Réf. : Cass. soc., 30 septembre 2015, n° 14-17.748, FS-P+B (N° Lexbase : A5591NSU)
Lecture: 11 min
N9400BUP
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Sébastien Tournaux, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux
le 15 Octobre 2015
Résumé
Ne peut se prévaloir de la protection attachée à son mandat la salariée qui n'a pas informé l'employeur, au plus tard au moment de la rupture conventionnelle, du renouvellement de son mandat de conseiller prud'hommes, ni établi que l'employeur avait été avisé par d'autres voies. |
Commentaire
I - Mandat extérieur, rupture conventionnelle et information de l'employeur
La rupture conventionnelle des salariés protégés. L'article L. 1237-15 du Code du travail (N° Lexbase : L8188IQC) autorise les salariés protégés et leurs employeurs à conclure une rupture conventionnelle de leurs contrats de travail. La mesure n'allait pas de soi puisque l'on se souviendra que, depuis les arrêts "Perrier", la rupture amiable du contrat de travail des salariés protégés n'était que très exceptionnellement admise (1). Lorsqu'elle était permise, il était exigé que l'inspecteur du travail ait autorisé la rupture (2).
Cette exigence a été reprise par la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008, portant modernisation du marché du travail (N° Lexbase : L4999H7B), puisque l'article L. 1237-15 du Code du travail prévoit que la rupture conventionnelle est soumise à l'autorisation de l'inspecteur du travail. La rupture sans autorisation préalable est sanctionnée par la nullité de la convention (3).
Protection des salariés titulaires d'un mandat extérieur. Encore faut-il que les règles générales applicables au statut protecteur des représentants du personnel soient applicables.
A la suite d'une réserve d'interprétation énoncée par le Conseil constitutionnel dans une décision rendue le 14 mai 2012 (4), la Chambre sociale de la Cour de cassation jugea que le salarié titulaire d'un mandat hors de l'entreprise (conseiller du salarié, conseiller prud'hommes, administrateur d'une caisse de Sécurité sociale ou d'un organisme paritaire, etc.) (5) "ne peut se prévaloir de cette protection que si, au plus tard lors de l'entretien préalable au licenciement, ou, s'il s'agit d'une rupture ne nécessitant pas un entretien préalable, au plus tard avant la notification de l'acte de rupture, il a informé l'employeur de l'existence de ce mandat ou s'il rapporte la preuve que l'employeur en avait alors connaissance" (6).
La vocation générale de cette solution, tendant à s'appliquer à tout type de rupture du contrat nécessitant l'autorisation administrative, fut confirmée en 2014 à propos de la rupture du contrat de travail d'un salarié protégé durant la période d'essai (7). La question de son application à la rupture conventionnelle du contrat de travail n'avait toutefois pas été encore expressément posée à la Chambre sociale.
L'affaire. Une salariée avait été engagée en 2003 en qualité de directeur administratif. Son contrat de travail comportait une clause aux termes de laquelle l'employeur reconnaissait "avoir été informée par [la salariée] de ses fonctions de juge auprès de la juridiction prud'homale" et la salariée s'engageait "à faire connaître sans délai tout changement qui interviendrait dans sa situation". La salariée fut réélue au mois de décembre 2008 pour un nouveau mandat, mais n'informa pas l'employeur de cet événement. L'employeur et la salariée conclurent au mois d'août 2010 une rupture conventionnelle du contrat de travail sans que l'inspection du travail soit saisie d'une demande d'autorisation. Une fois la rupture consommée, la salariée saisit le juge prud'homal de plusieurs demandes relatives à la reconnaissance de la violation du principe "à travail égal, salaire égal", au paiement d'heures supplémentaires et en annulation de la rupture conventionnelle.
La cour d'appel de Dijon débouta la salariée de l'ensemble de ses demandes (8). S'agissant en particulier de la demande d'annulation de la rupture conventionnelle, elle jugea que la salariée "qui n'a pas averti l'employeur des résultats de l'élection de 2008, qui pas davantage n'a évoqué ce mandat lors de la négociation de la rupture, qui n'établit pas que l'employeur avait été avisé par d'autres voies", ne pouvait se prévaloir de la protection accordée aux conseillers prud'hommes.
