La lettre juridique n°280 du 8 novembre 2007 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Clause de garantie d'emploi : validité et efficacité

Réf. : Cass. soc., 23 octobre 2007, n° 06-42.994, Société de distribution du Beauvaisis (SDB) Auchan, FS-P+B (N° Lexbase : A8582DYI)

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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Les clauses du contrat de travail sont d'un maniement difficile, à tel point qu'il est, désormais, fréquent de s'interroger sur leur validité. Toutes les clauses du contrat de travail ne sont pas, toutefois, illicites. Tel est, notamment, le cas des clauses de garantie d'emploi ou clauses de garantie de stabilité d'emploi. Par de telles clauses, l'employeur s'engage à conserver le salarié à son service pendant une certaine durée, sauf faute grave et/ou lourde du salarié, sans pouvoir user de la faculté de résiliation unilatérale que lui offre le Code du travail. Ce sont sur ces clauses de garantie d'emploi et, singulièrement, sur leurs conditions de validité et leur nature, que devait se prononcer la Haute juridiction dans une décision du 23 octobre 2007. La Cour de cassation confirme qu'en l'absence de faute de la salariée, la clause de stabilité d'emploi prévue pour une durée de 5 ans doit recevoir application, et que ces clauses, qui ont pour objet de préserver le salarié de la perte de son emploi dans un contexte économique difficile, ne constituent pas des clauses pénales. Cette double solution doit, en tous points, être approuvée.

Résumé

La clause d'un contrat garantissant au salarié la stabilité de son emploi pendant une période de 5 ans est licite et doit donc recevoir application dès lors qu'aucune faute n'a été commise par l'intéressé.

1. Conditions de validité des clauses de garantie d'emploi

  • Objet

Le principe de résiliation unilatérale du contrat de travail à durée indéterminée n'est pas d'ordre public absolu. L'employeur peut, en effet, parfaitement décider de garantir, à un ou plusieurs de ses salariés, la stabilité de leur emploi. Cet engagement de l'employeur peut être tacite ou, encore, résulter d'une clause insérée dans le contrat de travail, voire de la convention collective.

Ces clauses prennent la forme d'un engagement de l'employeur, pour une durée déterminée, de ne pas user de sa faculté de résiliation unilatérale du contrat de travail.

L'employeur ne peut donc plus, une fois qu'il est lié par une telle clause, rompre le contrat de travail du salarié, sauf si la clause comporte une exception et prévoit sa mise à l'écart en cas de faute du salarié.

Il a ainsi été jugé qu'un motif économique (Cass. soc., 30 mai 2000, n° 97-43.191, Société civile d'exploitation agricole (SCEA) du Domaine du Fesq c/ M. Alain Esman, inédit N° Lexbase : A6979AHX), ou encore l'adhésion du salarié à une convention de conversion (Cass. soc., 11 juillet 2000, n° 98-41.169, M. Dreyfuss c/ Société Construction Jean Bernard et autres, publié N° Lexbase : A9173AGT), ne permettait pas à l'employeur de licencier.

Ces clauses, bien que restreignant la faculté de résiliation unilatérale de l'employeur, sont valables. Elles sont conformes à l'ordre public social.

Force est de constater que la clause par laquelle l'employeur s'interdit de licencier son salarié pendant une certaine durée est plus favorable au salarié que le droit du licenciement qui devrait trouver à s'appliquer, notamment, dans un contexte économique difficile.

Toutes les clauses ne sont, toutefois, pas valables. Toutes ne peuvent pas, en outre, recevoir la qualification de clauses de garantie d'emploi.

  • Conditions de validité

Pour être qualifiée de clause de garantie d'emploi, la clause doit garantir l'emploi du salarié et non seulement se contenter de prévoir une indemnité de rupture spéciale si la rupture survient avant une certaine date (Cass. soc., 18 juin 2003, n° 01-42.298, F-D N° Lexbase : A8581C8C). La clause de garantie d'emploi se distingue, ainsi, de la clause destinée à indemniser la rupture survenue avant une certaine date.

