Lexbase Social n°535 du 11 juillet 2013 : Social général

[Textes] Commentaire de l'article 8 de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l'emploi sur le comité d'entreprise et CHSCT : des droits nouveaux, mais aussi des contraintes nouvelles

Réf. : Loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l'emploi (N° Lexbase : L0394IXU)

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[Textes] Commentaire de l'article 8 de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l'emploi sur le comité d'entreprise et CHSCT : des droits nouveaux, mais aussi des contraintes nouvelles. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/8890626-textescommentairedelarticle8delaloin2013504du14juin2013relativealasecurisationdel
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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

le 11 Juillet 2013

La loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l'emploi, publiée au Journal officiel du 16 juin 2013, contient de nombreuses dispositions intéressant tant la protection sociale que la formation professionnelle, les relations collectives, la mobilité du salarié, le licenciement économique ou encore le temps de travail ou la conciliation prud'homale. Lexbase Hebdo - édition sociale vous propose de revenir, avec Gilles Auzero, sur l'article 8 instaurant des nouveaux droits pour le comité d'entreprise et le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail. L'article 8 de la loi du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l'emploi ouvre une section du texte intitulée "de nouveaux droits collectifs en faveur de la participation des salariés". Cet article, qui intéresse plus précisément les attributions du comité d'entreprise et, dans une moindre mesure, celles du CHSCT, se présente, à l'instar de la loi dans son ensemble, comme un texte de compromis. En effet, s'il renforce les prérogatives de ces institutions représentatives du personnel et, spécialement, celles du comité d'entreprise, sans pour autant, nous le verrons, véritablement instituer de "nouveaux droits" en leur faveur (1), il fait également peser sur elles un certain nombre de contraintes, qui tendent à rendre moins lourde les procédures d'information et de consultation. A cette fin, le législateur a entendu ménager une certaine place à la négociation, tout en l'encadrant. Cette méthode, que l'on retrouve dans de nombreuses autres dispositions de la loi, est mise en oeuvre, tant du point de vue de l'information du comité d'entreprise (I), de sa consultation (II), que du recours à l'expertise (III). Elle est également en cause, à un degré certes moindre, dans le cadre des prérogatives du CHSCT (IV).

I - L'information du comité d'entreprise : la base de données économiques et sociales

Le comité d'entreprise est destinataire de deux types d'informations. Les unes, qui reviennent à intervalles réguliers, sont périodiques. Les autres, liées à la survenance d'un évènement particulier, sont ponctuelles. Les premières sont les plus nombreuses. On est même tenté de dire que, de ce point de vue, le comité d'entreprise "croule" sous les informations. A l'évidence, cela permet au comité d'avoir une vision précise de la situation de l'entreprise, mais aussi, lorsque cela est le cas, de la société dont dépend, juridiquement, la structure. Il n'est, cependant, pas certain, compte tenu de leur quantité, que ces informations soient toujours parfaitement maîtrisées et exploitées par leur destinataire. Sans alléger le volume des informations périodiques délivrées au comité d'entreprise, la loi du 14 juin 2013 simplifie, en revanche, les modalités de leur mise à disposition par la création d'une base de données économiques et sociales.

Destinataires. Ainsi que l'affirme l'alinéa 1er de l'article L. 2323-7-2, nouveau, du Code du travail (N° Lexbase : L0434IXD), "une base de données économiques et sociales, mise régulièrement à jour, rassemble un ensemble d'informations que l'employeur met à disposition du comité d'entreprise et, à défaut, des délégués du personnel". Si ces deux institutions représentatives du personnel sont, en quelque sorte, et de manière fort logique compte tenu de leurs attributions, les destinataires privilégiés de cette base de données, elles ne sont pas les seules à y avoir accès. En effet, l'alinéa deuxième du texte en cause dispose que la base de données est "accessible en permanence [...] aux membres du comité central d'entreprise, du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail et aux délégués syndicaux".

En ouvrant l'accès à la base de données au CHSCT et aux délégués syndicaux, la loi du 14 juin 2013 apporte un progrès réel et indéniable puisque, faut-il le rappeler, seuls le comité d'entreprise et, dans une certaine mesure, les délégués du personnel étaient, jusqu'à cette date, en droit de recevoir les informations périodiques énumérées par le Code du travail. S'agissant de ces derniers, la loi ne leur ouvre l'accès à la base de données qu'"à défaut" de comité d'entreprise ; c'est-à-dire lorsque, une entreprise occupant plus de cinquante salariés, un comité n'a pas pu être mis en place . Pour le dire autrement, dans une entreprise dont l'effectif est inférieur à ce seuil, la mise en place d'une base de données n'est pas obligatoire (3).

