Réf. : Cass. civ. 2, 23 février 2017, n° 16-15.493, F-P+B+I (N° Lexbase : A6909TN9)
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par Sylvian Dorol, Huissier de justice, Chargé d'enseignement (Paris I Sorbonne/Normandie), Collaborateur de l'Ecole nationale de procédure
le 09 Mars 2017
Dans l'espèce commentée, un créancier institutionnel français poursuivait un débiteur domicilié au Maroc. Il l'assigna dans les formes prévues par la Convention entre la France et le Maroc du 5 octobre 1957 d'aide mutuelle judiciaire, d'exequatur des jugements et d'extradition et protocole, mais aucun retour de l'assignation n'eut lieu avant la date de l'audience. Le créancier invoqua donc le bénéfice de l'application de l'article 688 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L4839ISZ) qui autorise le juge à statuer au fond si, notamment, un délai d'au moins six mois s'est écoulé depuis l'envoi de l'acte et qu'aucun justificatif de remise de l'acte n'a pu être obtenu nonobstant les démarches effectuées auprès des autorités compétentes de l'Etat où l'acte doit être remis. Pour prouver ce dernier point, il se prévalait d'un écrit de l'huissier de justice ayant transmis à l'acte au Maroc établissant qu'aucun document de signification n'était revenu de l'entité du requis. La question se posait donc de savoir si cet écrit de l'huissier de justice français suffisait à caractériser une démarche effectuée auprès des autorités compétentes de l'Etat où l'acte doit être remis. La cour d'appel (2) avait répondu que l'article 688 du Code de procédure civile n'exige pas la preuve par l'huissier significateur des démarches effectuées auprès des autorités compétentes de l'Etat où l'acte doit être remis, et avait donc admis cet écrit. La Cour de cassation ne partage cependant pas son avis et casse l'arrêt.
Il incombe donc à l'huissier de justice d'effectuer les démarches auprès des autorités compétentes de l'Etat où l'acte doit être remis pour que les dispositions de l'article 688 du Code de procédure civile reçoivent application.
Il s'agit là d'une décision très intéressante (la première à la connaissance de l'auteur), qui jette la lumière sur un point méconnu du droit et source de nombreuses difficultés : l'échec de la signification internationale. Si des solutions existent en la matière (I), la preuve de l'échec est bien souvent affaire de casuistique (II).
I - Les solutions à l'échec de la signification internationale
Parce que la signification internationale ne se heurte pas seulement à des difficultés d'ordre géographique (A), les textes ont prévu des solutions en cas d'échec (B).
A - Les causes
Outre les milliers de kilomètres qui peuvent séparer le destinataire de l'acte du demandeur, la principale difficulté en matière de signification internationale est l'écoulement du temps. Sur ce point, il est possible de lire sur la page internet "Entraide civile internationale" du ministère de la Justice (3) un avertissement aux termes duquel "la transmission d'un acte aux fins de notification internationale à son destinataire s'accomplit en fonction des règles applicables, issues le cas échéant d'un accord ou d'une convention. Le circuit qui découle de ces règles peut être plus ou moins direct et plus ou moins long, chaque étape correspondant à un nécessaire délai de traitement de la demande de notification. Ainsi, aux délais de traitement requis pour le traitement de la demande en France, s'ajoutent les délais de traitement nécessaires aux différentes autorités qui interviennent dans l'Etat de destination. Ces délais, par essence aléatoires et variables, ne font pas l'objet d'informations officielles communiquées par avance par les Etats. Toutefois, l'observation empirique conduit à constater qu'est généralement exigé un délai suffisant -qui ne saurait être inférieur à plusieurs semaines à compter de la réception de l'acte par l'Etat requis- pour que puisse être donné une suite effective à toute demande de notification. Il importe dès lors d'avoir soin de prévoir un délai raisonnablement suffisant entre la transmission de l'acte et la date de convocation ou de comparution".
