Réf. : Cass. com. 9 avril 2013, n° 12-14.356, F-D (N° Lexbase : A0731KC3)
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par Christine Lebel, Maître de conférences HDR à la Faculté de Droit de Nancy (Université de Lorraine, Institut François Gény, EA 1138, Nancy)
le 01 Mai 2013
I - L'existence de créances réciproques
Afin que la compensation pour dettes connexes puisse intervenir après l'ouverture de la procédure collective de l'une des personnes intervenantes à cette opération juridique, certaines conditions doivent être impérativement respectées. Tout d'abord, le créancier doit avoir préalablement et valablement déclaré sa créance à la procédure collective. La Cour de cassation a rappelé récemment cette formalité préalable (15). A défaut, le créancier ne peut invoquer la compensation pour dettes connexes. Dans la présente affaire, une société civile a entrepris une opération immobilière pour la réalisation de laquelle elle a bénéficié de la garantie d'achèvement d'une banque, prenant la forme d'une ouverture de crédit en compte courant. Une procédure de sauvegarde a été ouverte à l'encontre de la société débitrice par jugement du 23 juillet 2010 ; la banque a déclaré sa créance au titre du solde du compte courant le 9 décembre 2010. Par conséquent, la formalité impérative ayant été réalisée conformément aux dispositions légales la régissant, la banque pouvait invoquer le principe de la compensation pour dettes connexes.
Pour cela, fallait-il encore qu'il existe des dettes réciproques, autrement formulé fallait-il que la banque et la société débitrice soient simultanément débitrices et créancières l'une de l'autre, conformément à l'article 1289 du Code civil (N° Lexbase : L1399ABG). La société débitrice et l'administrateur judiciaire prétendaient que cette deuxième condition n'était pas remplie. Selon ces derniers, le Trésor public avait viré sur le compte de la société civile une somme correspondant au remboursement de TVA, somme qui ne peut être considérée comme étant une dette de la banque envers la société débitrice. Les juges du fond ont suivi leur argumentation et ont considéré que la banque ne bénéficiait d'aucune subrogation légale sur la somme litigieuse. Pour ces derniers, les conditions légales de la compensation pour dettes connexes seraient donc inapplicables. Sur le visa de l'article L. 622-7 du Code de commerce et de l'article 1289 du Code civil, leur décision est censurée pour violation de la loi. Plus pratiquement, la censure est prononcée car le mécanisme du compte bancaire n'a pas été intégré dans l'analyse juridique de la situation. En effet, le tiers a viré les sommes dues sur un compte ouvert dans les livres d'une banque. Cette dernière intervient alors en qualité de mandataire de la société débitrice. C'est ce que rappelle la Cour de cassation, "la banque, mandataire, chargée d'en encaisser le montant". Par conséquent, elle doit recevoir les sommes en application des articles 1984 (N° Lexbase : L2207ABD) et suivants du Code civil, c'est-à-dire, non pas en son nom personnel, mais au nom et pour le compte de la société débitrice.
Ainsi, en qualité de mandataire, la banque encaisse les sommes virées par les tiers, en l'occurrence le Trésor public, avec l'obligation de les restituer ensuite à la société "destinataire finale", ce qui fait naître, au profit de cette dernière, "un droit de créance sur la banque" comme le précise la Cour de cassation. Par conséquent, il existe effectivement des créances réciproques entre la banque et la société débitrice dans la présente affaire, la première étant créancière du solde du compte courant débiteur et débitrice des sommes ayant fait l'objet du virement litigieux. En outre, débiteur et créancier interviennent avec la même qualité (16). La deuxième condition pour que puisse prospérer la compensation pour dettes connexes est également remplie. Reste alors à savoir si l'unité de l'opération est suffisante pour que la banque ne soit pas tenue de restituer les sommes à l'administrateur judiciaire.
II - Vers une reconnaissance de la clause de compensation ?