On peut s'étonner du fait que l'article L. 2323-7-2, nouveau, ne vise que le comité d'entreprise et le comité central d'entreprise et pas les comités d'établissement. Est-ce à dire que ces derniers sont privés de l'accès à la base de données ? Une réponse négative doit certainement être apportée à cette question, ne serait-ce que parce que les comités d'établissement ont, en application de l'article L. 2327-15 du Code du travail (N° Lexbase : L9909H8I), "les mêmes attributions que les comités d'entreprise". Mais, ce même texte n'en précise pas moins que cette identité d'attributions est limitée par "les pouvoirs confiés aux chefs de ces établissements". Il peut, par suite, être inféré de cette disposition que si un comité d'établissement doit avoir accès à une base de données économiques et sociales, c'est à une base de données propre à l'établissement.

Support de la base de données. La loi, pas plus d'ailleurs que l'ANI, ne précisent le support matériel de la base de données. Il est, certes, indiqué que celle-ci est "mise régulièrement à jour" et qu'elle est "accessible en permanence" aux représentants du personnel concernés. On peut par suite penser que c'est la voie électronique qui doit être privilégiée pour la mise à disposition de la base de données. Mais la loi n'exclut pas le support papier, au demeurant pour le moins contraignant, puisque les documents doivent être mis à la disposition de tous les "membres" des institutions représentative du personnel.

Confidentialité. L'ensemble des représentants du personnel ayant accès à la base de données est tenu "à une obligation de discrétion à l'égard des informations contenues dans la base de données revêtant un caractère confidentiel et présentées comme telles par l'employeur" (C. trav., art. L. 2323-7-2, nouveau). On retrouve ici la formule de l'article L. 2325-5 du Code du travail (N° Lexbase : L9797H8D) et les récurrentes difficultés d'interprétation qu'il pose. On peut à cet égard penser qu'une obligation n'est pas confidentielle parce que l'employeur l'a présentée comme telle. S'il ne peut y avoir de confidentialité sans déclaration en ce sens de l'employeur (4), il faut, d'abord, que l'information soit, par son objet, objectivement et intrinsèquement, confidentielle (5). Cela étant, compte tenu de l'élargissement considérable des destinataires de l'information, il sera, en pratique, souvent très délicat, d'identifier l'auteur d'une éventuelle "fuite".

Contenu. L'article L. 2323-7-2, nouveau, du Code du travail fixe le contenu minimum de la base de données. Plus exactement, il énumère huit thèmes sur lesquels les informations figurant dans la base de données doivent porter. Il s'agit :

- des investissements. Investissement social (emploi, évolution et répartition des contrats précaires, des stages et des emplois à temps partiel, formation professionnelle et conditions de travail), investissement matériel et immatériel et, pour les entreprises mentionnées au sixième alinéa de l'article L. 225-102-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L5756ISY), les informations en matière environnementale présentées en application du cinquième alinéa du même article ;

- des fonds propres et endettement ;

- de l'ensemble des éléments de la rémunération des salariés et dirigeants ;

- des activités sociales et culturelles ;

- de la rémunération des financeurs ;

- des flux financiers à destination de l'entreprise, notamment aides publiques et crédits d'impôts ;

- de la sous-traitance ;

- le cas échéant, des transferts commerciaux et financiers entre les entités du groupe.

Si les thèmes sont fixés par la loi, le contenu des informations en relevant sera déterminé par un décret en Conseil d'Etat. La loi précise qu'il pourra varier selon que l'entreprise compte plus ou moins de trois cents salariés (6) et être enrichi par un accord de branche ou d'entreprise ou, le cas échéant, un accord de groupe, en fonction de l'organisation et du domaine d'activité de l'entreprise. Il est enfin précisé que ces informations portent sur les deux années précédentes et l'année en cours et intègrent des perspectives sur les trois années suivantes.

Dans l'attente du décret précité, dont l'importance est évidente, on peut d'ores et déjà considérer que cette base de données économiques et sociales est riche de potentialités. Sans doute, certaines des informations qui y figureront sont déjà délivrées au comité d'entreprise. On songe, notamment, ici aux documents comptables et financiers obligatoirement remis au comité en application de l'article L. 2323-8 du Code du travail (N° Lexbase : L2739H9C), qui retracent normalement les fonds propres et l'endettement ou encore la rémunération des financeurs. On peut, néanmoins, attendre de la base de données qu'elle fasse apparaître ces informations de façon plus claire.

