Réf. : Communication de la Commission européenne du 13 septembre 2011, COM(2011) 551 final
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par Guillaume Payan, Maître de conférences à l'Université du Maine, Membre du Thémis-Um (e.a. 4333)
le 10 Novembre 2011
Les destinataires de la "formation judiciaire européenne". Il est ici principalement question de la formation des juges et des procureurs. Néanmoins, d'autres professionnels sont également concernés -même si ce n'est que dans une moindre mesure- tels que les avocats, les notaires ou encore les huissiers de justice ainsi que les "personnels de justice". Sont notamment visés sous cette dernière qualification, les "auxiliaires, [les] assistants de justice et [les] greffiers" (6).
L'objet de la "formation judiciaire européenne". Les institutions européennes mettent essentiellement l'accent sur la formation de ces professionnels au droit de l'Union européenne. Toutefois, avec raison, elles envisagent également la connaissance que ces derniers devraient avoir des systèmes juridiques nationaux des différents Etats membres. A vrai dire, ces deux aspects de la formation judiciaire européenne sont pleinement complémentaires dès lors que l'on s'intéresse à l'application du droit de l'Union européenne dans les Etats membres.
Avant de s'attacher aux objectifs poursuivis (II) et aux moyens employés (III) par la Commission européenne pour "donner une nouvelle dimension à la formation judiciaire européenne", il convient de brièvement évoquer le contexte dans lequel s'inscrit l'adoption de la communication du 13 septembre 2011 (I).
I - Le contexte européen
Le contexte européen est marqué par une certaine carence en matière de "formation judiciaire européenne" ainsi que par l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne et l'officialisation de la compétence de l'Union européenne dans ce domaine.
L'insuffisance actuelle de la "formation judiciaire européenne". Alors que le nombre d'affaires impliquant l'application du droit de l'Union européenne est en constante augmentation, la Commission européenne constate -statistiques à l'appui- que la "formation judiciaire européenne à l'acquis de l'Union [...] demeure modeste" (7). Elle précise notamment, qu'en mai 2011, plus de la moitié des juges et des procureurs affirmaient ne jamais avoir participé à une formation judiciaire sur le droit de l'Union européenne ou sur celui d'un autre Etat membre. Par ailleurs, pour justifier l'action de l'Union européenne, la Commission européenne met en avant les disparités qui existent, en ce domaine, entre les Etats membres (8).
Un nouveau fondement juridique à l'action de l'Union européenne. Contrairement aux Traités qui l'ont précédé, le Traité de Lisbonne, entré en vigueur en décembre 2009, prévoit expressément la compétence de l'Union européenne dans le domaine de la formation judiciaire, tant en matière civile, qu'en matière pénale. Ainsi, il ressort désormais des articles 81 et 82 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (9) que le Parlement européen et le Conseil, "statuant conformément à la procédure législative ordinaire", adoptent des mesures visant à assurer un soutien "à la formation des magistrats et des personnels de justice". A vrai dire, dès 1996, l'Union européenne a apporté son soutien -financier- à la formation judiciaire dispensée notamment par les instituts nationaux de formation ou les organismes européens tels que l'Académie de droit européen (ERA) (10). Toutefois, le fait de faire aujourd'hui apparaître cette compétence dans les traités européens est révélateur de l'importance croissante accordée -avec raison- à cette question.
II - Les objectifs poursuivis
La Commission européenne appelle de ses voeux "un changement radical de l'organisation de la formation judiciaire européenne dans l'Union en matière de concept et d'échelle, afin qu'elle soit systématiquement accessible aux professionnels du droit participant à la mise en oeuvre de l'espace de liberté, de sécurité et de justice" (11). Les objectifs identifiés dans sa communication sont tant qualitatifs que quantitatifs.
Les objectifs qualitatifs. La Commission européenne souhaite, non seulement favoriser la connaissance du droit de l'Union européenne, mais également celle des systèmes judiciaires des Etats membres et, plus généralement, favoriser l'émergence d'une "culture judiciaire européenne" de nature à accroître la confiance mutuelle entre les Etats, les praticiens et les citoyens. Elle met l'accent tant sur la formation initiale que sur la formation continue des professionnels de la justice et estime que la formation continue, ainsi dispensée, doit "être en rapport avec leur travail au quotidien, avoir lieu sur de courtes périodes et faire appel à des méthodes d'apprentissage efficaces". En plus d'une connaissance théorique acquise dans chaque Etat membre, la Commission encourage également les "échanges de courte durée" de certains professionnels du droit et, en particulier, des juges et procureurs qui viennent d'entrer en fonctions (12).
