La lettre juridique n°280 du 8 novembre 2007 : Social général

[Jurisprudence] L'article L. 122-12 s'applique en cas de reprise momentanée par une collectivité publique d'une activité exercée auparavant par une personne morale de droit privé

Réf. : Cass. soc., 23 octobre 2007, n° 06-45.289, Mme Blandine Benoist, FS-P+B (N° Lexbase : A8603DYB)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Si l'arrêt rendu le 23 octobre dernier par la Cour de cassation mérite de retenir l'attention, ce n'est certainement pas au regard des règles de principe qui y sont affirmées. En effet, en soulignant que l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L5562ACY) est applicable en cas de transfert d'une entité économique autonome qui conserve son identité et dont l'activité est poursuivie ou reprise, la Chambre sociale ne fait que reprendre une solution solidement ancrée dans notre droit positif. De même, l'affirmation selon laquelle constitue une entité économique autonome un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels, permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre, ne constitue pas une nouveauté. Ce qui est, en revanche, intéressant, c'est l'application de ces principes de solution à une hypothèse dans laquelle une collectivité publique avait repris une activité auparavant exercée par une personne morale de droit privé pour une période extrêmement brève et transitoire.

Résumé

L'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail est applicable en cas de transfert d'une entité économique autonome qui conserve son identité et dont l'activité est poursuivie ou reprise. Constitue une entité économique autonome un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels permettant l'exercice d'une activité économique autonome qui poursuit un objectif propre.

En ne recherchant pas, ainsi qu'elle y était invitée, si une commune n'avait pas repris, en vue de la poursuite de l'activité dont était auparavant chargée une association, l'ensemble des moyens en locaux et en matériel éducatif et sportif mis à la disposition de cette association et nécessaires à l'exercice de l'activité, la cour d'appel saisie du litige a privé sa décision de base légale.

La seule reprise par une collectivité publique d'une activité auparavant exercée par une personne morale de droit privé, avec des moyens mis à sa disposition, ne peut suffire à constituer une modification dans l'identité de l'entité reprise.

1. Le transfert d'une entité économique

  • Notion d'entité économique

Depuis 1990, et la décision rapportée ne fait pas exception à la règle, la Cour de cassation reproduit, dans tous ses arrêts concernant l'application de l'article L. 122-12, alinéa 2, le même attendu de principe. Ce texte est applicable "en cas de transfert d'une entité économique autonome qui conserve sont identité et dont l'activité est poursuivie ou reprise".

La notion "d'entité économique" n'est définie ni par la loi, ni par la jurisprudence. La Directive 2001/23/CE du 12 mars 2001 (N° Lexbase : L8084AUX), dont la Chambre sociale rappelle qu'elle doit éclairer l'interprétation de l'article L. 122-12, alinéa 2, apporte, toutefois, en la matière, d'utiles précisions. S'inspirant de la jurisprudence communautaire, la Directive précise que l'entité économique doit être entendue "comme un ensemble organisé de moyens, en vue de la poursuite d'une activité économique, que celle-ci soit essentielle ou accessoire". Ce faisant, la Directive confirme l'orientation de la jurisprudence française qui distingue l'entité économique de la simple "activité économique" et qui affirme que l'existence d'une entité économique suppose, outre l'activité, des moyens propres, corporels ou incorporels, permettant de poursuivre cette activité (sur l'ensemble de la question, v., notamment, J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Précis Dalloz, 23ème éd., 2006, pp. 416 et s.).

C'est cette position que la Cour de cassation rappelle dans la présente affaire, en affirmant que "constitue une entité économique autonome un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre".

  • Mise en oeuvre

Dans la majorité des hypothèses, l'existence d'une entité économique ne sera reconnue que lorsque le transfert de l'activité s'accompagne d'un transfert d'actifs significatifs, qu'ils soient corporels ou incorporels. Il appartient donc au juge de vérifier si un tel transfert a eu lieu. Par suite, et ainsi que le souligne la Cour de cassation en l'espèce, la cour d'appel saisie du litige aurait dû rechercher "si la commune de Tours n'avait pas repris, en vue de la poursuite de l'activité dont était auparavant chargée l'association Acces, l'ensemble des moyens en locaux et en matériel éducatif et sportif mis à la disposition de cette association et nécessaires à l'exercice de l'activité". On pourra s'étonner que les juges d'appel n'aient pas procédé à une telle recherche, tant celle-ci s'avérait nécessaire au regard de la jurisprudence la plus classique de la Cour de cassation en la matière. Il faut, cependant, prêter attention aux faits de l'affaire qui sortaient quelque peu de l'ordinaire.

