Lexbase Social n°629 du 15 octobre 2015 : Licenciement

[Jurisprudence] De la portée de la confirmation par le ministre du Travail d'une autorisation de licenciement

Réf. : Cass. soc., 29 septembre 2015, n° 13-27.872, FS-P+B (N° Lexbase : A5646NSW)

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N9391BUD

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par Christophe Radé, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 15 Octobre 2015

Quelques jours après avoir statué sur l'office du juge judiciaire postérieurement à la reprise par une commune des contrats de travail de salarié affectés à une activité jusque là concédée à une entreprise privée (Cass. soc., 22 septembre 2015, n° 13-26.032, FS-P+B N° Lexbase : A8417NPG et nos obs., Limites à l'office du juge judiciaire en cas de cession des contrats de travail à une commune, Lexbase Hebdo n° 628 du 8 octobre 2015 - édition sociale N° Lexbase : N9277BU7), la Chambre sociale de la Cour de cassation était de nouveau confrontée à la complexité d'une affaire dans laquelle une autorisation administrative de licenciement pour motif économique avait été confirmée par le ministre du Travail, et dans laquelle il s'agissait de déterminer si le juge judiciaire demeurait compétent pour apprécier une éventuelle situation de coemploi qui avait été ignorée par l'inspecteur du travail (I). La Haute juridiction censure, ici, la juridiction d'appel qui s'était trompée sur la portée de la décision par laquelle le ministre du Travail confirme l'autorisation de licenciement, et qui ne se substitue pas à celle-ci (II).
Résumé

L'autorité judiciaire est compétente pour se prononcer sur une situation de coemploi dès lors que la décision administrative qui a autorisé le licenciement du salarié ne s'était pas prononcée sur cette situation, peu important que le salarié l'ait soutenu devant le ministre du Travail lors de l'examen du recours hiérarchique qui a confirmé l'autorisation de licenciement.

Commentaire

I - La confirmation par le ministre du Travail de l'autorisation de licenciement d'un salarié protégé

Les faits. Un salarié protégé (en raison de son mandat de conseiller prud'hommes) avait été licencié pour motif économique par une société placée en liquidation judiciaire, après autorisation administrative de licenciement. Il avait alors saisi la juridiction prud'homale pour qu'une autre société soit reconnue comme son coemployeur et pour obtenir la nullité de son licenciement.

La cour d'appel de Rouen l'avait débouté de cette demande après avoir retenu que, dans son recours devant le ministre du Travail, le salarié soutenait que cette société avait la qualité de coemployeur, que le ministre avait confirmé la décision de l'inspecteur du travail alors qu'il avait connaissance de ce moyen, que l'intéressé n'avait exercé aucun recours devant le tribunal administratif et que l'autorité judiciaire n'était donc pas compétente pour apprécier la demande relative à l'existence d'un coemployeur.

C'est cet arrêt qui se trouve ici censuré pour violation de la loi des 16 et 24 août 1790 et le principe de la séparation des pouvoirs, dans la mesure où "la décision administrative qui avait autorisé le licenciement du salarié, ne s'était pas prononcée sur une situation de coemploi".

Une situation particulièrement complexe. La situation qui se présentait ici était des plus complexes car elle mêlait différents statuts.

En premier lieu, le licenciement avait été prononcé pour motif économique dans le cadre d'une liquidation judiciaire, l'entreprise cessant totalement son activité. Le mandataire liquidateur avait effectué une recherche de reclassement dans les entreprises du groupe susceptibles de présenter des emplois comparables, mais, à défaut d'emploi disponible, le reclassement avait été envisagé sur des emplois de catégorie inférieure, que le salarié avait refusés. Le licenciement avait donc été considéré comme inéluctable, après que l'inspecteur du travail, puisqu'il s'agissait ici d'un salarié protégé, eut lui-même constaté la cession définitive d'activité, qui constitue un motif économique à part entière, et l'impossibilité de reclasser le salarié concerné.

Le salarié avait saisi la juridiction prud'homale et considérait que la société mère du groupe devait être considérée comme ayant été son coemployeur, et lui réclamer des indemnités en raison de la nullité de son licenciement qui serait donc intervenu sans que cette société coemployeur n'ait, préalablement à son licenciement, obtenu une autorisation administrative préalable.

