Lexbase Droit privé n°524 du 18 avril 2013 : Responsabilité

[Jurisprudence] La consécration prétorienne d'un cas d'exclusion de la CIVI : l'OPEX !

Réf. : Cass. civ. 2, 28 mars 2013, n° 11-18.025, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2643KBI)

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par Séverin Jean, docteur en droit privé, Université Toulouse I Capitole (IEJUC)

le 18 Avril 2013

Si le recours à la Commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI) permet aux victimes de certaines infractions dommageables d'obtenir la réparation intégrale des préjudices consécutifs à un dommage corporel, c'est à la condition que le fait dommageable, d'une part, présente le caractère matériel d'une infraction et, d'autre part, qu'il ne relève pas d'un régime spécifique. Or, la Cour de cassation, par un arrêt du 28 mars 2013, se propose d'illustrer ces conditions en refusant à un militaire blessé, à l'occasion d'une opération extérieure (OPEX), le bénéfice de la CIVI. En effet, dans le cadre de l'opération "Licorne" en Côte d'Ivoire, le bombardement, par l'armée régulière ivoirienne, de la base de l'armée française provoqua des morts et des blessés. L'un des militaires blessés, alors qu'il était en service, reçut une pension au titre du régime d'indemnisation des victimes de guerre. Toutefois, il décida de saisir la CIVI d'une demande d'indemnisation.

La cour d'appel de Bordeaux, par un arrêt du 2 février 2011 (1), déclara sa demande irrecevable au motif notamment que le bombardement entrait dans un contexte politique ne permettant pas de considérer le fait dommageable -le bombardement- comme une simple infraction de droit commun dont pourrait se prévaloir le militaire pour demander la réparation des préjudices devant la CIVI. Le militaire forma alors un pourvoi en cassation. Au soutien de son pourvoi, il argua d'une part, que l'existence d'un contexte politique n'enlève pas le caractère délictueux du fait dommageable, de sorte qu'il ne pouvait être privé de son droit à réparation et d'autre part, que le bombardement devait s'analyser comme une infraction de droit commun, dans la mesure où il n'était pas engagé dans une guerre contre le pays hôte, mais dans une mission de maintien de la paix sous l'égide de l'ONU. Dès lors, la Cour de cassation devait se demander si un militaire en service, blessé dans le cadre d'une mission de maintien de la paix, pouvait bénéficier de la CIVI ?

La Cour de cassation rejeta le pourvoi au visa de l'article 706-3 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5612DYI) et des articles L. 4111-1 (N° Lexbase : L2541HZ7), D. 4122-7 (N° Lexbase : L5008IAQ) et L. 4123-4 (N° Lexbase : L6136IAI) du Code de la défense. Elle estima d'une part, que le militaire blessé en service qui participe à une OPEX n'est éligible qu'aux dispositions du Code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre et qu'aux modalités d'indemnisation complémentaires fondées sur la responsabilité de l'Etat. D'autre part, elle reprend à son compte la motivation de la cour d'appel, en ce qu'elle considère que le bombardement s'inscrivait dans un contexte politique, de sorte que le fait dommageable ne peut s'analyser comme une infraction de droit commun.

La solution de la Cour de cassation est assurément très importante dans la mesure où elle vient préciser le recours à la CIVI. Ainsi, les magistrats du quai de l'Horloge entendent délimiter le droit à indemnisation eu égard à la notion d'OPEX (I), et mieux encore, ils consacrent le rejet du droit à réparation devant la CIVI, lorsque le fait dommageable intervient dans le cadre d'une OPEX (II).

I - La notion d'"OPEX" délimitant le droit à indemnisation

OPEX, pension et réparation. La Cour de cassation s'appuie très clairement sur la notion d'"opération extérieure" pour déterminer le droit à indemnisation du militaire français blessé dans le cadre de l'opération "Licorne". Dans cette situation, si le droit à pension est acquis sans aucune difficulté (A), les magistrats du quai de l'Horloge, en revanche, circonscrivent le droit à réparation eu égard à la notion même d'"opération extérieure" (B).

