La lettre juridique n°280 du 8 novembre 2007 : Sociétés

[Evénement] Actualité du droit des sociétés en matière de rémunération des mandataires sociaux et de contrôle légal des comptes

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par Vincent Téchené, SGR - Droit des affaires

le 07 Octobre 2010

Les éditions Joly ont organisé, le 12 octobre dernier, une journée de formation consacrée à "l'actualité du droit des sociétés". Autour d'éminents spécialistes de la matière, les Professeurs, François-Xavier Lucas, Philippe Merle, Jean-Jacques Daigre, Paul Le Cannu, et Hervé Lécuyer, de nombreux thèmes, témoignant, s'il en est encore nécessaire, de la vivacité de la matière ont été abordés. Lexbase Hebdo - édition privée générale a assisté à cette manifestation et vous propose de revenir, à travers les interventions de Jean-Jacques Daigre, Professeur à l'Université Paris I, et Philippe Merle, Professeur à l'Université Paris II, sur la rémunération des dirigeants sociaux (I) et les nouveautés en matière de contrôle légal des comptes (II). I La rémunération des dirigeants sociaux

La question de la rémunération des dirigeants sociaux est un thème vaste et l'actualité en la matière se concentre, est-il besoin de le rappeler, autour de la loi "Tepa" (loi n° 2007-1223 du 21 août 2007, en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat N° Lexbase : L2417HY8, lire V. Téchené, L'encadrement des "parachutes dorés" par la loi en faveur du travail de l'emploi et du pouvoir d'achat, Lexbase Hebdo n° 272 du 13 septembre 2007 - édition privée générale N° Lexbase : N2768BCI) et des nombreuses questions qu'elle soulève. Pour rappel, ce texte vient modifier l'encadrement des "rémunérations différées" dans les sociétés dont les titres sont admis à la négociation sur un marché réglementé. L'article 17 de la loi ajoute cinq alinéas aux articles L. 225-42-1 (N° Lexbase : L4054HBR) et L. 225-90-1 (N° Lexbase : L3739HB4) du Code de commerce. Ces deux articles, introduits dans le code par la loi "Breton" (loi n° 2005-842 du 26 juillet 2005, pour la confiance et la modernisation de l'économie N° Lexbase : L5001HGC), soumettent à la procédure des conventions réglementées l'ensemble des rémunérations différées dont  bénéficient les dirigeants des sociétés cotées. Mais, comme le relève Jean-Jacques Daigre, "l'affaire Forgeard" et les débats qui l'ont suivie pendant la campagne présidentielle ont montré les insuffisances de cet encadrement. C'est dans ce contexte que la loi du 21 août 2007 a été adoptée. Si elle ne pose pas l'interdiction générale des "parachutes dorés", elle les soumet à des conditions d'octroi plus restrictives, conditions qui s'articulent autour de deux axes :
- un renforcement de la transparence, qui passe, essentiellement, par un accroissement de la publicité à laquelle ils sont soumis ;
- et une justification des indemnités octroyées, qui, selon le Professeur Daigre, traduit l'exigence d'une forme de proportionnalité entre le résultat des fonctions de dirigeants et l'indemnité.

Ce texte soulève plusieurs questions relatives à son champ d'application, au régime mis en place, à la mise en oeuvre de cette réforme et au devenir de la jurisprudence antérieure.

A - Le champ d'application de la réforme

  • Les dirigeants concernés

Il s'agit des dirigeants qui exercent une fonction de direction générale à titre individuel ou collectif (les directeurs généraux, directeurs généraux délégués dans les SA de type moniste, les membres du directoire dans les SA de type dualiste), auxquels a été ajouté le président, même s'il n'exerce pas de fonction de direction.

Le texte ne s'applique qu'aux dirigeants des sociétés françaises dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé. Comme le soulève Jean-Jacques Daigre, la limite territoriale impose donc, seulement, que la société ait son siège social en France, peu importe le lieu de cotation de la société.

