La lettre juridique n°280 du 8 novembre 2007 : Éditorial

Evasion fiscale : repenser la force de dissuasion française sous l'aile communautaire

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

le 27 Mars 2014


Métaphore physique pour représenter la propagation par contagion des idées et idéologies, la théorie des dominos s'appliquerait, donc, bel et bien en matière de politique fiscale. Après le dispositif destiné à lutter contre la sous-capitalisation, le prélèvement libératoire sur les seuls revenus financiers du débiteur domicilié ou établi en France, l'imposition des plus-values latentes sur titres possédés par des personnes transférant leur domicile fiscal à l'étranger, c'est au tour de la taxe annuelle de 3 % sur la valeur vénale des immeubles possédés par certaines personnes morales d'être retoquée par la Cour de justice des Communautés européennes. Aux termes de l'article 990 D du Code général des impôts, les sociétés qui, directement ou indirectement, possèdent un ou plusieurs immeubles situés en France ou sont titulaires de droits réels portant sur ces biens sont redevables d'une taxe annuelle égale à 3 % de la valeur vénale de ces immeubles ou droits. Cette taxe n'est, toutefois, pas applicable, notamment, aux personnes morales qui ont leur siège dans un pays ou territoire lié avec la France par une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales ou qui, en vertu d'un traité, ne doivent pas être soumises à une imposition plus lourde, et qui déclarent chaque année, la situation, la consistance et la valeur des immeubles possédés au 1er janvier, l'identité et l'adresse de leurs associés à la même date ainsi que le nombre des actions ou parts détenues par chacun d'eux.

Selon la Cour, c'est ce régime d'exonération discriminatoire qui emporte la contrariété du dispositif français au principe de libre circulation des capitaux promu et protégé par l'Union. En effet, implicitement, mais nécessairement, ce dispositif ne permet pas à certaines sociétés établies dans un autre Etat membre de fournir des éléments de preuve permettant d'établir l'identité de ses actionnaires personnes physiques, pour échapper à la taxation. Comme le laisse entendre, cette semaine, dans nos colonnes, Frédéric Dieu, Commissaire du Gouvernement près le Tribunal administratif de Nice, la présomption de fraude est, ici, irréfragable ; c'est en cela que le dispositif ne peut être maintenu en l'état.

Instauré dans le souci de pénaliser les montages mis en place afin d'éviter l'assujettissement à l'impôt sur les grandes fortunes (IGF), puis à l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), au titre de la détention d'immeubles situés en France, en interposant une personne morale dont le siège était à l'étranger, c'est un énième dispositif de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales qui tombe. C'est non seulement la théorie des dominos qui s'applique, mais c'est la politique fiscale française de dissuasion qui est progressivement remise en cause.

Pour rester dans la métaphore géopolitique, la dissuasion consiste en la peur, dans les deux camps, de l'utilisation par l'autre d'une arme. Si c'était le cas, "l'agressé" répliquerait avec les mêmes armes et, en raison de la puissance et des effets de ces armes, les avantages d'être l'agresseur sont quasi nuls. La stabilité de cette configuration, où deux adversaires se dissuadent ainsi mutuellement, dépend avant tout de la capacité de l'agressé à frapper l'autre après avoir subi une première frappe. Du nucléaire à la fiscalité, il y a un pas que l'on peut franchir avec un brin de provocation, tant le contexte s'assimile à une "lutte", où, d'un côté, l'Etat souhaite conserver toute sa capacité régalienne de lever l'impôt et lutter contre l'évasion fiscale ; et, de l'autre, les contribuables rivalisent d'imagination pour établir des montages juridiques permettant la moindre taxation (démarche, au demeurant, validée, dans son principe, par le juge fiscal lui-même).

"La seule fin pour laquelle les hommes sont autorisés, individuellement ou collectivement, à intervenir dans la liberté d'action d'un de leurs semblables, est la protection de soi-même" écrivait John Stuart Mill dans Pour la liberté. La formule s'applique, également, à l'Etat percepteur. Il s'agit alors de repenser, dans le cadre communautaire, la dissuasion fiscale afin de prévenir l'évasion tout en instaurant confiance économique et consentement à l'impôt.

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