La lettre juridique n°280 du 8 novembre 2007 : Internet - Bulletin d'actualités n° 9

[Panorama] Bulletin d'actualités Clifford Chance - Département Communication Média & Technologies - Octobre 2007

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le 07 Octobre 2010

Tous les mois, Marc d'Haultfoeuille, avocat associé chez Clifford Chance, vous propose de retrouver l'actualité juridique en matière de Communication Média & Technologies. A noter, ce mois-ci, la publication de la loi tendant à renforcer les mesures de lutte contre la contrefaçon, un arrêt de la cour d'appel de Paris qui refuse de considérer l'exécution d'une simple prestation technique d'enregistrement vidéo comme une démonstration suffisante de l'existence de droits d'auteur ou de réalisateur, de nature à permettre de prononcer des mesures en référé et, enfin, un jugement du tribunal de grande instance de Nanterre, statuant en matière correctionnelle, qui sanctionne la mise en place d'un jeu de poker illicite sur internet.

I - Internet

  • Le tribunal de grande instance de Nanterre, statuant en matière correctionnelle, sanctionne la mise en place d'un jeu de poker illicite sur internet : TGI Nanterre, 15ème ch., corr., 15 mars 2007, Ministère public c/ Groupe Partouche International (N° Lexbase : A3567DZ7)

Faits :

En l'espèce, il était reproché à Raymond P. et Pascal P. d'avoir participé, sur le territoire français, en 2005 et 2006, à la tenue d'une maison de jeux de hasard où le public était librement admis, par la mise en place et l'exploitation du site www.poker770.com.

Il était reproché à Patrick P. la complicité par aide et assistance de Raymond P. et Pascal P. du fait de les avoir aidés sciemment par la signature d'un contrat de licence de marques avec le Groupe P. International, dont le siège social est situé en Belgique. Ce contrat autorisait l'utilisation du nom P., favorisait la mise en place, l'exploitation et le succès du site et prévoyait le paiement de redevances d'utilisation de la marque P..

Une enquête a été diligentée sur le site internet www.poker770.com afin de définir s'il s'agissait d'un site illicite de jeux de hasard en ligne et d'en rechercher les créateurs, propriétaires et hébergeurs.

Dans les faits, le site internet www.poker770.com n'avait pas été déclaré auprès du ministère de l'Intérieur et avait été créé par la société Mandarin Data Processing en 2005, dont le siège social était situé à Belize. Cette société avait pour objet de développer, commercialiser et d'administrer des casinos en ligne pour son compte et le compte de tiers.

Le juge a considéré que le site était un jeu de hasard ouvert au public, par lequel les joueurs pouvaient miser de l'argent par carte de crédit ou transfert bancaire et que le site était en français et accessible en France.

Raymond P. et Pascal P. estimaient que le tribunal correctionnel de Nanterre n'était pas compétent au motif qu'aucun critère de compétence ne pouvait être retenu et que la loi pénale ne pouvait s'appliquer car le site incriminé n'était pas une maison de jeux.

Enfin, les prévenus détenteurs de la marque faisaient valoir qu'ils avaient demandé au titulaire du site la mise en place d'un filtre pour empêcher les paiements effectués au moyen de cartes bancaires françaises.

Décision :

Le tribunal a retenu sa compétence dans la mesure où le site www.poker770.com était rédigé en français et accessible en France.

Par ailleurs, le tribunal a constaté une infraction à l'article 1er de la loi du 12 juillet 1983 (loi n° 83-628, relative aux jeux de hasard N° Lexbase : L0919HUL), dans la mesure où le site www.poker770.com était accessible aux internautes français, qu'il s'agissait d'une maison de jeux de hasard et que la salle de poker était accessible au public de manière continue.

Le tribunal a, également, énoncé que le contrat de licence de marque signé par les prévenus permettait au site illicite, mis en place par les prévenus, d'être connu et accessible de manière continue aux joueurs et que le filtre installé, pour ne pas accepter les cartes bancaires françaises et suisses, était inopérant. Cette démarche non vérifiable marquait ainsi l'intention délictueuse des co-prévenus.

