Lexbase Fiscal n°524 du 18 avril 2013 : Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Jurisprudence] Taux de TVA applicables aux chevaux : cinquième condamnation d'un Etat ne respectant pas l'esprit de la Directive

Réf. : CJUE, 14 mars 2013, aff. C-108/11 (N° Lexbase : A6623I98)

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N6676BTG

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par Guy Quillévéré, Président-assesseur à la cour administrative d'appel de Nantes

le 18 Avril 2013

Le taux réduit de TVA sur les livraisons de chevaux non destinés à l'alimentation humaine a fait l'objet de récentes décisions de la Cour de justice de l'Union européenne. Après une condamnation des Pays-Bas (CJUE, 3 mars 2011, aff. C-41/09 N° Lexbase : A8048G3H ; lire N° Lexbase : N6372BRG), de l'Allemagne et de l'Autriche (voir CJUE, 12 mai 2011, aff. C-441/09 N° Lexbase : A7665HQX et aff. C-453/09 N° Lexbase : A7666HQY ; lire N° Lexbase : N2773BSI), l'application d'un taux réduit de TVA par la France a été sanctionné (CJUE, 8 mars 2012, aff. C-596/10 N° Lexbase : A0663IEB ; lire N° Lexbase : N0762BTE). En effet, cela n'est autorisé que pour les animaux vivants normalement destinés à être utilisés dans la préparation des denrées alimentaires. Toutes les opérations liées aux courses de chevaux ainsi que les activités des centres équestres relèvent de la compétition, du sport, des loisirs ou du tourisme et non d'une utilisation de chevaux dans la production agricole. L'Irlande, qui était venue en soutien de la France en mars 2012, est, elle aussi, condamnée dans un arrêt rendu le 14 mars 2013. Ainsi, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a jugé qu'en appliquant un taux réduit de TVA de 4,8 % aux livraisons de lévriers et de chevaux non destinés à la préparation de denrées alimentaires, à la location de chevaux et à certains services d'insémination, l'Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 96, 98, lus en combinaison avec l'annexe III et 110 de la Directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006, relative au système commun de TVA (N° Lexbase : L7664HTZ).

Les faits dans cette affaire sont les suivants : par lettre de mise en demeure du 23 octobre 2007, la Commission a attiré l'attention de l'Irlande sur le fait que l'application d'un taux réduit de TVA aux livraison de lévriers et de chevaux qui ne sont pas normalement destinés à la préparation de denrées alimentaires, à la location de chevaux et aux services de monte dans les haras pouvait constituer un manquement aux obligations qui découlent de la Directive 2006/112/CE et, en particulier, des articles 96 et 98, lus en combinaison avec l'annexe III, 110 et 113 de cette Directive. Postérieurement à la réponse de l'Irlande, le 4 mars 2008, la Commission lui a adressé un avis motivé par lettre du 24 juin 2010 et a invité cet Etat membre à prendre les mesures requises pour se conformer à cet avis dans un délai de deux mois à compter de la réception de celui-ci. Par lettre en date du 20 août 2010, l'Irlande a contesté l'analyse de la Commission. L'argumentation de l'Irlande n'ayant pas emporté sa conviction, la Commission a saisi la CJUE d'un recours. Elle a notamment fait valoir que, bien que les taux réduits soient appliqués aux livraisons en cause sans interruption depuis le 1er janvier 1991 et qu'ils aient été relevés progressivement depuis cette date, ils ne satisfont pas aux deux conditions cumulatives requises à l'article 110 second alinéa de ladite Directive, à savoir que ces taux doivent être adoptés pour des raison d'intérêt social bien définies et en faveur des consommateurs finaux.