Quelques jours plus tard, il avait saisi le ministre du Travail d'un recours hiérarchique et fait valoir les mêmes arguments, à savoir l'existence d'un coemployeur n'ayant pas sollicité d'autorisation administrative de licenciement. Ce dernier avait confirmé l'autorisation et considéré que les efforts de reclassement avaient été réalisés et que le licenciement devait être autorisé en raison de la cessation totale et définitive d'activité de la société.

Il semble d'ailleurs que, dans sa décision, le ministre du Travail ait à la fois confirmé la décision de l'inspecteur, et autorisé le licenciement, ce qui, en principe, est contradictoire selon la propre jurisprudence du Conseil d'Etat (1).

On saura donc gré à la Cour de cassation, au vue des pièces du dossier, d'avoir redonné aux faits leur exactitude, et fait application des bonnes règles de droit.

II - Une solution pleinement justifiée

Au regard des règles des recours. La solution est tout d'abord pleinement justifiée au regard des principes qui gouvernent le recours hiérarchique devant le ministre du Travail (2).

Il s'agit, en effet, d'un recours en annulation qui peut déboucher sur l'annulation de l'acte illégal (3) et son remplacement par une nouvelle décision administrative qui viendra se substituer à la précédente (4), ce qui explique pourquoi elle sera censée avoir été prise à la date à laquelle avait statué l'inspecteur du travail. Dans cette hypothèse, et lorsqu'aucune des parties n'aura déféré la décision du ministre devant le juge de l'excès de pouvoir, cette décision acquerra autorité de la chose décidée s'agissant de son dispositif et des motifs qui en sont le soutien nécessaire (5).

Mais le ministre peut également rejeter le recours purement et simplement, ou confirmer la décision prise en retenant éventuellement d'autres motifs que ceux qui ont été visés par l'inspecteur du travail (6) ; mais dans ce cas, comme d'ailleurs lorsqu'il rejette purement et simplement le recours, le ministre ne prend, en réalité, aucune nouvelle décision (7) et c'est donc bien l'autorisation délivrée par l'inspecteur du travail qui vaut, dans son dispositif et les motifs qui en sont le soutien nécessaire, et non celle du ministre, qui sera indifférente (8).

Voilà pourquoi ce qui a pu être repris dans les motifs du rejet de la demande d'annulation hiérarchique n'est pas doté de l'autorité de la chose décidée, et pourquoi, par conséquent, c'est dans la décision de l'inspecteur du travail qu'il convient de rechercher cette autorité. C'est ici que la seconde règle intervient.

Au regard de la mission de l'inspecteur du travail. Lorsqu'un inspecteur du travail est saisi d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé, il doit examiner certains éléments, dont il se justifiera, d'ailleurs, dans les motifs de sa décision. Ces motifs étant le soutien nécessaire du dispositif (autorise ou non le licenciement), ils seront dotés de l'autorité de la chose décidée, dans les conditions que nous avons évoquées (9).

Lorsqu'il est saisi d'une demande d'autorisation de licenciement pour motif économique, l'inspecteur du travail doit vérifier, outre l'absence de lien avec le mandat, l'existence d'un motif économique suffisant (10), le respect de la procédure du licenciement pour motif économique (11), ainsi que le respect de l'obligation de reclassement (12). Il ne doit, en revanche, s'interroger ni sur les causes d'éventuelles difficultés économiques (13) ou de la cessation d'activité, ni sur la validité du plan de sauvegarde de l'emploi (14), ni même, d'ailleurs, sur le respect des critères d'ordre des licenciements. Dès lors, ces éléments, qu'il n'est pas censé avoir examinés, ne sont pas couverts par l'autorité de la chose décidée et peuvent donc être discutés devant le juge judiciaire, chargé de déterminer les droits indemnitaires du salarié protégé (15). Voilà pourquoi la question de l'existence d'un éventuel coemployeur ne faisant pas partie des éléments que l'inspecteur du travail doit normalement vérifier, il avait pu ne pas s'intéresser à cet élément (notamment pour déterminer si l'employeur avait satisfait à son obligation de reclassement), laissant, dès lors, le champ libre au juge judiciaire.