En conséquence, le tribunal a condamné Raymond P., Pascal P. et Patrick P. à douze mois d'emprisonnement avec sursis, ainsi qu'au paiement d'une amende de 40 000 euros, et le Groupe P. International, au paiement d'une amende de 150 000 euros.

Commentaire :

Le tribunal a appliqué, d'une part, l'article 113-2 du Code pénal (N° Lexbase : L2123AML), selon lequel il suffit, pour que la loi s'applique, qu'un élément constitutif de l'infraction soit accompli en France et, d'autre part, l'article 1er de la loi du 12 juillet 1983 prévoyant que la tenue de maisons de jeux, y compris sur internet, est interdite.

Le tribunal a reconnu sa compétence et a appliqué la loi française dans la mesure où le site était rédigé en français et accessible aux internautes situés en France, quelle que soit leur nationalité. Le tribunal a précisé que "pour avoir la certitude d'échapper à l'application de la loi pénale française, l'organisateur d'une loterie payant en ligne implantée à l'étranger doit exclure du jeu les internautes français, mais encore tous ceux qui peuvent jouer du territoire français, quelle que soit leur nationalité".

Par ailleurs, le tribunal a rappelé que la loi du 12 juillet 1983 réprime le délit de participation à la tenue d'une maison de jeux de hasard. L'article 1 de la loi énonce, en effet, que :

- le fait de participer à la tenue d'une maison de jeux de hasard où le public est librement admis, même lorsque cette admission est subordonnée à la présentation d'un affilié, est puni de trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende (225 000 euros d'amende pour une personne morale) ;
- le fait de faire de la publicité, par quelque moyen que ce soit, en faveur d'une maison de jeux de hasard non autorisée est puni de 30 000 euros d'amende (150 000 euros d'amende pour une personne morale), le tribunal pouvant porter le montant de l'amende au quadruple du montant des dépenses publicitaires consacrées à l'opération illégale.

En l'espèce, le tribunal a appliqué cette interdiction à un site internet bien que l'article 1er de la loi du 12 juillet 1983 ne prévoie rien au sujet des sites internet offrant de tels services.

Il est à noter que ce jugement a fait l'objet d'un appel.

II - Propriété intellectuelle

  • Publication au Journal officiel du 30 octobre 2007 de la loi de lutte contre la contrefaçon : loi n° 2007-1544 du 29 octobre 2007, de lutte contre la contrefaçon (N° Lexbase : L7839HYY)

Contenu :

La loi de lutte contre la contrefaçon transpose la Directive 2004/48/CE du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle (N° Lexbase : L2091DY4).

Elle instaure une procédure de poursuite des contrefacteurs identique à tous les droits de propriété intellectuelle, qu'il s'agisse du droit d'auteur, y compris sur les logiciels, du droit du producteur de bases de données, du droit des marques ou de tout autre droit de propriété industrielle. Cette harmonisation touche aussi bien la procédure de saisie-contrefaçon que la procédure au fond.

Par ailleurs, elle crée un système de droit d'information permettant d'obtenir des renseignements sur les réseaux de contrefaçon. En particulier, elle permet de contraindre sous astreinte toute personne de bonne ou mauvaise foi en possession de marchandises contrefaisantes à fournir des informations sur leur prix ou leur provenance. Les contrefacteurs peuvent, de plus, être condamnés à livrer des informations sur les circuits commerciaux.

En outre, les sanctions à l'égard des contrefacteurs sont renforcées. Ainsi, l'indemnisation des titulaires de droits victimes de contrefaçon est révisée. Le calcul des dommages et intérêts est basé sur l'intégralité du préjudice économique et moral subi, ce qui inclut les profits réalisés par le contrefacteur.

Toutefois, si la partie lésée le demande, le juge peut décider d'allouer une somme forfaitaire calculée sur le montant des redevances dont le contrefacteur aurait dû s'acquitter.

Le juge peut aussi ordonner que le contrefacteur prenne à sa charge la mise à l'écart des marchandises contrefaisantes des circuits commerciaux ou la publication de la décision, y compris par voie électronique.