A - Le droit à pension acquis en matière d'OPEX

L'article L. 4123-4 du Code de la défense. L'article L. 4123-4 du Code de la défense dispose que "les militaires participant à des opérations extérieures ainsi que leurs ayants cause bénéficient : 1° Des dispositions des articles [...] du Code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre [...]". Il ressort de cette disposition que les militaires, intervenant dans le cadre d'une opération extérieure, ont un droit à pension dont les conditions sont fixées par le Code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. En effet, l'article L. 2 (N° Lexbase : L1050G9R) de ce dernier dispose qu'"ouvrent droit à pension : 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service [...]". Dès lors, il n'est guère étonnant que le demandeur -le militaire français- ait bénéficié du droit à pension dans la mesure où il a été blessé, pendant son service, à la suite d'un bombardement de sa base par l'armée régulière ivoirienne. Si son droit à pension n'est pas en cause, il n'en demeure pas moins important de déterminer ce que recouvre ce droit à pension, puisque l'on pourrait penser que l'irrecevabilité de sa demande d'indemnisation devant la CIVI tient au fait qu'il a déjà été indemnisé au titre de la pension d'invalidité militaire.

Contenu du droit à pension. Lorsque les conditions du droit à pension sont réunies, il convient de procéder à l'évaluation de son quantum. Pour ce faire, le Code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre procède par la détermination préalable du taux d'invalidité auquel correspond un indice de pension qui tient compte du grade du militaire (2). Une fois l'indice de pension déterminé, il suffit de le multiplier par la valeur du point de pension, lequel est fixé par décret, pour connaître le montant annuel de la pension (3). Celle-ci peut être définitive si la blessure est incurable (4). Lorsque tel n'est pas le cas, la pension sera temporaire puisqu'elle est concédée pour trois ans, mais pourra être renouvelée "par périodes triennales après examens médicaux [...]" (5). Le contenu du droit à pension démontre qu'il ne s'agit pas à proprement parler d'une réparation intégrale, puisque la pension ne vise pas à réparer l'entier préjudice, un taux minimum de 10 % d'invalidité étant requis (6), mais constitue en quelque sorte une compensation à "l'état militaire [...] [exigeant] en toute circonstance esprit de sacrifice, pouvant aller jusqu'au sacrifice suprême [...]" (7).

Pension n'est pas réparation. Si le droit à pension ne saurait se confondre avec le droit à réparation intégrale, on comprend aisément que le demandeur -le militaire français- ait saisi la CIVI afin précisément d'obtenir "la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à [...] [sa] personne [...]" (8). En effet, si le droit à pension ne vise pas à réparer intégralement les préjudices consécutifs à un dommage corporel, rien n'interdit alors de saisir la CIVI, le principe de la réparation intégrale n'étant pas entamé pour solliciter le complément d'indemnisation nécessaire à la compensation de l'entier préjudice. Ce recours était, selon lui, d'autant plus envisageable, qu'il est ouvert à "toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d'une infraction [...]" (9). Considérant, d'une part, que le bombardement opéré par l'armée régulière ivoirienne était à l'origine du dommage corporel, et, d'autre part, que ce fait dommageable devait s'analyser comme une infraction, le demandeur -le militaire français- pensait qu'il était parfaitement fondé à obtenir réparation auprès de la CIVI. Pourtant, la Cour de cassation juge la demande irrecevable en raison du fait que le préjudice a été subi à l'occasion d'une "opération extérieure au cours de laquelle ce militaire était en service".

B - Le droit à réparation circonscrit en matière d'OPEX

Notion d'"OPEX". Il n'existe pas de définition légale de l'opération extérieure. Selon le rapport d'information n° 2237 sur le contrôle parlementaire des opérations extérieures, "les opérations extérieures s'apparentent à des engagements qui nécessitent la projection d'hommes en dehors du territoire national, sur un théâtre de crises, et qui ont pour objectif de contribuer à sa gestion" (10). Dans notre affaire, la qualification d'opération extérieure ne fait guère de doute dans la mesure où, sous l'égide de la résolution de l'ONU n° 1528 du 27 février 2004 (11), l'armée française s'est engagée dans une mission de maintien de la paix en Côte d'Ivoire où une guerre civile opposait l'armée régulière ivoirienne et des citoyens ivoiriens. Recourant à la notion d'"opération extérieure", la Cour de cassation affirme que les militaires français blessés en service à l'occasion d'une opération extérieure ne sont éligibles d'une part, qu'"aux dispositions du Code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre [...] [et d'autre part], qu'aux modalités d'indemnisation complémentaires fondées sur la responsabilité de l'Etat [...]". La solution des magistrats du quai de l'Horloge apporte deux informations fondamentales.

