La lettre juridique n°280 du 8 novembre 2007 : Social général

[Textes] Non-discrimination salariale : la Halde au secours des salariés français du Synchrotron

Réf. : Délibération Halde n° 2007-272 du 22 octobre 2007, Marc Diot (N° Lexbase : X9865ADQ)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010

Deux années après avoir essuyé une fin de non-recevoir des plus claires à sa demande d'attribution d'une prime réservée par accord collectif aux salariés non nationaux de l'entreprise, un ingénieur français a sollicité, et obtenu, le soutien de poids de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde), dans le cadre d'un nouveau contentieux initié contre son employeur. Cette affaire exemplaire invite à s'interroger, à la fois, sur la justification des différences de traitement entre nationaux et non nationaux (1) et sur le rôle que peut jouer la Halde dans ce débat (2).

Résumé

Un accord collectif ne peut réserver aux salariés non nationaux de l'entreprise le bénéfice de primes d'expatriation et de dépaysement.

1. Affaire du "Synchrotron" et justification des différences salariales entre salariés nationaux et non-nationaux

  • L'accord en cause

Afin de favoriser le recrutement de chercheurs étrangers de haut niveau, le Synchrotron, consortium européen de recherche, avait mis en place, par la voie conventionnelle, une politique de rémunération attractive réservant aux seuls salariés non nationaux de l'entreprise le bénéfice d'une prime d'expatriation et de dépaysement (article 50 de la convention collective d'entreprise en date du 18 juin 1993).

De nombreux chercheurs français, se considérant comme victimes d'une discrimination fondée sur la nationalité, ont protesté contre ces dispositions, faisant valoir qu'en dépit des apparences, ils ne se trouvaient pas dans une situation réellement différente de nombreux chercheurs étrangers, embauchés par l'entreprise, mais qui résidaient déjà en France au moment de leur embauche.

Certainement soucieux de régler la question de manière définitive et négociée, les partenaires sociaux ont modifié les critères conventionnels d'attribution de cette prime, par un accord signé en octobre 2001, pour ne plus viser qu'un critère plus neutre de résidence, tout en maintenant le bénéfice de la prime pour les salariés en ayant effectivement bénéficié antérieurement.

  • La prise de position de la Cour de cassation dans l'affaire

Pour étayer son raisonnement, un ingénieur français, décidé à faire plier l'entreprise, avait saisi le conseil de prud'hommes de Grenoble en se fondant, notamment, sur un arrêt rendu en 2002 par la Chambre sociale de la Cour de cassation, qui semblait condamner toute possibilité de justifier une différence de traitement par le seul critère de la nationalité des salariés (1).

L'argumentation développée avait convaincu la cour d'appel de Grenoble qui avait fait droit à ses demandes, considérant "qu'aucune autre condition objective d'attribution que la nationalité étrangère n'est stipulée dans la convention d'entreprise en ce qui concerne l'indemnité d'expatriation au profit des ressortissants non-français des pays des parties contractantes et qu'ainsi, le fait que la prime d'expatriation bénéficie à un ressortissant étranger déjà installé en France au moment de son recrutement, interdit à la société ESRF de prétendre sérieusement que le but poursuivi par l'instauration de cette prime vise à favoriser la circulation et le séjour des nationaux des Etats des parties contractantes" (2).

Cet arrêt fut cassé le 16 novembre 2005, la Chambre sociale de la Cour de cassation considérant, au contraire, que l'inégalité salariale dénoncée "vise non seulement à compenser les inconvénients résultant de l'installation d'un individu et de sa famille en pays étranger, mais aussi à faciliter l'embauche des salariés ressortissants non français des parties contractantes afin de contribuer à la création d'un pôle d'excellence scientifique international [et] qu'ainsi l'avantage conféré aux salariés étrangers reposait sur une raison objective, étrangère à toute discrimination en raison de la nationalité" (3).

