Réf. : Cass. soc., 23 octobre 2007, n° 06-40.950, Syndicat professionnel l'Union des opticiens (UDO), FS-P+B (N° Lexbase : A8560DYP)
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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Résumé
L'employeur qui se contente de faire bénéficier d'un stage de trois jours des salariées embauchées dans l'entreprise respectivement depuis 12 et 24 ans manque à son obligation d'adaptation des salariés à leur poste de travail. Ce manquement constitue une exécution défectueuse du contrat de travail entraînant un préjudice distinct de celui découlant de sa rupture. |
1. Un préjudice classique matérialisé dans le licenciement pour motif économique
Si l'arrêt commenté rappelle que le manquement de l'employeur à son devoir d'adaptation du salarié à son poste de travail peut lui causer un préjudice résultant de la rupture du contrat de travail, c'est probablement parce que c'est bien dans le cadre du licenciement pour motif économique que s'est développée cette obligation.
C'est la jurisprudence qui, la première, s'était penchée sur cette question. A travers le célèbre arrêt "Expovit", rendu en 1992, elle institua une obligation, à la charge de l'employeur, d'adapter les salariés à l'évolution de leur emploi (2). La solution fut souvent confirmée par la Chambre sociale de la Cour de cassation (3), jusqu'à ce que le législateur ne prenne la mesure de l'importance que revêtait la formation des salariés et n'institue cette obligation, de manière générale, à l'article L. 930-1 du Code du travail (N° Lexbase : L8835G7D) (4).
Comme l'avait très justement révélé la Cour de cassation en 1992, l'obligation d'adaptation est de nature contractuelle, elle participe de l'idée selon laquelle le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi (5).
Il s'agit, donc, d'une obligation accessoire aux obligations principales du contrat de travail. Outre que l'employeur doit fournir un travail à son salarié et le rémunérer pour cette tâche, il doit s'assurer, selon la formule consacrée, que le salarié demeure adapté à son poste de travail et doit veiller au maintien de ses capacités à occuper un emploi.
Cette obligation d'adaptation se traduit principalement par le devoir, pour l'employeur, de faire des efforts de formation et d'adaptation du salarié sans lesquels son reclassement, dans le cadre d'un licenciement pour motif économique, peut s'avérer difficile, voire impossible. Cela passe, évidemment, par la mise à disposition du salarié de différentes formations sous forme de stages ou d'apprentissages théoriques. De la même manière, une période d'adaptation doit être laissée au salarié après la mise en place d'un nouveau logiciel (6).
L'obligation n'est pourtant pas sans limites (7). On ne saurait, ainsi, exiger de l'employeur qu'il pallie les carences de la formation initiale du salarié (8). Dans le même ordre d'idées, il ne peut être reproché à l'employeur de ne pas avoir fait suivre à son salarié une formation d'une trop longue durée, par exemple une formation s'étalant sur trois années (9).
Jusqu'à présent, le manquement à l'obligation d'adaptation ne donnait lieu qu'à une sanction unique. Le préjudice subi par le salarié se matérialisait toujours dans l'intervention d'un licenciement pour motif économique. A la suite de difficultés économiques ou de mutations technologiques, le salarié n'était plus adapté à son emploi et l'employeur prononçait son licenciement.
La Cour de cassation a toujours estimé que le licenciement était, dès lors, dépourvu de cause réelle et sérieuse. En effet, si l'employeur avait exécuté son obligation d'adaptation, un reclassement du salarié aurait été envisageable. Sachant qu'un licenciement pour motif économique est considéré comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse (10) si l'employeur s'est prononcé sans avoir suffisamment recherché si le reclassement du salarié était envisageable, le salarié percevait donc les indemnités afférentes à ce type de rupture du contrat de travail.
Si l'existence de ce préjudice est, bien entendu, confirmée dans l'arrêt commenté, la Cour de cassation se prononce en faveur de l'existence d'un autre préjudice subi par le salarié du fait de la mauvaise exécution de l'obligation d'adaptation par l'employeur. La réparation de ce nouveau préjudice est, pour le moins, innovante.
2. Un préjudice nouveau lié au défaut de formation reçu par le salarié
La cour d'appel avait décidé d'allouer des dommages-intérêts pour violation de l'obligation de formation des deux salariées concernées dans cette affaire, indemnisation distincte de celle perçue en raison de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement.
La Cour de cassation rejette le pourvoi formé contre cette décision. Elle estime, en effet, qu'à côté du préjudice subi du fait du licenciement, les salariées ont subi un préjudice distinct résultant du manquement de l'employeur dans l'exécution du contrat de travail.
Quelle est donc la nature exacte de ce préjudice ? Comme celui relatif au licenciement, il s'agit, bien entendu, d'un préjudice matériel. Si ces salariées ont perdu leur emploi de manière injustifiée, elles vont, également, connaître des difficultés pour retrouver un nouvel emploi. L'une était restée 12 années au service de l'entreprise, l'autre 24 ans. Durant ces périodes, il ne leur avait été permis d'effectuer qu'un stage de 3 jours. Sur un marché du travail pour le moins volatile et pour lequel les facultés d'adaptation des salariés sont un critère déterminant dans la recherche d'un emploi, l'absence d'évolution de leurs connaissances leur était très probablement préjudiciable.