Le délai de la signification internationale est donc une difficulté notoire, au point qu'il soit possible d'imaginer "qu'une assignation [...] parvienne [au destinataire] après la date de l'audience à laquelle il est censé comparaître, ce qui est pour le moins fâcheux" (4). Mais il n'est pas possible d'exiger du requérant à l'acte d'attendre ad vitam aeternam la signification de l'acte à son destinataire demeurant à l'étranger, et la justice française ne peut surseoir indéfiniment à la faveur des diligences d'un agent significateur étranger. Des solutions existent donc pour parer à l'écoulement d'un délai de signification excessif.
B - Solutions
Heureusement, la solution à l'écoulement d'un délai excessif de signification est prévue par le droit interne français, et plus particulièrement par les dispositions de l'article 688 du Code de procédure civile. Aux termes de son deuxième alinéa, "s'il n'est pas établi que le destinataire d'un acte en a eu connaissance en temps utile, le juge saisi de l'affaire ne peut statuer au fond que si les conditions ci-après sont réunies : l'acte a été transmis selon les modes prévus par les règlements communautaires ou les traités internationaux applicables ou, à défaut de ceux-ci, selon les prescriptions des articles 684 (N° Lexbase : L6870H7L) à 687 ; un délai d'au moins six mois s'est écoulé depuis l'envoi de l'acte ; aucun justificatif de remise de l'acte n'a pu être obtenu nonobstant les démarches effectuées auprès des autorités compétentes de l'Etat où l'acte doit être remis".
Il faut donc la réunion de ces trois conditions cumulatives pour qu'un jugement puisse être rendu contre une personne demeurant à l'étranger et dont on ignore si elle a reçu l'acte qui lui était destiné.
C'est la troisième condition qui posait des problèmes d'interprétation dans l'espèce commentée. Comment comprendre la formule aux termes de laquelle "aucun justificatif de remise de l'acte n'a pu être obtenu nonobstant les démarches effectuées auprès des autorités compétentes de l'Etat où l'acte doit être remis" ? Quelles sont les démarches, et qui doit les effectuer en pareille hypothèse ? L'interrogation est cruciale, tant la réponse influera les droits de la partie adverse, et se présente pour la première fois devant la Cour de cassation.
II - La preuve de l'échec de la signification internationale
Comment et qui doit prouver l'échec de la signification internationale dans la formule de l'article 688 du Code de procédure civile ? La réponse à cette interrogation nécessite de déterminer qui supporte la charge de la preuve de l'échec de la signification internationale (A), ainsi que son objet (B).
A - Charge de la preuve
La cour d'appel de Dijon, le 17 décembre 2015 (5), avait retenu que l'article 688 du Code de procédure civile n'exige pas la preuve par l'huissier significateur des démarches effectuées auprès des autorités compétentes de l'Etat où l'acte doit être remis. Aux termes de sa réflexion, l'huissier de justice n'avait donc pas à justifier de ses diligences effectuées en vue d'obtenir le résultat de la signification à l'étranger.
C'est pourtant là une mauvaise application de la loi, ce pourquoi la Cour de cassation casse l'arrêt précédemment évoqué en ces termes : "qu'en statuant ainsi, sans qu'il ait été justifié des démarches effectuées en vue d'obtenir un justificatif de remise de l'acte auprès des autorités compétentes de l'Etat où l'acte devait être remis, la cour d'appel a violé les textes susvisés".
Etonnamment, la Cour de cassation ne précise pas qui doit prouver l'échec de la signification internationale, étant ici précisé qu'il s'agit d'une preuve négative : l'impossibilité d'obtenir un justificatif de remise de l'acte suffit à caractériser l'échec de la signification internationale. Cette absence de précision n'est cependant pas préjudiciable puisqu'il semble logique que la preuve de l'échec de la signification internationale incombe à celui qui peut y procéder : l'huissier de justice. C'est un parallélisme des formes logique, mais qui place cet officier public et ministériel dans une délicate position : comment obtenir cette preuve négative puisqu'aucune procédure n'est prévue en pareille hypothèse ?
