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N8356BSB
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par Thierry Lambert, Professeur à l'Université Paul Cézanne Aix-Marseille III
le 27 Octobre 2011
Une consultante dans l'organisation de salons a fait l'objet d'un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle (ESFP). A l'issue de cette procédure, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales, ainsi que des pénalités, ont été mises à sa charge.
Les comptes bancaires de l'intéressée ont fait l'objet d'interrogations, sur le fondement de l'article L. 16 du LPF (N° Lexbase : L5579G4E), qui précise que "l'administration peut demander au contribuable des justifications lorsqu'elle a réuni des éléments permettant d'établir que le contribuable peut avoir des revenus plus importants que ceux qu'il a déclarés". L'administration ne peut pas interroger le contribuable, sur le fondement de l'article L. 16 précité, tant que le vérificateur n'a pas restitué au contribuable les relevés bancaires que celui-ci lui a confiés (CE 8° et 7° s-s-r., 9 janvier 1991, n° 65364 et n° 65365, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9183AQ8, Les petites affiches, 1991, 52, p. 4, concl. Arrighi de Casanova). Les moyens relatifs à la régularité de la demande de justifications se rattachent à la procédure d'imposition (CE 9° s-s., 28 novembre 1984, n° 35759, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7824ALD, RJF, 1985, 1, comm. 111).
En l'espèce, l'examen des crédits bancaires pour lesquels l'administration interroge le contribuable sur le point de savoir quelles sont l'origine et la nature des sommes qui y sont inscrites révèle deux réponses du contribuable qui n'ont pas emporté l'adhésion de l'administration. A suivre la jurisprudence, est considérée comme insuffisante une réponse très incomplète ou évasive, qui ne comporte que des explications de caractère imprécis et invérifiables (CE 5° s-s., 27 janvier 1988, n° 42211, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3398ALG, Droit fiscal, 1988, comm. 1358, concl. Fouquet ; CE 9° et 8° s-s-r., 23 novembre 1998, n° 159470, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9023ASY, RJF, 1999, 1, comm. 4). Cette jurisprudence trouve à s'appliquer lors de la liquidation de bons de caisse anonymes (CE 7° et 8° s-s-r., 2 mars 1983, n° 30372, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8993ALN, RJF, 1983, 5, comm. 593), ou encore lors de la réalisation d'objets mobiliers sans autres justifications (CE ass. plén., 29 décembre 1978, n° 6487, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0224B98, Droit fiscal, 1979, comm. 745).
D'une part, la contribuable explique l'un des crédits comme étant le produit de la vente d'un véhicule, justifié par la photocopie de la carte grise portant la mention manuscrite "vendu le 6 septembre 1999". Il est troublant de constater que la somme litigieuse a été créditée le 21 juillet 1999 alors que la vente serait intervenue le 6 septembre de la même année. Bien que la contribuable ait produit une attestation de vente du véhicule en date du 6 septembre, à un résident suisse, il est surprenant qu'elle n'ait pas été en mesure de produire la copie de la déclaration de cession du véhicule à la préfecture.
D'autre part, la contribuable justifie un autre crédit bancaire par le remboursement fait par un ami d'un cadeau acheté en commun. Elle joint une attestation de la personne qui lui a remboursé ce qui peut, peut-être, être considérée comme une avance. La mention du tireur figure sur le relevé de compte produit. L'argument était d'autant moins dénué d'intérêt que le Conseil d'Etat a jugé acceptables les explications d'un contribuable qui fait valoir que des crédits bancaires peuvent être justifiés lorsque le contribuable fournit des explications d'ordre familial vérifiables ou vraisemblables (CE 9° et 8° s-s-r., 18 mars 1987, n° 54268, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2738AP4, RJF, 1987, 5, comm. 473). Les juges du Palais-Royal se sont parfois montrés magnanimes en acceptant qu'un contribuable justifie des crédits bancaires par des remboursements d'avances consenties en espèces, dès lors que le contribuable apporte divers témoignages (CE 27 juin 1980, n° 18913, Droit fiscal, 1980, comm. 2623).