L'apport de l'arrêt de la CJUE du 14 mars 2013 est de préciser les conditions d'application de la dérogation posée par l'article 110 de la Directive 2006/112/CE. Cet article est une exception au principe figurant à l'article 99 et doit, dès lors, faire l'objet d'une interprétation stricte. En l'espèce, la Commission demandait la constatation en manquement uniquement en raison du fait que l'Irlande n'avait pas rempli les conditions définies à l'article 110, second alinéa de la Directive 2006/112/CE, notamment celles selon lesquelles le taux en question a été adopté pour des raisons d'intérêts social bien définies et en faveur de consommateurs finaux. La CJUE juge qu'aucune de ces deux conditions cumulatives n'étaient remplie par l'Irlande. Cet arrêt prolonge et complète notamment l'arrêt du 8 mars 2012, dans lequel la Cour avait retenu que les taux réduits s'appliquent uniquement aux livraisons de biens et aux prestations de services figurant à l'annexe III de la Directive 2006/112/CE.

I - Nouvelle pierre à l'édifice jurisprudentiel relatif à l'application de taux différenciés sur les chevaux

Les opérations portant sur les équidés qui ne sont normalement pas destinés à être utilisés dans la préparation des denrées alimentaires ou dans la production agricole sont soumises au taux normal de la TVA.

A - Multiples condamnations des régimes nationaux de TVA sur les livraisons de chevaux : retour sur une répression organisée

La Directive 2006/112/CE, telle qu'interprétée par la CJUE, exclut l'application du taux réduit aux opérations relatives aux équidés, lorsque ceux-ci ne sont normalement pas destinés à être utilisés dans la préparation des denrées alimentaires ou dans la préparation agricole. A la demande de la Commission européenne, la CJUE, le 8 mars 2012, a jugé que la France avait manqué à ses obligations en appliquant des taux réduits de TVA aux opérations relatives aux équidés et, notamment, aux chevaux, lorsque ceux-ci ne sont normalement pas destinés à être utilisés dans la préparation des denrées alimentaires ou dans la production agricole. Dans cet arrêt, il résultait, selon la Cour, des termes du point 11 de l'Annexe III de la Directive 2006/112/CE, que celui-ci autorise les Etats membres à appliquer un taux réduit de TVA non pas à la production agricole elle-même, mais uniquement aux livraisons de biens et de prestations de services d'un type destiné à être utilisé dans la production agricole, c'est-à-dire aux seuls approvisionnement ou intrants agricoles. La CJUE avait aussi précisé, dans ce même arrêt, que toutes les opérations liées aux courses de chevaux, ainsi que les activités ces centres équestres, relèvent de la compétition du sport des loisirs ou du tourisme, et non d'une utilisation de chevaux dans la production agricole.

La France a tiré les conséquences de la décision de la CJUE et modifié, par la loi de finances rectificative pour 2012 (loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 N° Lexbase : L7970IUQ), l'article 278 bis, 3° du CGI (N° Lexbase : L0379IWX), relatif au taux réduit de la TVA applicable aux produits d'origine agricole, de la pêche, de la pisciculture et de l'aviculture n'ayant subi aucune transformation en le complétant par la phrase : "ces dispositions ne s'appliquent pas aux opérations relatives aux équidés lorsque ceux-ci ne sont pas destinés à être utilisés dans la préparation des denrées alimentaires ou dans la production agricole". La condamnation en manquement de la France faisait elle-même suite à trois arrêts de la CJUE rendus le 3 mars 2011 constatant le manquement des Pays-Bas, et le 12 mai 2011, celui de l'Allemagne et de l'Autriche, à leurs obligations par l'application d'un taux réduit de TVA aux livraisons, importations et acquisitions intracommunautaires de chevaux.

B - Application du taux normal de TVA aux opérations portant sur les chevaux et du taux réduit selon la destination de l'animal : un principe large, une exception restreinte

L'application du taux réduit de TVA est exclu pour les équidés lorsque ceux-ci ne sont normalement pas destinés à être utilisés dans la préparation des denrées alimentaires ou dans la production agricole (dans le cas français, voir CGI, article 278 bis, 3°, complété).

