Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 10 février 2017, n° 383329, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9955TMN)
Lecture: 13 min
N6955BWI
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Marie-Astrid de Barmon, Rapporteur public au Conseil d'Etat
le 09 Mars 2017
Les faits à l'origine du litige sont les suivants. Par un arrêté du 26 janvier 2004, le maire de la commune de Saint-Gilles, dans le Gard, a accordé à la société X une autorisation de lotir en vue de réaliser un village équestre. Le préfet a toutefois pointé les difficultés liées au système d'évacuation des eaux pluviales soulevées par ce projet. A sa demande, le maire a retiré le permis de lotir par un arrêté du 29 avril 2004. La société X a saisi le tribunal administratif de Nîmes, qui a annulé le retrait du permis pour un motif de procédure et rétabli la requérante dans ses droits par un jugement du 8 décembre 2006, devenu définitif.
Les services de l'eau et de la police des milieux aquatiques de la préfecture ont néanmoins rappelé à la société que le dispositif de rejet des eaux pluviales nécessitait une autorisation au titre de la loi sur l'eau, en vertu du I de l'article L. 214-3 du Code de l'environnement (N° Lexbase : L4464HWA). La préfecture lui a délivré cette autorisation le 29 octobre 2008.
La SARL a alors demandé à la communauté d'agglomération Nîmes-Métropole et à la commune de Saint-Gilles d'autoriser les travaux de raccordement aux réseaux publics d'eaux potables et d'eaux usées.
La communauté d'agglomération a toutefois refusé d'y donner son aval par une décision du 27 mai 2009. De son côté, le maire de Saint-Gilles a estimé que le permis de lotir était devenu caduc, faute pour son titulaire d'avoir commencé les travaux d'aménagement avant l'expiration, le 15 juin 2008, du délai de dix-huit mois suivant la notification du jugement du tribunal. Le 26 novembre 2009, il a en conséquence pris un arrêté interruptif des travaux qui avaient enfin débuté sur la parcelle.
La SARL a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler ces deux dernières décisions, mais il a cette fois-ci rejeté ses prétentions par des jugements que la cour administrative d'appel de Lyon a confirmés dans un arrêt du 3 juin 2014 (CAA Lyon, 1ère ch., 3 juin 2014, n° 11LY21932 N° Lexbase : A6186MSW). C'est contre cet arrêt que la SARL se pourvoit régulièrement en cassation.
Quelques indications préalables sur la computation du délai de péremption du permis de lotir en litige et l'application dans le temps des règles d'urbanisme en la matière sont indispensables pour s'assurer de l'opérance du premier moyen de la société, qui, disons-le d'emblée, nous semble non seulement opérant mais fondé.
Sous l'empire de l'article R. 315-30 (N° Lexbase : L8113ICH) applicable à la date de sa délivrance, en janvier 2004, l'autorisation de lotir accordée à la société requérante avait une durée de validité de dix-huit mois. Ce délai de caducité a été presqu'aussitôt interrompu par la décision de retrait du permis, et ce jusqu'au prononcé du jugement définitif du tribunal administratif annulant cette décision de retrait. Vous savez en effet que, dans un tel cas de figure, le délai de caducité n'est pas simplement suspendu mais interrompu. L'absence d'exécution des travaux étant imputable au fait de l'administration, l'annulation contentieuse de l'acte administratif qui y a illégalement fait obstacle replace le bénéficiaire de l'autorisation dans la situation dans laquelle il se trouvait à la date de sa délivrance. Le permis initial est rétabli et un nouveau délai de péremption entier recommence à courir à compter de la date de lecture (1) de la décision juridictionnelle d'annulation (pour une autorisation de lotir, voyez CE, 16 juin 1995, n° 118752 N° Lexbase : A4396AN7, aux Tables ; pour un permis de construire, CE, 30 juillet 2003, n° 255368 N° Lexbase : A2625C94, aux Tables ; et pour l'autorisation d'exploiter les ICPE, CE, 22 mai 2012, n° 339504 N° Lexbase : A0909IMM, aux Tables). En l'espèce, le délai de péremption de dix-huit mois a recommencé à courir le 8 décembre 2006 et devait théoriquement expirer en juin 2008 comme l'indique l'arrêté attaqué.