Dans la mesure où la cassation était prononcée sans renvoi, le salarié concerné, M. D., décidait alors d'agir devant la Cour européenne des droits de l'Homme, puis de ressaisir le conseil de prud'hommes de Grenoble d'une demande analogue, mais portant sur une période différente de l'objet de sa première action.

  • L'intervention de la Halde

C'est dans le cadre de ce nouveau litige, et dans l'attente du nouvel arrêt de la cour de Grenoble, que ce même salarié a saisi la Halde. Comme la cour d'appel de Grenoble dans sa précédente décision du 3 novembre 2003, la Halde considère cette différence de traitement comme non justifiée et a demandé à être entendue lors de l'audience d'appel, comme le lui permettent, désormais, ses statuts modifiés en ce sens par la loi du 31 mars 2006 sur l'égalité des chances (article 13) (loi n° 2006-396 du 31 mars 2006, pour l'égalité des chances N° Lexbase : L9534HHL).

  • Valeur des arguments retenus par la Halde

Le moins que l'on puisse dire est que l'argumentation développée par la Halde, qui reprend, d'ailleurs, les motifs retenus avant elle par la cour d'appel de Grenoble, n'emporte pas pleinement l'adhésion dans la mesure où celle-ci ne discute, à aucun moment, les arguments développés par la Cour de cassation dans sa décision de 2005 pour justifier les différences de traitement.

Revenant, dans son rapport annuel, sur cette solution, la Cour de cassation avait précisé qu'"il est apparu à la Chambre sociale, comme d'ailleurs au conseil de prud'homme ayant statué en premier ressort, qu'en réalité la formulation de la condition mise à l'octroi d'une prime d'expatriation procédait davantage d'une terminologie maladroite que d'une véritable discrimination fondée sur la nationalité. En effet, les termes des accords internationaux et des statuts de la société du synchrotron faisaient clairement apparaître que la seule finalité de l'octroi de cette prime d'expatriation était de compenser les inconvénients résultant de l'installation d'un individu et de sa famille en pays étranger et de faciliter l'embauche des salariés ressortissants non français des parties contractantes afin de contribuer à la création d'un pôle d'excellence scientifique international, ce qui constituait une raison objective étrangère à toute discrimination en raison de la nationalité" (4).

Il est, dès lors, pour le moins regrettable que la Halde n'ait pas souhaité entrer dans cette discussion pour s'en tenir à une posture classique consistant à réputer, de manière quasiment irréfragable, comme illicite toute différence de traitement fondée sur un critère de nationalité, sans rechercher si cette différence de nationalité ne révélait pas, en réalité, une différence de situation entre les parties. Or, le fait de vouloir faire venir en France, ou de vouloir inciter des chercheurs étrangers déjà installés à demeurer sur le sol français, semble a priori légitime, à tout le moins suffisant pour être discuté comme une justification possible.

Il est, également, étonnant de voir la Halde opposer l'arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 9 novembre 2005 et la décision précédente rendue dans l'affaire de l'"Institut Goethe" en 2002, où la Cour avait, il est vrai, adopté une position plus rigide sur les justifications admises aux différences de traitement fondées sur un critère de nationalité (5).

La mise en perspective de ces deux décisions, et ce afin de créer un sentiment de contradiction au sein de la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation, est toutefois discutable car, contrairement à ce que semble sous-entendre la Halde, les cas de figure n'étaient pas comparables. Dans l'arrêt rendu en 2002, en effet, l'employeur ne fournissait aucune explication à la différence de traitement, si ce n'est l'existence de la règle elle-même. Or, dans l'affaire du "Synchrotron", la situation était bien différente dans la mesure où la différence dénoncée était justifiée par des impératifs de gestion du personnel et, singulièrement, par la nécessité d'inciter les chercheurs étrangers, dont la valeur sur le "marché" pouvait être considérable, à demeurer sur le sol français et à renforcer les équipes de recherche existantes.