(1) CE, 8° et 9° s-s-r., 30 juin 1997, n° 169269, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0396AEE). Comme l'a rappelé le Conseil d'Etat dans un arrêt "Sorelait" en date du 5 septembre 2008 (CE, 4° et 5° s-s-r., n° 303992, publié aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1008EAL) ; Dr. soc., 2008, p. 1251, avis Y. Struillou ; le ministre ne peut tout à la fois rejeter le recours et autoriser le licenciement.
(2) C. trav., art. R. 2422-1 (N° Lexbase : L5130ICY). Lire Rép. Travail D., Représentants du personnel (Statut protecteur), L. Pécaut-Rivolier, H. Rose et Y. Struillou, juin 2013.
(3) Le ministre ne peut donc statuer que sur la légalité de l'autorisation administrative : CE, 6 juillet 1990, n° 100489, publié aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5627AQH) ; Dr. soc., 1991, p. 119.
(4) L'annulation pourra d'ailleurs donner lieu à une nouvelle autorisation, cette fois-ci légale. Il s'agira d'hypothèse où le ministre sanctionne un motif de légalité externe (incompétence territoriale : CE, 8° et 9° s-s-r., 2 février 1996, n° 133455, mentionné au tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7566ANK) ; non-respect du principe du contradictoire ; motivation insuffisante de la décision (CE, 1° s-s., 29 mai 1987, n° 72669, inédit aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5135APU) ; omission de mandats dans la demande d'autorisation et la décision (CE, 2° s-s., 22 juillet 1992, n° 109309, inédit aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6727AQ9) ; CE, 4° et 5° s-s-r., 20 mars 2009, n° 309195, inédit aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1843EEY) et non un désaccord sur la légalité interne de la première décision prise.
(5) Pour un exemple : Cass. soc., 18 mars 2014, n° 13-11.258, F-D (N° Lexbase : A7498MH8). A condition, toutefois, que les motifs ne contredisent pas le dispositif ; dans cette hypothèse seul le dispositif aura autorité : Cass. soc., 22 janvier 2014, n° 12-22.546, F-P (N° Lexbase : A9862MCA).
(6) La décision ministérielle confirmative, qui ne se substitue pas à la décision initiale ne doit donc comporter qu'un seul article (CE, 8° et 9° s-s-r., 8 janvier 1997, n° 171807, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8155ADE). Dans ce cas, la demande tendant à l'annulation de la seule décision ministérielle doit être regardée comme tendant également à l'annulation de la décision de l'inspecteur du travail (CE, 4° et 5° s-s-r., 5 septembre 2008, n° 303707, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1007EAK, concl. Y. Struillou ; Dr. soc., 2008, 1251).
(7) CE, 8° et 9° s-s-r., 8 janvier 1997, n° 171807, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8155ADE), p. 988.
(8) La Cour de cassation a toutefois considéré que si le ministre confirme et autorise, l'annulation de sa décision fait disparaître le licenciement et ouvre droit à indemnisation pour le salarié : Cass. soc., 13 novembre 2008, n° 07-41.331, publié (N° Lexbase : A2428EBK) ; Cass. soc., 21 septembre 2011, n° 10-16.309, FS-D (N° Lexbase : A9675HXM).
(9) Ainsi, s'agissant d'une demande rejetée de licenciement fondée sur des absences dont l'inspecteur du travail a considéré qu'elles n'étaient pas injustifiées : Cass. soc., 8 avril 2014, n° 13-10.969, FS-P+B (N° Lexbase : A0947MKB) et les obs. de G. Auzero, Résiliation judiciaire à la demande d'un salarié protégé et principe de la séparation des pouvoirs, Lexbase Hebdo n° 568 du 1er mai 2014 - édition sociale (N° Lexbase : N1970BUI).