Si la Cour de cassation ne reprend pas expressément les termes de la cour d'appel qui voyait, dans les manquements de l'employeur, une violation de "l'obligation de formation", c'est bien cela qui cause implicitement le préjudice. Les salariées ne seront pas suffisamment formées, pas suffisamment armées pour affronter le marché de l'emploi, et ce déficit de formation est, en partie, dû aux manquements contractuels de l'employeur.
Bien que l'obligation d'adaptation ne soit plus totalement une obligation contractuelle, accessoire et implicite, mais bien une obligation légale imposée par le Code du travail, la solution rendue par la Cour semble s'inscrire dans une parfaite logique contractuelle.
En effet, le défaut d'exécution ou l'exécution imparfaite d'une obligation contractuelle donne lieu à indemnisation, comme le prévoit l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT). Il existe donc un préjudice propre à cette inexécution, indépendamment de tout licenciement économique ultérieur.
Cette logique contractuelle justifie, également, l'existence de deux sanctions différentes pour l'employeur. En effet, seuls la responsabilité pénale et, dans le même esprit, le droit disciplinaire en droit du travail, imposent l'unicité de la sanction, si bien qu'un même fait ne peut, dans ces domaines, donner lieu à deux sanctions différentes. Mais, outre que l'indemnisation du préjudice ne s'analyse pas comme une véritable sanction, mais plutôt comme une réparation, il n'existe aucune règle limitant l'indemnisation à la réparation d'un seul préjudice en matière de responsabilité civile, qu'elle soit contractuelle ou délictuelle. Par le jeu de cette qualification contractuelle, il n'y avait donc pas d'objection à ce que deux préjudices distincts, subis par les salariées, soient réparés par l'employeur.
Quant à l'argument qui consisterait à dire que l'obligation n'est pas contractuelle mais légale, il paraît inopérant car il impliquerait d'exclure du champ contractuel toute obligation imposée par la loi, dans le cadre d'un contrat. Ainsi, si le législateur prescrit que le contrat de travail doit s'exécuter de bonne foi, l'obligation demeure une obligation contractuelle et en suit le régime. L'existence de deux préjudices distincts n'était donc pas techniquement contestable.
Par la reconnaissance logique de ce préjudice, la Chambre sociale de la Cour de cassation élargit notablement le champ de l'obligation d'adaptation des salariés à leur emploi. Cette obligation n'aura plus seulement pour objet d'empêcher des employeurs peu scrupuleux de licencier un salarié en raison d'évolutions de l'entreprise sans avoir fait le moindre effort pour permettre à ce salarié d'évoluer avec elle.
En effet, les deux préjudices identifiés par les juges étant distincts, on pourrait parfaitement imaginer, demain, des recours effectués devant le juge prud'homal par des salariés qui, n'ayant pas subi de licenciement pour motif économique, reprocheraient à leur employeur un manquement à l'obligation d'adaptation en raison de l'absence de formation pendant la durée de leur contrat de travail. Cette évolution parait conforme à l'évolution du droit du travail et du marché de l'emploi dans lesquels la qualité de la formation des salariés est, sans cesse, mise en avant. Cela s'inscrit, d'ailleurs, dans le cadre de l'apparition d'un véritable droit individuel à la formation (Dif), tel que l'a prévu la loi du 4 mai 2004.
Cependant, selon ce texte, l'accès aux formations individuelles doit s'opérer à la demande du salarié, demande qui doit être acceptée par l'employeur (11). Avec l'arrêt commenté, on peut se demander si la Cour de cassation ne souhaite pas aller plus loin. Ce ne serait plus au salarié de prendre l'initiative et de demander à bénéficier de son droit à la formation, mais bien à l'employeur de proposer, de lui-même, en exécution de son obligation contractuelle d'adaptation de ses salariés, des formations durant l'exécution du contrat de travail.
Deux conceptions sont, alors, envisageables. Soit l'on considère que réapparaît, ici, le hiatus entre les sources de l'obligation, l'obligation de formation d'origine légale ne s'imposant que sur demande du salarié, l'obligation contractuelle s'imposant d'elle-même à l'employeur. Si l'on suit cette interprétation, il faut alors considérer que la décision de la Cour de cassation est mal fondée et qu'elle aurait dû s'assurer que les salariées avaient fait des demandes de formation qui ont été refusées. Soit l'on estime que la Cour de cassation, en étendant le champ de l'obligation d'adaptation, ajoute à l'obligation légale de fournir des formations au salarié qui le demande, une autre obligation, contractuelle cette fois, et qui imposerait à l'employeur de prendre les devants face à des salariés ne prenant pas cette initiative. Si la rédaction de l'arrêt, reprenant exactement les termes du Code du travail, permet de pencher vers la première proposition, la logique et le respect des termes du Code poussent plutôt à prendre parti pour la seconde.
Quoiqu'il en soit, que l'une ou l'autre de ces interprétations soit retenue, il faut conclure à l'accroissement de la vigueur de l'obligation de formation et d'adaptation des salariés à leur emploi, accroissement qui emporte, insidieusement, le renforcement du droit à la formation des salariés.
Décision
Cass. soc., 23 octobre 2007, n° 06-40.950, Syndicat professionnel l'Union des opticiens (UDO), FS-P+B (N° Lexbase : A8560DYP) Rejet (CA Paris, 21ème ch., sect. C, 15 décembre 2005) Texte concerné : C. trav., art. L. 930-1 (N° Lexbase : L8835G7D) Mots-clés : obligation de formation ; obligation d'adaptation des salariés à leurs emplois ; manquement à l'exécution du contrat de travail. Lien bases : |
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