Dans les deux cas, l'administration a taxé d'office, conformément aux dispositions de l'article L. 69 du LPF (N° Lexbase : L8559AEQ), les sommes en tant que revenus d'origine indéterminée. Un contribuable peut, à bon droit, être taxé d'office à raison des sommes pour lesquelles aucune indication suffisante est donnée, quand bien même il justifie en valeur plus de 95 % des crédits bancaires (CE 7° et 9° s-s-r., 15 avril 1992, n° 78300, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6300ARR, RJF, 1992, 6, comm. 771).
En conséquence, le contribuable qui a fait l'objet d'une imposition d'office ne peut en obtenir la décharge, ou la réduction, qu'en apportant la preuve du caractère exagéré de l'évaluation de ses revenus (LPF, art. L. 193 N° Lexbase : L8356AE9). L'administration précise dans sa doctrine, en ce qui la concerne, que "le droit accordé à l'administration de fixer unilatéralement les bases d'imposition ne confère pas à celle-ci un pouvoir discrétionnaire" (DB 13 O-1212). Elle doit, avant tout, établir qu'elle était en droit de mettre en oeuvre la procédure de demande de justifications.
Il n'est pas inutile de rappeler qu'un contribuable n'apporte pas la preuve d'un emprunt qu'il a contracté s'il ne produit pas les contrats de prêts (CE 3° s-s., 13 juin 1979, n° 13358, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2672AK8, Droit fiscal, 1980, comm. 910, concl. Fabre).
La cour administrative d'appel a suivi l'administration et rejeté la requête du contribuable.
Dans cette affaire, une société a vendu la totalité de ses titres, après la liquidation de ses actifs, à une autre société. Puis, elle a été absorbée par cette dernière. Mais, avant cette fusion, la première société avait acquis des titres de trois sociétés civiles immobilières (SCI) qui lui ont versé des dividendes. Ceux-ci ont bénéficié du régime des sociétés mères. Par ailleurs, la société a déduit de son résultat imposable une provision pour dépréciation des titres litigieux, ce qui lui a permis finalement de dégager un déficit.
L'administration a considéré que ce montage constituait un abus de droit au sens de l'article L. 64 du LPF (N° Lexbase : L4668ICU).
Dans la grande variété des situations constitutives d'abus de droit dans un but exclusivement fiscal, retenons qu'un acte de rachat de titres par une société dont le but est exclusivement d'éluder ou d'atténuer la charge fiscale est sanctionable (CE 7° s-s., 30 juin 1982, n° 16391, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8501AK3, Droit fiscal, 1983, comm. 355, concl. Schricke). Il en va de même d'un acte de constitution de SCI destiné à permettre aux associés l'occupation d'un immeuble à titre de résidence secondaire (CE 9° s-s., 3 octobre 1984, n° 38987, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6647ALR, RJF, 1984, 6, comm. 751).
Le Conseil d'Etat a déjà jugé qu'un montage juridique qui n'a pas d'autre but que celui d'éluder l'impôt dû par une société anonyme sur la plus-value réalisée lors de la cession de terrains à des SCI est constitutif d'abus de droit fiscal (CE 7° et 8° s-s-r., 2 juillet 1986, n° 38610, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3899AMD, Droit fiscal, 1986, comm.2266, concl. Fouquet).
La cour constate, en l'espèce, que la société et les SCI existaient avant l'opération de distribution des dividendes et la constitution de la provision, sans que le bénéfice de l'avantage fiscal ait été permis par l'interposition d'une société spécialement créée à cet effet. Il a été soutenu, sans être démenti, que l'achat des titres des trois SCI répondait à une motivation économique, l'amélioration de la trésorerie de la société.