Mais il faut surtout prendre acte du versant nécessairement prospectif de l'information, dont on a vu qu'elle doit "intégrer des perspectives sur les trois années suivantes". Sans doute ne faut-il pas trop attendre de simples "perspectives" qui, en aucune façon, ne renvoie à des décisions de l'employeur. Pour autant, cela est de nature à permettre au comité d'entreprise d'avoir une certaine vision de l'avenir.

Substitution. L'article L. 2323-7-3, nouveau, du Code du travail (N° Lexbase : L0436IXG) dispose, en son alinéa 1er, que "les éléments d'information contenus dans les rapports et informations transmis de manière récurrente au comité d'entreprise sont mis à la disposition de ses membres dans la base de données [...] et cette mise à disposition actualisée vaut communication des rapports et informations au comité d'entreprise, dans les conditions et limites fixées par un décret en Conseil d'Etat". L'alinéa second du même texte précise toutefois que "les consultations du comité d'entreprise pour des évènements ponctuels continuent de faire l'objet de l'envoi des rapports et informations".

Il y a là un élément de simplification notable, au moins sur le plan matériel. Cet article suscite néanmoins un certain nombre d'interrogations quant à sa mise en oeuvre. En premier lieu, et la difficulté est relative, il conviendra de soigneusement déterminer quels sont les rapports et informations transmis au comité "de manière récurrente". Sont ici visées les documents et informations transmis au comité de manière périodique, c'est-à-dire sans être liés à un évènement ponctuel. On songe, par exemple, aux informations trimestrielles et annuelles transmises au comité, que ce soit dans les entreprises de moins de trois cents salariés (C. trav., art. L. 2323-46 N° Lexbase : L3225IME à L. 2323-49) , ou celles employant trois cents salariés et plus (C. trav., art. L. 2323-50 N° Lexbase : L6296ISY à L. 2323-57). Sont sans doute aussi concernés les documents comptables et financiers visés par l'article L. 2323-8, évoqués précédemment et remis annuellement. Il faut à cet égard rappeler que, pour l'examen de ces documents, le comité peut se faire assister d'un expert-comptable (C. trav., art. L. 2325-35 N° Lexbase : L0655IXK). Le fait qu'ils figurent dans la base de données n'exclut évidemment pas qu'une telle prérogative puisse être exercée par le comité.

On peut, en revanche, hésiter pour certaines autres informations. Ainsi, la documentation économique et financière remise au comité d'entreprise un mois après chaque élection, en application de l'article L. 2323-7 (N° Lexbase : L2737H9A), peut-elle figurer dans la base de données ? On peut le penser étant observé que, si la délivrance de cette information est liée à un évènement particulier, elle n'en revêt pas moins une certaine récurrence. Plus généralement, compte tenu de la formulation compréhensive de l'alinéa 1er de l'article L. 2323-7-2 (N° Lexbase : L0434IXD), nouveau, peuvent figurer dans la base de données, les éléments d'information contenus dans les rapports et informations transmis de manière récurrente, que cette information soit accompagnée ou non de la consultation du comité d'entreprise.

En tout état de cause, l'article L. 2323-7-3 du Code du travail ne saurait avoir pour finalité d'amoindrir les informations transmises au comité. Partant, et sous réserves des dispositions du décret visé par ce texte, on peut recommander de faire apparaître dans la base de données le texte légal auquel chaque information se rapporte, afin d'éviter, autant que faire se peut, le contentieux.

Il reste à évoquer le second alinéa de l'article L. 2323-7-3, nouveau. Il ressort de celui-ci que, chaque fois que le comité d'entreprise est consulté sur un évènement "ponctuel", il doit recevoir communication des rapports et informations ad hoc, conformément d'ailleurs aux prescriptions générales de l'article L. 2323-4 (N° Lexbase : L0658IXN) qui, rappelons-le, dispose que "pour lui permettre de formuler un avis motivé, le comité d'entreprise dispose d'informations précises et écrites transmises par l'employeur [...]". Il convient toutefois de relever que l'alinéa 2nd de l'article L. 2323-7-3, nouveau, vise "ces" rapports et documents, ce qui renvoie nécessairement aux rapports et documents évoqués par l'alinéa 1er, c'est-à-dire à ceux qui sont transmis "de manière récurrente" au comité. Il nous semble qu'il y a là une certaine contradiction, car un document ne peut pas être lié à un évènement ponctuel, tout en état "récurrent".

Application dans le temps. La base de données économiques et sociales devra être mise en place dans un délai d'un an à compter de la promulgation de la loi dans les entreprises de trois cents salariés et plus, et de deux ans dans les entreprises de moins de trois cents salariés.