(10) Cass. soc., 9 mai 1978, n° 77-40.169, publié (N° Lexbase : A7676CGE) ; Cass. soc., 30 avril 1997, n° 94-42.155 (N° Lexbase : A4465AGH) ; CE, 4° et 5° s-s-r., 22 mai 2015, n° 381924, Inédit aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5586NIQ) (cessation d'activité) ; Cass. soc., 26 mai 2015, n° 13-23.994, F-D (N° Lexbase : A8168NID) ; CE, 4° s-s., 1er juillet 2015, n° 383770, inédit aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5835NM3).
(11) Cass. soc., 27 octobre 2004, n° 02-46.935, FS-P+B (N° Lexbase : A6862DDI) ; Cass. soc., 16 novembre 2010, n° 09-42.576, FS-D (N° Lexbase : A5843GKM) ; CE, 4° et 5° s-s-r., 21 septembre 2015, deux arrêts, n° 364268 (N° Lexbase : A6768NPD) et n° 364269 (N° Lexbase : A6769NPE), inédits aux tables du recueil Lebon. Le contrôle s'étend d'ailleurs au respect des procédures conventionnelles : CE, 4° et 5° s-s-r., 10 décembre 2014, n° 359181, inédit aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6162M7D).
(12) Cass. soc., 26 octobre 2010, n° 09-42.409, FS-P+B (N° Lexbase : A0353GDG) ; Cass. soc., 22 janvier 2014, n° 12-22.546, F-P (N° Lexbase : A9862MCA) et nos obs., L'autorité de la chose décidée par l'autorité administrative, Lexbase Hebdo n° 557 du 6 février 2014 - édition sociale (N° Lexbase : N0580BUZ) ; Cass. soc., 8 octobre 2014, n° 13-16.720, FS-P+B (N° Lexbase : A2080MYP) ; CE, 4° s-s., 1er juillet 2015, n° 383770, inédit aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5835NM3).
(13) L'inspecteur du travail n'a pas, dans le même ordre d'idées, à s'interroger sur les causes de l'inaptitude médicalement constatée du salarié protégé : CE, 4° et 5° s-s-r., 20 novembre 2013, n° 340591, publié aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9491KP9) et Cass. soc., 27 novembre 2013, n° 12-20.301, FS-P+B+R (N° Lexbase : A4722KQX), nos obs., Sort des salariés protégés en cas d'inaptitude médicale imputable à des faits de harcèlement ou de discrimination : le Conseil d'Etat et la Cour de cassation unissent leurs efforts, Lexbase Hebdo n° 551 du 12 décembre 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N9837BTI) ; Dr. soc., 2014, p. 25, conclusions G. Dumortier et rapport N. Sabotier. Solution confirmée par Cass. soc., 15 avril 2015, n° 13-21.306, FS-P+B (N° Lexbase : A9241NGD) ; Cass. soc., 30 septembre 2015, n° 14-15.784, F-D (N° Lexbase : A5691NSL).
(14) CE, 4° et 5° s-s-r., 25 février 2015, n° 375590, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5170NCH) et les obs. de Ch. Willmann, Autorisation de licenciement du salarié protégé : pas d'annulation pour insuffisance du PSE, Lexbase Hebdo n° 604 du 12 mars 2015 - édition ociale ; JCP éd. S, 2015, n° 36, p. 25, note J-Y Kerbouc'h, SSL n° 1670 du 30 mars 2015, p. 10, note T. Kapp ; Cass. soc., 29 septembre 2015, n° 14-12.157, F-D (N° Lexbase : A5688NSH).
(15) De même que si le salarié prétend avoir été victime de discriminations avant son licenciement, le juge judiciaire demeurera compétent : Cass. soc., 8 février 2012, n° 10-18.957, F-D (N° Lexbase : A3587ICT).

Décision

Cass. soc., 29 septembre 2015, n° 13-27.872, FS-P+B (N° Lexbase : A5646NSW).

Cassation (CA Rouen, 15 octobre 2013, n° 12/05972 N° Lexbase : A8658KMM).

Textes visés : loi des 16 et 24 août 1790 et le principe de la séparation des pouvoirs.

Mots clef : salarié protégé ; autorisation administrative de licenciement ; recours hiérarchique ; confirmation ; licenciement pour motif économique ; coemploi.

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