L'application du taux réduit n'est envisageable que dans deux cas : d'une part, lorsque les équidés sont normalement destinés à être utilisés dans la préparation des denrées alimentaires, d'autre part, lorsqu'ils sont normalement destinés à être utilisés dans la production agricole. Tel est le cas des équidés employés dans le cadre des activités de culture ou viticulture, de sylviculture (débardage), de pêche et d'élevage d'équidés. Pour la Commission européenne (selon l'arrêt précité), les acquisitions d'étalons ou de pouliches à des fins de reproduction et les opérations de monte ou de saillie peuvent bénéficier du taux réduit de TVA dans la mesure où elles constituent des "intrants agricoles" pour les élevages de chevaux. Ces dérogations à l'application du taux normal de TVA sont d'interprétation stricte.

En l'espèce, dans sa requête, la Commission demandait la constatation du manquement uniquement en raison du fait que l'Irlande n'avait pas rempli les conditions définies à l'article 110, second alinéa, de la Directive 2006/112/CE, notamment celles selon lesquelles le taux de TVA litigieux a été adopté "pour des raisons d'intérêts social bien définies" et "en faveur de consommateurs finaux". La Commission relevait dans son recours en manquement que l'article 110, premier alinéa, de la Directive de 2006 pourrait, en principe, s'appliquer au taux litigieux, mais les conditions exigées à l'article 110, second alinéa n'étaient pas remplies en l'espèce.

II - Le non-respect, par l'Irlande, des conditions cumulatives permettant de déroger au taux normal

Les dispositions de l'article 110 de la Directive 2006/112, qui permettent aux Etats membres, par dérogation, de maintenir des taux réduits inférieurs au taux minimal fixé à l'article 99 de la Directive 2006/112/CE, n'étaient pas applicables à l'Irlande.

A - L'ambiguïté de la notion de "chevaux non normalement destinés à la préparation de denrées alimentaires"

L'Irlande reprochait à la Commission de ne pas avoir explicité la notion de "chevaux non normalement destinés à la préparation de denrées alimentaires". La CJUE écarte cet argument, en faisant valoir que cette notion a été précisée par la Cour dans les arrêts du 3 mars 2011, rendu contre les Pays-Bas, et du 12 mai 2011, contre l'Allemagne et l'Autriche, avant que l'Irlande ne dépose son mémoire en défense ; l'Irlande ne pouvait donc alléguer qu'elle aurait été empêchée de faire valoir sa défense pour cette raison. Par ailleurs, l'arrêt rendu à l'encontre de la France par la CJUE et la doctrine ont souligné que, par l'usage de l'adverbe "normalement", le législateur de l'Union a entendu viser les animaux qui, à titre habituel et de manière générale, sont destinés à entrer dans la chaîne alimentaire humaine et animale. Par cet arrêt, la CJUE confirme sa jurisprudence antérieure sur ce point.

En outre, l'Irlande avait, certes, soulevé une question relative à la définition de la notion de "chevaux normalement destinés à la préparation de denrées alimentaires", au point 4 de sa lettre du 20 août 2010, en réponse à la Commission européenne, mais il ressortait de la lecture de cette lettre et d'une lettre précédente du 4 mars 2008 que l'Irlande avait bien compris les manquements qui lui étaient reprochés, et pouvait donc se défendre utilement.

B - La précision de la notion de "raisons d'intérêt social bien définies"

Pour l'application des dispositions de l'article 110 de la Directive, qui dérogent à l'application du taux normal de TVA, deux conditions cumulatives doivent être remplies : le taux réduit doit avoir été adopté pour des raisons d'intérêt social bien définies et en faveur de consommateurs finaux.