B - Objet de la preuve
Contrairement à la signification européenne, où l'échec de la signification est expressément envisagé (l'entité requise, c'est-à-dire l'agent significateur, informe positivement l'entité d'origine, c'est-à-dire l'huissier de justice, au moyen du formulaire 6 prévu à l'article 10 du Règlement relatif à la signification et à la notification dans les Etats membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale (6). Il l'informe également si la signification n'a pu intervenir dans le délai d'un mois à compter de la réception de l'acte, rien n'est spécialement prévu en matière de signification internationale.
L'huissier de justice se trouve donc esseulé, condamné à improviser pour satisfaire aux dispositions de l'article 688 du Code de procédure civile. Aux termes de l'arrêt commenté, il lui incombe donc de s'enquérir régulièrement de l'état d'avancement de la signification dans le pays étranger, en sollicitant au besoin des services postaux locaux une attestation établissant la bonne réception de l'acte (transmis par pli recommandé) à l'autorité étrangère et à son destinataire (7) (par chance, les services postaux étrangers, à l'instar de la Poste, permettent bien souvent d'obtenir ce type de documents par internet en renseignant simplement le numéro de recommandé). Le fait pour l'huissier de justice d'attester ne pas avoir reçu de retour de l'acte transmis, comme en l'espèce, est donc insuffisant.
Il ne faut pas croire que l'arrêt commenté impose à l'officier public et ministériel français de prouver les diligences effectuées par l'agent significateur étranger : il lui incombe seulement de prouver ses diligences pour obtenir une réponse de l'Etat étranger, dont le silence laissera présumer de l'échec de la signification internationale et la possibilité de se prévaloir des dispositions de l'article 688 du Code de procédure civile.
Comme il a été précédemment exposé, la signification internationale est une affaire de spécialistes. Spécialistes juridiques et professionnels spécialisés. Les délais de signification peuvent pour partie être expliqués par la diversité des agents significateurs : selon les pays, la signification peut être assurée par des sociétés privées (8), des fonctionnaires (9), des professionnels libéraux (10)... Tous ces acteurs ont des formations différentes (11), et des outils de travail plus ou moins efficaces. Et chaque pays a son propre système juridique, relevant de la Common law, de la Civil law, ou d'un système mixte... De cette diversité découlent les forces et faiblesses de la signification internationale, qui ne doivent cependant pas affecter le principe du contradictoire, comme le rappelle l'arrêt commenté.
(1) Sur la question : Cass. civ. 1, 19 décembre 2012, n° 11-21.688, F-P+B+I (N° Lexbase : A1592IZY) ; Cass. civ. 2, 5 juin 2014, n° 13-13.765, F-P+B (N° Lexbase : A2843MQD), Dr et proc., 2014, p. 137, note S. Dorol.
(2) CA Dijon, 17 décembre 2015, n° 15/00 034 (N° Lexbase : A9831NZ7).
(3) Voir site internet : http://www.justice.gouv.fr/europe-et-international-10045/entraide-civile-internationale-11847/
(4) J. Héron, Droit judiciaire privé, Montchrestien, 3ème éd., par T. Le Bars, Domat, 2006, p. 146, n° 177
(5) CA Dijon, 17 décembre 2015, n° 15/00034 (N° Lexbase : A9831NZ7).
(6) Règlement (CE) n° 1393/2007 du Parlement européen et du Conseil, 13 novembre 2007, relatif à la signification et à la notification dans les Etats membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale ("signification ou notification des actes"), et abrogeant le Règlement (CE) n° 1348/2000 du Conseil (N° Lexbase : L4841H3P).
(7) C. pr. civ., art. 686.
(8) Etats-Unis par exemple.
(9) Irlande, Royaume-Uni par exemple.
(10) Belgique, France par exemple
(11) Les huissiers de justice français figurent parmi les seuls agents significateurs à justifier d'une formation initiale supérieure (Bac+6, souvent Bac+7, en droit) et être astreints à la formation continue.
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