  • Les engagements concernés

Les engagements soumis à la nouvelle réglementation sont ceux pris par la société dirigée par l'intéressé ou par une société contrôlée par celle-ci ou encore par une société qui la contrôle. Dans ce cas, peu importe que la société contrôlée ou contrôlante qui prend l'engagement soit cotée ou non, et peu importe, également, qu'elle soit française ou étrangère.

Il convient de remarquer, à l'instar du Professeur Daigre, que l'engagement pris par une société soeur échappe à la réglementation. Il y a là un risque évident de fraude à la loi de faire peser un golden parachute sur une société soeur, afin de détourner les nouvelles contraintes qui pèsent sur les sociétés. La fraude étant difficile à prouver, il reste possible de prévoir un engagement de rémunération différée pris au bénéfice du dirigeant d'une société soeur.

S'agissant de la nature de l'engagement, le champ d'application du texte apparaît assez large puisqu'il prévoit que sont visés "les éléments de rémunération, indemnités et avantages". Toutefois, les nouveaux articles L. 225-42-1 et L. 225-90-1 du Code de commerce excluent expressément de la réforme les retraites chapeaux et les clauses de non-concurrence. Pour le Professeur Daigre, on voit bien se dessiner la tentation pratique de déguiser un parachute doré en clause de non-concurrence. Toutefois, le versement d'une indemnité de non-concurrence apparaît, lui aussi, justifié puisque, pour qu'il échappe à la condition de performance, l'activité reprise doit l'être dans une société concurrente et avec des fonctions similaires.

Les golden hello, c'est-à-dire les indemnités versées à un dirigeant lors de son entrée en fonction, n'entrent pas dans la lettre du texte ; la pratique des ponts d'or reste, donc, en dehors de toute réglementation spéciale.

Pour ce qui concerne les stock-options, il convient de remarquer, tout d'abord, qu'elles obéissent à une réglementation particulière (C. com., art. L. 225-177 N° Lexbase : L2678HW4 et s.) et, de prime abord, semblent donc exclus du champ d'application de la réforme introduite par la loi "Tepa". Il faut, toutefois, y porter une attention particulière. En effet, comme le soulève le Professeur Daigre, le plan peut prévoir que les options seront exercées par leurs bénéficiaires au moment de la cessation des fonctions. Dans ce cas, elles doivent être considérées comme des avantages différés et tombent, par conséquent, dans le champ d'application de la réforme introduite par la loi "Tepa". Si les stock-options sont donc, par principe, exclues du champ d'application du texte, il convient de vérifier au cas par cas leurs conditions d'octroi pour éviter leur annulation subséquente au non-respect de la nouvelle réglementation.

  • Date de l'engagement

De prime abord, le texte laisse penser que seuls les engagements pris au moment de l'entrée en fonction des dirigeants sont concernés par le nouveau régime. Mais, d'une part, la nouvelle rédaction des articles L. 225-42-1 et L. 225-90-1 du Code de commerce précise que l'approbation de l'assemblée générale en application des articles L. 225-40 (N° Lexbase : L5911AIR) et L. 225-88 (N° Lexbase : L5959AIK) est requise à chaque renouvellement du mandat et, d'autre part, pour Jean-Jacques Daigre, les textes semblent postuler une interprétation large. Il serait d'autant plus facile de contourner le régime mis en place, en instituant une rémunération différée en cours de mandat. Il convient, dès lors, de considérer que les engagements pris au bénéfice des dirigeants pendant l'exercice de leurs mandats sont soumis, au même titre que ceux pris lors de l'entrée en fonction, au respect du régime institué par la loi "Tepa". Néanmoins, si la société s'engage à verser une indemnité postérieurement à la cessation des fonctions du dirigeant, le texte ne s'applique pas. Ce schéma est, en effet, concevable pour tenter de contourner le régime applicable aux parachutes dorés, mais pourrait tomber sous le coup d'une annulation pour fraude, en démontrant, notamment, que le contrat a été négocié antérieurement à la cessation des fonctions.

