Lexbase Droit privé - Archive n°460 du 3 novembre 2011 : Internet

[Questions à...] Première assignation en justice de Facebook France - Questions à Maître Stéphane Cottineau, avocat au barreau de Nantes

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[Questions à...] Première assignation en justice de Facebook France - Questions à Maître Stéphane Cottineau, avocat au barreau de Nantes. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/5619839-questions-a-premiere-assignation-en-justice-de-facebook-france-questions-a-b-maitre-stephane-cottine
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par Anne-Lise Lonné-Clément, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition privée

le 04 Novembre 2011

La Société Facebook France a été assignée devant le tribunal de grande instance de Paris (1) pour atteinte à la liberté d'expression, par un utilisateur ayant vu son compte désactivé sans préavis ni justificatif, à la suite de l'insertion, sur le mur de sa page Facebook, d'une photo du célèbre tableau de Gustave Courbet "l'origine du Monde", qui renvoyait à un lien permettant de visionner un reportage sur l'histoire de ce tableau. Outre le débat de fond sur la liberté d'expression, cette assignation constitue une première en France, sachant que les conditions générales du contrat d'inscription sur Facebook prévoient la compétence exclusive du tribunal de Santa Clara en Californie. Pour saisir les enjeux de cette affaire, Lexbase Hebdo - édition privée a rencontré Maître Stéphane Cottineau, qui défend les intérêts de l'utilisateur de Facebook, qui a accepté de répondre à nos questions. Lexbase : Comment fondez-vous la compétence du juge français dans cette affaire ?

Stéphane Cottineau : L'article 15 des conditions générales du contrat dénommé (Déclaration des droits et responsabilités), nécessairement accepté par chaque usager de Facebook, prévoit une clause attributive de compétence selon laquelle : "vous porterez toute plainte afférente à cette déclaration ou à Facebook exclusivement devant les tribunaux d'Etat et fédéraux sis dans le comté de Santa Clara en Californie".

Nous prétendons qu'il s'agit d'une clause abusive au sens de l'article R. 132-2 du Code de la consommation (N° Lexbase : L1618IBK), dans la mesure où cette clause, manifestement, "vient entraver l'exercice d'action en justice ou de voie de recours par le consommateur".

Nous partons donc du postulat que l'usagé de Facebook est un consommateur. Et le débat porte là-dessus. La définition du consommateur en France est assez simple, il faut considérer que le consommateur est toute personne qui n'est pas professionnelle. A partir de là, l'usager de Facebook, qui n'est pas professionnel, peut invoquer le caractère abusif de cette clause.

Il faut savoir, par ailleurs, qu'à partir du moment où Facebook dispose d'une succursale en France, dénommée Facebook France, toute personne peut assigner Facebook en France, sur le fondement de l'article 43 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1200H49) et de la jurisprudence dite "des gares principales", selon laquelle, lorsqu'une personne morale possède des établissements ou des succursales, le demandeur peut l'assigner devant la juridiction dans le ressort de laquelle se trouve l'établissement ou la succursale impliqué dans le litige si à leur tête se trouve un représentant qui a le pouvoir d'engager la personne morale envers les tiers (Cass. civ. 2, 20 octobre 1965, D., 1966, 193 ; Cass. civ. 1, 15 novembre 1983, n° 82-12.626 N° Lexbase : A9976AGL ; Cass. civ. 2, 6 avril 2006, n° 04-17.849 N° Lexbase : A1220DPU).

Je prétends, enfin, à l'applicabilité de l'article L. 141-5 du Code de la consommation (N° Lexbase : L1930IE9), en vertu duquel tout "consommateur peut saisir à son choix, outre l'une des juridictions territorialement compétentes en vertu du Code de procédure civile, la juridiction du lieu où il demeurait au moment de la conclusion du contrat ou de la survenance du fait dommageable".

En effet, si l'article 17 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004, pour la confiance dans l'économie numérique (N° Lexbase : L2600DZC), pose le principe selon lequel, la loi applicable au type d'activité exercée par Facebook est la loi de l'Etat membre sur le territoire duquel la personne qui l'exerce est établie, son second alinéa prévoit que ces dispositions ne peuvent avoir pour effet "de priver un consommateur ayant sa résidence habituelle sur le territoire français, de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi française relatives aux obligations contractuelles". Et je prétends que l'article L. 141-5 précité constitue une disposition impérative de la loi française.