Il a été jugé que l'apport des titres d'une société anonyme à une société civile, suivi de leur échange et de leur cession par la société civile n'ont pas eu un but exclusivement fiscal, dès lors que le contribuable démontre la réalité de l'activité de la société civile, laquelle, au moyen de l'apport de l'intéressé, a réalisé des investissements professionnels et patrimoniaux (TA Versailles, 13 décembre 2005, n° 0404909, RJF, 2006, 6, comm. 750).
En conséquence, l'administration n'apporte pas la preuve selon laquelle la société aurait procédé à un montage purement artificiel.
De plus, le juge considère qu'au vu des circonstances dans lesquelles elle a été réalisée, l'exonération des dividendes ne viole pas l'article 216 du CGI (N° Lexbase : L0666IPD). D'un point de vue formel, l'exercice de l'option pour le régime des sociétés mères s'effectue par indication portée sur l'un des imprimés joints à la déclaration de résultats. Ne peuvent être regardée comme ayant opté une société qui n'a pas intégré dans le résultat porté sur sa déclaration sa quote-part du boni de liquidation réputé distribué à raison de participations détenues dans une société ayant cessé d'être soumise à l'impôt sur les sociétés, ni ne l'a mentionné dans les déductions au titre du régime des sociétés mères et filiales (CE 9 janvier 2008, n° 302092, RJF, 2008, 4, comm. 412).
Dans cette affaire, les SCI ont été imposées à raison des bénéfices qui ont donné lieu à la distribution des dividendes versés à la société. Enfin, l'absence d'option pour le régime des sociétés mères aurait conduit à une seconde imposition des sommes distribuées à cette dernière société. Il est à noter que l'administration n'a pas remis en cause l'inscription des titres acquis à un compte de valeurs mobilières de placement, ni la constitution de provision.
Dans l'affaire qui nous occupe, la cour administrative d'appel de Paris conclut que l'acquisition de titres par une société qui vend ensuite ses propres titres à une autre société qui l'absorbe n'est pas constitutif d'un abus de droit, dès lors que cette opération, placée sous le régime des sociétés mères (CGI, art. 145 N° Lexbase : L3391IGP), était motivée par un objectif économique. La position du Conseil d'Etat est d'affirmer qu'est constitutive d'abus de droit l'action qui est inspirée exclusivement par le motif d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales, ce qui n'est pas le cas d'un acte de rachat de titres par une société (CE 7° s-s., 30 juin 1982, n° 16391, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8501AK3, Droit fiscal, 1983, comm. 355, concl. Schricke). Le champ d'application du régime fiscal des sociétés mères vise les sociétés qui, ont leur siège soit en France, soit dans un autre Etat, et qui ont en France un établissement au titre duquel elles sont soumises à l'impôt sur les sociétés (CE 10° et 9° s-s-r., 15 décembre 2004, n° 235069, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4486DEU, RJF, 2005, 3, comm. 233, concl. Donnat).
En l'espèce, l'abus de droit n'est pas démontré.
Une société qui exerçait une activité de marchands de biens se trouve être déficitaire. Ceci ne l'empêche pas, dans le cadre d'une opération de fusion, d'imputer ses déficits sur les résultats bénéficiaires d'une société absorbée.
L'administration conteste l'opération sur le fondement de l'article L. 64 du LPF. Elle soutient que la société avait changé d'activité et ne pouvait pas imputer des déficits antérieurs.
Il est de jurisprudence constante qu'il est indispensable que le changement d'activité soit réel, entraînant les conséquences d'une cession d'entreprise et l'impossibilité d'utiliser les déficits. En réalité, l'entreprise change de "métier". Une entreprise qui avait une activité de fabrication de tables et qui passe à une activité de commercialisation de vélos est une entreprise qui a changé d'activité.
