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par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale
le 27 Octobre 2011
Marylène Bonny-Grandil : La Convention de La Haye du 1er juillet 1985, relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance, donne du trust la définition suivante : "aux fins de la présente Convention, le terme trust' vise les relations juridiques créées par une personne, le constituant, -par acte entre vifs ou à cause de mort-, lorsque les biens ont été placés sous le contrôle d'un trustee dans l'intérêt du bénéficiaire ou dans un but déterminé".
Le trust est créé par la volonté du constituant, qui transfère des biens lui appartenant à un patrimoine dit "d'affectation". Le trustee est chargé d'administrer, gérer, voire disposer des biens placés en trust dans l'intérêt d'un ou plusieurs bénéficiaires, mais ses prérogatives peuvent être plus ou moins étendues selon les termes de l'acte constitutif du trust. Il s'agit donc d'un acte unilatéral de la part du constituant. L'accord du bénéficiaire n'est pas requis.
La propriété légale et la propriété économique sont dissociées.
Ainsi, on peut retenir cinq caractéristiques :
- il s'agit d'un acte unilatéral issu de la volonté du constituant ;
- le trust crée un patrimoine d'affectation distinct ;
- le trustee est le propriétaire légal des biens placés en trust et a pour rôle d'administrer les biens dans l'intérêt du ou des bénéficiaires ;
- le bénéficiaire est attributaire d'une "propriété économique" ou "equitable ownership" ;
- les droits du bénéficiaire et les prérogatives du trustee varient selon la catégorie du trust, révocable ou irrévocable, discrétionnaire ou non discrétionnaire.
Le nouvel article 792-0 bis du CGI définit le trust de la façon suivante : "pour l'application du présent Code, on entend par 'trust' l'ensemble des relations juridiques, créées dans le droit d'un Etat autre que la France par une personne qui a la qualité de constituant, par actes entre vifs ou à cause de mort, en vue d'y placer des biens ou droits, sous le contrôle d'un administrateur, dans l'intérêt d'un ou plusieurs bénéficiaires ou pour la réalisation d'un objectif déterminé".
Cette définition s'inspire largement de celle figurant dans la Convention de la Haye, mais sans la reprendre complètement. Première remarque, cette définition ne reprend pas le terme de "trustee" mais d'administrateur, ce qui est incomplet et réducteur par rapport aux attributs du trustee, propriétaire légal. Seconde remarque, il s'agit d'une définition purement "fiscale", c'est-à-dire qu'elle n'emporte pas reconnaissance des trusts en droit français mais permet de qualifier, au regard du droit fiscal, les transmissions et la détention de biens placés en trust.
Il faut souligner que la France a signé la Convention de la Haye mais ne l'a pas ratifiée. Une des raisons invoquées pour l'absence de ratification était qu'elle aurait pour objet de reconnaître les patrimoines d'affectation de trusts étrangers sans faire peser sur eux une obligation de transparence. Il semblerait que cette raison soit devenue obsolète depuis l'adoption du dispositif fiscal visant les trusts.
Lexbase : La définition du trust en loi française est-elle, selon vous, satisfaisante, au regard des tentatives de définitions jurisprudentielles antérieures ? Quelles sont les différences entre le trust et la fiducie ?
Marylène Bonny-Grandil : Les décisions jurisprudentielles en matière fiscale, bien que peu nombreuses, ont permis de clarifier certaines situations impliquant des trusts au regard des droits de mutation à titre gratuit, ainsi qu'en matière d'ISF. Dans chacune de ces décisions, les caractéristiques des trusts ont été déterminantes dans l'analyse fiscale. Par exemple, le fait qu'un trust soit révocable et non discrétionnaire a conduit à l'imposition des biens au regard de l'ISF entre les mains du constituant (Cass. com., 31 mars 2009, n° 07-20.219, FS-P+B N° Lexbase : A5124EEI), alors que, pour un trust discrétionnaire, dans la mesure où le trustee dispose d'un pouvoir étendu d'appréciation sur les distributions de revenus ou d'actifs, le juge a considéré que la simple perception de revenus ne conférait pas au bénéficiaire un droit réel sur les biens du trust et a conclu à la non imposition du bénéficiaire à l'ISF (TGI de Nanterre, 4 mai 2004, Poillot).