B - Le régime introduit par la réforme

Le texte pose une première condition de fond, qui est une véritable nouveauté, puisqu'il soumet l'octroi d'éléments de rémunération différée au respect de conditions liées aux performances du bénéficiaire, appréciées au regard de celles de la société qu'il dirige. Les critères de performance sont libres ; il faut seulement qu'ils soient mesurables. Toutefois, comme le soulève Jean-Jacques Daigre, les engagements pris en cours de mandat posent, une nouvelle fois, un problème, puisqu'il apparaît bien plus facile, dans de telles circonstances, de trouver des critères de performances justifiant le versement d'un golden parachute. En effet, les engagements pris la veille du départ du dirigeant sont soumis au respect des exigences issues de la loi "Tepa" et ne peuvent donc être effectivement versés que si la condition de performance posée lors de la date de l'engagement est réalisée le jour de la cessation des fonctions. Or, si la société s'engage la veille du départ du dirigeant, elle a toute latitude pour poser des critères de performance, qui seront remplis, avec certitude, le lendemain, c'est-à-dire le jour de la fin de son mandat. Dans de telles circonstances, le caractère aléatoire du versement de l'indemnité semble ainsi disparaître.

Ensuite, les textes ne précisent pas la nature de la sanction si les critères choisis par le conseil d'administration ou le conseil de surveillance ne conviennent pas, notamment, s'ils ne sont pas réellement quantifiables. Selon Jean-Jacques Daigre, il doit s'agir d'une nullité et, plus précisément, d'une nullité absolue, puisque le texte édicté dans l'intérêt du marché, relève de l'ordre public boursier.

L'article 17 de la loi "Tepa" prévoit, ensuite, des conditions de forme, liées à la transparence des engagements souscrits par la société. La loi "Breton" en avait déjà fait une convention réglementée ; la loi "Borloo" leur impose un régime particulier de convention réglementée. Le nouveau texte prévoit, notamment, que l'autorisation donnée par le conseil d'administration ou le conseil de surveillance, en application des articles L. 225-38 (N° Lexbase : L5909AIP) et L. 225-86 du Code de commerce (N° Lexbase : L5957AIH), est rendue publique selon des modalités et dans des délais fixés par décret en Conseil d'Etat. Cette publicité est très importante et, selon Jean-Jacques Daigre, il convient de prévoir un court délai de publicité car il s'agit de sociétés cotées. On peut, notamment, imaginer, selon lui, un délai de 5 jours comme en matière de franchissement de seuil.

S'agissant de la sanction du non-respect de ces conditions, on retrouve, ici, le droit commun des conventions réglementées :
- nullité pour défaut d'autorisation du conseil si la convention porte préjudice à la société (C. com., art. L. 225-42 N° Lexbase : L5913AIT et L. 225-90 N° Lexbase : L5961AIM) ;
- octroi de dommages-intérêts pour absence de décision de l'assemblée générale (C. com., art. L. 225-41 N° Lexbase : L5912AIS et L. 225-89 N° Lexbase : L5960AIL).

Concernant la vérification des conditions de performance, par le conseil d'administration ou le conseil de surveillance, la sanction est clairement fulminée par le texte : le versement est nul. Il convient, selon le Professeur Daigre, d'y adjoindre une probable responsabilité des administrateurs ou membres du conseil de surveillance. Il estime, en outre, que le terme "versement" est mal choisi, puisqu'il renvoie à la notion de numéraire, alors que le golden parachute peut se manifester, comme c'est souvent le cas, sous la forme d'avantages matériels (occupation d'un appartement, voiture, mise à disposition d'un secrétariat etc.). Dans ce cas la nullité du "versement" entraînera une restitution sous forme d'équivalent.

C - La mise en oeuvre de la réforme

Le texte est entré en vigueur le 22 août 2007. Les nouvelles dispositions s'appliquent donc aux engagements pris à compter de cette date.

Il est, également, prévu une mise en conformité des engagements antérieurs dans les 18 mois, soit jusqu'au 22 février 2009. Mais, là, se pose la question de savoir ce qu'il convient d'entendre par "engagements antérieurs". En effet, comme le relève Jean-Jacques Daigre, deux interprétations sont envisageables.
Il est possible de concevoir cette notion de façon stricte en partant du constat que la loi "Borloo" est venue ajouter aux dispositions introduites par la loi "Breton", laquelle avait prévu une application rétroactive. Si l'on fait une application combinée de ces deux textes, les engagements antérieurs seraient ceux conclus entre le 1er mai 2005 (application rétroactive de la loi n° 2005-842 aux engagements conlus à compter de cette date) et le 22 août 2007.