Enfin, il est prévu que le contentieux de la propriété intellectuelle sera confié à certains tribunaux spécialisés dont la liste sera arrêtée par décret en Conseil d'Etat.

Commentaire :

Cette nouvelle loi ne modifie ni la durée de protection, ni les modes d'acquisition et de perte des droits de propriété intellectuelle. Elle ne tend qu'à renforcer les mesures de lutte contre la contrefaçon. Ainsi, elle introduit des dispositions relatives à l'obtention d'informations, au renforcement des sanctions et à la simplification des procédures.

Le texte élargit la notion de contrefacteur en introduisant une nouvelle mesure permettant de contraindre toute personne trouvée en possession d'objets contrefaisants à fournir des informations précises sur ces objets, afin de lutter contre les réseaux de contrefaçon. Les informations recherchées se trouvent, notamment, dans des documents comptables et financiers. Cette disposition s'applique, également, aux commerçants en ligne.

Auparavant, la notion de contrefacteur ne visait que les personnes fabriquant ou distribuant de mauvaise foi des marchandises contrefaisantes.

En outre, la loi nouvelle renforce les sanctions à l'égard des contrefacteurs. Le juge doit prendre en compte les dommages subis par le titulaire et les profits engendrés par les actes de contrefaçon ou, si la victime le demande, allouer une somme équivalente à celle qui aurait été perçue si le contrefacteur avait obtenu une licence. Ces modes de calcul imposeront néanmoins à la victime de divulguer des éléments susceptibles de constituer des secrets commerciaux, tels que le prix d'une licence sur un droit de propriété intellectuelle.

Enfin, la procédure au fond et celle de saisie-contrefaçon sont simplifiées et étendues à tous les droits de propriété intellectuelle, notamment le droit sui generis des producteurs de bases de données pour lequel il n'existait aucune procédure en référé.

Il est, désormais, possible de demander au juge d'autoriser le titulaire à procéder à une saisie au domicile du contrefacteur par un huissier de justice des éléments lui permettant de prouver la contrefaçon. Cette autorisation peut être assortie de la constitution de garanties, telles que la consignation des éléments saisis.

Par ailleurs, les procédures judiciaires sont ouvertes aux titulaires d'une licence exclusive portant sur un droit de propriété intellectuelle (notamment, droit d'auteur, droit des bases de données, droit de la propriété industrielle) sauf stipulation contraire. Le licencié peut ainsi agir en cas de silence du titulaire après mise en demeure et être en mesure de demander directement réparation de son préjudice au contrefacteur.

Cette loi ne constitue qu'un élément de l'arsenal juridique de lutte contre la contrefaçon. En effet, une Directive européenne relative aux mesures pénales (n° COD/2005/0127) est en cours de préparation. Elle tend à harmoniser les peines encourues par les contrefacteurs.

  • Par un arrêt du 13 juin 2007, la cour d'appel de Paris refuse de considérer l'exécution d'une simple prestation technique d'enregistrement vidéo comme une démonstration suffisante de l'existence de droits d'auteur ou de réalisateur, de nature à permettre de prononcer des mesures en référé : CA Paris, 14ème ch., sect. A, 13 juin 2007, n° 07/00521, M. François Bochaton et autres c/ Fédération française d'athlétisme (N° Lexbase : A4052DYQ)

Faits :

Le 24 mars 2002, la Fédération française d'athlétisme (FFA) a organisé un séminaire au cours duquel M. P. a fait un exposé. La société TEC, représentée par M. B. en sa qualité de gérant, a été contactée par la FFA pour procéder à l'enregistrement vidéo de l'exposé de M. P. et pour réaliser une partie du montage de la vidéo. La FFA a, ensuite, commercialisé cette vidéo via son site internet.

La société TEC et M. B. ont alors saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris pour obtenir la cessation de la diffusion de l'enregistrement.

Le juge des référés a rejeté cette demande par une ordonnance en date du 18 décembre 2006. Il a, en effet, considéré que les demandeurs ne démontraient pas avec suffisamment d'évidence l'existence des droits de réalisateur ou d'auteur dont ils demandaient la protection pour permettre de prononcer une telle interdiction en référé.