De la réparation intégrale. En premier lieu, il ne faudrait pas croire que la Cour de cassation n'entend pas réparer intégralement les préjudices subis par les militaires français blessés en service à l'occasion d'opérations extérieures. Au contraire, le principe de la réparation intégrale est observé, mais peut supposer la mise en oeuvre d'un double mécanisme : droit à pension et responsabilité de l'Etat. En effet, si la pension ne couvre pas l'entier préjudice, le militaire pensionné est en droit de saisir la juridiction administrative pour demander le complément d'indemnisation fondé sur la responsabilité de l'Etat.

De la réparation intégrale oui, mais pas par la CIVI. En second lieu, si un complément d'indemnisation peut être obtenu, lorsque la pension ne couvre pas l'intégralité du préjudice subi, il ne peut être recherché que devant une juridiction administrative, et non devant une commission d'indemnisation des victimes d'infractions. La raison ? Parce que le dommage corporel a été subi par un militaire français, en service, à l'occasion d'une opération extérieure. En d'autres termes, lorsqu'un militaire français, en service, subit un dommage corporel dans le cadre d'une opération extérieure, il ne peut pas en demander réparation devant une commission d'indemnisation des victimes d'infractions. La notion d'"opération extérieure" exclut le recours à la CIVI parce que, précisément, les militaires concernés disposent de régimes spéciaux, tels que le droit à pension et l'action en responsabilité contre l'Etat. Pour tout dire, il semble au commentateur que cet argument était largement suffisant pour déclarer irrecevable la demande d'indemnisation formulée devant la CIVI. Pourtant, la Cour cassation s'oblige à justifier sa solution en recourant à une notion teintée de complexité et d'inutilité -l'"infraction de droit commun"-, alors même qu'il suffisait de considérer que le recours à la CIVI est exclu en présence d'une OPEX, laquelle offre aux militaires français des régimes spéciaux d'indemnisation.

II - La notion d'"OPEX" excluant le droit à réparation

En matière de CIVI. Indiquons-le sans perdre de temps, la notion d'"OPEX" exclut le droit à réparation seulement devant la CIVI, puisque celui-ci peut être exercé, par exemple, au titre de régimes spéciaux. Cela étant dit, la Cour de cassation, dans cet arrêt, vient préciser que le recours à la CIVI exige de rapporter la preuve d'un fait présentant le caractère matériel d'une infraction et, chose nouvelle, celle-ci doit être de droit commun (A), ce qui est impossible lorsque le fait dommageable survient dans le cadre d'une OPEX (B).

A - L'exigence d'une infraction de droit commun en matière de CIVI

L'article 706-3 du Code de procédure pénale. Les conditions du recours à la CIVI sont prévues par l'article 706-3 du Code de procédure pénale qui dispose que "toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d'une infraction peut obtenir réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne[...]". La Cour de cassation, pour déclarer la demande en indemnisation devant la CIVI irrecevable au regard du texte susvisé, objecte deux arguments principaux. D'une part, l'ouverture d'une information pénale, encore en cours, dont a été saisie un juge d'instruction des armées ne peut être prise en considération pour caractériser l'apparence d'infraction dans la mesure où l'on n'en connaît pas l'issue. D'autre part, le bombardement par l'armée régulière ivoirienne, intervenant dans un contexte politique, ne permet pas de le considérer comme une infraction de droit commun.