De façon plus large, il est possible de considérer que c'est tout le "stock" des engagements antérieurs qu'il convient de mettre en conformité dans le délai de 18 mois imparti. Cette conception a la faveur du Professeur Daigre, lequel allègue, notamment, au soutien de cette affirmation, que si la loi "Breton" a prévu expressément sa rétroactivité au 1er mai 2005, la loi "Borloo" s'est ajoutée aux textes créés par la loi "Breton ", les articles L. 225-42-1 et L. 225-90-1 du Code de commerce, mais ne s'est pas ajoutée à la loi "Breton", elle-même.

Enfin, s'agissant de la sanction encourue en cas d'absence de mise en conformité des engagements antérieurs, il convient de faire application de celles habituellement prévues, et rappelées précédemment, en matière de conventions réglementées.

D - Le nouveau régime applicable aux rémunérations différées face à la jurisprudence antérieure

Enfin, Jean-Jacques Daigre pose la question de savoir ce qu'il advient de la jurisprudence antérieure, laquelle soumettait l'octroi de compléments de retraites au respect de deux conditions (v., notamment, Cass. com., 3 mars 987, n° 84-15.726, Union de banques à Paris c/ M. Lebon, publié N° Lexbase : A3045AAZ ; Cass. com., 10 février 1998, n° 95-22.052, Société Sidergie c/ M. Marmonier, publié N° Lexbase : A2489AC8) :
- le complément de retraite doit être la contrepartie des services particuliers rendus à la société pendant l'exercice de ses fonctions par le dirigeant ;
- l'avantage accordé doit être proportionné à ces services et ne doit pas constituer une charge excessive pour la société.

Etant donné que le régime mis en place ne concerne que les sociétés cotées, la jurisprudence antérieure s'applique toujours aux compléments de retraite octroyés dans les sociétés non-cotées, mais aussi aux engagements exclus par la nouvelle réglementation. Elle s'appliquerait donc, notamment, aux engagements post-cessation des fonctions, qui, on l'a vu, peuvent être présentés comme un moyen de contourner les contraintes mise en places.

II - Les nouveautés en matière de contrôle des comptes

Comme le soulève Philippe Merle, en introduction de son intervention sur cette question, le commissariat aux comptes est sûrement la profession libérale qui a connu le plus d'évolution ces dernières années. Elle est même devenue une profession très réglementée. L'évolution législative et réglementaire a eu pour objet et pour effet d'accentuer l'indépendance des commissaires aux comptes et de mettre fin à l'autorégulation de la profession.

Le renforcement de l'indépendance, tout d'abord, apparaît comme un objectif prioritaire des pouvoirs publics, dans la réforme de la profession, entreprise dans la dernière décennie. En témoigne l'article 6 du Code de déontologie de la profession de commissaire aux comptes (N° Lexbase : L5594HDK), lequel prévoit que "le commissaire aux comptes évite toute situation de conflit d'intérêts. Tant à l'occasion qu'en dehors de l'exercice de sa mission, le commissaire aux comptes évite de se placer dans une situation qui compromettrait son indépendance à l'égard de la personne ou de l'entité dont il est appelé à certifier les comptes ou qui pourrait être perçue comme de nature à compromettre l'exercice impartial de cette mission". Ce texte interdit toute situation qui pourrait compromettre l'indépendance du commissaire aux comptes en réalité, mais aussi en apparence.

La volonté de renforcer leur indépendance se retrouve dans de nombreuses dispositions de la loi. Le législateur a, ainsi, séparé les activités d'audit et de conseil devant la crainte que les premières ne soient utilisées comme un produit d'appel pour vendre les secondes (C. com., art. L. 822-11 N° Lexbase : L2947HC7). Il a, dans le même esprit, imposé l'obligation de rotation (C. com., art. L. 822-14 N° Lexbase : L2950HCA), craignant que la vigilance du commissaire aux comptes ne s'amenuise avec le temps. Cette obligation a, pourtant, pour conséquence pratique de pénaliser les commissaires aux comptes individuels au profit des sociétés, dans la mesure où, au sein d'une personne moral, la rotation s'opère par un simple changement de personne chargée du contrôle légal des comptes.