On le voit, les caractéristiques des trusts sont essentielles pour la qualification fiscale car elles sont susceptibles d'entraîner des conséquences économiques radicalement différentes pour le constituant ou le bénéficiaire.
Or, la définition fiscale du trust ne fait pas référence aux caractéristiques des trusts. C'est en cela que la définition du nouvel article 792-0 bis du CGI ne me parait pas satisfaisante. Elle aura pour conséquence un traitement fiscal uniformisé de trusts de catégories différentes.
La volonté du législateur, telle qu'elle ressort de l'exposé des motifs, a été de confirmer et compléter le régime fiscal des trusts en apportant davantage de sécurité juridique. Mais sécurité juridique ne veut pas dire simplification !
Vous mentionnez à juste titre que les décisions jurisprudentielles ont "tenté" de définir le trust. En effet, cet instrument juridique n'étant pas connu dans notre droit, le juge a dû "emprunter" une qualification du droit français pour appliquer la loi fiscale.
C'est cette situation que le législateur a sans doute voulu éviter. Mais la définition retenue risque de soulever d'autres difficultés.
Le trust se différencie de la fiducie car il résulte d'un acte unilatéral de la part du constituant, alors que la fiducie est un contrat entre le constituant et le fiduciaire. La fiducie, introduite en droit français par la loi du 19 février 2007 (loi n° 2007-211 du 19 février 2007, instituant la fiducie N° Lexbase : L4511HUM), était initialement réservée aux personnes morales, puis a été étendue aux personnes physiques par la loi "LME" (loi n° 2008-776 du 4 août 2008, de modernisation de l'économie N° Lexbase : L7358IAR). Contrairement au trust, la fiducie ne peut être utilisée à des fins libérales. Dans les deux cas, un patrimoine d'affectation est créé.
Lexbase : Comment seront désormais imposés les trusts ?
Marylène Bonnny-Grandil : La loi a instauré un régime fiscal spécifique applicable aux transmissions et à la détention de biens placés en trust.
Les transmissions de biens via un trust qui peuvent être qualifiées de donation ou succession seront taxées selon les principes de droit commun en fonction du lien de parenté entre le constituant et le bénéficiaire.
Dans les autres cas, c'est-à-dire pour les transmissions qui ne peuvent être qualifiées de donations ou successions, une taxation est opérée lors du décès du constituant. Trois cas de figure doivent être envisagés :
- la part attribuée au bénéficiaire est déterminée, la taxation s'effectuera en fonction du lien de parenté avec le constituant ;
- la part transmise est déterminée mais attribuée globalement à des descendants du constituant, la taxation sera de 45 % ;
- dans les autres cas, c'est-à-dire ceux d'une transmission globale incluant des personnes n'étant pas des descendants du constituant, par exemple l'époux ou épouse du constituant, ou encore dans le cas où les biens restent dans le trust, la taxation sera de 60 %.
Par ailleurs, la loi prévoit que le bénéficiaire devient lui-même "constituant fiscal" du trust au décès du constituant originel lorsque les biens restent dans le trust. Cette notion de "constituant fiscal" permet ainsi la taxation des trusts dits "dynastiques" à chaque changement de génération, en l'absence de toute distribution.
La transmission des biens restant dans le trust est taxée lourdement, à 60 %. Cette taxation méconnaît l'objectif des trusts prévoyant la non-distribution des actifs ou leur distribution conditionnelle en vue d'assurer la protection des intérêts d'un ou plusieurs bénéficiaires tout en confiant la gestion de ces actifs à un tiers. De plus, la taxation est, dans ce cas, déconnectée de l'appréhension effective des biens par le bénéficiaire.