La société TEC et M. B. ont interjeté appel de cette ordonnance devant la cour d'appel de Paris.

Se considérant "comme réalisateurs du film et donc présumés co-auteurs par la loi", ils soutenaient que la FFA avait violé leur droit d'auteur et, plus précisément, leur droit de reproduction. A ce titre, ils souhaitaient, notamment, faire interdire à la FFA la commercialisation de la vidéo litigieuse et obtenir le versement d'une provision de 5 000 euros à valoir sur le dommage définitif.

La FFA soutenait, en revanche, qu'il existait une contestation sérieuse quant à l'existence des droits de producteur de la société TEC et de M. B. et, en outre, qu'il n'existait aucun dommage imminent ou trouble manifestement illicite de nature à permettre à la cour d'appel de prononcer des mesures de référé.

Décision :

Dans son arrêt du 13 juin 2007, la cour d'appel de Paris confirme l'ordonnance rendue par le juge des référés et condamne solidairement M. B. et la société TEC au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2976ADL).

La cour d'appel relève, dans un premier temps, que la société TEC n'a pas pris l'initiative de l'enregistrement de la vidéo litigieuse puisqu'elle a agi pour le compte de la FFA.

Elle étudie, ensuite, le contrat liant la FFA à la société TEC, matérialisé en l'espèce par un fax en date du 7 juin 2001 signé par M. B.. Cet accord précise que la mission dévolue à la société TEC se limite à la prise d'images d'un conférencier devant un tableau avec un montage partiel de ces images. Ainsi, selon la cour d'appel, "cette simple prestation technique ne permet pas d'attribuer à la société TEC un rôle dans la conception, la direction ou la réalisation de l'enregistrement".

Par conséquent, la cour d'appel considère que les appelants n'ont pas établi "avec l'évidence qui s'impose au juge des référés, les droits de réalisateur ou d'auteur dont ils demandent la protection".

Commentaire :

L'article 956 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L3268ADE) dispose que le premier président de la cour d'appel peut, dans tous les cas d'urgence, ordonner en référé, toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse.

Or, en l'espèce, la cour d'appel a considéré qu'il y avait une contestation sérieuse quant à l'existence de droits d'auteur ou de réalisateur au profit de la société TEC et de M. B..

En effet, l'article L. 113-7 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3343AD8) dispose "qu'ont la qualité d'auteur d'une oeuvre audiovisuelle la ou les personnes physiques qui réalisent la création intellectuelle de cette oeuvre". Le réalisateur est présumé, sauf preuve contraire, coauteur d'une oeuvre audiovisuelle. Selon l'article L. 122-4 (N° Lexbase : L3360ADS) du code précité, toute reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur, en l'espèce le réalisateur, est illicite.

Cependant, la cour d'appel relève que la tâche dévolue à la société TEC consistait en un simple enregistrement vidéo de l'exposé n'impliquant aucun procédé créatif et en un montage partiel de la vidéo pour lequel elle a requis l'aide de la FFA qui lui fournissait des directives. En outre, la vidéo a été produite à l'initiative de la FFA.

La cour d'appel en a déduit que la société TEC et M. B. n'avaient eu aucun rôle "dans la conception, la direction ou la réalisation de l'enregistrement" de sorte qu'ils n'ont pas établi "avec l'évidence qui s'impose au juge des référés, les droits de réalisateur ou d'auteur dont ils demandent la protection".

Par conséquent, il y avait, en l'espèce, une contestation sérieuse sur la qualité d'auteur ou de réalisateur de la société TEC et de M. B., qui ne pouvait être tranchée que par un juge du fond. Dans une décision du 15 mars 1988 ("Peraner c/ Flammarion"), le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris avait déjà jugé que la contestation sur l'auteur d'une photographie relève de la seule compétence du juge du fond.

Marc d'Haultfoeuille
Avocat associé
Département Communication Média & Technologies
Cabinet Clifford Chance

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