Quant à l'article L. 2323-7-3, nouveau, il entrera en vigueur à une date fixée par décret en Conseil d'Etat et, au plus tard, au 31 décembre 2016.

II - La consultation du comité d'entreprise

A - Les délais pour rendre les avis

Présentation. L'article L. 2323-3 du Code du travail (N° Lexbase : L0659IXP) dispose, dans ses deux premiers alinéas, d'un part, que "dans l'exercice de ses attributions consultatives, définies aux articles L. 2323-6 (N° Lexbase : L2734H97) à L. 2323-60 (N° Lexbase : L2882H9M), le comité d'entreprise émet des avis et voeux" et, d'autre part, que "l'employeur rend compte, en la motivant, de la suite donnée à ces avis et voeux". La loi du 14 juin 2013 vient ajouter trois alinéas à ce texte.

Tout d'abord, l'alinéa 3, nouveau, indique que le comité d'entreprise "dispose d'un délai d'examen suffisant" ; précision qui figurait jusqu'à présent à l'article suivant, duquel elle est supprimée. Ce sont donc les deux alinéas suivants qui doivent retenir l'attention.

L'alinéa 4, nouveau, de l'article L. 2323-3 dispose quant à lui que "sauf dispositions législatives spéciales, un accord entre l'employeur et le comité d'entreprise ou, le cas échéant, le comité central d'entreprise, adopté à la majorité des membres titulaires élus du comité, ou, à défaut d'accord, un décret en Conseil d'Etat fixe les délais dans lesquels les avis du comité d'entreprise sont rendus dans le cadre des consultations prévues aux articles L. 2323-6 à L. 2323-60, ainsi qu'aux articles L. 2281-12 (N° Lexbase : L2521H9A), L. 2323-72 (N° Lexbase : L2917H9W) et L. 3121-11 (N° Lexbase : L3752IBL). Ces délais, qui ne peuvent être inférieurs à quinze jours, doivent permettre au comité d'entreprise d'exercer utilement sa compétence, en fonction de la nature et de l'importance des questions qui lui sont soumises et, le cas échéant, de l'information et de la consultation du ou des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail".

Le changement est ici de taille et vise à éviter une dilatation excessive dans le temps de la procédure d'information et de consultation du comité d'entreprise. Cette disposition appelle plusieurs remarques.

La voie de la négociation. Prééminence est accordée à la négociation, pour fixer les délais dans lesquels le comité d'entreprise rend ses avis dans le cadre des consultations prévues par les textes visés par la loi. Plus précisément, un accord doit intervenir entre l'employeur et le comité d'entreprise ou, le cas échéant, le comité central d'entreprise, adopté à la majorité des membres titulaires élus du comité.

On doit s'étonner que la loi ne vise que le comité central d'entreprise et pas les comités d'établissement. Est-ce à dire que la voie de l'accord leur est fermée, auquel cas, lui sont seuls applicables les délais fixés par la voie réglementaire (v. infra) ? Ce serait pour le moins curieux. Faut-il alors considérer que l'accord conclu avec le comité central d'entreprise doit leur être appliqué ? Ce serait discutable car les comités d'établissement, qui sont dotés de prérogatives propres, sont tiers à l'accord en cause. A notre sens, et dans la mesure, où les comités d'établissement ont les mêmes attributions que les comités d'entreprise (C. trav., art. L. 2327-15 (7), ils sont en mesure, au même titre que ce dernier, de conclure de tels accords.

A défaut d'accord, les délais à respecter seront ceux fixés par un décret en Conseil d'Etat.

Le contenu de l'accord. L'accord fixe "les" délais dans lesquels sont rendus les avis. L'emploi du pluriel et l'usage du présent de l'indicatif qui a valeur impérative, démontre qu'il ne peut y avoir un délai unique pour toutes les consultations. Cela est confirmé par la précision selon laquelle "ces délais, qui ne peuvent être inférieurs à quinze jours, doivent permettre au comité d'entreprise d'exercer utilement sa compétence, en fonction de la nature et de l'importance des questions qui lui sont soumises et, le cas échéant, de l'information et de la consultation du ou des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail".

Ces exigences, applicables tant à l'accord qu'au décret futur, confirme que plusieurs délais maximums doivent être prévus, en fonction de l'objet de la consultation et de la nécessité que celle-ci produise un effet utile. Si cela peut sembler logique et nécessaire, ne faut-il pas craindre que le comité vienne contester les délais prévus par l'accord, en estimant qu'ils ne sont pas conformes aux exigences légales. On admettra que cela serait étrange, dans la mesure où c'est le comité lui-même qui a conclu l'accord. Il est vrai que ce comité peut être renouvelé et être, par suite, soumis à un accord conclu antérieurement. Mais, précisément, ne faut-il pas considérer qu'un nouvel accord doit être conclu avec le comité nouvellement mis en place ? Cette voie est délicate à emprunter car c'est l'institution qui est partie à l'accord et non ses membres, qui ont pu, éventuellement, changer. Afin d'éviter toute discussion, peut-être sera-t-il plus prudent de conclure des accords à durée déterminée.