L'ouverture d'une information pénale. Il convient au préalable d'indiquer que le recours à la CIVI peut être exercé avant même que des poursuites pénales soient engagées (12), voire après, si la réparation obtenue est jugée insuffisante. Cela étant, le fait que l'ouverture d'une information pénale n'établisse pas l'apparence d'une infraction n'est pas nouveau, puisque la Cour de cassation a déjà considéré, qu'une information ouverte du chef d'assassinat n'était pas suffisante pour établir le caractère matériel d'une infraction (13). Cette solution se comprend aisément, car il appartient à la CIVI de rechercher si les faits litigieux présentent ou non le caractère matériel d'une infraction. Dès lors, les magistrats du quai de l'Horloge, en prenant soin d'indiquer que l'issue de l'information n'est pas connue, s'inscrivent dans la continuité de cette jurisprudence. En revanche, la caractérisation de l'infraction aurait bien sûr été acquise si, à l'issue de l'information pénale, l'auteur de l'infraction avait été condamné. Nonobstant cette précision, c'est sans aucun doute le second argument développé par la Cour de cassation qui est bien plus difficile à analyser.

L'infraction de droit commun. La formulation étonne, surprend. En effet, l'arrêt commenté semble requérir l'existence non pas seulement d'un fait présentant le caractère matériel d'une infraction, comme le prévoit l'article 706-3, alinéa 1er du Code de procédure pénale, mais le caractère matériel d'une infraction de droit commun. L'utilisation de la notion "infraction de droit commun" est délicate à cerner, tant elle fait l'objet de débats doctrinaux. Il semblerait qu'il faudrait entendre par infraction de droit commun, "celle qui est soumise aux règles de fond, de compétence judiciaire ou de procédure généralement applicables aux crimes, aux délits ou aux contraventions" (14). A contrario, toutes les infractions qui obéiraient à un régime spécial devraient être considérées comme des infractions spéciales, hors du droit commun. La doctrine retient généralement (15) trois catégories d'infractions qui n'entrent pas dans la catégorie des infractions de droit commun : les infractions politiques, les infractions militaires et les infractions de presse. Si les dernières ne doivent pas retenir notre attention, il en va autrement des deux premières dans la mesure où le fait dommageable -le bombardement- est intervenu dans un contexte militaire et politique. Toutefois, il ne faut pas se méprendre, le bombardement du militaire en service dans le cadre de l'opération "Licorne" ne constitue ni une infraction politique, ni une infraction militaire.

Les infractions militaires. Celles-ci sont prévues au Titre II du Livre III de la partie législative du Code de justice militaire et se décomposent en quatre catégories : les infractions tendant à soustraire leur auteur à ses obligations militaires, comme par exemple, la désertion ; les infractions contre l'honneur et le devoir, comme par exemple, le complot militaire ; les infractions contre la discipline, comme par exemple, la rébellion ; et les infractions aux consignes, comme par exemple, le fait d'abandonner son poste en temps de paix. Toutes ces infractions montrent qu'il s'agit de sanctionner le comportement d'un militaire français et non, comme dans notre espèce, de sanctionner le comportement d'un tiers -l'armée régulière ivoirienne- à l'égard d'un militaire français.

Les infractions politiques. Celles-ci sont difficiles à identifier dans la mesure où elles ne sont pas définies par le Code pénal. En outre, même la doctrine pénaliste n'arrive pas à un consensus sur cette question. Aussi, c'est avec une extrême prudence que nous envisageons cette catégorie d'infractions. On admet généralement que constituent notamment des infractions politiques, celles visées au Titre I du Livre IV du Code pénal. Son Chapitre III, section 1 est relatif "aux atteintes à la sécurité des forces armées [...]". Or, les différentes infractions prévues dans cette section ne correspondent aucunement à notre espèce, puisqu'il est par exemple question de "provoquer à la désobéissance [...] des militaires [...]" (16). En outre, la doctrine pénaliste est généralement d'accord sur un point : le mobile de l'auteur ne saurait être suffisant pour conférer un caractère politique à une infraction (17). Par conséquent, le bombardement de l'armée française par l'armée régulière ivoirienne ne constitue pas une infraction politique faute d'une part, d'être prévue au Titre I du Livre IV du Code pénal et d'autre part, parce que le mobile est indifférent. Il n'en demeure pas moins que la Cour de cassation, en l'espèce, ne voit pas dans le bombardement une infraction de droit commun en raison du "contexte politique" dans lequel il est intervenu. Dès lors, il convient de s'efforcer de déterminer ce qu'il faut entendre par "contexte politique" du moment que celui-ci ne permet pas de qualifier l'infraction d'"infraction politique".