Le renforcement de l'indépendance n'est pas la seule caractéristique de l'évolution récente du commissariat aux comptes. Elle s'est, en effet, accompagnée de ce que M. Merle appelle la fin de l'autorégulation de la profession. Celle-ci a débuté avec la loi "NRE" (loi n° 2001-420 du 15 mai 2001, relative aux nouvelles régulations économiques N° Lexbase : L8295ASZ), qui a eu pour effet d'unifier le statut et la mission des commissaires aux comptes et a, ensuite, continué avec la "LSF" (loi n° 2003-706 du 1er août 2003, de sécurité financière N° Lexbase : L3556BLB), dont le titre III apporte de nombreuses modifications à l'exercice de la profession. Elle se manifeste, tout d'abord, par la publication du Code de déontologie de la profession de commissaire aux comptes (institué par le décret n° 2005-1412 du 16 novembre 2005, portant approbation du Code de déontologie de la profession de commissaire aux comptes N° Lexbase : L2782HDE). Ce texte a, d'ailleurs, été très mal accueilli par les "Big four", qui ont intenté un recours devant le Conseil d'Etat. Ce dernier a rejeté leur demande et a validé le code, estimant que le texte ne constitue pas une atteinte au principe de libre prestation de services (CE Contentieux, 24 mars 2006, n° 288460 Société KPMG et autres N° Lexbase : A7837DNL). En effet, aux termes d'un attendu de principe, le Conseil d'Etat a jugé que "les dispositions du Code de déontologie ont pour objet, en renforçant l'indépendance des commissaires aux comptes, de garantir le bon fonctionnement du contrôle légal des comptes et d'assurer leur sincérité et leur régularité, dans l'intérêt de l'ensemble des parties prenantes, et, notamment, des salariés et des actionnaires ; [...] l'intérêt général qui s'attache à ce que les comptes donnent une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat des sociétés constitue une raison impérieuse, au sens donné à ce concept par la Cour de justice des Communautés européennes, justifiant des limitations à la libre prestation de services ; [...] contrairement à ce qui est soutenu, les mesures en cause, qui sont adaptées à l'objectif poursuivi, ne portent pas, au regard tant du contenu des obligations qu'elles édictent que de leur champ d'application, une atteinte excessive à la libre prestation de services".

La fin de l'autorégulation se manifeste, ensuite, par l'institution du Haut conseil au commissariat aux comptes dont la mission est double :
- la surveillance de la profession, avec le concours de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC), notamment, en vérifiant le respect de l'indépendance et plus généralement des normes déontologiques ;
- l'intervention dans l'élaboration des normes applicables à la profession par la CNCC, puisqu'il émet un avis avant l'homologation par arrêté ministériel.

Philippe Merle remarque que le HCCC, s'imposant comme un acteur moteur de la profession, a effectué une véritable "montée en puissance", qui a eu pour effet d'accélérer la fin de l'autorégulation.

A - La fin de l'autorégulation de la profession de commissaire aux compotes : "la montée en puissance" du HCCC

Cette montée en puissance, le Professeur Merle l'illustre à travers deux exemples édifiants.

  • Le rôle du Haut conseil au commissariat aux comptes dans l'élaboration des nouvelles normes

L'article L. 821-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L2940HCU) dispose que le Haut conseil est, notamment, chargé "d'émettre un avis sur les normes d'exercice professionnel élaborées par la Compagnie nationale des commissaires aux comptes avant leur homologation par arrêté du Garde des sceaux, ministre de la Justice". Son rôle dans le processus d'élaboration des normes apparaît, par conséquent, limité, contrairement à celui conféré à la CNCC qui semble en conserver la maîtrise. Mais, Philippe Merle relève que la liberté de création des normes est, en fait, extrêmement faible, contrairement à ce que pourrait laisser supposer le texte. Il relève, à ce sujet, deux contraintes importantes :
- les professionnels doivent s'inspirer des normes internationales élaborées par l'International auditing and assurance standards board (l'IFAC), afin d'éviter une déconnexion avec les normes internationales ;

- la CNCC doit respecter la "feuille de route" stricte et claire imposée par le HCCC dans sa délibération du 3 janvier 2006 (délibération HCCC n° 1, Normes d'exercice professionnel N° Lexbase : X5699ADG). Le Haut conseil a, en effet, posé des principes que doit impérativement respecter une norme d'exercice professionnel.