Une présomption d'avis négatif. Il arrive en pratique qu'un comité d'entreprise refuse de rendre un avis, souhaitant ainsi bloquer la procédure d'information et de consultation et retarder, de ce fait, la mise en oeuvre de la décision de l'employeur (8). Cette situation ne sera plus de mise à l'avenir. En effet, le dernier alinéa de l'article L. 2323-3 du Code du travail dispose désormais qu'"à l'expiration de ces délais, ou du délai mentionné au dernier alinéa de l'article L. 2323-4, le comité est réputé avoir été consulté et avoir rendu un avis négatif".

Complément d'informations. Ainsi que nous l'avons rappelé précédemment, l'article L. 2323-4, alinéa 1er, du Code du travail précise que "pour lui permettre de formuler un avis motivé, le comité d'entreprise dispose d'informations précises et écrites transmises par l'employeur[...]" (9).

Il est rare que le Code du travail décrive précisément les informations nécessaires à la consultation du comité d'entreprise. Lorsque tel n'est pas le cas, la Cour de cassation considère que les juges du fond apprécient souverainement le caractère suffisant des informations transmises au comité avant la réunion (10), avec, à la clef, la possibilité d'ordonner la reprise de la procédure d'information et de consultation et la suspension, à titre conservatoire, de la mesure envisagée (11).

Le nouvel alinéa 2 de l'article L. 2323-4 dispose que "les membres élus du comité peuvent, s'ils estiment ne pas disposer d'éléments suffisants, saisir le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés, pour qu'il ordonne la communication par l'employeur des éléments manquants. Le juge statue dans un délai de huit jours". Toutefois, l'alinéa suivant (12), également introduit par la loi du 14 juin 2013, précise que "cette saisine n'a pas pour effet de prolonger le délai dont dispose le comité pour rendre son avis. Toutefois, en cas de difficultés particulières d'accès aux informations nécessaires à la formulation de l'avis motivé du comité d'entreprise, le juge peut décider la prolongation du délai prévu à l'article L. 2323-3".

Ces dispositions marquent bien la volonté du législateur d'éviter que la procédure d'information et de consultation du comité d'entreprise s'éternise de trop. La loi ne règle toutefois pas une question importante. Un comité ayant rendu son avis, sans demander un complément d'information au juge dans les délais prescrits, perd-il le droit de demander au juge d'ordonner la reprise de la procédure d'information et de consultation et la suspension de la mesure envisagée ?

B - La consultation sur les orientations stratégiques

Principe. La loi du 14 juin 2013 introduit dans le Code du travail un nouveau cas de consultation du comité d'entreprise (13), prévu par l'article L. 2323-7-1, nouveau : "chaque année, le comité d'entreprise est consulté sur les orientations stratégiques de l'entreprise, définies par l'organe chargé de l'administration ou de la surveillance de l'entreprise, et sur leurs conséquences sur l'activité, l'emploi, l'évolution des métiers et des compétences, l'organisation du travail, le recours à la sous-traitance, à l'intérim, à des contrats temporaires et à des stages" (al. 1er).

A cette occasion, "le comité émet un avis sur ces orientations et peut proposer des orientations alternatives. Cet avis est transmis à l'organe chargé de l'administration ou de la surveillance de l'entreprise, qui formule une réponse argumentée. Le comité en reçoit communication et peut y répondre" (al. 2).

Cette nouvelle hypothèse de consultation du comité d'entreprise doit certainement être rattachée aux "nouveaux droits collectifs en faveur de la participation des salariés". On peut effectivement y voir un progrès notable dès lors qu'elle permet au comité d'avoir une certaine prise sur l'avenir de l'entreprise, afin que les intérêts des salariés soient pris en compte au plus tôt ou, à tout le moins, qu'ils ne soient pas méconnus au moment où le futur de l'entreprise est engagé par les décisions des organes sociaux compétents. Le progrès n'est toutefois, à notre sens, qu'apparent. Il convient, en effet, de rappeler que le comité d'entreprise est, de longue date, en droit de participer aux conseils d'administration ou de surveillance des sociétés (C. trav., art. L. 2323-62 N° Lexbase : L2888H9T et s.). Or, le meilleur moyen d'être associé à la détermination des orientations stratégiques de l'entreprise ne réside-t-il pas dans le fait de siéger au sein même de l'organe social en charge d'arrêter les décisions y afférentes (14) ?