Troisième et dernière condition, il faut un lien d'unicité entre les dettes réciproques pour que la compensation puisse s'opérer. Afin de la rejeter, les juges du fond ont invoqué l'interdiction de compenser, en exécution de dispositions contractuelles intervenues antérieurement au jugement d'ouverture entre le créancier et le débiteur. La finalité de cette interdiction est de paralyser toutes les opérations de compensation qui pourraient être aménagées avant l'ouverture d'une procédure collective, afin de contourner la règle de l'interdiction des paiements (17). C'est en ce sens que la Cour de cassation avait statué en 1997 (18), tout en précisant que la validité des clauses conventionnelles de compensation n'était pas remise en cause lorsque la clause avait commencé à fonctionner avant la période suspecte (19).
Toutefois, par un arrêt inédit du 10 janvier 2006 (20), la Cour de cassation avait assoupli sa position en censurant une cour d'appel pour ne pas avoir recherché si la convention selon laquelle les parties étaient convenues de faire masse dans un compte courant unique de toutes les créances et de toutes les dettes nées de divers contrats n'avait pas permis l'entrée en compte de la créance réalisant ainsi la condition de connexité de sorte que cette créance pouvait être invoquée en compensation. Dans la présente affaire, la situation est un peu différente. La société débitrice a réalisé une importante opération immobilière pour laquelle elle a sollicité une garantie d'achèvement auprès de la banque. Celle-ci a pris la forme d'une ouverture en compte courant, le 11 décembre 2007. En outre, elles avaient convenu que tous les mouvements financiers relatifs à cette opération devaient être centralisés sur ce compte courant. Ainsi toutes les opérations débitrices ou créditrices relatives à ce programme immobilier ont transité par ce compte courant. En outre, il était précisé que ces opérations ont, entre elles, un caractère connexe et indivisible (21). Par conséquent, il n'y a pas de contrat unique, ou bien encore de contrat-cadre, mais il existe un compte courant unique qui centralisait tous les mouvements financiers y compris le remboursement de TVA opéré par le Trésor public relatif au programme immobilier de la société débitrice. Pour cette raison, sur le visa de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) et de l'article L. 622-7 du Code de commerce, la Cour de cassation censure la cour d'appel, pour défaut de base légale. En jugeant de la sorte, la Haute cour reconnaît l'existence d'unicité de l'opération litigieuse, les parties ayant valablement pu créer par convention, le lien de connexité, en prévoyant que toutes les opérations financières afférentes au programme immobilier seraient réalisées au moyen d'un seul et unique compte bancaire, et qu'elles auraient entre elles un caractère connexe et indivisible. Notons, enfin, que la convention a été conclue en 2007 soit près de trois ans avant l'ouverture de la procédure collective. En outre, s'agissant d'une sauvegarde, la société débitrice n'a jamais été en cessation des paiements. Par conséquent, la jurisprudence initiée en 1997 n'est pas contredite en raison des circonstances de cette affaire.
(1) A. Sériaux, Conception juridique d'une opération économique, RTDCiv., 2004, p. 225.
(2) C. civ., art 1289 (N° Lexbase : L1399ABG).
(3) C. civ., art 1290 (N° Lexbase : L1400ABH).
(4) Cette règle est traditionnelle. Elle était initialement justifiée par le dessaisissement du débiteur, lui interdisant de régler les dettes antérieures à l'ouverture de la procédure, cf. J. Percerou et M. Dessertaux, Faillite, Banqueroute et liquidation judiciaire, 2ème éd. T1, éd. Rousseau, 1935, n° 499 bis. Selon J. Percerou et Dessertaux : "C'est seulement à partir de l'instant où les deux créances se trouvent placées dans des conditions telles qu'il apparaît avec évidence que leur mise en oeuvre aboutirait à un maniement de fonds en un certain sens, aussitôt annulé par un mouvement en sens inverse, que la loi, précisément pour éviter ce double et inutile mouvement de fonds, le répute fictivement opéré et déclare les deux dettes égales éteintes de plano. La compensation s'analyse ainsi, en droit français, en un double paiement fictif", préc., t. II, p. 196, n° 865.
(5) Nos obs., Le paiement à l'épreuve des procédures collectives, Mél. B. Gross, PUN 2009, p. 449.
(6) Institutes de Justinien, Les actionibus, § 30 et 39 IV, 6, selon J. Percerou et M. Dessertaux, précité, p. 646, note 6.
(7) Cette règle est également très ancienne, ses origines remontent aussi au droit romain.
