nouveau régime favorisant la mobilité "professionnelle" (c'est-à-dire fonctionnelle) ou "géographique" repose sur la conclusion d'un accord collectif, marquant ainsi la volonté des partenaires sociaux de rééquilibrer, en faveur des normes collectives, les rapports avec le contrat de travail (4).

Articulation avec la GPEC et les PSE. Il ne s'agit pas ici d'utiliser ce nouveau régime pour contourner les règles en matière de GPEC ou de plans de sauvegarde de l'emploi négociés, mais bien de s'articuler avec eux, ce qui explique que l'accord de mobilité interne porte sur des "mesures collectives d'organisation courantes sans projet de réduction d'effectifs" (C. trav., nouv. art. L. 2242-21 N° Lexbase : L0635IXS) et ce afin de ne pas entrer en concurrence avec d'autres accords s'inscrivant plutôt dans des logiques de restructuration.

Les liens avec la négociation relative à la GPEC sont, toutefois, évidents puisqu'il s'agit, dans tous les cas, de rendre la main d'oeuvre plus flexible pour anticiper sur d'éventuelles nécessités de réorganisation future ; c'est pourquoi les entreprises qui sont soumises à l'obligation triennale de négociation sur la GPEC, devront intégrer dans celle-ci la question nouvelle de la mobilité professionnelle et géographique (C. trav., art. L. 2242-1, al. 2 N° Lexbase : L2369H9M), et celles qui ne le sont pas devront, également, négocier en termes de GPEC.

Le législateur n'a pas exactement repris les dispositions de l'accord du 11 janvier 2013 sur ce point qui imposait une négociation triennale pour toutes les entreprises dotées de délégués syndicaux.

Délimitation de la zone conventionnelle de mobilité. L'article L. 2242-22 nouveau (N° Lexbase : L0636IXT) impose à l'accord de délimiter la "zone géographique d'emploi du salarié" en tenant compte de sa vie "personnelle et familiale". L'accord devra d'ailleurs comporter des "mesures" visant à articuler les différents intérêts en cause (intégrant d'ailleurs la situation des salariés handicapés), notamment en prévoyant des critères d'ordre entre salariés également susceptibles d'être mobiles, pour protéger ceux dont la situation personnelle ou familiale serait la plus critique en cas de mobilité.

On peut imaginer qu'un salarié pourrait contester l'étendue de cette zone conventionnelle en la considérant comme étant disproportionnée, à l'occasion d'un contentieux du refus d'exécution d'un ordre de mobilité, et qu'un juge, considérant cette mobilité conventionnelle comme excessive au regard du respect de la vie personnelle et familiale du salarié, pourrait à son tour considérer le refus du salarié comme légitime, privant ainsi l'employeur du bénéfice du régime dérogatoire applicable à la rupture du contrat qui s'en suivrait. Le licenciement du salarié serait alors privé de justification et pourrait même être requalifié de licenciement pour motif économique "de droit commun", refaisant alors surgir le spectre de la mise en oeuvre d'un plan de sauvegarde de l'emploi.

L'accord devra également prévoir les modalités professionnelle (en termes de formation) et financière (participation aux coûts induits par la mobilité, ou à la perte de pouvoir d'achat en cas de mobilité vers une zone de vie chère, par exemple).

Limites à la mobilité conventionnelle. La mise en oeuvre par l'employeur de l'accord de mobilité lui permet de modifier le lieu d'exécution du contrat de travail au-delà du secteur géographique contractuel, au sein de la zone conventionnelle de mobilité.

Seul le lieu d'exécution du contrat de travail pourra être modifié. La loi du 14 juin 2013 interdit, en effet, à l'employeur d'en profiter pour modifier la rémunération du salarié, sa classification professionnelle ou sa qualification professionnelle.

S'agissant de la rémunération, le texte ne vise toutefois que le "niveau" ; l'employeur n'aurait donc pas à garantir la "structure" à l'occasion de la mobilité, ce qui est étonnant car on sait qu'un changement de structure (répartition des parts fixes et variables) créé toujours un risque de modification du niveau de rémunération au travers du changement d'assiette de la part variable. Les employeurs devront donc se montrer prudent et laisser totalement inchangée la rémunération, dans toutes ses composantes.

Articulation avec les droits contractuels des salariés. L'objectif de la réforme est d'imposer aux salariés la mobilité conventionnelle.

Les salariés devront être informés de l'existence et du contenu de l'accord. A défaut, celui-ci ne leur sera pas opposable et l'actuelle jurisprudence leur permettant de refuser toute mobilité au-delà du secteur géographique sera maintenue.

Contrairement aux principes de droit commun qui régissent les concours entre accord collectif et contrat de travail et qui font prévaloir les dispositions plus favorables (5), le nouvel article L. 2242-23 (N° Lexbase : L0637IXU) neutralise les clauses contraires du contrat de travail (c'est-à-dire les clauses de localisation exclusive du lieu d'exécution du contrat de travail, mais aussi les clauses de mobilité ayant stipulé une zone de mobilité moins étendue) qui se trouvent donc suspendues.

Mise en oeuvre de la mobilité conventionnelle. L'employeur qui souhaite "proposer" la mobilité conventionnelle doit au préalable "prendre en compte les contraintes personnelles et familiales de chacun des salariés potentiellement concernés" (C. trav., nouv. art. L. 2242-23, al. 3).

Il s'agit d'une obligation de moyens. L'employeur devra prouver qu'il a bien pris en compte ces critères, mais des exigences professionnelles matériellement vérifiables par le juge et légitimes peuvent justifier qu'il ait choisi de muter un salarié, même chargé de famille, notamment lorsqu'il était le mieux placé pour occuper un poste déterminé, compte tenu des caractéristiques de ce poste, de la qualification du salarié, de son expérience, etc..