Pour aller à l'essentiel, il convient de relever que l'association Acces Tours était chargée de la gestion, dans les locaux mis à sa disposition par la ville de Tours, de huit foyers assurant des activités de crèche, d'accueil périscolaire et de loisirs sans hébergement. Placée en liquidation judiciaire au mois de mai 2002, l'association a cessé toute activité à la fin du mois de juin 2002. Le liquidateur judiciaire a soumis, le 9 juillet 2002, au comité d'entreprise, un plan de sauvegarde de l'emploi et est intervenu auprès de la commune pour qu'elle favorise le reclassement du personnel. Il a, ensuite, notifié aux salariés de l'association des licenciements pour motif économique, le 13 juillet 2002. Etaient, notamment, concernées Mme B., affectée comme secrétaire au foyer Courteline et Mme T., employée en qualité d'animatrice au foyer Gentiana. La gestion des foyers ayant été assurée directement par la commune à partir de la fin du mois de juin 2002 et jusqu'au mois de septembre suivant, les deux salariées en question ont vainement demandé le maintien de leur emploi.

A partir du mois de septembre 2002, la gestion des foyers a été répartie entre trois associations chargées par la commune de leur gestion, dont l'association Courteline pour le foyer du même nom et l'association Fédération Léo Lagrange pour d'autres foyers, dont le foyer Gentiana. Soutenant que leur contrat de travail aurait dû se poursuivre avec la commune, puis avec les associations gestionnaires, Mmes B. et T. ont saisi le juge prud'homal de demandes en dommages-intérêts.

Pour comprendre la décision des juges du fond, il nous paraît essentiel de retenir que la commune n'avait directement assuré la gestion des foyers de l'association Acces Tours que de manière tout à fait transitoire et pour une brève période, allant de juin à septembre 2002. Sans doute, cet argument n'est-il pas évoqué par la cour d'appel qui a retenu, pour juger que l'entité économique exploitée par l'association Acces Tours n'avait pas été transférée, que la commune n'avait pas acquis des biens de l'association ou des éléments d'exploitation et qu'aucune cession d'unité de production n'a été ordonnée à l'occasion de la procédure collective. Par suite, le maintien de l'activité de la commune s'apparentait à une gestion d'affaires et une mise à disposition gratuite ne pouvait s'assimiler à un transfert d'éléments corporels au sens de la jurisprudence.

Il faut, d'un point de vue juridique, approuver la Cour de cassation pour avoir refusé d'entrer dans une telle logique. A notre sens, en effet, admettre le raisonnement de la cour d'appel aurait conduit, peu ou prou, à écarter l'application de l'article L. 122-12, alinéa 2, en l'absence de lien de droit entre les employeurs successifs. Or, on le sait, une telle exigence est écartée par la Cour de cassation depuis 1990 (Ass. plén., 16 mars 1990, n° 89-45.730, Procureur général près la Cour de Cassation c/ M. Appart et autres, publié N° Lexbase : A9499AA3 ; Dr. soc. 1990, p. 399, concl. H. Dontenwille, obs. G. Couturier et X. Prétot). Seul importe le fait de savoir si la poursuite de l'activité s'est accompagnée de la reprise de moyens d'exploitation nécessaires à l'exercice de l'activité. Parfaitement justifiée d'un point de vue juridique, la solution peut, néanmoins, conduire à un résultat concret pour le moins curieux. Car, à supposer que soit constaté que la commune avait repris "l'ensemble des moyens en locaux et en matériel éducatif et sportif" mis à la disposition de l'association, il faut en conclure que les contrats de travail ont été transférés à la commune, alors même que la poursuite de l'activité par cette dernière a duré moins de trois mois (1).

Conséquence éventuelle d'autant plus étrange que, dans le même temps, la Cour de cassation approuve les juges du fond d'avoir décidé que l'entité économique, dont l'association Acces Tours assurait auparavant la gestion, avait perdu son identité, en considérant qu'à partir du mois de septembre 2002 et dans le cadre d'une redéfinition des missions dévolues aux associations mandatées par la commune et d'une réorganisation de l'ensemble des services antérieurement confiés à l'association Acces Tours, décidées par la ville de Tours, la gestion des foyers avait été répartie entre plusieurs opérateurs intervenant sur des secteurs différents, en exécution de marchés publics distincts. En d'autres termes, s'il y avait lieu à transfert des contrats de travail en application de l'article L. 122-12, alinéa 2, ce n'était qu'à l'égard de la commune, qui n'avait, pourtant, poursuivi l'activité que pendant deux mois (2).

2. Le maintien de l'identité de l'entité économique transférée

  • Notion

Ce n'est pas parce qu'il y a transfert d'une entité économique autonome que l'article L. 122-12, alinéa 2, trouve à s'appliquer et que les contrats de travail doivent être maintenus. Il faut, encore, que l'entité transférée conserve son identité. Une telle exigence est respectée lorsqu'il y a une certaine similarité entre l'avant et l'après. Par suite, le repreneur qui continue la même activité économique, mais en modifiant les méthodes de production, en utilisant un autre matériel (3) ou, encore, en travaillant dans de nouveaux locaux, n'a pas à reprendre les salariés affectés à l'activité transférée, faute, pour cette dernière, d'avoir conservé son identité.