Une fois qualifiée de clause de garantie d'emploi, la clause doit, encore, remplir certaines conditions.

Elle doit, en premier lieu, avoir une cause licite. Aucun problème ne se pose lorsque la clause a été insérée dans le contrat de travail pour maintenir un salarié dans son emploi dans un contexte économique difficile ou, encore, pour s'assurer la fidélité d'une main d'oeuvre rare et/ou particulièrement qualifiée.

Cette clause ne doit, en second lieu, pas être excessive. Tel serait le cas d'une clause qui interdirait à l'employeur de licencier le salarié quelle que soit la cause de ce licenciement, ou qui prévoirait une indemnité de rupture particulièrement importante.

Les clauses de garantie d'emploi, malgré leur caractère plus favorable au salarié que le droit du licenciement, ne doivent, en effet, pas totalement priver l'employeur de sa faculté de rompre le contrat de travail. Pour cette raison, elles trouvent, en principe, leur limite dans la faute grave, voire dans la faute lourde du salarié.

L'employeur ne peut, enfin, s'engager que pour une durée déterminée. Le cas échéant, la clause ferait échec au principe de résiliation unilatérale du contrat de travail à durée déterminée, principe d'ordre public. Elle serait donc illicite.

Lorsque la clause insérée ou ajoutée au contrat de travail d'un salarié respecte ces conditions, elle est parfaitement valable et l'employeur est tenu d'en faire application. Le cas échéant, il est tenu d'indemniser le salarié.

C'est ce principe qu'a rappelé la Haute juridiction à l'employeur qui contestait la décision de la cour d'appel qui l'avait condamné à verser au salarié des dommages et intérêts pour violation de la clause de garantie d'emploi.

  • Espèce

Dans cette espèce, l'employeur avait, par voie d'avenant, introduit dans le contrat de travail d'une de ses salariées, une clause de garantie d'emploi par laquelle il s'interdisait, sauf faute lourde de cette dernière, de rompre le contrat de travail pendant 5 ans. Quelques mois plus tard, l'entreprise avait cédé ses actions et la salariée avait été licenciée pour faute lourde. Contestant cette rupture, cette dernière avait saisi la juridiction prud'homale de demandes d'indemnités au titre de la rupture de son contrat de travail. La cour d'appel avait condamné l'employeur à lui verser des dommages et intérêts pour violation de la clause de garantie d'emploi, ce que contestait l'employeur.

La Cour de cassation confirme la position prise par les juges du second degré. Elle considère, en effet, que la clause de garantie d'emploi, qui garantissait à la salariée la stabilité de son emploi, était licite et devait recevoir application dès lors qu'aucune faute n'avait été commise par l'intéressée. Partant, le contrat de travail ne pouvait être rompu au cours de la période de garantie d'emploi, ce qui permettait à la salariée d'obtenir le versement de l'indemnité de préavis. Elle rappelle, enfin, qu'une telle clause, simplement destinée à garantir à la salariée le maintien de son emploi dans un contexte économique difficile, ne constitue pas une clause pénale.

L'employeur, malgré la cession d'actions intervenue, était donc tenu par la clause de garantie d'emploi qui avait été ajoutée au contrat de travail de la salariée.

2. Une solution parfaitement logique

Comme nous l'avons vu, une clause de garantie d'emploi remplissant les conditions de validité préalablement énoncées ne peut être écartée, et ce même si l'employeur considère que l'indemnité versée au salarié est manifestement excessive. Seule la faute de la salariée, lorsqu'elle a été prévue par l'employeur comme limite à la clause de garantie d'emploi, est susceptible de libérer ce dernier.

Dans l'espèce commentée, le bénéfice de la clause était limité par la faute lourde de la salariée, mais aucune faute n'ayant été relevée à son encontre, l'employeur ne pouvait que la conserver à son service pendant toute sa durée ou l'indemniser.

