Lexbase Droit privé n°524 du 18 avril 2013 : Pénal

[Projet, proposition, rapport législatif] Abrogation imminente du délit de racolage

Réf. : Proposition de loi du 29 mars 2013, visant à l'abrogation du délit de racolage

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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la Rédaction

le 18 Avril 2013

La loi n° 2003-239 du 18 mars 2003, pour la sécurité intérieure (N° Lexbase : L9731A9B), a créé l'article 225-10-1 du Code pénal (N° Lexbase : L9005DCI) punissant de deux mois d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende "le fait, par tout moyen, y compris par une attitude même passive, de procéder publiquement au racolage d'autrui en vue de l'inciter à des relations sexuelles en échange d'une rémunération ou d'une promesse de rémunération" (cf. l’Ouvrage "Droit pénal spécial" N° Lexbase : E5685EXT). Cette nouvelle infraction avait pour but, d'une part, de répondre aux préoccupations des riverains en matière de nuisances et de troubles à l'ordre public, et, d'autre part, de lutter contre les réseaux étrangers de proxénétisme. Mais, dix ans plus tard, pour certains ce dispositif est inefficace. C'est pourquoi une proposition de loi visant à supprimer le délit de racolage a été présentée fin 2012 et adoptée par le Sénat en première lecture le 28 mars 2013. Historique d'une infraction. Le Code pénal de 1810 ne prévoyait pas l'incrimination du racolage. Créée en 1939 comme contravention de la troisième classe, l'infraction de racolage fut transformée en délit grave en 1946, avant d'être scindée en deux contraventions, première et troisième classe en 1958, et troisième et cinquième classe en 1960. Une simple attitude -racolage passif- était une contravention de la troisième classe ; alors qu'un recrutement opéré par gestes, paroles, écrits, etc., était un racolage actif, contravention de la cinquième classe.

Dans le nouveau Code pénal, le racolage public était devenu une unique contravention de la cinquième classe (C. pén., anc. art. R. 625-8 N° Lexbase : L0858ABE). La loi pour la sécurité intérieure n° 2003-239 du 18 mars 2003 n'a pas, à proprement parler, créé de nouvelle infraction pénale s'agissant du racolage public. Elle a toutefois apporté deux modifications substantielles au droit en vigueur :

- d'une part, elle a expressément rétabli la pénalisation du racolage dit "passif" ;

- d'autre part, elle a élevé l'infraction au rang de délit, ouvrant ainsi la voie à des poursuites devant le tribunal correctionnel et à l'emprisonnement des intéressés.

Dans sa décision n° 2003-467 DC du 13 mars 2003 (N° Lexbase : A4715A7R), le Conseil constitutionnel a jugé que le nouveau délit de racolage public était conforme aux principes protégés par la Constitution. Il a ainsi considéré, "en premier lieu, que le racolage public est susceptible d'entraîner des troubles pour l'ordre public, notamment pour la tranquillité, la salubrité et la sécurité publiques ; qu'en privant le proxénétisme de sources de profit, la répression du racolage sur la voie publique fait échec au trafic des êtres humains ; que la création par le législateur d'un délit de racolage public ne se heurte dès lors à aucune règle, ni à aucun principe de valeur constitutionnelle".

Le Conseil constitutionnel a, par ailleurs, jugé "que le principe de légalité des peines [n'était] pas méconnu par les dispositions critiquées, dès lors que celles-ci définissent en termes clairs et précis le délit de racolage public".

Enfin, il a estimé que "les peines prévues par le nouvel article 225-10-1 du Code pénal [n'étaient] pas manifestement disproportionnées", soulignant toutefois "qu'il [appartiendrait] cependant à la juridiction compétente de prendre en compte, dans le prononcé de la peine, la circonstance que l'auteur a agi sous la menace ou par contrainte" et estimant que "sous cette réserve, la disposition critiquée [n'était] pas contraire au principe de la nécessité des peines".

Une qualification du délit variable. Comme le relève le rapport de Mme Virginie Klès, fait au nom de la commission des lois, déposé le 20 mars 2013, l'examen de la jurisprudence illustre toutefois les difficultés manifestes rencontrées par les juridictions pour qualifier le délit de racolage, en particulier dans sa composante "passive", ces difficultés étant renforcées par le fait que l'appréciation du caractère racoleur ou non du comportement incriminé relève de l'appréciation souveraine des juges du fond. Ainsi, par exemple, a été jugé que n'était pas constitutif de racolage le fait pour la prévenue de se trouver dans un lieu connu pour la prostitution, au bord d'un trottoir, car compatible avec l'attente d'une personne. Et dans cet arrêt, les juges ajoutent que "l'on ne peut déduire nécessairement de cette attitude qu'elle racolait en vue d'inciter à des relations sexuelles en échange d'une rémunération, même si la prévenue a, sur la demande d'un tiers, accepté d'en avoir" (Cass. crim., 25 mai 2005, n° 04-84.714 N° Lexbase : A7705I7I). De même, dans une décision rendue à la même date, la Chambre criminelle confirme l'arrêt qui énonce que le fait, au mois de juillet, vers minuit, de se trouver même dans un endroit connu pour la prostitution, légèrement vêtue et en stationnement au bord du trottoir est insuffisant pour constituer le délit de racolage et d'ajouter que c'est le client qui a pris l'initiative d'aborder la prévenue en vue d'avoir avec elle des relations sexuelles en échange d'une rémunération (Cass. crim., 25 mai 2005, n° 04-84.769 N° Lexbase : A7706I7K). Enfin, les juges du fond ont retenu que le seul fait, pour un homme qui se prostitue habituellement, de sortir de chez lui travesti en femme ne suffit pas à caractériser les éléments constitutifs du délit de racolage passif, le travestissement n'étant pas, en l'état des moeurs de la société, le signe univoque de l'incitation aux relations sexuelles tarifées (CA Toulouse, 24 novembre 2005, 3ème ch. cor., n° 05/00536 N° Lexbase : A1332KCC).