Or, avant que ce terme soit échu, est entré en vigueur le décret (2) du 5 janvier 2007 qui a aligné la durée de validité de l'autorisation de lotir sur celle du permis de construire, en instituant un article R. 424-17 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L7573HZI) la portant à deux ans. L'article 26 de ce décret prévoit certes que les demandes de permis déposées avant le 1er octobre 2007 demeurent soumises aux règles de compétence, de forme et de procédure en vigueur à la date de leur dépôt. Toutefois, la péremption n'étant pas une règle de procédure mais de fond, le nouvel article R. 424-17 s'est immédiatement appliqué aux permis dont le délai de validité n'était pas expiré à la date de publication du décret, comme vous l'avez jugé à propos du décret d'août 1981 portant d'un à deux ans le délai de caducité du permis de construire dans votre décision "Régie nationale des usines Renault" du 5 décembre 1984, au Rec. (CE, n° 23380 N° Lexbase : A3038AL4). Dans l'arrêt attaqué, la cour a donc eu raison de juger que l'arrêté interruptif des travaux pour caducité en litige trouvait son fondement légal dans les dispositions de l'article R. 424-17 du Code de l'urbanisme qu'elle a substituées à celles de son ancien article R. 315-30, et d'affirmer que le délai imparti à la société pour engager les travaux était de deux ans.
Non seulement le décret de 2007 prolongeait jusqu'au 8 décembre 2008 la validité du permis de lotir consenti à la SARL, mais il ajoutait au Code de l'urbanisme un article R. 424-20 (N° Lexbase : L7576HZM), que vous n'avez encore jamais eu l'occasion d'appliquer, prévoyant que, lorsque le commencement des travaux est subordonné à une autorisation ou à une procédure prévue par une législation autre que le droit de l'urbanisme, le délai de péremption de deux ans ne commence à courir qu'à compter de la date à laquelle les travaux peuvent commencer en application de cette législation, si elle est postérieure à la date de notification de l'autorisation d'urbanisme. Autrement dit, dans les cas où la réalisation des travaux est différée en raison d'une autre législation, le début du délai de péremption du permis l'est aussi. Cette règle relative à la caducité des autorisations de construire est elle aussi une règle de fond qui était immédiatement applicable au permis de la société X.
C'est donc par un moyen opérant qu'elle s'est prévalue de ces dispositions devant la cour, en faisant valoir que les travaux d'aménagement du lotissement étant subordonnés à l'obtention de l'autorisation requise au titre de la loi sur l'eau, le délai de péremption de son permis de lotir n'avait pu commencer à courir qu'à compter de la date de délivrance de cette autorisation.
Elle rappelait que si elle avait entrepris les travaux avant de l'obtenir, elle se serait exposée à des mesures conservatoires édictées sur le fondement de l'article L. 216-1-1 alors applicable du Code de l'environnement (N° Lexbase : L4486HW3) pour faire cesser des travaux réalisés sans avoir fait l'objet de l'autorisation prévue au titre de la loi sur l'eau, et aurait été passible d'une peine de deux ans d'emprisonnement et d'une amende de 18 000 euros en application de l'article L. 216-8 alors en vigueur de ce code (N° Lexbase : L2221IEY). Elle aurait en outre pris le risque économique de devoir reprendre les travaux si l'autorisation délivrée ultérieurement avait été assortie de prescriptions qu'elle n'avait pas anticipées, voire de tout perdre si l'autorisation lui était in fine refusée, de sorte que le titulaire d'une autorisation de lotir ne peut sérieusement envisager de commencer les travaux tant qu'il n'a pas obtenu l'autorisation au titre de la loi sur l'eau.
La société précisait aussi qu'il était en pratique impossible d'isoler, au sein des travaux autorisés par le permis de lotir, ceux qui auraient pu débuter sans attendre l'issue de cette procédure distincte. Elle expliquait, non sans vraisemblance, que tous les travaux de lotissement avaient un impact sur la gestion des eaux : la réalisation des travaux de voirie suppose au préalable une imperméabilisation des sols, et la viabilisation de chaque parcelle nécessite la construction des réseaux d'assainissement et de bassins de rétention d'eau.