La Commission considère que, par "raisons d'intérêt social bien définies", il faut comprendre les mesures prises principalement pour des raisons sociales générales, et que l'application des taux réduits doit alléger la charge fiscale qui pèse sur la consommation des biens et des services couvrant des besoins sociaux élémentaires. La Commission estime que la livraison de chevaux et de lévriers autres que ceux utilisés pour la préparation de denrées alimentaires, la location de chevaux et les services d'insémination ne peuvent pas être considérés comme nécessaires pour couvrir les besoins sociaux élémentaires. La livraison de chevaux et de lévriers s'effectuerait à des prix très élevés et seule une petite partie de la population serait en mesure d'acquérir ces animaux. La promotion de courses hippiques, le saut d'obstacles et les autres sports équestres ne constitueraient pas une raison d'intérêt social. Le fait que certaines activités font partie d'une culture ou sont issues d'une longue tradition dans un Etat membre ne suffirait pas à faire de leur promotion une raison d'intérêt social.

L'Irlande contestait cette interprétation de la Commission en la jugeant trop restrictive et contraire à la jurisprudence de la Cour, et notamment aux arrêts, du 21 juin 1988, rendus, d'une part, à son encontre (CJUE, aff. C-415/85 N° Lexbase : A8262AUK, et, d'autre part, à l'encontre du Royaume-Uni (CJUE, aff. C-416/85 N° Lexbase : A8295AUR). Pour la CJUE, les Etats membres peuvent invoquer des raisons d'intérêt social, pour autant que celles-ci sont "bien définies" et que la notion d'intérêt social n'est pas dénaturée, c'est-à-dire utilisée à des fins autres que sociales. Or, en l'espèce, il était constant que les raisons d'intérêt social susceptibles de justifier l'adoption du taux réduit en question n'étaient pas définies dans la législation irlandaise. Ces dispositions étant d'interprétation stricte, l'Irlande n'apportait donc pas la preuve lui incombant que le taux réduit avait été adopté pour des raisons d'intérêt exclusivement social ou du moins, des raisons d'intérêt principalement social.

La seconde condition prévue à l'article 110, second alinéa, de la Directive 2006/112/CE, exige que le taux réduit inférieur au minimum fixé à l'article 99 de cette Directive ait été adopté en faveur de consommateurs finaux. Dans le système général de la TVA, interprété par la Cour, le consommateur final est le sujet qui acquiert un bien ou un service pour un usage personnel, exclusif d'une activité économique. Cette notion exclut donc les acheteurs de chevaux ou de lévriers et les utilisateurs de services d'insémination qui exercent une activité économique et sont en mesure de répercuter la charge de la TVA sur d'autres personnes. L'Irlande faisait valoir, sur ce point, sans apporter de données, que la plupart des personnes qui pratiquent un sport équestre ou en relation avec les lévriers agissent à titre privé comme des consommateurs finaux et qu'en tout état de cause il était possible de bénéficier du taux réduit dans le cas où les acheteurs ne sont pas des consommateurs finaux mais où l'opération en amont soumise à un taux réduit est suffisamment proche des consommateurs pour qu'ils puissent en bénéficier. Mais ici encore il ne ressortait des explications de l'Irlande aucun élément selon lequel, dans les circonstances examinées, les consommateurs seraient plus proches des opérations en amont soumises à la TVA que dans d'autres activités économiques. La CJUE juge donc que la seconde condition prévue par l'article 110, second alinéa, de la Directive n'était donc pas non plus remplie.

Le régime de la TVA portant sur les équidés, et notamment sur les chevaux, est donc aujourd'hui clairement défini : les chevaux ne sont pas, par principe, destinés à être mangés ou utilisés dans la production agricole. Le principe est donc l'application du taux normal. Toutefois, si un cheval peut être utilisé dans la préparation de denrées alimentaires, ce n'est pas le cas de la livraison d'un cheval de course qui, en fin de carrière, est destiné à l'abattoir. De même, concernant la production agricole, il convient d'interpréter cette expression de manière stricte, en excluant les centres équestres et les livraisons visant à des inséminations, dans le cadre de l'élevage. En effet, ces utilisations (loisir, élevage), ne répondent pas aux objectifs de la Directive, qui est de faire baisser les prix des produits destinés aux consommateurs finaux, pour des raisons d'intérêt social.

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