C'est sur le problème de la compétence du juge que se situe le véritable enjeu de l'affaire ; car si l'on démontre que la clause est abusive, et si la compétence du juge français est reconnue, cela ouvrira la porte à la multiplication des contentieux. Le fond de l'affaire, d'un point de vue juridique, est finalement plus anecdotique.

J'ai choisi de ne pas assigner en référé compte tenu du débat sur la compétence du juge ; il me semble, en effet, que le juge des référés, qui est le juge de l'évidence, aurait rencontré des difficultés pour prendre une décision en urgence. Je pense qu'il y a un débat de fond qui me semble important, et qu'il est important que les juges prennent le temps d'y réfléchir.

Lexbase : S'agissant, donc, du fond de l'affaire, en quoi la désactivation du compte Facebook constitue une violation de la liberté d'expression ?

Stéphane Cottineau : Mon client avait publié sur son "mur" Facebook une photo du tableau de Gustave Courbet, ou plutôt, une photo qui renvoyait à un lien invitant à regarder un reportage diffusé sur Arte ; il s'agissait donc du médaillon de présentation de ce reportage. Son souhait était de partager un film historique sur l'oeuvre de ce Maître. Le lendemain, son compte était désactivé.

Le problème est que l'on ne dispose d'aucune information sur les raisons de cette censure. Il n'est pas possible de savoir, si cela relève d'une décision "humaine" ou automatique ; cela pourrait aussi être le résultat d'une dénonciation, par l'un des "amis" de mon client, d'une image inappropriée. Mon client a mis en demeure la société Facebook France et a écrit par e-mail à plusieurs reprises, mais demeure toujours sans réponse ; les conditions générales prévoient l'obligation, pour Facebook, de prévenir en cas de désactivation du compte. J'ai, également, envoyé une lettre recommandée, à laquelle il m'a été répondu de m'adresser à la société américaine et de faire un procès aux Etats-Unis. Il ne nous a donc pas été répondu, sur le fond, sur la justification de cette censure.

S'agissant des images pornographiques, de telles images sont interdites sur Facebook, mais nous soutenons qu'il ne s'agit en aucun cas d'une image à caractère pornographique puisqu'il s'agit d'une oeuvre d'art, qui est exposée dans un musée, et qu'il s'agit d'une représentation magnifiée, sublimée, par le talent de l'artiste.

Nous invoquons le respect de la liberté d'expression et du droit à la culture, qui constituent le socle en France de nos valeurs juridiques, et qui sont reconnus dans la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (art. 11 N° Lexbase : L1358A98), dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (art. 10 N° Lexbase : L4743AQQ), ou encore dans la jurisprudence de la CJUE sur le droit à la culture et le droit de participer à l'échange public des informations culturelles. Tout cela fait partie, dans la hiérarchie des normes, des règles fondamentales, et Facebook, aussi puissant soit-il, ne peut pas remettre en cause tout cela sur le territoire français.

Lexbase : Comment caractérisez-vous le préjudice subi par votre client ?

Stéphane Cottineau : Il faut savoir que mon client, qui est enseignant, est très féru de culture, et attache une importance particulière à la transmission du savoir, des idées ; il utilisait son compte Facebook pour communiquer et échanger avec ses amis, en particulier sur l'art. Il usait également de son compte pour publier des photos qu'il prenait lui-même, à titre d'artiste amateur.

La désactivation de son compte le prive de tout cela aujourd'hui, ce qui constitue un préjudice pour mon client, d'autant plus que la déconnection s'est produite sans aucune sommation, ni justification. Le préjudice subi par mon client résulte, en outre, de l'attitude d'une censure aveugle et de l'absence méprisante de réponse à ses différents courriers, faisant qu'il s'est senti associé à une personne qui ne serait pas digne de considération ou qui aurait des moeurs ou des pratiques interdites par la loi.

Le préjudice augmente à mesure que le temps passe. Ce que l'on demande principalement, avant la réparation du préjudice (que l'on estime à 20 000 euros), c'est la réactivation de son compte ; le tribunal appréciera, ensuite, le montant à lui allouer d'un point de vue financier.


(1) L'assignation a été délivrée par huissier le 4 octobre 2011 et enrolée au TGI la semaine suivante.

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