  • Sanction de la violation d'une clause de garantie d'emploi

La violation par l'employeur d'une clause de garantie d'emploi emporte l'allocation, au profit du salarié, de dommages et intérêts destinés à réparer le préjudice résultant de la violation de la clause. Ces dommages et intérêts s'ajoutent aux sommes éventuellement perçues par le salarié licencié sans cause réelle et sérieuse. La jurisprudence considère, dans ce cas, que le licenciement, intervenu en violation d'une clause de garantie d'emploi, est sans cause réelle et sérieuse et que l'employeur est tenu de verser cumulativement l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et l'indemnité destinée à compenser le préjudice résultant de la violation de la clause de garantie d'emploi (Cass. soc., 27 octobre 1998, n° 95-43.308, M. Schroeder c/ Groupement d'intérêt économique Services pour la Caisse des dépôts et consignations, publié N° Lexbase : A5717ACQ). Seul le revenu de remplacement versé par les Assedic n'est pas cumulable avec les dommages et intérêts versés en contrepartie de la violation de la clause de garantie d'emploi (Ass. plén., 13 décembre 2002, n° 00-17.143, M. Michel Brocard c/ Assedic de l'Ain et des Deux Savoies, P N° Lexbase : A4092A4C).

Ce préjudice est apprécié souverainement par les juges du fond.

Néanmoins, la jurisprudence la plus récente, calquée sur l'indemnisation du contrat de travail à durée déterminée rompu avant terme, considère que, dans une telle hypothèse, il y a lieu d'indemniser le salarié du solde des salaires restant dus jusqu'au terme de la période de garantie (Cass. soc., 27 octobre 1998, n° 95-43.308, préc.). Cette indemnisation est fondée sur le principe de réparation intégrale du préjudice, lequel trouve son fondement dans les articles 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) et 1149 (N° Lexbase : L1250ABW) du Code civil. L'indemnité n'est donc pas réductible, ce qui n'aurait pas été le cas si elle avait été considérée comme une clause pénale.

  • Irréductibilité de l'indemnité versée en contrepartie de la violation d'une clause de garantie d'emploi

La clause pénale est la clause dans laquelle les parties à une convention prévoient de sanctionner l'inexécution ou la mauvaise exécution par l'un des cocontractants de son obligation. La sanction est destinée à réparer la perte ou le manque à gagner de l'autre partie. Lorsque cette sanction est prévue au contrat, elle peut être réduite par le juge sur le fondement de l'article 1152 du Code civil (N° Lexbase : L1253ABZ).

Une clause de garantie d'emploi ne peut être assimilée à une clause pénale. Elle peut encore moins recevoir cette qualification. Il existe, en effet, une différence d'objet entre elles qui impose de les distinguer.

Une clause de garantie d'emploi n'a pas pour objet de sanctionner l'inexécution par l'employeur de l'interdiction qu'il s'est fait de rompre le contrat de travail qui le lie à son salarié. Son objet est de préserver le salarié de la perte de son emploi dans un contexte économique rendant difficile son reclassement professionnel, comme le rappelle la Cour de cassation dans la décision commentée.

La sanction n'est, ainsi, que la conséquence de l'inobservation par l'employeur de la garantie qu'il avait accordée au salarié, elle n'est pas l'objet même de la clause. Aucune assimilation n'est donc possible.

Décision

Cass. soc., 23 octobre 2007, n° 06-42.994, Société de distribution du Beauvaisis (SDB) Auchan, FS-P+B (N° Lexbase : A8582DYI)

Rejet (CA Amiens, 5ème ch. soc., sect. A)

Texte concerné : néant.

Mots-clefs : clause de garantie d'emploi ; licéité ; absence de faute commise par le salarié ; application de la clause ; qualification ; objet ; durée déterminée ; clause pénale.

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