Réf. : Délibération Halde n° 2007-272 du 22 octobre 2007, Marc Diot (N° Lexbase : X9865ADQ)
Lecture: 10 min
N9884BC3
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Résumé
Un accord collectif ne peut réserver aux salariés non nationaux de l'entreprise le bénéfice de primes d'expatriation et de dépaysement. |
1. Affaire du "Synchrotron" et justification des différences salariales entre salariés nationaux et non-nationaux
Afin de favoriser le recrutement de chercheurs étrangers de haut niveau, le Synchrotron, consortium européen de recherche, avait mis en place, par la voie conventionnelle, une politique de rémunération attractive réservant aux seuls salariés non nationaux de l'entreprise le bénéfice d'une prime d'expatriation et de dépaysement (article 50 de la convention collective d'entreprise en date du 18 juin 1993).
De nombreux chercheurs français, se considérant comme victimes d'une discrimination fondée sur la nationalité, ont protesté contre ces dispositions, faisant valoir qu'en dépit des apparences, ils ne se trouvaient pas dans une situation réellement différente de nombreux chercheurs étrangers, embauchés par l'entreprise, mais qui résidaient déjà en France au moment de leur embauche.
Certainement soucieux de régler la question de manière définitive et négociée, les partenaires sociaux ont modifié les critères conventionnels d'attribution de cette prime, par un accord signé en octobre 2001, pour ne plus viser qu'un critère plus neutre de résidence, tout en maintenant le bénéfice de la prime pour les salariés en ayant effectivement bénéficié antérieurement.
Pour étayer son raisonnement, un ingénieur français, décidé à faire plier l'entreprise, avait saisi le conseil de prud'hommes de Grenoble en se fondant, notamment, sur un arrêt rendu en 2002 par la Chambre sociale de la Cour de cassation, qui semblait condamner toute possibilité de justifier une différence de traitement par le seul critère de la nationalité des salariés (1).
L'argumentation développée avait convaincu la cour d'appel de Grenoble qui avait fait droit à ses demandes, considérant "qu'aucune autre condition objective d'attribution que la nationalité étrangère n'est stipulée dans la convention d'entreprise en ce qui concerne l'indemnité d'expatriation au profit des ressortissants non-français des pays des parties contractantes et qu'ainsi, le fait que la prime d'expatriation bénéficie à un ressortissant étranger déjà installé en France au moment de son recrutement, interdit à la société ESRF de prétendre sérieusement que le but poursuivi par l'instauration de cette prime vise à favoriser la circulation et le séjour des nationaux des Etats des parties contractantes" (2).
Cet arrêt fut cassé le 16 novembre 2005, la Chambre sociale de la Cour de cassation considérant, au contraire, que l'inégalité salariale dénoncée "vise non seulement à compenser les inconvénients résultant de l'installation d'un individu et de sa famille en pays étranger, mais aussi à faciliter l'embauche des salariés ressortissants non français des parties contractantes afin de contribuer à la création d'un pôle d'excellence scientifique international [et] qu'ainsi l'avantage conféré aux salariés étrangers reposait sur une raison objective, étrangère à toute discrimination en raison de la nationalité" (3).
Dans la mesure où la cassation était prononcée sans renvoi, le salarié concerné, M. D., décidait alors d'agir devant la Cour européenne des droits de l'Homme, puis de ressaisir le conseil de prud'hommes de Grenoble d'une demande analogue, mais portant sur une période différente de l'objet de sa première action.
C'est dans le cadre de ce nouveau litige, et dans l'attente du nouvel arrêt de la cour de Grenoble, que ce même salarié a saisi la Halde. Comme la cour d'appel de Grenoble dans sa précédente décision du 3 novembre 2003, la Halde considère cette différence de traitement comme non justifiée et a demandé à être entendue lors de l'audience d'appel, comme le lui permettent, désormais, ses statuts modifiés en ce sens par la loi du 31 mars 2006 sur l'égalité des chances (article 13) (loi n° 2006-396 du 31 mars 2006, pour l'égalité des chances N° Lexbase : L9534HHL).
Le moins que l'on puisse dire est que l'argumentation développée par la Halde, qui reprend, d'ailleurs, les motifs retenus avant elle par la cour d'appel de Grenoble, n'emporte pas pleinement l'adhésion dans la mesure où celle-ci ne discute, à aucun moment, les arguments développés par la Cour de cassation dans sa décision de 2005 pour justifier les différences de traitement.
Revenant, dans son rapport annuel, sur cette solution, la Cour de cassation avait précisé qu'"il est apparu à la Chambre sociale, comme d'ailleurs au conseil de prud'homme ayant statué en premier ressort, qu'en réalité la formulation de la condition mise à l'octroi d'une prime d'expatriation procédait davantage d'une terminologie maladroite que d'une véritable discrimination fondée sur la nationalité. En effet, les termes des accords internationaux et des statuts de la société du synchrotron faisaient clairement apparaître que la seule finalité de l'octroi de cette prime d'expatriation était de compenser les inconvénients résultant de l'installation d'un individu et de sa famille en pays étranger et de faciliter l'embauche des salariés ressortissants non français des parties contractantes afin de contribuer à la création d'un pôle d'excellence scientifique international, ce qui constituait une raison objective étrangère à toute discrimination en raison de la nationalité" (4).