(8) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz-Action, 2012-2013, n° 632-41.
(9) Cass. com., 19 mars 1991, n° 89-17.083, publié (N° Lexbase : A2733ABT), Bull. civ. IV, n° 105 ; JCP éd. E, 1991, II, note D. Legeais, et I, 73, n° 23 obs. M. Cabrillac et Ph. Pétel ; JCP éd. G, 1991, II, 2176, note J.-F. Montredon ; D., 1993, somm. 11, obs. F. Derrida ; RTDCom., 1991, p. 454, obs. A. Martin-Serf ; RTDCiv., p. 743, note J. Mestre ; Rev. proc. coll., 1991, p. 211, obs. C. Saint-Alary Houin.
(10) Rapport de la Cour de cassation pour 1991, l'expression utilisée est "une puissante raison d'équité", p. 314 et s..
(11) Cass. com., 2 mars 1993, n° 91-10.187, publié (N° Lexbase : A5500ABC), Bull. civ. IV, n° 86 ; JCP éd. E, 1994, II, 535, note J.-F. Montredon ; D., 1993, p. 426, note M. Pédamon ; RTDCom., 1995, p. 196, note A. Martin-Serf.
(12) Loi n° 94-475 du 10 juin 1994 (N° Lexbase : L9127AG7), qui a complété l'article 33 de la loi du 25 janvier 1985.
(13) J.-E. Kuntz et V. Nurit, Le paiement des dettes connexes et le principe d'égalité des créanciers : l'éternelle incomptabilité, Bull. Joly Entr. en diff., mai 2011, p. 160 et s..
(14) CA Rennes, 3ème ch. com., 29 novembre 2011, n° 11/03335 (N° Lexbase : A3223H3R).
(15) Cass. com., 3 mai 2011, n° 10-16.758, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7122HPH), Bull. civ. IV, n° 66 ; JCP éd. E, 2011, 1656 nos obs. et 1596, n° 11, obs. Ph. Pétel ; Act. proc. coll., 2011, comm. 160, obs. M.-L. Coquelet ; D., 2011, p. 1215, obs. A. Lienhard ; RLDA, juin-juillet 2011, p. 18, obs. Guyader ; Bull. Joly Entrp. en diff., 2011, p. 258, note Brena ; LPA, 3 janvier 2012, note Fl. Reille ; Rev. proc. coll.; 2012, comm. 10, obs. F. Legrand et M.-N. Legrand ; E. Le Corre-Broly in Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté - Mai 2011 (1ère esp.), Lexbase Hebdo n° 251 du 19 mai 2011 - édition affaires (N° Lexbase : N2759BSY).
(16) Cass. com., 5 février 2013, n° 12-12.808, F-P+B (N° Lexbase : A6298I7E), JCP éd. E, 2013, 1259, nos obs. ; Rev. Sociétés, 2013, p. 181, obs. Ph. Roussel Galle ; Act. proc. coll. 2013, com. 47, obs. P. Cagnoli ; P.-M. Le Corre, in Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté - Février 2013 (2ème esp.), Lexbase Hebdo n° 328 du 21 février 2013 - édition affaires (N° Lexbase : N5838BTE).
(17) C. com., art. L. 622-7.
(18) Cass. com., 9 décembre 1997, n° 95-14.504, publié (N° Lexbase : A1848ACG), Bull. civ. IV, n° 324 ; D., 1998, somm. 325, obs. A. Honorat ; JCP éd. E, 1998, 657, obs. M. Cabrillac.
(19) Cass. com., 9 décembre 1997 n° 95-12.651, publié (N° Lexbase : A1772ACM), Bull. civ. IV, n° 327.
(20) Cass. com., 10 janvier 2006, n° 04-11.370, F-D (N° Lexbase : A3403DMY), Gaz. proc. coll., 2006/2 p. 39, obs. Ph. Roussel Galle.
(21) J-Cl. Civil Code, Art. 1217 à 1225, Fasc. Unique, Contrats et obligations, Indivisibilité, par J.-B. Seube ; S. Pellé, La notion d'interdépendance contractuelle, Dalloz, Nouvelle Bibliothèque des thèses, 2007, préf. J. Foyer et M.-L. Demeester.
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