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N9484BUS
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par Blanche Chaumet, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 15 Octobre 2015
-le statut de salarié du télétravailleur (qui a les mêmes droits que les salariés travaillant dans les locaux de l'entreprise) ;
-l'utilisation des TIC;
-une réalisation volontaire de l'activité salariale hors des locaux de l'entreprise mais exécutable en interne ;
-la régularité des modalités d'exécution du travail.
Le contrat de travail ou son avenant doit préciser les conditions de passage en télétravail, et les conditions de retour à une exécution du contrat de travail sans télétravail (1).
I - L'occupation professionnelle du domicile : un risque d'immixtion dans la vie privée du salarié
A - Le droit au respect du domicile
Les atteintes à la vie privée peuvent être plus nombreuses en situation de télétravail, dans la mesure où il existe un risque d'abolition du temps et de l'espace. Le droit au respect de la vie privée du salarié dans le cadre du télétravail se traduit par le droit au respect de son domicile, afin de garantir sa "sécurité et son bien-être personnel" (2).
Avec l'apparition du télétravail grâce à l'essor des technologies de l'information et de la communication, la pérennité du droit au respect du domicile aurait pu être remise en cause si la Chambre sociale n'était pas intervenue. Or, dans un arrêt du 2 octobre 2001 (3), les juges ont rappelé que le domicile du salarié fait partie de la vie privée et non de la vie professionnelle, et que, dès lors, un employeur ne peut pas imposer à un salarié de travailler de chez lui, ni d'y installer ses dossiers et instruments de travail. Le salarié est en droit de refuser à son employeur que son domicile devienne le lieu de son activité professionnelle. Dans un arrêt rendu le 13 janvier 2009 (4), la Cour de cassation a précisé ce qu'elle entendait par le droit au respect du domicile en déclarant que cette liberté recouvrait non seulement le droit de choisir son domicile, mais aussi celui de l'utiliser à sa convenance.
Le caractère volontaire du télétravail est d'ailleurs souligné par l'accord national interprofessionnel du 19 juillet 2005. Dans la continuité de cette logique, l'article L. 1222-9, alinéa 3, du Code du travail dispose que "le refus d'accepter un poste de télétravailleur n'est pas un motif de rupture du contrat de travail", ce qui donne le droit à n'importe quel salarié de s'opposer au transfert de son activité professionnelle à son domicile.
Toutefois, l'article L. 1222-11 du Code du travail (N° Lexbase : L5724ISS) apporte un tempérament à cette règle en prévoyant que l'employeur peut imposer à son salarié le travail au domicile "en cas de circonstances exceptionnelles" ; et seulement dans ce cas-là (ex. : menaces d'épidémie, cas de force majeure).
B - L'indemnisation de la sujétion particulière liée au télétravail
La protection du télétravailleur a été renforcée par la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 7 avril 2010 (5) qui a affirmé que, si le salarié accepte de travailler à son domicile et d'y installer ses dossiers et ses instruments de travail à la demande de son employeur, il convient de l'indemniser de cette sujétion particulière ainsi que des frais engendrés par l'occupation à titre professionnel de son domicile.
Ce principe d'indemnisation constitue pour le salarié la contrepartie financière que doit lui verser son employeur pour l'occupation de son domicile à des fins professionnelles. Bien que le montant ne soit pas toujours évident à déterminer, le taux d'occupation du domicile en terme de temps et d'espace peut être pris en compte dans l'évaluation. Il faut souligner que cette indemnisation se distingue de la prise en charge des coûts résultant directement du télétravail bien que ces divers frais (matériel, logiciels, abonnements, communications, outils et maintenance des outils...) puissent également être supportés par l'employeur.
Ce principe a été réaffirmé et précisé par un arrêt du 12 décembre 2012 (6) où la Cour de cassation a déclaré que "le salarié peut prétendre à une indemnité au titre de l'occupation de son domicile à des fins professionnelles dès lors qu'un local professionnel n'est pas mis effectivement à sa disposition". C'est l'absence d'un tel local qui justifie l'indemnisation, étant donné que le salarié est alors contraint d'utiliser son espace privé pour installer le matériel nécessaire à l'exercice de son activité professionnelle. En revanche, comme le souligne Sébastien Tournaux (7), "le salarié qui choisirait de travailler chez lui avec l'accord de son employeur alors même que des conditions matérielles convenables lui ont été proposées dans un local professionnel ne pourra pas invoquer une atteinte à sa vie privée ou l'existence d'une sujétion", par conséquent, "sous réserve que le local proposé soit décent, convenablement équipé et situé à une distance raisonnable du domicile du salarié, le simple fait de refuser cette proposition devrait suffire à priver le salarié de l'indemnité".