Cette argumentation, qui ne manquait pourtant pas de force, n'a pas convaincu la cour. Elle a jugé que le permis de lotir et l'autorisation relative à la loi sur l'eau étant accordés en vertu de législations distinctes et selon des procédures indépendantes, la circonstance que la seconde était en cours d'instruction ne faisait pas obstacle à ce que les travaux autorisés par le premier soient réalisés. Puis, elle a affirmé, avec un maniement audacieux de la double négation, qu'il ne ressortait pas des pièces du dossier qu'en l'espèce aucun des travaux autorisés par l'autorisation de lotir ne pouvait débuter indépendamment de l'obtention de l'autorisation au titre de la loi sur l'eau. Les juges d'appel en ont conclu que la société requérante ne pouvait utilement invoquer les dispositions de l'article R. 424-20 du Code de l'urbanisme, si bien que l'autorisation de lotir était devenue caduque le 9 décembre 2008 et que la communauté d'agglomération et la commune étaient tenues de rejeter les demandes de la SARL. La société soutient que la cour a commis une erreur de droit en lui refusant ainsi le bénéfice du dispositif de péremption différée prévu par l'article R. 424-20.
L'affirmation de la cour selon laquelle une partie des travaux autorisés en l'espèce, qu'elle se garde de préciser, aurait pu être débutée indépendamment de l'autorisation au titre de la loi sur l'eau, révèle sans doute une première erreur de droit, car les dispositions de l'article R. 424-20 n'invitent pas à diviser ainsi les travaux autorisés par un unique permis pour apprécier le point de départ de son délai de caducité. Mais le premier temps du raisonnement de la cour, opposant l'indépendance des législations à la mise en oeuvre de l'article R. 424-20, nous semble entaché d'une erreur de droit plus fondamentale.
Les deux collectivités défenderesses invoquent en vain votre jurisprudence découlant de ce principe au soutien de l'arrêt attaqué, car l'article R. 424-20 a justement pour objet d'y déroger.
La seconde ligne de défense des collectivités et du ministre du logement et de l'habitat durable est plus intéressante. Elle déplace quelque peu les termes du débat, mais n'en est pas moins recevable dès lors qu'elle soulève une question de champ d'application de la loi. Ils font valoir qu'à l'époque des faits, l'autorisation exigée par l'article L. 214-3 du Code de l'environnement ne faisait pas partie de la liste limitative des autorisations requises au titre de législations distinctes des règles d'urbanisme susceptibles de repousser le point de départ du délai de péremption de l'autorisation d'urbanisme en application de l'article R. 424-20 du Code de l'urbanisme.
Selon cette thèse, le Code de l'urbanisme énumère de manière expresse et exhaustive les situations dans lesquelles le déclenchement du délai de péremption de l'autorisation d'urbanisme est différé dans l'attente d'une autorisation ou de l'issue d'une procédure indépendantes. D'après le ministre, le périmètre de l'article R. 424-20 serait plus précisément limité aux cas de figure envisagés aux sections II et IV du chapitre V du titre II du livre IV de la partie réglementaire du Code de l'urbanisme, qui organisent l'articulation des autorisations d'urbanisme avec les législations et procédures relatives aux monuments historiques, aux parcs nationaux, aux zones agricoles protégées, aux sites inscrits ou encore à l'archéologie préventive. Or, à l'époque des faits, le Code de l'urbanisme ne comportait aucune disposition de coordination entre les autorisations d'urbanisme et la législation de protection de l'eau : c'est l'ordonnance du 25 mars 2016 qui a tardivement comblé cette lacune en y créant l'article L. 425-14 alors applicable (N° Lexbase : L3832K73) qui dispose désormais que l'autorisation de construire ne peut être mise en oeuvre avant la décision d'autorisation ou de non-opposition prévue à l'article L. 214-3 du Code de l'environnement.
Vous pourriez être tentés de suivre le ministre et les collectivités défenderesses dans cette lecture restrictive de l'article R. 424-20 du Code de l'urbanisme car ses dispositions instituent une double exception, d'une part à la règle générale assignant pour point de départ au délai de péremption des autorisations d'urbanisme expresses le jour de leur notification au pétitionnaire, et d'autre part au principe d'indépendance des législations. Leur interprétation a aussi le mérite, au moins à première vue, de limiter les incertitudes sur le champ d'application de cet article et donc sur la caducité des autorisations dans un droit de l'urbanisme où la sécurité juridique est essentielle.
Toutefois, la formulation de l'article R. 424-20 est très générale et ne comporte pas de renvoi invitant à en faire une lecture combinée avec le chapitre V du même titre consacré aux "opérations soumises à un régime d'autorisation prévu par une autre législation", dont l'objet est autre. L'essentiel de ce chapitre coordonne la délivrance des autorisations d'urbanisme avec celles exigées par d'autres législations, en repoussant l'octroi des premières après l'obtention des secondes ou en dispensant de permis des opérations approuvées au titre de législations distinctes, alors que l'article R. 424-20 régit la péremption d'une autorisation d'urbanisme déjà accordée.