A l'inverse, à titre d'exemple, a été considéré comme constituant une attitude racoleuse le fait d'exhiber son postérieur aux automobilistes et d'interpeller des passants et des automobilistes masculins, en leur faisant des gestes et en leur disant "money money" (CA Paris, 22 octobre 2003, n° 2003/03546 N° Lexbase : A1335KCG) ; d'exhiber ses sous-vêtements aux passants, et d'interpeller des passants masculins en leur prenant la main (CA Paris, 22 octobre 2003, n° 2003/03547 N° Lexbase : A1336KCH) ; ou encore d'interpeller des passants en se dénudant à moitié pour les inciter à avoir des relations tarifées (CA Paris, 22 octobre 2003, n° 2003/03543 N° Lexbase : A1331KCB).

Etude comparée. La division de législation comparée du Sénat a réalisé une étude sur l'état du droit relatif à la prostitution et au racolage dans huit pays européens (Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne, Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni et Suède). Cette étude met en évidence l'hétérogénéité des systèmes nationaux en la matière et des dispositifs pénaux qui en découlent.

Aucun de ces pays ne sanctionne pénalement la prostitution individuelle et libre d'une personne majeure. Par ailleurs, le proxénétisme y est partout réprimé, la définition de cette notion pouvant toutefois varier d'un Etat à l'autre, ce qui constitue un obstacle à la coopération judiciaire entre Etats. En revanche, certains d'entre eux autorisent l'exploitation des établissements de prostitution (Espagne, Pays-Bas) tandis que d'autres la sanctionnent pénalement (Allemagne, Angleterre, Danemark, Suède). La Belgique les tolère en pratique.

Par ailleurs, certains d'entre eux pénalisent expressément le racolage (Belgique, Danemark, Italie, Angleterre), tandis que d'autres n'ont recours qu'à des mesures réglementaires de police pour limiter cette activité. Enfin, un seul pays européen (la Suède) a fait le choix de pénaliser les clients des personnes prostituées.

Une abrogation opportune. Alors que la prostitution est en France une activité licite, la Commission des lois du Sénat estime que la correctionnalisation du délit de racolage public a considérablement accru la situation de précarité des personnes prostituées, par l'isolement, l'éloignement des structures sanitaires et associatives et par une défiance accrue à l'encontre des forces de police et de gendarmerie.

Elle soulève que, avec l'abrogation de ce délit, les pouvoirs publics ne seront pas pour autant démunis face aux éventuels troubles à l'ordre public suscités par certaines manifestations de la prostitution de voie publique. En effet, le fait de pratiquer des relations sexuelles tarifées -ou non d'ailleurs- sur la voie publique ou dans un lieu accessible aux regards du public est un délit, susceptible de fonder une garde à vue et des poursuites devant le tribunal correctionnel : "l'exhibition sexuelle imposée à la vue d'autrui dans un lieu accessible aux regards du public est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende" (C. pén., art. 222-32 N° Lexbase : L5358IGK ; cf. l’Ouvrage "Droit pénal spécial" N° Lexbase : E9850EWQ). De plus, pour la Commission des lois, l'abrogation du délit de racolage public ne remettra pas en cause la possibilité qu'ont les maires, au titre de leurs pouvoirs de police générale, d'édicter des arrêtés municipaux interdisant ou restreignant la présence de personnes prostituées sur la voie publique, là où cette présence est susceptible de créer des troubles à l'ordre public (CGCT, art. L. 2212-1 N° Lexbase : L8688AAZ).

Le texte a donc été transmis à l'Assemblée nationale le 29 mars, qui devra à son tour se prononcer sur une proposition composée de trois articles.

Cette abrogation, si elle devait être entérinée et conformément au principe de rétroactivité des lois pénales plus douces, s'appliquera immédiatement à l'ensemble des procédures en cours. Elle mettra également un terme à l'exécution des peines prononcées sur le fondement de ce délit (C. pén., art. 112-4 N° Lexbase : L2044AMN).

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