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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la Rédaction
le 05 Novembre 2015
A la suite du mot d'ordre donné au congrès des avocats le 9 octobre par le CNB (1), les barreaux se sont tous mobilisés au fur et à mesure, les assemblées générales votant la plupart du temps l'arrêt complet des désignations au titre de l'AJ. Certains ordres ont manifesté leur hostilité à la réforme devant les palais de Justice et des scènes d'accrochages ont eu lieu entraînant l'indignation des représentants des professions et l'appel à renforcer le mouvement. Ainsi, à Lille, le mardi 20 octobre, près de trois cents avocats étaient postés devant les différentes entrées du palais afin d'en interdire l'accès aux justiciables. Mais les forces de l'ordre intervinrent et quelques avocats furent mis à terre, trainés, leur robe déchirée, dont le Bâtonnier de Lille, Vincent Potié, et les images ont eu vite fait d'être diffusées largement (2).
Cet évènement a entraîné de nombreuses réactions : indignation et images insupportables, pour le Président du CNB, Pascal Eydoux ; images scandaleuses, pour le Président de la Conférence des Bâtonniers, Marc Bollet ; émotion, indignation et réprobation de tels actes, pour le Bâtonnier de Paris, Pierre-Olivier Sur. De quoi faire bouger la Chancellerie ? Rien de moins sur, puisque la Garde des Sceaux déclarait, lors de la séance des questions au Gouvernement que "les manifestations bruyantes de solidarité aujourd'hui ont quelque chose de désopilant" (3).
Le 22 octobre c'est à Toulouse que les avocats manifestants étaient bousculés par les forces de l'ordre. Le Bâtonnier Fauré dénonçant deux poids deux mesures : "Lorsque les policiers manifestent, aucune violence n'est portée à leur encontre et le Premier ministre fait droit à leurs revendications. Lorsque les avocats manifestent [...] on leur envoie les CRS ; il y a deux poids deux mesures et c'est inacceptable". Le même jour des incidents éclataient aussi à Boulogne-sur-Mer, entraînant, enfin, un laconique communiqué de presse des services de la Garde des Sceaux (4).
A l'assemblée générale du CNB le 23 octobre, un courrier émanant de la Chancellerie fut remis au Président Eydoux, annonçant que cette dernière était disposée à reprendre les discussions sur l'augmentation de la rémunération des avocats à l'aide juridictionnelle et à procéder à une remise à plat de l'unité de valeur, comme du barème. Si le CNB y voyait certes une bonne nouvelle, la méfiance restait de mise. Et en conséquence une motion proposant le maintien et le durcissement de la grève jusqu'au mercredi 28 octobre était présentée au vote et adoptée à... l'unanimité ! La grève concernait donc les audiences, les désignations et les consultations gratuites. Et la menace planait d'une grève totale et générale pour le vendredi 30 octobre en fonction de ce qui aurait été décidé lors du rendez-vous prévu avec la Chancellerie le 28.
... à un protocole d'accord qui n'emporte pas l'adhésion !
Le 28 octobre 2015, en fin de journée, le Conseil national des barreaux, la Conférence des Bâtonniers, le conseil de l'Ordre de Paris et la Chancellerie ont annoncé avoir finalisé un accord sur le financement de l'aide juridictionnelle et la revalorisation des unités de valeur.
Aux termes de cet accord, les CARPA sortent définitivement du dispositif de financement du service public d'accès à la justice. Aucun apport direct ou indirect de la profession ne vient s'y substituer. L'Etat prend l'engagement de mobiliser des moyens budgétaires complémentaires pour "boucler" le budget de l'AJ en 2016 : 36 millions d'euros supplémentaires seront mobilisés par l'Etat en 2016.
Le Gouvernement semble aussi avoir entendu les revendications de la profession et propose une revalorisation de l'UV pour tous les barreaux : + 12,6 % en moyenne. A titre indicatif pour Paris, la revalorisation est de 16 % et le montant de l'UV passe donc de 22,84 euros à 26,50 euros à compter du 1er janvier 2016.
Comme l'a souligné le Bâtonnier Pierre-Olivier Sur, même s'il constitue une avancée inespérée au regard du projet initial du PLF, le résultat obtenu est encore très loin des standards européens en matière d'accès au droit. Aussi a-t-il proposé au premier ministre d'organiser au 1er trimestre 2016 les premiers états généraux de l'accès au droit afin de réunir, en concertation avec toutes les parties prenantes, les conditions pérennes d'un accès à la justice pour tous les citoyens français.
Pour le Bâtonnier de Lille, Vincent Potié, ce protocole d'accord est encore pire que celui signé le 18 décembre 2000, qui prenait des mesures d'urgence sur l'augmentation des barèmes d'UV pour certaines procédures prioritaires, qui datait l'augmentation des UV pour d'autres procédures et qui engageait la Chancellerie à introduire une réelle réforme d'ensemble du mécanisme d'aide juridictionnelle, impliquant la juste rémunération des avocats. Le protocole du 28 octobre ne fait que, pour le Bâtonnier Potié, "pérenniser encore un statut quo que nous subissons depuis 15 ans, contre l'aumône de quelques euros, sans aucune considération pour notre juste rémunération, ni pour le justiciable que nous défendons, pour lequel nous nous battons".
Il estime que s'il est écrit que cette réforme ne sera pas financée par un prélèvement sur le produit financier des fonds CARPA, non plus que par une taxe spécifique sur la profession, il faut lire qu'une taxe globale sur l'ensemble des professions juridiques ou libérales, avocats compris, sera imposée très prochainement. Taxe qui pourrait trouver son assise dans le cadre de la discussion du projet de loi sur la justice du XXIème siècle.
De la promesse de la Chancellerie de poursuivre les discussions pour rechercher une contractualisation complémentaire pour permettre la convergence des trois unités de valeur vers une UV unique, il en comprend que les barreaux qui accèdent aujourd'hui à l'UV la plus élevée se verront proposer un contrat d'objectifs fixés et évalués par la Chancellerie pour atteindre l'UV la plus faible progressivement, à défaut de quoi il leur sera imposée l'UV la plus faible immédiatement.
Même son de cloches auprès du Bâtonnier Delomez, président de la Conférence régionale des Bâtonniers de la région Nord, qui estime que "ce nouveau protocole d'accord est pire que celui de 2000 car les incertitudes ne sont pas levées ! Nous avons obtenu 3 euros d'augmentation sur le montant de l'unité de valeur. C'est insuffisant et ça ne permet pas de travailler. Cela rattrape seulement l'érosion monétaire"
Et pour beaucoup, l'augmentation de la valeur de l'UV ne compensera pas le rehaussement du plafond pour bénéficier de l'aide juridictionnelle.
Aussi, alors que les barreaux avaient progressivement voté, à l'annonce de la signature de l'accord, la suspension du mouvement de grève, les barreaux du Nord continuaient à manifester leur désaccord. Le 3 novembre était organisée à Douai une nouvelle manifestation des avocats de la région. A plus de 400, ils ont réaffirmé leur hostilité à ce projet (5). Et deux préavis de grève totale ont été déposés. Le premier pour le 17 novembre prochain, si l'article 15 du projet de loi de finances n'a pas été réécrit, et l'autre une semaine plus tard, si le calendrier des discussions avec la Chancellerie sur la réforme de l'aide juridictionnelle n'est pas arrêté.
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