Par un arrêt rendu le 30 septembre 2015, la Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé contre les premier et deuxième moyens respectivement consacrés à la violation du principe d'égalité de traitement et à la demande d'annulation de la rupture conventionnelle. La décision est toutefois cassée, au visa de l'article L. 3171-4 du Code du travail (N° Lexbase : L0783H9U), s'agissant de la preuve des horaires effectivement réalisés par la salariée et de la question de la rémunération des heures supplémentaires.
S'agissant de la demande d'annulation de la rupture conventionnelle, la Chambre sociale juge que, malgré le renouvellement de son mandat au mois de décembre 2008, la salariée n'avait pas "au plus tard au moment de la rupture conventionnelle informé l'employeur de cette réélection, ni établi que l'employeur avait été avisé par d'autres voies", ce dont il se déduisait que la salariée ne pouvait se prévaloir de la protection attachée à son mandat.
Mandats extérieurs et rupture conventionnelle. Compte tenu de la généralité de la règle posée en 2012, c'est sans surprise que la règle est étendue à la rupture conventionnelle du contrat de travail : l'employeur doit être informé de l'existence du mandat du salarié, à défaut de quoi il ne peut lui être reproché de n'avoir pas demandé l'autorisation administrative de conclure la convention.
La règle s'applique peut-être avec une logique plus forte encore s'agissant de la rupture conventionnelle. Contrairement aux autres modes de rupture qui avaient, jusqu'à présent, fait l'objet de décisions de la Chambre sociale, la rupture conventionnelle est bilatérale : chacune des deux parties souhaite, au moins en théorie, que le contrat de travail soit rompu. La nature conventionnelle de la rupture permet l'application du devoir de loyauté auquel toute partie à un contrat ou une convention est tenue par l'effet de l'article 1134, alinéa 3 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC). Taire l'existence du mandat au moment de la négociation de la rupture conventionnelle constitue certainement un manquement à ce devoir de loyauté, lequel est bien plus diffus lorsque le salarié subit une rupture unilatérale.
Alors que la Chambre sociale étend l'exigence que l'employeur soit informé de l'existence du mandat avant une rupture conventionnelle, elle apporte également quelques précisions sur les conditions et les modalités de cette information. Certaines de ces modalités suscitent quelques interrogations.
II - De quelques interrogations relatives aux modalités d'information de l'employeur
Information de l'employeur et renouvellement du mandat. La décision apporte une précision s'agissant de l'étendue de l'information qui doit être délivrée à l'employeur. Celui-ci doit avoir connaissance du mandat mais, également, de son renouvellement éventuel. Le contrat de travail conclu entre les parties, dans cette espèce, prévoyait, d'ailleurs, que la salariée devait informer l'employeur de tout changement intervenant à l'égard de son mandat, ce qui englobait assez naturellement l'éventuelle réélection.
Le raisonnement est tout à fait justifié. Sans cette information, l'employeur peut légitimement croire que le mandat s'est achevé et que, par conséquent, la protection du salarié n'est plus active. La décision de la Chambre sociale se place un peu en retrait de celle des juges d'appel qui reprochaient à la salariée de ne pas avoir informé l'employeur des résultats de l'élection de 2008, ce qui, a contrario, aurait pu contraindre la salariée à informer l'employeur de tout type de résultat, y compris d'une non-réélection.
En rejetant le pourvoi contre une décision qui n'exigeait de la salariée que l'information de sa réélection, la Chambre sociale semble seulement exiger que l'information soit délivrée lorsque l'employeur est tenu de respecter la procédure administrative, mais ne semble pas attendre du salarié qu'il informe l'employeur que la protection a disparu.