La détention du patrimoine via un trust sera désormais taxée à l'ISF dans le patrimoine du constituant et ce, quelles que soient les caractéristiques du trust. De plus, une taxation alternative de 0,5 % de la valeur vénale nette des biens sera opérée dans l'hypothèse où les biens ne seraient pas inclus dans le patrimoine du constituant déclaré à l'ISF.
Or, comme on l'a vu dans l'exemple évoqué précédemment, la Cour de cassation avait conclu à la non-imposition du bénéficiaire d'un trust discrétionnaire. Désormais, cette taxation interviendra même dans le cas d'un trust discrétionnaire et irrévocable en présence d'un bénéficiaire réputé constituant et résident fiscal français.
Ces dispositions s'appliquent bien entendu sous réserve des règles de territorialité et des conventions internationales.
Lexbase : Ces nouvelles règles vont-elles porter un coup d'arrêt aux structurations de patrimoine mettant en jeu des trusts ?
Marylène Bonny-Grandil : La structuration des patrimoines mettant en jeu les trusts devra, bien entendu, prendre en compte l'impact fiscal de cette réforme, pour les constituants et bénéficiaires résidents fiscaux français, mais aussi les constituants et bénéficiaires non résidents, si les trusts incluent des biens situés en France.
D'après nos premières simulations chiffrées, l'incidence financière nécessite de revoir le périmètre des biens inclus dans le trust, l'opportunité de distributions, la question de la résidence fiscale ...
Il est donc impératif d'appréhender l'ensemble des incidences fiscales des biens détenus via un trust et d'en mesurer l'impact.
Si l'objectif poursuivi par le constituant est un objectif patrimonial, par exemple pour les trusts irrévocables et discrétionnaires constitués pour transmettre à un ou plusieurs bénéficiaires des actifs leur procurant des revenus sans pour autant leur distribuer les actifs ni leur en confier la gestion, les trusts continueront à être un instrument privilégié des structurations de patrimoine ou encore de gouvernance d'entreprise.
Toutefois, ces nouvelles règles fiscales risquent de dissuader fortement les constituants ou bénéficiaires étrangers de s'installer en France compte tenu des lourdes conséquences fiscales attachées aux transmissions réalisées par voie de trusts. Dans les situations où les biens restent dans le trust, la taxation intervient en l'absence de toute distribution d'actifs. En ce sens, la jurisprudence antérieure était plus cohérente puisqu'elle retenait le fait générateur de l'impôt au moment de l'enrichissement du bénéficiaire.
Lexbase : Le trust était-il, est-il et sera-t-il un outil d'évasion fiscale illégale ?
Marylène Bonny-Grandil : Il ne faut pas "stigmatiser" le trust en considérant qu'il s'agit d'un outil d'évasion.
Le trust est un outil de gestion patrimoniale destiné à la protection des biens et des intérêts des bénéficiaires. C'est un outil extrêmement souple visant à s'adapter à des situations particulières. Le trust permet, par exemple, de gérer très efficacement les biens des personnes incapables, qu'elles soient majeures ou mineures. Il n'existe rien de comparable dans le droit français, qui ne peut proposer qu'une "judiciarisation" de ces situations. Il est dommage de pénaliser cet outil.
En effet, par ces nouvelles règles, le législateur affiche une véritable défiance vis-à-vis du trust, ce qui aura pour conséquence de mettre la France à l'écart et de créer un mouvement de délocalisation des patrimoines détenus via des trusts hors de France.
Or, les dispositifs anti-abus existants permettent déjà de lutter contre l'évasion fiscale.
En particulier, les obligations déclaratives auxquelles sont désormais soumis les trustee vont encore renforcer l'efficacité de ces dispositifs, en permettant de mieux appréhender la réalité des trusts.
On peut donc regretter que la lourde taxation, dont sont désormais assorties les transmissions via un trust, s'applique à toutes les situations et que la fiscalité n'ait pas été adaptée en fonction des caractéristiques des trusts.
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