Modalités de la consultation. La base de données économiques et sociales évoquée précédemment constitue, selon l'alinéa 3, de l'article L. 2323-7-1, nouveau, "le support de la préparation de cette consultation". Sans doute conviendra-t-il de clairement identifier les documents à remettre au comité en vue de cette consultation. Compte tenu de l'objet de cette dernière, et de sa complexité, il faut saluer la possibilité reconnue par la loi au comité de se faire assister par un expert-comptable (15). Une nouveauté est toutefois introduite en la matière par la loi. Par dérogation à l'article L. 2325-40 (N° Lexbase : L9868H8Y), dont on sait qu'il précise que l'expert-comptable est rémunéré par l'employeur, le dernier alinéa de l'article L. 2323-7-1 (N° Lexbase : L0433IXC), nouveau, dispose que "sauf accord entre l'employeur et le comité d'entreprise, le comité contribue, sur son budget de fonctionnement, au financement de cette expertise à hauteur de 20 %, dans la limite du tiers de son budget annuel". Au-delà de cette limite, le coût de l'expertise devra être pris en charge par l'employeur. Le comité aura tout intérêt à prévoir le coût de l'expertise, étant observé que le fait qu'il ait utilisé la totalité de son budget de fonctionnement antérieurement semble exclure le recours à l'expertise.

C - La consultation sur l'utilisation du crédit d'impôt compétitivité emploi

Les sommes reçues par l'entreprise au titre du crédit d'impôt compétitivité emploi (16) et leur utilisation sont retracées dans la base de données économiques et sociales. Le comité d'entreprise est informé et consulté, avant le 1er juillet de chaque année, sur l'utilisation de ce crédit d'impôt par l'entreprise (C. trav., art. L. 2323-26-1 N° Lexbase : L0607IXR, nouveau).

Le législateur ne s'est cependant pas borné à prévoir la consultation du comité sur ce crédit d'impôt. Le comité est érigé en organe de contrôle de son utilisation, par l'effet d'un dispositif bâti sur le modèle de son droit d'alerte, qui se déroule donc en plusieurs étapes.

Etape 1 : lorsque le comité d'entreprise constate que tout ou partie du crédit d'impôt n'a pas été utilisé conformément à l'article 244 quater C du Code général des impôts (N° Lexbase : L9889IW8), il peut demander à l'employeur de lui fournir des explications. Cette demande est inscrite de droit à l'ordre du jour de la prochaine séance du comité d'entreprise (C. trav., art. L. 2323-26-2, nouveau, al. 1 et 2 N° Lexbase : L0608IXS).

Etape 2 : Si le comité d'entreprise n'a pu obtenir d'explications suffisantes de l'employeur ou si celles-ci confirment l'utilisation non conforme de ce crédit d'impôt, il établit un rapport. Ce rapport est transmis à l'employeur et au comité de suivi régional, crée par le IV de l'article 66 de la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 (N° Lexbase : L7970IUQ), qui adresse une synthèse annuelle au comité national de suivi (C. trav., art. L. 2323-26-2, nouveau, al. 3 et 4).

Etape 3 : Au vu de ce rapport, le comité d'entreprise peut décider, à la majorité des membres présents, de saisir de ses conclusions l'organe chargé de l'administration ou de la surveillance dans les sociétés ou personnes morales qui en sont dotées, ou d'en informer les associés dans les autres formes de sociétés ou les membres dans les groupements d'intérêt économique.

Dans les sociétés dotées d'un conseil d'administration ou d'un conseil de surveillance, la demande d'explication sur l'utilisation du crédit d'impôt est inscrite à l'ordre du jour de la prochaine séance du conseil d'administration ou du conseil de surveillance, à condition que celui-ci ait pu être saisi au moins quinze jours à l'avance. La réponse de l'employeur est motivée et adressée au comité d'entreprise (17).

D - Délai de l'expertise

Si le Code du travail autorise, de longue date, le comité d'entreprise à faire appel à des experts, qu'ils soient rémunérés par l'employeur, le comité d'entreprise ou, désormais, les deux, il n'avait pas enserré la mission de l'expert dans des délais maximums ; ce qui, là encore, pouvait entraîner un allongement excessif des procédures d'information et de consultation.