De manière plus particulière, on sait que la Cour de cassation a, durant de nombreuses années, considéré que l'entité économique perdait son identité lorsqu'elle passait du secteur public au secteur privé, ou inversement. Elle a abandonné cette jurisprudence en 2002, en affirmant "que la seule circonstance que le cessionnaire soit un établissement à caractère administratif lié à son personnel par des rapports de droit public ne peut suffire à caractériser une modification dans l'identité de l'entité économique transférée" (Cass. soc., 25 juin 2002, n° 01-43.467, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0029AZ4 ; Bull. civ. V, n° 209 ; Dr. soc. 2002, p. 1013, obs. A. Mazeaud) (4).

C'est cette solution que vient, en l'espèce, reprendre la Chambre sociale, en affirmant que "la seule reprise par une collectivité publique d'une activité auparavant exercée par une personne morale de droit privé, avec des moyens mis à sa disposition, ne peut suffire à constituer une modification dans l'identité de l'entité reprise".

  • Mise en oeuvre

Pour écarter l'application de l'article L. 122-12, alinéa 2, la cour d'appel avait, en l'espèce, retenu que l'entité dont cette dernière avait poursuivi l'activité n'avait pas conservé son identité dès lors que l'intervention ponctuelle de la ville de Tours n'était destinée qu'à assurer la continuité du service public, mis en péril par la grève du personnel d'Acces, et que l'activité ainsi poursuivie se confondait avec l'ensemble des missions de service public de la ville et ne pouvait que perdre son identité propre à l'intérieur de l'ensemble des services publics gérés par la ville.

Cette argumentation n'était guère convaincante et certainement insuffisante à justifier une éventuelle perte de l'identité de l'activité reprise par la commune. On peut, tout au contraire, supposer que cette identité avait été belle et bien conservée. A dire vrai, il y a tout lieu de penser que la cour d'appel avait souhaité tenir compte des motivations de la commune. Il n'en reste pas moins que celle-ci ne pouvait, en aucune façon, être prise en compte pour écarter l'application de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail. Par suite, et là encore, la solution retenue par la Cour de cassation doit être approuvée. Mais, et il convient de le relever pour conclure, la rigueur de celle-ci n'est guère de nature à inciter une commune à maintenir l'activité d'une association qui a disparu dans l'attente d'une solution de rechange.


(1) Il faut aussi approuver la Cour de cassation pour avoir déclaré inopérant le moyen tiré de l'absence de reprise du personnel en grève par la commune. Il devrait, à notre sens, en aller de même dans les hypothèses où la Cour de cassation admet qu'une collectivité de travail que réunit durablement une activité commune peut correspondre à une entité économique, sans que le transfert d'activité s'accompagne d'un transfert d'actifs corporels ou incorporels (v. sur la question, J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, ouvrage préc., § 337 et la jurisprudence citée). Relevons que cette solution, qui peut prêter le flanc à la critique, est quelque peu contredite par l'affirmation de la Chambre sociale selon laquelle "constitue une entité économique autonome un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels [...]" (c'est nous qui soulignons). La conjonction "et" paraît exclure du champ d'application de l'article L. 122-12, alinéa 2, le cas dans lequel le transfert ne concerne que des personnes.
(2) Ce qui pouvait conduire à faire de celle-ci l'employeur de salariés qu'elle n'avait, au fond, connus que pour cette brève période. Il faut, cependant, relever que, dans une telle hypothèse, rien n'interdit à la commune et aux nouveaux opérateurs de s'entendre pour assurer le transfert conventionnel des contrats de travail.
(3) Il va de soi que les changements doivent revêtir une certaine importance.
(4) Solution à laquelle s'est rallié le Conseil d'Etat par l'arrêt "Lamblin" du 22 octobre 2004 (CE Contentieux, 22 octobre 2004, n° 245154, M. Lamblin N° Lexbase : A6266DDG ; Dr. soc. 2005, p. 43).
Décision

Cass. soc., 23 octobre 2007, n° 06-45.289, Mme Blandine Benoist, FS-P+B (N° Lexbase : A8603DYB)

Cassation partielle (CA Orléans, audience solennelle, 7 septembre 2006)

Textes visés : C. trav., art. L. 122-12 (N° Lexbase : L5562ACY) interprété à la lumière de la Directive 2001/23/CE du 12 mars 2001 (N° Lexbase : L8084AUX).

Mots-clefs : modification dans la situation juridique de l'employeur ; transfert des contrats de travail ; entité économique autonome ; maintien de l'identité ; passage du secteur privé au secteur public.

Lien bases :

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