B - L'absence d'infraction de droit commun en matière d'OPEX

Contexte politique ? Selon les magistrats du quai de l'Horloge, "les événements [...] entrent [...] dans un contexte politique qui ne permet pas de les considérer comme une simple infraction de droit commun, ce qui rend l'article 706-3 du Code de procédure pénale inapplicable [...]". C'est donc le fait que le bombardement soit intervenu dans un contexte politique qui a pour conséquence de ne pas retenir la qualification d'"infraction de droit commun". Que faut-il entendre par "contexte politique" ? De quel contexte politique s'agit-il dans cet arrêt ?

Notion de "contexte politique". Le "contexte" désigne "l'ensemble des circonstances dans lesquelles s'insèrent un fait" (18). Si l'on y adjoint l'adjectif "politique", il s'agit alors de l'ensemble des circonstances politiques dans lesquelles s'insèrent un fait. Le fait de l'espèce est constitué par le bombardement de l'armée française, tandis que les circonstances politiques dans lesquelles s'insèrent le bombardement correspondent à la présence de l'armée française en Côte d'Ivoire en vertu d'une mission de maintien de la paix placée sous l'égide de l'ONU. C'est visiblement le sens à donner à "contexte politique" puisque la Cour de cassation conclut "que les faits à l'origine des blessures [...] relevaient d'une opération extérieure au cours de laquelle [...] [le militaire blessé était en service], [...] [de sorte] que la demande en indemnisation formée devant la CIVI était irrecevable [...]". En réalité, ce n'est pas tout à fait exact, car il semblerait qu'une fusion soit opérée entre les notions de "maintien de la paix" et d'"opération extérieure".

Maintien de la paix et opération extérieure. La rigueur commande à intégrer la notion de "maintien dans la paix" dans la catégorie plus large d'"opération extérieure". En effet, selon le rapport d'information n° 2237 sur le contrôle parlementaire des opérations extérieures peuvent être classées "en trois catégories : les opérations découlant des engagements bilatéraux de défense ; les opérations de maintien de la paix directement mises en oeuvre par les Nations Unies ; les opérations, généralement de coercition, qui peuvent être exécutées par l'OTAN mais aussi par des coalitions ad hoc sur mandat du Conseil de sécurité des Nations Unies" (19). Par conséquent, une opération de maintien de la paix sous l'égide de l'ONU constitue, sans nul doute, une opération extérieure.

En outre, une opération extérieure menée par la France est nécessairement d'ordre politique puisque "le critère de la qualification d'"opération extérieure" retenu par le ministère de la Défense est la décision prise par le pouvoir politique d'envoyer les troupes hors de la métropole [...]" (20).

En définitive, la notion de "contexte politique" correspond dans notre arrêt à la notion "d'opération extérieure". En d'autres termes, c'est parce que le bombardement a eu lieu à l'occasion d'une opération extérieure que ce bombardement ne peut être qualifié d'"infraction de droit commun". Dès lors, on comprend pourquoi l'argument développé par le demandeur au pourvoi n'a pas convaincu. Le militaire blessé prétendait que le fait dommageable était intervenu alors qu'il remplissait une mission de maintien de la paix et non une opération de guerre contre l'hôte, de telle façon que le bombardement devait s'analyser comme une infraction de droit commun. Mais du moment que l'on regroupe sous l'appellation "opérations extérieures" tant les opérations de coercition que de maintien de la paix, il est alors inéluctable de considérer que le bombardement -fait de guerre- s'inscrit dans le cadre d'une opération extérieure et partant, ne peut être qualifié d'infraction de droit commun.