Ainsi, il énonce que "la norme doit être claire et compréhensible non seulement pour les commissaires aux comptes mais également pour les autres acteurs du monde économique et financier et les juridictions. A ce titre, il convient :
- de faire usage d'une terminologie précise et qui ne soit pas uniquement issue de la pratique ;
- de définir un plan suffisamment structuré qui évite les redondances ;
- d'éviter les commentaires qui affaiblissent les prescriptions de la norme et nuisent à sa clarté
".

Et le Haut conseil de préciser la sanction du non-respect des principes ainsi édictés : il considère qu'il ne pourra pas émettre d'avis favorable à l'homologation.

Pour aider aux travaux préparatoires dans l'élaboration des normes, un groupe de concertation, composé de quatre commissaires aux comptes et quatre membres du HCCC, a été mis en place. Ceci semble porter ses fruits, puisque aujourd'hui 28 normes d'exercice de la profession de commissaire aux comptes ont été homologuées par arrêté ministériel. Comme le relève Philippe Merle, il est intéressant de constater que, désormais, ces normes, puisqu'elles font l'objet d'une homologation par arrêté ministériel, sont opposables aux tiers et au juge, améliorant ainsi la sécurité juridique.

  • Les avis du Haut conseil au commissariat aux comptes

Les avis rendus par le HCCC commencent à forger sa jurisprudence. D'un point de vue juridique, ils n'ont qu'une valeur indicative. Il ne faut, toutefois, pas sous-estimer l'importance qu'ils tirent de l'autorité morale dont jouit le HCCC.

Philippe Merle relève, d'ailleurs, un avis très important, rendu le 29 mars 2007 par le Haut conseil, dans lequel il était appelé à se prononcer sur l'existence, ou non, d'un réseau pluridisciplinaire. 
Cet avis était très attendu car le HCCC était invité, pour la première fois, à se prononcer sur une telle question qui lui aurait permis de combler le vide existant, tant dans la loi que dans le Code de déontologie, sur la définition du réseau.

L'article 22 du Code de déontologie (N° Lexbase : L5573HDR) ne pose que des indices d'appartenance à un réseau, mais n'en donne aucune définition générale. Il dispose, en effet, que "constituent des indices de son appartenance à un tel réseau :
a) une direction ou une coordination communes au niveau national ou international ;
b) tout mécanisme conduisant à un partage des revenus ou des résultats ou à des transferts de rémunération ou de coûts en France ou à l'étranger ;
c) la possibilité de commissions versées en rétribution d'apports d'affaires ;
d) une dénomination ou un signe distinctif communs ;
e) une clientèle habituelle commune ;
f) l'édition ou l'usage de documents destinés au public présentant le réseau ou chacun de ses membres et faisant mention de compétences pluridisciplinaires ;
g) l'élaboration ou le développement d'outils techniques communs
".

Ce texte soulève plusieurs questions. Ainsi, un seul indice suffit-il pour qualifier l'existence d'un réseau ou les critères sont-ils cumulatifs ? En outre, tous les indices doivent-ils être placés sur le même plan ou doit-on, au contraire, considérer qu'il existe une hiérarchie entre eux?

Pour Philippe Merle, tous les indices ne doivent pas, à l'évidence, être placés sur le même plan. Les indices "techniques" -f) et g) de l'article 22- ne sauraient se suffire, alors que ceux relatifs à la direction commune -a)-, au partage des revenus ou des résultats -b)- ou à la clientèle commune -e)- semblent donner une indication beaucoup plus forte sur l'existence d'une réseau.