La Commission européenne apporte quelques précisions sur le contenu de la formation judiciaire européenne en ciblant des "domaines prioritaires". Elle indique notamment que cette formation doit concerner les instruments européens -Règlements et Directives- de coopération judiciaire ainsi que la jurisprudence pertinente de la Cour de justice de l'Union européenne et, cela, tant dans les domaines des droits substantiels (droit des contrats, droit de la famille, droit de la concurrence, droit pénal...) que dans celui du droit procédural. Elle insiste également sur l'importance qu'il convient d'accorder à la maîtrise des langues étrangères et à la connaissance de la terminologie juridique utilisée dans d'autres Etats membres.
Les objectifs quantitatifs. La Commission européenne a pour objectif de "permettre à la moitié des praticiens du droit de l'Union européenne de prendre part à des activités de formation judiciaire européenne d'ici 2020" (13). Par ailleurs, elle souhaite "lancer un programme d'échanges de deux semaines pour les nouveaux juges et procureurs", à compter de 2014. L'objectif est, qu'"à terme", l'ensemble des juges et des procureurs nouvellement nommés -que la Commission évalue à environ 2 500 chaque année- participe "à un échange organisé dans des instituts nationaux de formation judiciaire" (14). Plus généralement, elle estime que plus de 700 000 praticiens du droit devraient participer au moins à une session de formation judiciaire européenne ou à un échange d'ici 2020 (15).
III - Les moyens employés
C'est principalement au moyen d'un soutien financier (16) -ciblé autour des "domaines prioritaires" préalablement définis- que la Commission européenne entend orienter la formation judiciaire européenne dispensée dans les Etats membres de l'Union et donner une "nouvelle dimension" à cette formation (17). Concrètement, elle souhaite par ce biais mobiliser les structures et organismes existants au niveau national et au niveau international. De même, elle envisage de mettre à profit l'outil informatique et singulièrement le portail européen e-Justice.
La sollicitation des structures nationales et internationales existantes. La Commission européenne souhaite avant tout sensibiliser, les différents "acteurs" concernés, sur les enjeux d'une formation judiciaire européenne de qualité. En somme, ces "acteurs" -Etats membres, centres/instituts de formation judiciaire ou encore organisations professionnelles représentant les praticiens du droit au niveau national et/ou européen- sont placés au centre du dispositif imaginé par la Commission européenne. En ce sens, la Commission exclut la création d'une "structure monopolistique" de formation judiciaire au niveau européen, afin notamment de préserver la nécessaire "indépendance judiciaire" et l'"auto-régulation" des différentes associations professionnelles de notaires, d'huissiers de justice et d'avocats existantes. Ainsi, l'action de l'Union est seulement conçue comme une action venant en complément de celles déjà menées au niveau national et au niveau international. Au titre de ces actions internationales, on peut citer par exemple celles réalisées par des organismes et réseaux européens (18) ou encore la réalisation -fortement encouragée par la Commission- de "partenariats ou [de] regroupements régionaux des instituts nationaux de formation judiciaire pour mettre sur pied une formation commune" (19). La Commission européenne encourage également la réalisation de "partenariats public-privé" (20) ou "partenariats de la connaissance", donnant l'exemple de collaborations entre les universités, les instituts de formation judiciaire et les praticiens. Elle rappelle, par ailleurs, la création récente de l'Institut de droit européen.
L'emploi de l'outil informatique au service de la formation judiciaire. La Commission européenne veut utiliser les ressources offertes par le portail européen e-Justice pour dynamiser la formation judiciaire européenne. Elle annonce, à cet égard, que ce portail sera "complété" afin "de proposer des informations sur les organismes et les activités de formation, d'assurer un accès aisé aux bases de données juridiques et à du matériel de formation de qualité, et de servir de point d'accès en ce qui concerne les possibilités de cofinancement proposées par la Commission". En somme, le portail européen e-Justice a vocation à devenir l'espace dans lequel sera réuni l'ensemble des informations pertinentes relatives à la formation judiciaire, diffusées par la Commission européenne, à l'attention des praticiens et des organes chargés de leur formation.
Parallèlement, la Commission européenne souligne la nécessité d'"investir dans l'apprentissage électronique" et, partant, favoriser l'usage des nouvelles technologies par les praticiens du droit.
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