Incidence de l'OPEX. La solution de la Cour de cassation est dès lors très claire : lorsqu'un militaire engagé dans une opération extérieure subit un dommage corporel à l'occasion d'un fait de guerre -le bombardement- ce dernier échappe à la qualification d'"infraction droit commun". Toutefois, il ne faut pas oublier de préciser, comme le font les magistrats du quai de l'Horloge, qu'encore faut-il que le militaire soit en service lorsqu'il subit le dommage. En effet, imaginons un militaire en opération extérieure qui, lors d'une permission, subit une agression. Dans cette hypothèse, l'agression pourrait être qualifiée d'"infraction de droit commun" de sorte qu'il serait en mesure de prétendre à la CIVI.

Cela étant précisé, la solution de la Cour de cassation a trois conséquences majeures. En premier lieu, la logique conduit à exclure de la CIVI les faits dommageables, lorsqu'ils se produisent à l'occasion d'une opération extérieure et qu'ils visent des militaires en service. Cette position s'explique aisément, puisqu'en pareille situation, il convient de se tourner vers les régimes spéciaux d'indemnisation -pensions militaires- et la responsabilité de l'Etat. En deuxième lieu, et bien que cet argument soit inutile en raison du fait que le spécial déroge au général, cet arrêt vient préciser les conditions du recours à la CIVI en indiquant, qu'un fait doit, non seulement présenter le caractère matériel d'une infraction, mais que celle-ci doit être qualifiée d'"infraction de droit commun". En dernier lieu, il y a lieu de penser que la jurisprudence, par cette décision, vient de consacrer une nouvelle exclusion à l'article 706-3 du Code de procédure pénale, là où ce dernier n'avait prévu que des exclusions légales...


(1) CA Bordeaux, 5ème ch., 2 février 2011, n° 09/3638 (N° Lexbase : A3625HS3).
(2) V. C. pens. mil., art. L. 8 bis et s.. (N° Lexbase : L8489G7K).
(3) C. pens. mil., art. L. 8 bis, A.
(4) C. pens. mil., art. L. 7, al. 1er (N° Lexbase : L0909AGR).
(5) C. pens. mil., art. L. 8, al. 1er (N° Lexbase : L0910AGS).
(6) C. pens. mil., art. L. 4, al. 2 (N° Lexbase : L0511AGZ).
(7) C. déf., art. L. 4111-1, al. 2 (N° Lexbase : L2541HZ7).
(8) C. pr. pén., art. 706-3, al. 1er.
(9) C. pr. pén., art. 706-3, al. 1er.
(10) F. Lamy (rapporteur), Rapport d'information n° 2237 sur le contrôle parlementaire des opérations extérieures, p. 12.
(11) L'article 16 de la résolution n° 1528 de l'ONU du 24 février 2004 "autorise les forces françaises [...] à user de tous les moyens nécessaires pour soutenir l'ONUCI [...]".
(12) Cass. civ. 2, 13 décembre 2001, n° 00-12.105, FS-P+B (N° Lexbase : A6256AXY), Bull. civ. II, n° 191, p. 134.
(13) Cass. civ. 2, 7 octobre 1992, n° 91-20.881 (N° Lexbase : A6036AHZ), Bull. civ. II, n° 229, p. 114.
(14) F. Desportes et F. Le Gunehec, Droit pénal général, 16ème éd. Economica, 2009, n° 146.
(15) Seulement généralement car, par exemple, le professeur Emmanuel Dreyer écrit qu'"à côté de ces catégories classiques, et en crise, il faut noter l'émergence de nouvelles catégories d'infractions" (E. Dreyer, Droit pénal général, éd. Litec, 2010, n° 220 et s..).
(16) C. pén., art. 413-3, alinéa 1er (N° Lexbase : L1786AM4).
(17) F. Desportes et F. Le Gunehec, op. cit., n° 158 et E. Dreyer, op. cit., n° 210.
(18) Dictionnaire, éd. Le Petit Robert, 1984, v° contexte (sens 2).
(19) F. Lamy (rapporteur), op. cit., p. 6.
(20) F. Lamy (rapporteur), ibid., p. 12.

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