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par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale
le 18 Avril 2013
Lexbase : Les cas de transfert de capitaux à l'étranger sont-ils fréquents ? Quelles sont les formalités à accomplir en France dans un tel cas ?
Anthony Calci : Attention, l'évasion fiscale est une notion différente de la fraude fiscale ; je rappelle en effet qu'il n'est absolument pas interdit d'ouvrir et de conserver des comptes à l'étranger, si tant est qu'on les déclare chaque année (imprimé n° 3916 : "Déclaration par un résident d'un compte ouvert hors de France"). Plus de 80 000 comptes bancaires ont été ainsi déclarés en 2012 (contre 25 000 en 2007).
Ainsi, la fraude fiscale par des comptes bancaires à l'étranger non-déclarés est majoritairement due à :
- des "anciens" comptes, dont les propriétaires sont dans l'illégalité depuis de longues années, et qui ont peur de les régulariser,
- ou des comptes ouverts récemment, lorsque le contribuable était expatrié, et qui doivent être régularisés.
Rares sont donc les résidents fiscaux français qui souhaitent transférer leurs capitaux à l'étranger tout en restant en France, dans le but de ne pas les déclarer. En effet, avec les renforcements des contrôles et des sanctions en matière de fraude fiscale, de lutte anti-blanchiment ou de financement du terrorisme, ils peuvent être rapidement repérés par l'administration fiscale. De plus, dans l'environnement économique et politique que nous vivons actuellement, la "peur du gendarme" calme de plus en plus ce type de velléités.
Cependant, dans le cadre de notre activité de conseil en gestion de patrimoine indépendant, notre cabinet observe de plus en plus d'ouvertures de contrats d'assurances-vie luxembourgeoises. Ce pays étant neutre fiscalement, l'imposition sera exactement la même qu'une assurance-vie française si l'épargnant est résident fiscal français. Mais le niveau de protection du capital au Luxembourg étant supérieur à celui de la France et les modalités de souscriptions plus flexibles (possibilité de libeller son contrat en devise étrangère, par exemple), ce nouveau type de contrat est de plus en plus plébiscité par les clients exigeants ou expatriés.
Dans tous les cas, la fiscalité des revenus et des plus-values de source étrangère dépendent de la convention fiscale signée (ou non) entre le pays hôte et la France (imprimé n° 2047 : "Déclaration des revenus encaissés à l'étranger par un contribuable domicilié en France"). Il est ainsi souvent plus simple administrativement et plus avantageux fiscalement de rapatrier ou de conserver ses capitaux en France lorsqu'on est résident fiscal français ; c'est bien sûr l'objectif recherché par l'administration.
Lexbase : Quels sont les risques encourus par les contribuables reconnus coupables de fraudes fiscales ? Quelles sont les sanctions pénales et fiscales applicables ?
Anthony Calci : La loi de finances rectificative pour 2012 (loi n° 2012-354 du 14 mars 2012 N° Lexbase : L4518IS7, modifiant l'article 1736 du CGI N° Lexbase : L0106IWT) a fortement augmenté les sanctions en cas de non-déclaration de comptes bancaires détenus à l'étranger, ainsi qu'en cas de fraude fiscale.
Pour chaque compte bancaire ou contrat d'assurance-vie détenu à l'étranger non-déclaré, le contribuable s'expose à une amende de 1 500 euros si le capital y est inférieur à 50 000 euros ou à 5 % du capital s'il y est supérieur à 50 000 euros.
La fraude fiscale est passible d'une amende maximale de 37 500 euros et d'une peine d'emprisonnement de cinq ans. En cas de fraude fiscale avec circonstances aggravantes, on passe à une amende pénale maximum de 75 000 euros avec aussi une peine d'emprisonnement de cinq ans. Depuis le 13 mars 2012, ces montants sont passés de 37 500 euros à 500 000 euros, et de 75 000 euros à 750 000 euros. En outre, dans les cas les plus graves, qui mettent notamment en scène des Etats et territoires non coopératifs (ETNC), l'amende est portée à un million d'euros et la peine d'emprisonnement atteint sept ans (CGI, art. 1741 N° Lexbase : L4664ISK).
Bernard Cazeneuve, notre nouveau ministre au Budget, a révélé très récemment que les contrôles fiscaux ont assigné pour plus de 18 milliards d'euros de droits et pénalités en 2012, soit 10 % de plus qu'en 2011. Même si ces sommes sont à relativiser par le taux de recouvrement effectif des sommes récupérées, soit 65 % l'année dernière (contre 59 % en 2010), je ne vous apprendrai rien en vous disant que la lutte contre les paradis fiscaux et la fraude fiscale seront les prochains chevaux de bataille du Gouvernement en place.
Lexbase : Les avancées en terme de transparence fiscale, par le biais des dernières conventions fiscales signées par la France, notamment avec la Suisse, Oman, Anguilla, Aruba, et autres îles, sont-elles un réel frein à la fraude fiscale internationale ?
Anthony Calci : Je ne pense absolument pas que les fraudeurs aient pu penser que la Suisse, ou autre paradis fiscal, soit passé du culte du secret bancaire à la transparence fiscale en une convention fiscale.
J'ai la conviction que la "peur du gendarme", associée à un dialogue en bonne intelligence, est le meilleur moyen de freiner la fraude fiscale. Et pour cela, il faut des moyens financiers et humains à la hauteur des enjeux ; comme le font d'ailleurs, depuis plusieurs années, l'Allemagne, les Etats-Unis ou le Royaume-Uni, en achetant par exemple des listings à des sources privées.
Lexbase : Bercy avait ouvert, en 2009, une cellule de régularisation, afin que les contribuables disposant d'avoirs à l'étranger non-déclarés à l'étranger puissent régulariser leur situation. Quel a été son bilan ?
Anthony Calci : Même si cette fameuse cellule de régularisation a été officiellement fermée en décembre 2009, je souhaite rappeler qu'il est toujours possible de négocier avec Bercy une diminution des sanctions fiscales de non-déclaration de capitaux situés à l'étranger.
Selon le bilan du Gouvernement, 7,3 milliards d'euros de 4 725 contribuables ont pu être rapatriés grâce à cette cellule, pour 1,2 milliard d'euros de droits et pénalités. A titre de comparaison, l'Italie a fait revenir plus de 80 milliards d'euros en 2009 grâce à son amnistie fiscale, pour environ 4,5 milliards d'euros de taxes.
Afin de pouvoir créer un dialogue salutaire ou d'éviter de rompre définitivement les liens entre l'Etat français et ceux qui ont un jour triché, je pense que l'existence de cette cellule est aussi importante qu'indispensable.
Lexbase : Le 29 mars 2013, une proposition de loi a été déposée sur le bureau de l'Assemblée nationale, proposant de mettre en place une amnistie fiscale en faveur des contribuables qui rapatrieraient leurs capitaux en France, avec application d'une amende forfaitaire. Qu'en pensez-vous ?
Anthony Calci : C'est un avis plus personnel, mais je suis contre toute amnistie. Ceux qui sont fraudeurs doivent être un jour reconnus en tant que tels et doivent être punis ; même si la modération des sanctions lorsqu'ils engagent eux-mêmes le dialogue avec Bercy me semble aussi tout à fait logique.
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