En réalité, seuls deux articles du chapitre V prévoient des hypothèses de différés d'exécution des travaux : l'article R. 425-30 (N° Lexbase : L7609HZT) interdisant d'engager des travaux en site inscrit avant l'expiration d'un délai de quatre mois à compter du dépôt de la demande de permis ou de la déclaration de travaux, et l'article R. 425-31 (N° Lexbase : L8712ICN) faisant obstacle à l'exécution des travaux avant l'achèvement des opérations d'archéologie préventive. L'on trouve à l'inverse dans la partie législative du code d'autres hypothèses où la réalisation de travaux est différée par mesure de coordination avec d'autres législations, ce qui illustre la difficulté de cibler de manière pertinente les dispositions du code qui délimiteraient le champ d'application de l'article R. 424-20 : c'est le cas notamment des travaux destinés à changer l'usage de locaux d'habitation (C. urb., art. L. 425-9 N° Lexbase : L3456HZZ), de ceux portant sur des installations classées soumises à autorisation (C. urb., art. L. 425-10 N° Lexbase : L6413LCI) et les installations nucléaires de base (C. urb., art. L. 425-12 N° Lexbase : L9105ITE).
Surtout, il nous semble que la péremption différée du permis a autant de raison d'être économiques et juridiques lorsque l'engagement des travaux est paralysé dans l'attente d'une autorisation au titre de la loi sur l'eau (loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 N° Lexbase : L9269HTH) que de l'achèvement de fouilles préventives. L'autorisation au titre de la loi sur l'eau était un préalable indispensable à l'engagement des travaux de lotissement, comme les services de l'Etat l'ont d'ailleurs plusieurs fois rappelé à la société X.
Pour ces raisons, nous vous invitons à retenir une interprétation pragmatique de la péremption différée prévue à l'article R. 424-20, conçue pour tenir compte des difficultés concrètes posées aux porteurs de projets par la multiplicité des autorisations parfois nécessaires à leur accomplissement, en jugeant qu'elle s'applique à toutes les autorisations ou procédures distinctes des règles d'urbanisme auxquelles est subordonné le commencement effectif des travaux, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que le différé de travaux en question n'ait pas été expressément envisagé par le code de l'urbanisme. Juger le contraire inciterait les titulaires d'autorisations d'urbanisme à engager illégalement les travaux sans attendre l'octroi des autorisations requises par d'autres législations pour préserver leurs droits.
Quoi qu'il en soit, la cour a clairement méconnu la portée de l'article R. 424-20 en refusant d'en faire application au bénéfice de la société X au motif que la loi sur l'eau et les règles d'urbanisme constituaient des législations distinctes.
La censure de ce motif entraîne la cassation totale de l'arrêt qui fait masse des décisions de la communauté d'agglomération et du maire de la commune. La caducité du permis n'épuisant pas les questions juridiques qui étaient soumises à la cour, vous lui renverrez l'affaire.
Vous pourrez mettre à la charge de la communauté d'agglomération et de la commune le versement à la société X d'une somme globale de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles. L'article L. 761-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3227AL4) fait en revanche obstacle à ce que vous fassiez droit à la demande présentée au même titre par les deux collectivités.
Tel est le sens de nos conclusions dans cette affaire.
(1) La décision "Chabran et autres" du 6 avril 2007 (n° 296493 N° Lexbase : A9363DUC, aux Tables) jugeant que, lorsqu'un permis de construire est retiré et que ce retrait est annulé, le permis initial est rétabli à compter de la date de lecture de la décision juridictionnelle prononçant cette annulation nous semble avoir pour conséquence de revenir sur la décision "Laugier" (CE, 16 juin 1995, n° 118752, préc.) retenant comme point de départ du nouveau délai la date de notification de cette décision, sauf à créer un décalage inopportun entre la date à laquelle le permis recommence à produire des effets de droit au profit de son titulaire et celle à laquelle son délai de péremption recommence à courir.
(2) Décret n° 2007-817 du 11 mai 2007, relatif à la restauration immobilière et portant diverses dispositions modifiant le Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L5074HX9).
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:456955