Cette lacune est comblée par la loi du 14 juin 2013. Le nouvel article L. 2325-42-1 (N° Lexbase : L0606IXQ) dispose désormais, en son alinéa 1er, que "l'expert-comptable ou l'expert technique mentionnés à la présente section remettent leur rapport dans un délai raisonnable fixé par un accord entre l'employeur et le comité d'entreprise ou, à défaut d'accord, par décret en Conseil d'Etat. Ce délai ne peut être prorogé que par commun accord". Ce délai ne devra pas être trop bref car, en application de second alinéa du même texte, "l'accord ou, à défaut, le décret mentionné au premier alinéa détermine, au sein du délai prévu au même alinéa, le délai dans lequel l'expert désigné par le comité d'entreprise peut demander à l'employeur toutes les informations qu'il juge nécessaires à la réalisation de sa mission et le délai de réponse de l'employeur à cette demande".

On peut relever que, de manière collatérale, l'alinéa 1er de l'article L. 2325-42-1, nouveau, consacre le fait que l'expert doit remettre un rapport au comité. Sans doute un tel rapport était-il en pratique remis au comité dans la grande majorité des cas. Mais, jusqu'à la loi en cause, aucun texte légal n'en faisait mention explicitement.

III - L'instance de coordination des CHSCT

En application de l'article L. 4611-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6276ISA), un CHSCT doit être mis en place dans tout établissement de cinquante salariés et plus. Toutefois, plusieurs CHSCT peuvent être constitués dans un même établissement lorsque celui-ci occupe habituellement plus de cinq cents salariés (C. trav., art. L. 4613-4 N° Lexbase : L6256ISI). En outre, alors même que l'établissement n'atteint pas ce seuil, plusieurs CHSCT peuvent également y être créés s'il comporte des secteurs d'activités différents (18). En résumé, dans une entreprise à structure complexe peuvent coexister une pluralité de CHSCT aux attributions et prérogatives propres. Il en résulte que tous ces CHSCT peuvent avoir recours à un expert, dans les conditions prévues par l'article L. 4614-12 (N° Lexbase : L1819H9A), dès lors qu'ils sont affectés par un projet commun à plusieurs établissements ou secteurs d'activités.

Outre que l'exercice de cette prérogative par tous les CHSCT multiplie les coûts pour l'employeur, on peut s'interroger sur l'utilité d'une pluralité d'expertises portant sur un même projet, même si la situation de chaque établissement ou secteur d'activité peut, éventuellement, la justifier. Elle est enfin de nature à ralentir la procédure de consultation de ces institutions.

Conscient de ces difficultés, depuis longtemps dénoncées en pratique, le législateur a décidé d'y remédier, à l'invitation des partenaires sociaux eux-mêmes, à tout le moins ceux qui ont signé l'ANI de janvier 2013 (N° Lexbase : L9638IUI). Un nouvel article L. 4616-1 (N° Lexbase : L0611IXW) dispose ainsi que "lorsque les consultations prévues aux articles L. 4612-8 (N° Lexbase : L1754H9T), L. 4612-9 (N° Lexbase : L1756H9W), L. 4612-10 (N° Lexbase : L1758H9Y) et L. 4612-13 (N° Lexbase : L1766H9B) portent sur un projet commun à plusieurs établissements, l'employeur peut mettre en place une instance temporaire de coordination de leurs comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, qui a pour mission d'organiser le recours à une expertise unique par un expert agréé dans les conditions prévues au 2° de l'article L. 4614-12 et à l'article L. 4614-13 (N° Lexbase : L0722IXZ), et qui peut rendre un avis au titre des articles L. 4612-8, L. 4612-9, L. 4612-10 et L. 4612-13".

L'article L. 4616-2, nouveau, du Code du travail (N° Lexbase : L0612IXX) détermine la composition de cette instance de coordination (19). L'expert est désigné lors de la première réunion de l'instance. Il remet son rapport et l'instance se prononce, le cas échéant, dans les délais prévus par un décret en Conseil d'Etat. A l'expiration de ces délais, l'instance de coordination est réputée avoir été consultée (C. trav., art. L. 4616-3, nouveau, al. 1 et 2 N° Lexbase : L0613IXY). Cette disposition suscite une interrogation. Alors que l'article L. 4616-2, nouveau, ne confère à l'instance de coordination que la mission "d'organiser le recours à une expertise unique", l'article L. 4616-3, nouveau, lui attribue le droit d'être consulté.

En tout état de cause, et le dernier alinéa de l'article L. 4616-3, nouveau, le confirme, cette consultation ne saurait se substituer à celle des CHSCT concernés. Ce texte dispose, en effet, que "le rapport de l'expert et, le cas échéant, l'avis de l'instance de coordination sont transmis par l'employeur aux comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail concernés par le projet ayant justifié la mise en place de l'instance de coordination, qui rendent leurs avis" (20).