Modalités de l'information. Comme dans les décisions précédentes, la Chambre sociale de la Cour de cassation adopte une conception souple des modalités de l'information de l'employeur (9). Techniquement, le salarié n'est pas vraiment débiteur d'une obligation d'information, mais plutôt d'un devoir de s'assurer que l'employeur est avisé. Ce devoir peut être assumé soit en informant expressément l'employeur, soit en faisant valoir les droits attachés à l'exercice du mandat (10), soit encore en s'assurant qu'il est informé de la situation "par d'autres voies". Cette souplesse répond à la volonté d'allègement des formalités d'information en droit du travail, ce qui justifia, par exemple, le remplacement de nombreux affichages obligatoires par l'exigence que l'information soit apportée aux salariés par tout moyen (11).
Il est toutefois intéressant, ici, de confronter cette position à la rédaction de la clause contractuelle qui imposait à la salariée d'informer l'employeur de tout changement relatif à son mandat. Appliquée à la lettre, cette stipulation ne devrait pas permettre d'admettre un autre mode d'information de l'employeur qu'une information directe à l'initiative du salarié.
Bien que la décision ne le dise pas aussi clairement, on peut penser que le juge judiciaire ne pourrait conclure à la mise à l'écart des dispositions protectrices si l'employeur a connaissance du mandat ou de son renouvellement sans en avoir été directement informé par le salarié. Cela n'aurait été le cas que si les juges d'appel et la Chambre sociale de la Cour de cassation s'étaient arrêtés au constat de l'absence d'information directe, sans prendre le soin de préciser que l'employeur n'avait pas été avisé du mandat par une autre voie. Le caractère restrictif de la stipulation contractuelle aurait, en effet, une trop grande incidence sur le régime protecteur dont le caractère d'ordre public est fortement marqué.
S'il ne suffirait donc pas à écarter la protection légale, le manquement à cette obligation contractuelle d'information pourrait, toutefois, produire des conséquences, même si l'on peinera à identifier la nature exacte du préjudice subi par un employeur informé par un autre biais.
Moment de l'information. C'est peut-être sur ce point, en définitive, que la solution rendue par la Chambre sociale est la plus surprenante. Même si elle ne fait que reprendre le constat effectué par les juges d'appel, la Haute juridiction l'avalise en jugeant que la salariée "n'avait pas, au plus tard au moment de la rupture conventionnelle, informé l'employeur de cette réélection".
Jusqu'ici, l'information devait être délivrée, ou l'employeur avoir connaissance du mandat, au moment de l'entretien préalable. Si la rupture ne nécessitait pas d'entretien préalable, le moment de l'information pouvait être reporté au plus tard avant la notification de la rupture (12).
Sauf à considérer que le ou les entretiens précédant la rupture conventionnelle ne sont pas des entretiens préalables au sens de la décision du 14 septembre 2012 (13), la position adoptée par la Chambre sociale est donc innovante.
Le "moment de la rupture conventionnelle" pointé par la décision constitue une terminologie ambiguë qui pourrait répondre à deux événements. Il peut s'agir, d'abord, du moment où est conclue la convention, à l'issue du ou des entretiens préalable imposés par l'article L. 1237-12 du Code du travail (N° Lexbase : L8193IAP). Il peut, ensuite, s'agir du moment où la rupture intervient, c'est-à-dire au plus tôt au lendemain du jour de l'homologation ou de l'autorisation administrative. Cette seconde acception n'aurait cependant pas grand intérêt puisqu'elle impliquerait que l'employeur soit informé trop tardivement, après qu'une homologation ait été demandée et instruite en lieu et place d'une autorisation.
S'il faut donc plutôt retenir que le moment de la rupture conventionnelle est caractérisé par l'accord des parties, l'information ne serait pas nécessairement délivrée avant l'entretien préparant la rupture conventionnelle. L'employeur peut rester dans l'ignorance au moment du premier entretien si plusieurs ont été nécessaires à l'aboutissement de la négociation, et se trouver en situation de négocier une rupture conventionnelle sans avoir conscience de l'existence du mandat. Accepter, cela revient à considérer que l'existence du mandat n'a pas d'influence sur le déroulement de la négociation ou sur le principe de la rupture, ce qui, effectivement, ne devrait pas être le cas et sera vérifié par l'inspection du travail.