Dans le principe, l'absorption de la société bénéficiaire par le société déficitaire ne constitue pas un abus de droit (CE 7° et 9° s-s-r., 21 mars 1986, n° 53002, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3855AMQ, RJF, 1986, 5, comm. 470). Par exemple, l'administration ne peut soutenir que le chiffre d'affaires de la société absorbante est deux fois inférieur à celui de la société absorbée, dès lors qu'il ressort des écritures comptables de la première société que celle-ci a connu une augmentation très importante de son chiffre d'affaires par l'apport, concomitant au traité de fusion de nouvelles enseignes et qu'elle dépasse par son chiffre d'affaires, mais aussi en personnel, la société absorbée (CAA Paris, 5ème ch., 18 juin 2007, n° 06PA001941, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2232DXX, RJF, 2007, 12, comm. 1390, note Fouquet).
L'absorption d'une société par une autre ayant le même objet et la même activité, mais dont le chiffre d'affaires est très inférieur, n'entraîne pas la création d'un être moral nouveau, même si la dénomination de la société absorbante, ainsi que la répartition de son capital, ont été modifiées lors de la fusion, à condition que l'objet social et la nature de l'activité exercée soient restés les mêmes. Dans cette hypothèse, l'administration n'établit pas l'abus de droit car l'opération n'a pas eu un caractère fictif et répond à un intérêt économique, chose que ne conteste pas l'administration (CE 7° et 9° s-s-r., 21 mars 1986, n° 53002, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3855AMQ, RJF, 1986, 3, comm. 267, concl. Fouquet).
En outre, elle qualifie de fraude à la loi l'utilisation des avoirs fiscaux obtenus par la société à raison des dividendes versés par deux sociétés dont elle a acquis une partie des actions. Dans une affaire sortant du champ d'application de la procédure de répression des abus de droit, le juge peut appliquer la théorie de la fraude à la loi (CE Section, 27 septembre 2006, n° 260050, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3224DRT, Droit fiscal, 2006, 47, comm. 744, concl. Olléon).
A la suite de la cession de ces titres, l'administration a constaté que les dividendes perçus n'avaient supporté aucune imposition car leur montant avait été très précisément neutralisé par la moins-value.
A suivre la cour, concernant les déficits, le fait que la société requérante ait apporté un immeuble à une société, et ait obtenu des actions en contrepartie, dont la dépréciation a entraîné la constitution d'une provision qui est à l'origine d'une partie importante des déficits, n'est pas de nature à prouver que cette société a cessé son activité de marchand de biens, d'autant qu'elle n'a pas modifié son objet social.
L'objectif de la fusion était de permettre une simplification des structures et de la gestion comptable et financière des deux sociétés.
Enfin, concernant l'avoir fiscal, aujourd'hui disparu (CGI, art. 158 bis, plus en vigueur N° Lexbase : L2613HLD), le juge rappelle que la volonté du législateur était de favoriser l'actionnariat des entreprises et d'éliminer la double imposition qui frappait les dividendes. Le droit à l'avoir fiscal n'était nullement subordonné à une durée minimum de détention des titres, avant ou après la mise en paiement des dividendes auxquels il est attaché. S'agissant des personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés, l'avoir fiscal est un moyen de paiement de l'impôt.
Il avait été jugé que l'administration ne peut remettre en cause l'utilisation abusive par une société de l'avoir fiscal sur le fondement de l'abus de droit, mais elle pouvait se placer sur le terrain plus général de la fraude à la loi (CE 8° et 3° s-s-r., 7 septembre 2009, n° 305586, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8913EKC).
Tout ceci conduit à considérer que l'administration ne rapporte pas la preuve que l'opération ait eu un but exclusivement fiscal.
En conséquence, la cour administrative d'appel donne raison à la société qui ne s'est pas rendue coupable d'abus de droit fiscal par l'opération menée, celle-ci lui permettant d'imputer ses déficits sur les résultats bénéficiaires de la société absorbée. La simplification des structures et l'utilisation d'une trésorerie sont des objectifs économiques excluant la qualification d'abus de droit, et l'avoir fiscal, quand il existait, n'était pas subordonné à une condition de durée de détention.
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