L'avis du HCCC était donc vivement attendu et il a beaucoup déçu. En effet, non seulement, il n'a donné aucune définition générale du réseau pluridisciplinaire, mais, en plus, il a placé tous les indices sur le même plan, ne donnant aucune grille de lecture du texte.

Enfin, l'actualité en matière de contrôle légal des comptes ne pouvait être abordée sans s'attarder quelque peu sur la responsabilité des commissaires aux comptes.

B - La responsabilité des commissaires aux comptes

A titre liminaire, il convient de rappeler que les commissaires aux comptes encourent quatre sortes de responsabilité dans l'exercice de leurs fonctions : une responsabilité civile, une responsabilité pénale, une responsabilité administrative et une responsabilité disciplinaire.

S'agissant de la responsabilité civile, il existe, là, une particularité, puisqu'elle est calquée sur celle des administrateurs, soumise à une prescription triennale (C. com., art. L. 225-254 N° Lexbase : L6125AIP). Cette prescription court à compter du fait dommageable, qui ne peut être retardé que s'il y a dissimulation, laquelle est appréciée de manière très stricte, puisque, selon la Cour de cassation, la dissimulation implique la volonté du commissaire aux comptes de cacher les faits dont il a connaissance par la certification des comptes (Cass. com., 11 octobre 2005, n° 03-17.382, F-D N° Lexbase : A0205DL8).
Or, comme le relève le Professeur Merle, la preuve de l'élément intentionnel de la dissimulation apparaît particulièrement dure à rapporter.

Sur l'étendue du champ d'application de cette prescription, la Cour de cassation (Cass. com., 15 mai 2007, n° 05-14.283, Société Assurances générales de France (AGF ), FS-P+B N° Lexbase : A2441DWC) a récemment précisé qu'elle s'appliquait à l'occasion de toute mission légale de contrôle. Elle devait donc, en l'espèce, l'appliquer au contrôle de la comptabilité spéciale des fonds détenus par les mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises, prévu par l'article 58 du décret n° 85-1389 du 27 décembre 1985 (N° Lexbase : L7872BGN).

Doit-elle, pour autant, s'appliquer, non pas seulement, à toute mission légale de contrôle, mais, également, à toute mission de contrôle, de telle sorte que cela engloberait les missions contractuelles ? Force est de constater que cette règle a été déplacée et se trouve contenue, depuis l'ordonnance du 8 septembre 2005 (ordonnance n° 2005-1126 du 8 septembre 2005, relative au commissariat aux comptes N° Lexbase : L9911HBP), dans l'article L. 822-18 du Code de commerce (N° Lexbase : L2953HCD), qui dispose que "les actions en responsabilité contre les commissaires aux comptes se prescrivent dans les conditions prévues à l'article L. 225-254". Or, d'une part, ce texte se situe dans une section intitulée "De la responsabilité civile" et, d'autre part, "Ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus". Par conséquent, pour le Professeur Merle, la prescription triennale doit s'appliquer à toute action en responsabilité civile exercée contre un commissaire aux comptes, quelle que soit la mission de contrôle.

Se pose, ensuite, la question de savoir sur qui pèse la responsabilité lorsque le titulaire du mandat est une société.
Selon une jurisprudence traditionnelle et ancienne (CA Paris, 1ère ch., sect. B , 4 avril 1991, n° 90-7102, M. Quaglia c/ M. Frette N° Lexbase : A8615A4T), lorsqu'une société de commissaires aux comptes commettait une faute, la personne morale, le mandataire social et la personne physique chargée du contrôle des comptes étaient solidairement responsables. Or, pour Philippe Merle, aucun texte ne permet de condamner la personne physique, alors que le mandat de contrôle des comptes appartient à la personne morale.
La cour d'appel de Rennes (CA Rennes, 1ère ch., sect. B., 16 septembre 2005, CNCC, Bull n° 139, § 103, note Ph. Merle) a, d'ailleurs, récemment rendu un arrêt qui rompt avec cette jurisprudence. Elle considère que lorsque le mandat a été confié à une société de commissaires aux comptes, chaque acte accompli par l'un des associés, actionnaires ou dirigeants de cette société ayant la qualité de commissaire aux comptes, l'est au nom et pour le compte de cette société, seule titulaire du mandat, de sorte que, en l'absence de faute détachable des fonctions commise par le commissaires aux comptes, seule la personne morale titulaire de la mission peut voir mise en cause sa responsabilité civile, conformément au droit commun. Un pourvoi en cassation a été formé contre cette décision et la réponse de la Cour de cassation est vivement attendue, Philippe Merle souhaitant que la position de la cour d'appel soit confirmée. En effet, selon lui, il résulte de la combinaison des articles L. 822-17 (N° Lexbase : L2952HCC) et L. 822-9 (N° Lexbase : L2655DHS) du Code de commerce que la responsabilité ne peut être que celle du commissaire aux comptes titulaire de la mission.