Il convient enfin de noter que l'article L. 4616-5 (N° Lexbase : L0615IX3), nouveau, permet à un accord d'entreprise de prévoir des modalités particulières de composition et de fonctionnement de l'instance de coordination, notamment si un nombre important de CHSCT sont concernés. Même si elle est ici résiduelle, la loi ménage à nouveau une place à la négociation.


(1) V. en ce sens, A. Martinon, L'information et la consultation des représentants du personnel : nouveaux droits ou nouveau partage de responsabilités, JCP éd. S, 2013, 1263.
(2) Ce qui signifie qu'un PV de carence a été établi.
(3) Rien n'interdit évidemment qu'une convention collective le prévoie ou que l'employeur le décide de son propre chef. De même, dans une entreprise dotée d'un comité, il est tout à fait possible, selon les mêmes modalités, d'autoriser les délégués du personnel à accéder à la base de données.
(4) Sous réserve des informations que la loi répute confidentielles (C. trav., art. L. 2323-10 N° Lexbase : L2746H9L et L. 2323-82 N° Lexbase : L2946H9Y).
(5) V., sur la question, l'article précédent d'A. Martinon, § 6 et la jurisprudence des juges du fond citée.
(6) Il faut certainement comprendre que le pouvoir exécutif pourra prendre en compte cet état de fait.
(7) Ce texte n'en précise pas moins que cette identité dans les attributions est bornée par les pouvoirs confiés aux chefs de ces établissements. Cela confirme la nécessité de conclure des accords propres à chaque établissement et l'impossibilité de leur appliquer un accord conclu avec le comité central d'entreprise.
(8) Attitude dilatoire que l'employeur peut néanmoins contourner en mettant en oeuvre sa décision nonobstant l'absence d'avis du comité, dès lors, évidemment, qu'il a respecté, en amont, toutes ses obligations vis-à-vis de lui.
(9) Ces informations pourront figurer dans la base de données économiques et sociales, ce qui exclut, nous l'avons vu, que l'employeur les transmette à nouveau au comité en vue de la consultation. On peut toutefois se demander si celui-ci n'aura pas intérêt, antérieurement à celle-ci, à préciser les informations de la base de données concernées par la consultation.
(10) Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-02.990, publié (N° Lexbase : A0556A4D), Bull. civ. V, n° 210.
(11) Cass. soc., 25 juin 2002, n° 00-20.939, publié (N° Lexbase : A0106AZX), Bull. civ. V, n° 217.
(12) C'est-à-dire, désormais, le dernier alinéa de l'article L. 2323-4.
(13) Un de plus est-on tenté de dire.
(14) Rappelons qu'en application de l'article L. 225-35 du Code de commerce (N° Lexbase : L5906AIL), "le conseil d'administration détermine les orientations de l'activité de la société et veille à leur mise en oeuvre". On admettra que c'est l'activité de la "société" qui est ici en cause et non les orientations stratégiques de l'entreprise. Mais comment distinguer les deux ?
(15) Possibilité de recours à l'expert-comptable qui ne se substitue pas aux autres expertises. Prévue par l'article L. 2323-7-1 (N° Lexbase : L0433IXC), nouveau, ce cas de recours à l'expertise est également mentionné désormais dans l'article L. 2325-35.
(16) Crédit d'impôt prévu par l'article 244 quater C du CGI.
(17) Dans les autres formes de sociétés ou dans les groupements d'intérêt économique, lorsque le comité d'entreprise a décidé d'informer les associés ou les membres de l'utilisation du crédit d'impôt, le gérant ou les administrateurs leur communiquent le rapport du comité d'entreprise. Dans les autres personnes morales, le présent article s'applique à l'organe chargé de l'administration ou de la surveillance. Il est curieux que l'information soit, dans certains cas, destinée aux organes sociaux et, dans d'autres, aux associés.
(18) V. sur la question, J. Pélissier, G. Auzero, E. Dockès, Droit du travail, Précis Dalloz, 27ème édition, 2013, n° 862.
(19) Outre des représentants de chaque CHSCT concerné par le projet, l'instance comprend diverses personnalités, tel le médecin du travail ou encore l'inspecteur du travail.
(20) Texte qui laisse entendre que l'instance de coordination ne rend pas systématiquement un avis. On peut toutefois considérer que la formule, "le cas échéant" renvoie au cas dans lequel l'instance a effectivement formulé un avis avant l'expiration du délai imparti. Par suite, la consultation paraît devoir être systématique.

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