L'accord du salarié est nécessaire. Celui-ci a donc le droit de refuser la mobilité et ne pourra pas être licencié pour faute pour le seul fait d'avoir refusé cette "proposition".

Ce droit de refuser la mobilité suppose, toutefois, que l'employeur ne puisse pas se passer de l'accord de mobilité, c'est-à-dire qu'il ne dispose pas, par ailleurs, d'un moyen juridique de l'imposer, ce qui sera le cas si la mobilité envisagée n'excède pas le secteur géographique pour lequel le salarié a été recruté (zone d'environ 20 kilomètres) ou si le salarié est lié par une clause individuelle de mobilité (6).

Licenciement consécutif au refus. Si le salarié refuse cette mobilité, le licenciement prononcé par l'employeur, et fondé sur ce motif, est légalement qualifié de "licenciement pour motif économique".

Cette qualification s'impose aux parties et au juge qui ne pourra donc pas la discuter ni l'écarter sous prétexte que ce licenciement ne serait pas consécutif à des difficultés économiques ou à une réorganisation de l'entreprise, puisqu'il s'agit bien d'un motif économique sui generis.

On se rappellera que l'ANI du 11 janvier 2013 avait pour sa part opté pour la qualification de licenciement pour motif personnel tout en prévoyant le bénéfice pour les salariés concernés des dispositifs de reclassement, ce qui n'était pas cohérent. Le choix de la qualification économique, finalement opéré par le Législateur, se justifie, en effet, dans la mesure où le lien avec la prévention des difficultés économiques est clairement établi dans la loi par le rapprochement avec la GPEC. Il présente également un intérêt pour les salariés qui bénéficieront des "mesures d'accompagnement et de reclassement que doit prévoir l'accord, qui adapte le champ et les modalités de mise en oeuvre du reclassement interne prévu aux articles L. 1233-4 (N° Lexbase : L3135IM3) et L. 1233-4-1 (N° Lexbase : L3134IMZ)".

Le législateur considère également que l'employeur doit suivre la procédure du licenciement individuel pour motif économique, ce qui a pour principal objet, et intérêt, de lui épargner les affres d'un licenciement collectif et de la mise en oeuvre d'un plan de sauvegarde de l'emploi.

Ce choix procédural n'est d'ailleurs pas aberrant dans la mesure où la loi fait peser sur l'employeur l'obligation de tenir compte de la situation individuelle des salariés auxquels il va "proposer" cette mobilité.

Incertitudes sur la justification des licenciements. Reste que si le nouvel article L. 2242-23 du Code du travail indique que le "licenciement repose sur un motif économique", il ne dit pas s'il repose ou non sur une cause réelle et sérieuse.

Il semble que le législateur ait simplement voulu désigner la procédure applicable (sa cause "qualificative"), sans préjuger de la justification de la rupture (sa cause "justificative") qui dépendra d'un certain nombre de facteurs appréciés concrètement par les juges du fond. On sait, en effet, que l'employeur doit, par exemple, prendre en considération les contraintes personnelles et familiales pesant sur le salarié, ainsi que d'éventuelles règles de priorité stipulées par l'accord de mobilité. Dans ces conditions, chaque situation devra être examinée individuellement (c'est d'ailleurs pour cette raison que le choix de la procédure du licenciement pour motif économique individuelle peut se justifier), ce qui justifie pleinement l'office du juge.

Par ailleurs, le juge pourra également rechercher la justification de la rupture au travers de la légalité des mesures prévues dans l'accord collectif, comme il avait été conduit à le faire lors de la mise en oeuvre des accords de réduction du temps de travail après 2000 où le Code du travail avait prévu la possibilité pour l'employeur de modifier unilatéralement la durée de travail des salariés, en dépit d'une clause de 39 heures de leur contrat individuel, pour autant qu'il ne modifiait pas leur rémunération (7). Pour déterminer, dans ces conditions, si le refus opposé par les salariés était justifiés, au-delà de la qualification du licenciement retenue par le législateur, la Cour de cassation avait été conduite à indiquer aux juges qu'ils devaient s'aider du contenu des accords de réduction du temps de travail eux-mêmes (8).


(1) Cass. soc., 16 février 1998, n° 96-40.227, publié (N° Lexbase : A4538AG8). Jurisprudence constante.
(2) Cass. soc., 3 juin 2003, n° 01-40.376, publié (N° Lexbase : A6993CK9). Jurisprudence constante.
(3) Voir le commentaire de Gilles Auzero, Commentaire des articles 12 à 17 (Titre II) de l'Accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013, pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation de l'emploi et des parcours professionnels des salariés, Lexbase Hebdo n° 514 du 31 janvier 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N5518BTK).
(4) Plaidant pour ce rééquilibrage, dernièrement J. Barthélémy et G. Cette, Pour une nouvelle articulation des normes en droit du travail, Dr. soc., 2013, p. 17.
(5) Par application de l'article L. 2254-1 (N° Lexbase : L2417H9E).
(6) Cette possibilité pourrait, toutefois, être contrariée par le principe de suspension des clauses contractuelles contraires, car dans cette hypothèse l'employeur perdrait le bénéfice de la clause contractuelle de mobilité, moins étendue, s'il dépend par ailleurs d'une zone conventionnelle de mobilité. Il ne semble toutefois pas que tel soit l'intention des partenaires sociaux de priver l'employeur du bénéfice de la clause contractuelle de mobilité, si le dispositif conventionnel est mis en échec.
(7) Article 30-II de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 (N° Lexbase : L0988AH3), codifié à l'article L. 1222-8 du Code du travail (N° Lexbase : L0822H9C).
(8) Cass. soc., 23 septembre 2009, n° 07-44.712, FS-P+B (N° Lexbase : A3388EL3).

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