Il est, dès lors, pour le moins regrettable que la Halde n'ait pas souhaité entrer dans cette discussion pour s'en tenir à une posture classique consistant à réputer, de manière quasiment irréfragable, comme illicite toute différence de traitement fondée sur un critère de nationalité, sans rechercher si cette différence de nationalité ne révélait pas, en réalité, une différence de situation entre les parties. Or, le fait de vouloir faire venir en France, ou de vouloir inciter des chercheurs étrangers déjà installés à demeurer sur le sol français, semble a priori légitime, à tout le moins suffisant pour être discuté comme une justification possible.
Il est, également, étonnant de voir la Halde opposer l'arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 9 novembre 2005 et la décision précédente rendue dans l'affaire de l'"Institut Goethe" en 2002, où la Cour avait, il est vrai, adopté une position plus rigide sur les justifications admises aux différences de traitement fondées sur un critère de nationalité (5).
La mise en perspective de ces deux décisions, et ce afin de créer un sentiment de contradiction au sein de la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation, est toutefois discutable car, contrairement à ce que semble sous-entendre la Halde, les cas de figure n'étaient pas comparables. Dans l'arrêt rendu en 2002, en effet, l'employeur ne fournissait aucune explication à la différence de traitement, si ce n'est l'existence de la règle elle-même. Or, dans l'affaire du "Synchrotron", la situation était bien différente dans la mesure où la différence dénoncée était justifiée par des impératifs de gestion du personnel et, singulièrement, par la nécessité d'inciter les chercheurs étrangers, dont la valeur sur le "marché" pouvait être considérable, à demeurer sur le sol français et à renforcer les équipes de recherche existantes.
2. L'influence de la Halde dans le débat relatif à la justification des différences de traitement impliquant la nationalité des salariés
Restent à déterminer quelles peuvent être les conséquences de l'intervention de la Halde dans cette affaire. A court terme, la Halde fait ici application du pouvoir que lui confère l'article 13 de la loi du 30 décembre 2004 (loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004, portant création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité N° Lexbase : L5199GU4), tel qu'il résulte de la loi sur l'égalité des chances du 31 mars 2006, pour intervenir au procès dans l'affaire opposant M. D. au Synchrotron. Si, d'aventure, la Halde le décidait, elle pourrait, également, engager soit la procédure de transaction contre l'entreprise, coupable à ses yeux de discrimination, soit poursuivre directement celle-ci devant les juridictions répressives.
Compte tenu de la position adoptée dans cette affaire par la Chambre sociale de la Cour de cassation, il est plus que vraisemblable que l'entreprise refuserait toute transaction et irait, le cas échéant, défendre ses droits en cas de citation directe devant le tribunal correctionnel.
Compte tenu de l'implication de la Halde dans cette affaire et de la possible "criminalisation" du débat, une intervention préventive de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation, à tout le moins d'une Chambre mixte réunissant les conseillers des Chambres sociale et criminelle, serait opportune pour lever toute ambiguïté sur la légitimité de ces pratiques.
Cette affaire démontre, s'il en était besoin, que le recours au principe de non-discrimination, et plus largement au principe "à travail égal, salaire égal", n'est pas de nature à garantir la paix dans les entreprises. Comme dans d'autres affaires (6), la négociation collective semble mieux adaptée pour discuter de la légitimité des politiques d'individualisation des rémunérations. Dans cette affaire, d'ailleurs, les partenaires sociaux avaient certainement eu la sagesse de modifier des critères d'attribution des primes, ne faisant plus référence au critère controversé de la nationalité, au profit de celui, plus neutre, de la résidence. L'accord réservait, il est vrai, le maintien des droits acquis des salariés ayant préalablement bénéficié de ces primes, attribuées selon le critère de la nationalité, et ce afin de compenser le préjudice résultant de leur suppression éventuelle par application du nouvel accord, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation d'ailleurs (7).
Mais, on fera observer, ici, que le seul désir de compenser le préjudice résultant de la modification des critères d'attribution des primes ne saurait justifier le maintien de critères si ceux-ci devaient être considérés comme discriminatoires, et contribuent, d'ailleurs, à alimenter le contentieux, comme le démontre la poursuite des actions en justice dans l'entreprise.
Face à l'insécurité grandissante qui se fait jour en matière de justification des différences de traitement, il nous semble qu'une initiative d'ampleur nationale devrait être prise. Le meilleur moyen de régler de manière plus prévisible pourrait être, alors, de provoquer la négociation d'un accord national interprofessionnel, sur la question de l'égalité salariale, accord qui préciserait les critères pouvant conduire à opérer des différences de traitement entre des salariés ayant un même travail, ou un travail de valeur égale. Cet accord pourrait, alors, jeter les bases d'une nouvelle loi sur l'égalité salariale, conformément à la procédure souhaitée par le Parlement depuis l'adoption de la loi de modernisation du dialogue social votée en janvier 2007 (8). Il est grand temps que la démocratie sociale progresse !
Délibération de la Halde
Délibération Halde n° 2007-272 du 22 octobre 2007, Marc Diot (N° Lexbase : X9865ADQ) La Halde considère que l'article 50 de la convention collective de l'entreprise ESRF du 18 juin 1993 est discriminatoire en ce qu'il réserve, sans justification objective valable, aux salariés non-français de l'entreprise une prime de déménagement et de dépaysement, et demande à être entendue dans la nouvelle affaire opposant M. D. à l'entreprise lors de l'audience de la cour d'appel de Grenoble en date du 31 octobre 2007. |
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:299884