2. L'influence de la Halde dans le débat relatif à la justification des différences de traitement impliquant la nationalité des salariés

  • Le cadre juridique d'intervention de la Halde

Restent à déterminer quelles peuvent être les conséquences de l'intervention de la Halde dans cette affaire. A court terme, la Halde fait ici application du pouvoir que lui confère l'article 13 de la loi du 30 décembre 2004 (loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004, portant création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité N° Lexbase : L5199GU4), tel qu'il résulte de la loi sur l'égalité des chances du 31 mars 2006, pour intervenir au procès dans l'affaire opposant M. D. au Synchrotron. Si, d'aventure, la Halde le décidait, elle pourrait, également, engager soit la procédure de transaction contre l'entreprise, coupable à ses yeux de discrimination, soit poursuivre directement celle-ci devant les juridictions répressives.

Compte tenu de la position adoptée dans cette affaire par la Chambre sociale de la Cour de cassation, il est plus que vraisemblable que l'entreprise refuserait toute transaction et irait, le cas échéant, défendre ses droits en cas de citation directe devant le tribunal correctionnel.

  • La nécessité d'une intervention de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation

Compte tenu de l'implication de la Halde dans cette affaire et de la possible "criminalisation" du débat, une intervention préventive de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation, à tout le moins d'une Chambre mixte réunissant les conseillers des Chambres sociale et criminelle, serait opportune pour lever toute ambiguïté sur la légitimité de ces pratiques.

  • Remarques conclusives sur la régulation par le droit

Cette affaire démontre, s'il en était besoin, que le recours au principe de non-discrimination, et plus largement au principe "à travail égal, salaire égal", n'est pas de nature à garantir la paix dans les entreprises. Comme dans d'autres affaires (6), la négociation collective semble mieux adaptée pour discuter de la légitimité des politiques d'individualisation des rémunérations. Dans cette affaire, d'ailleurs, les partenaires sociaux avaient certainement eu la sagesse de modifier des critères d'attribution des primes, ne faisant plus référence au critère controversé de la nationalité, au profit de celui, plus neutre, de la résidence. L'accord réservait, il est vrai, le maintien des droits acquis des salariés ayant préalablement bénéficié de ces primes, attribuées selon le critère de la nationalité, et ce afin de compenser le préjudice résultant de leur suppression éventuelle par application du nouvel accord, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation d'ailleurs (7).

Mais, on fera observer, ici, que le seul désir de compenser le préjudice résultant de la modification des critères d'attribution des primes ne saurait justifier le maintien de critères si ceux-ci devaient être considérés comme discriminatoires, et contribuent, d'ailleurs, à alimenter le contentieux, comme le démontre la poursuite des actions en justice dans l'entreprise.

Face à l'insécurité grandissante qui se fait jour en matière de justification des différences de traitement, il nous semble qu'une initiative d'ampleur nationale devrait être prise. Le meilleur moyen de régler de manière plus prévisible pourrait être, alors, de provoquer la négociation d'un accord national interprofessionnel, sur la question de l'égalité salariale, accord qui préciserait les critères pouvant conduire à opérer des différences de traitement entre des salariés ayant un même travail, ou un travail de valeur égale. Cet accord pourrait, alors, jeter les bases d'une nouvelle loi sur l'égalité salariale, conformément à la procédure souhaitée par le Parlement depuis l'adoption de la loi de modernisation du dialogue social votée en janvier 2007 (8). Il est grand temps que la démocratie sociale progresse !