En matière de responsabilité pénale, le Professeur Merle relève le peu de condamnations de commissaires aux comptes par les juridictions répressives, avançant le chiffre d'environ 35 par an. Deux arrêts, rendus le 31 janvier 2007 par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, dans la même affaire (Cass. crim., 31 janvier 2007, n° 05-85.886, F-P+F N° Lexbase : A7895DTL, n° 06-81.258, F-P+F N° Lexbase : A7941DTB), ont, toutefois, inquiété les membres de la profession.
La Cour a considéré, en substance, que l'expert comptable, en attestant de la conformité et de la sincérité de comptes dont le caractère fictif ne pouvait lui échapper, et le commissaire aux comptes, en certifiant en connaissance de cause et sur plusieurs exercices lesdits comptes, ont sciemment fourni à l'auteur principal les moyens lui permettant de réitérer l'escroquerie à la TVA et sont, donc, déclarés coupables de complicité d'escroquerie.
La seule certification de comptes inexacts par le commissaire aux comptes présume qu'il a commis une faute. Cette solution n'est pas satisfaisante pour Philippe Merle, puisqu'elle fait bien peser sur le commissaire aux comptes une présomption de mauvaise foi contra legem, le commissaire aux comptes devant rapporter la preuve qu'il n'a commis aucune faute pour ne pas voir engagée sa responsabilité pénale.

La responsabilité administrative des commissaires aux comptes ressort de la possibilité pour l'Autorité des marchés financiers de prononcer des sanctions à leur encontre. Cette possibilité a été validée dans un important arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 11 juillet 2006 (Cass. com., 11 juillet 2006, n° 05-18 .337, Autorité des marchés financiers, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4628DQH).
Selon le Professeur Merle, une affaire récente retient l'attention. Le 5 juillet 2007, la commission des sanctions de l'AMF a retenu la responsabilité du commissaire aux comptes en charge des marges arrière, mais a absout les commissaires aux comptes chargés de certifier les comptes consolidés, dans la mesure où ils n'étaient pas en charge personnellement de l'audit et du contrôle des postes litigieux afférent aux marges arrière (décision AMF, 5 juillet 2007, à l'égard des sociétés Marionnaud parfumeries, KPMG SA, Cofirec et de MM. Marcel et Gérald Frydman, ainsi que de MM. Yves Gouhir et Gérard Caro N° Lexbase : L0835HYL). Or, Philippe Merle se pose la question de savoir si cette solution ne remettrait pas en cause le principe selon lequel le co-commissariat aux comptes a une valeur collégiale. D'ailleurs, la notification des griefs faisait valoir qu'en leur qualité de co-commissaires aux comptes, ils étaient solidairement responsables des conséquences de l'insuffisance des diligences professionnelles qu'aurait accomplies l'autre commissaire aux comptes, qui était plus particulièrement chargé d'analyser les marges arrière.

Enfin, en matière de responsabilité disciplinaire des commissaires aux comptes, une seule décision récente, reprenant une solution classique qui ne souffre d'aucune critique, est à relever. Il s'agit de l'arrêt rendu le 10 juillet 2007 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass. com., 10 juillet 2007, n° 06-13.423, F-P+B N° Lexbase : A2986DXU). La Haute juridiction retient que le manquement d'une société de commissaires aux comptes à ses obligations déontologiques d'indépendance justifie le relèvement du commissaire aux comptes de ses fonctions.

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