Si imposer l'information avant l'entretien préalable de licenciement permet d'éviter que l'employeur prononce en toute bonne foi un licenciement nul, les conséquences d'un défaut d'information vont se déployer plus tardivement dans la rupture conventionnelle. Après l'entretien, l'employeur et le salarié disposent encore d'un délai de rétractation de quinze jours pour remettre en cause la convention de rupture. Ce n'est qu'à l'issue de ce délai, alors que l'employeur doit adresser une demande d'homologation ou d'autorisation selon le cas, que la démarche devient irréversible ou, du moins, que l'employeur ne peut plus la remettre en cause. Quitte à déplacer le moment ultime de l'information, c'est donc à ce stade plutôt qu'au "moment de la rupture conventionnelle" qu'il aurait été préférable de l'exiger.
(1) Cass. mixte, 21 juin 1974, n° 71-91.225, publié (N° Lexbase : A6851AGT).
(2) Cass. soc., 27 mars 2007, n° 05-45.310, FS-P+B (N° Lexbase : A8007DU4) et les obs. de G. Auzero, Résiliation amiable du contrat de travail du salarié protégé, Lexbase Hebdo n° 256 du 19 avril 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N6789BAP).
(3) CA Chambéry, 6 mars 2012, n° 10/02394 (N° Lexbase : A9427IDI).
(4) Cons. const., 14 mai 2012, n° 2012-242 QPC (N° Lexbase : A1878IL7) et les obs. de Ch. Radé, Le Conseil constitutionnel et les salariés mandatés extérieurs à l'entreprise : premier impact (limité) de la QPC sur le Code du travail, Lexbase Hebdo n° 488 du 7 juin 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N2251BTK) ; JCP éd. S, 2012, 1311, note D. Boulmier ; Dr. soc., 2012, p. 796, note J. Bonnet.
(5) B. Aldigé, Les modalités de l'information de l'employeur découlant de l'exercice d'un mandat extérieur, SSL, 2012, n° 1552, p. 11.
(6) Cass. QPC, 14 septembre 2012, n° 11-28.269, FS-P+B (N° Lexbase : A9278ISG) et Cass. soc., 14 septembre 2012, n° 11-21.307, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7531ISQ) et les obs. de Ch. Radé, Des salariés protégés en vertu d'un mandat extérieur à l'entreprise : la Cour de cassation prolonge la jurisprudence du Conseil constitutionnel, Lexbase Hebdo n° 499 du 27 septembre 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N3605BTP) ; RDT, 2013, p. 48, obs. J.-M. Verdier.
(7) Cass. soc., 6 mai 2014, n° 13-16.498, F-D (N° Lexbase : A9344MKB) et nos obs., Les modalités de l'obligation d'informer l'employeur de l'existence d'un mandat extérieur à l'entreprise, Lexbase Hebdo n° 571 du 22 mai 2014 - édition sociale (N° Lexbase : N2281BUZ).
(8) CA Dijon, 20 mars 2014, n° 12/01532 (N° Lexbase : A5169MHW).
(9) Cass. soc., 6 mai 2014, n° 13-16.498, F-D, préc..
(10) Demande d'autorisations d'absence pour l'exercice du mandat ou pour suivre une formation par exemple.
(11) Ordonnance n° 2014-699 du 26 juin 2014, portant simplification et adaptation du droit du travail (N° Lexbase : L5689I34).
(12) Cass. QPC, 14 septembre 2012, n° 11-28.269, FS-P+B, préc..
(13) Ce qui ne semble pas être l'avis de certains hauts magistrats qui n'évoquent que la mise à la retraite, v. G. Dumortier, P. Florès, A. Lallet, Y. Struillou, L'actualité des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) du second semestre 2012, Dr. soc., 2013, p. 362.
Décision
Cass. soc., 30 septembre 2015, n° 14-17.748, FS-P+B (N° Lexbase : A5591NSU). Cassation partielle (CA Dijon, 20 mars 2014, n° 12/01532 N° Lexbase : A5169MHW). Textes visés : C. trav., art. L. 3171-4 (N° Lexbase : L0783H9U). Mots-clés : conseiller prud'hommes ; rupture conventionnelle ; information de l'employeur. Liens base : (N° Lexbase : E9535ESX) et (N° Lexbase : E3714ETQ). |
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:449400