(1) Cass. soc., 10 décembre 2002, n° 00-42.158, Association Goethe Institut pour la promotion de la langue allemande à l'étranger et échanges culturels c/ Mme Suzanne Bataille, épouse Zamolo, FS-P+B (N° Lexbase : A4126A4L) : "l'article 7 du Traité CE [devenu, après modification, article 12 du  Traité CE N° Lexbase : L5123BCQ], interdit d'une manière générale toute discrimination exercée en raison de la nationalité ; que l'article 48 du Traité CE [devenu, après modification, article 39 du Traité CE N° Lexbase : L5348BC3] fait application du principe fondamental de non discrimination, et prévoit dans son paragraphe 2 que la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la communauté implique l'abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des Etats membres, en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail ; que l'article 7 du Règlement n° 1612-68 du 15 octobre 1968 relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la communauté (N° Lexbase : L9271BHT) dispose qu'est nulle de plein droit toute clause de convention collective ou individuelle ou d'autre réglementation collective qui prévoit ou autorise des conditions discriminatoires à l'égard des travailleurs ressortissants des autres Etats membres, notamment en matière de rémunération ; que ces textes, directement applicables dans l'ordre juridique de tout Etat membre, confèrent aux personnes qu'ils concernent des droits individuels que les juridictions nationales doivent sauvegarder et qui priment toute norme nationale qui leur serait contraire ; et attendu que la cour d'appel, qui était compétente, a relevé qu'en application des textes ci-dessus énoncés, l'Institut ne pouvait adopter en France un régime salarial différent selon la nationalité de son personnel, qu'elle a pu décider, par motifs propres et adoptés et sans encourir les griefs du moyen, que le maintien au profit des salariés de nationalité allemande engagés avant le 31 mars 1991 d'un système de rémunération plus avantageux que celui prévu pour les salariés français engagés avant cette même date, constituait à l'égard de ces derniers la pérennisation d'une discrimination prohibée ; que par ce seul motif, la cour d'appel a légalement justifié sa décision".
(2) Cour d'appel de Grenoble, chambre sociale, 3 novembre 2003.
(3) Cass. soc., 9 novembre 2005, n° 03-47.720, Société European synchrotron radiation facility (ESRF) c/ M. Marc Diot, FS-P+B (N° Lexbase : A5949DLW) ; lire nos obs., Nouvelle illustration d'une différence de traitement justifiée en matière de rémunération, Lexbase Hebdo n° 191 du 24 novembre 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N1188AK9).
(4) Lire nos obs., La jurisprudence de la Cour de cassation rendue en 2005 à la lumière du rapport de la Cour de cassation : social général (1ère partie), Lexbase Hebdo n° 218 du 8 juin 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N9294AKG).
(5) Cass. soc., 10 décembre 2002, n° 00-42.158, précité. Dernièrement, concernant l'institut Goethe, le refus de condamner l'entreprise dans la mesure où le salarié demandeur n'établissait pas s'être trouvé dans la même situation qu'un salarié allemand de la même entreprise : Cass. soc., 19 septembre 2007, n° 05-45.212, M. Frédéric Maux, F-D (N° Lexbase : A4194DYY).
(6) Cass. soc., 18 janvier 2006, n° 03-45.422, Société Sogara France c/ Mme Lasoy Agion, F-P (N° Lexbase : A3972DM3) ; lire nos obs., Une différence de traitement fondée sur la pluralité des accords d'établissement n'est pas illicite, Lexbase Hebdo n° 199 du 26 janvier 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N3620AKB).
(7) Cass. soc., 21 février 2007, n° 05-43.136, Association patronage de l'Institut régional des jeunes sourds et aveugles de Marseille, Irsam Les Hirondelles, FS-P+B (N° Lexbase : A2978DUT) ; lire nos obs., Justifications des inégalités salariales et date d'embauche des salariés, Lexbase Hebdo n° 250 du 1er mars 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N1031BAG).
(8) Loi n° 2007-130 du 31 janvier 2007, de modernisation du dialogue social (N° Lexbase : L2479HUD).
Délibération de la Halde

Délibération Halde n° 2007-272 du 22 octobre 2007, Marc Diot (N° Lexbase : X9865ADQ)

La Halde considère que l'article 50 de la convention collective de l'entreprise ESRF du 18 juin 1993 est discriminatoire en ce qu'il réserve, sans justification objective valable, aux salariés non-français de l'entreprise une prime de déménagement et de dépaysement, et demande à être entendue dans la nouvelle affaire opposant M. D. à l'entreprise lors de l'audience de la cour d'appel de Grenoble en date du 31 octobre 2007.

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