II - Une surveillance de l'activité salariale légitime mais encadrée
A - Le contrôle du temps de travail du salarié en télétravail
Le concept du télétravail implique que le salarié accomplisse son activité professionnelle, où tout au moins, une partie, sans que son employeur soit à sa portée pour le contrôler. Bien que subordonné, une certaine marge d'autonomie lui est octroyée, ce qui lui confère davantage de flexibilité au niveau de ses horaires de travail : "le télétravailleur gère l'organisation de son temps de travail dans le cadre de la législation, des conventions collectives et règles d'entreprise applicables" (8).
Cependant, cette autonomie n'interdit pas à l'employeur de mettre en place un système de surveillance afin de contrôler le temps de travail du télétravailleur. Il n'en demeure pas moins que si un contrôle est possible, celui-ci est encadré puisque l'employeur reste tenu au respect de la vie privée de son salarié.
B - L'encadrement de ce contrôle
Comme tout système de surveillance, l'employeur doit respecter certaines règles relatives à l'installation d'un dispositif de contrôle. Les moyens techniques de contrôle à distance des horaires et des activités mis en place doivent ainsi être "pertinents et proportionnés à l'objectif poursuivi" (9). A défaut d'accord collectif applicable, le contrat de travail ou son avenant doit préciser les modalités de contrôle du temps de travail (10). En outre, l'employeur est tenu, au préalable, d'informer et de consulter le comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel (11), une telle décision affectant la marche générale de l'entreprise et les conditions d'emploi ainsi que l'organisation du travail des salariés. A défaut, l'employeur se rend coupable de délit d'entrave (12). Par ailleurs, le télétravailleur doit être informé de la mise en place de ce système de contrôle et tout dispositif de cyber-surveillance doit être déclaré à la CNIL. Si ces conditions sont respectées, l'employeur peut contrôler l'activité de ses salariés au moyen des outils technologiques existants (13).
Ce contrôle peut prendre différentes formes, que ce soit via un enregistrement automatique, un agenda commun, un appel téléphonique, le décompte des temps de connexion sur le poste informatique, une visioconférence, ou encore l'envoi de mails. Cependant, l'employeur ne peut se manifester de façon intempestive. L'employeur et le télétravailleur doivent donc se mettre d'accord sur les plages horaires durant lesquelles l employeur est susceptible de contacter son salarié (14). Il s'agit de déterminer à l'avance quels sont les moments dans la journée de travail où l'employeur peut intervenir sans empiéter sur la vie privée du salarié. Par ailleurs, par respect pour la vie privée du salarié, l'employeur ne peut venir au domicile du salarié sans son accord, même si le domicile s'est partiellement converti en lieu de travail, sous peine de sanctions civiles (15) ou pénales (16).
Enfin, rappelons que, si l'employeur peut fournir au télétravailleur le matériel et les outils nécessaires à l'exercice de ses missions (17), il peut aussi laisser le travailleur utiliser son propre équipement. Or, on peut imaginer que les télétravailleurs qui utilisent des terminaux personnels à des fins professionnelles doivent veiller à identifier les fichiers privés comme "personnels" dans ces terminaux s'ils ne veulent pas que ces derniers soient réputés avoir un caractère professionnel. C'est en tout cas ce que pourrait illustrer un arrêt de la Cour de cassation rendu le 12 février 2013 (18), dans lequel les Hauts magistrats ont considérés qu'une clé USB personnelle, connectée à l'ordinateur professionnel du salarié est présumée être utilisée à des fins professionnelles à défaut, pour ce dernier, d'avoir marqué comme personnel les fichiers qu'elle contenait.
(1) C. trav., art. L. 1222-9, al. 4 N° Lexbase : L5722ISQ).
(2) CEDH, 24 novembre 1986, req. n° 9063/80.
(3) Cass. soc., 2 octobre 2001, n° 99-42.727, inédit (N° Lexbase : A6254AGQ) ; Dr. soc., 2001, p. 915, obs. J.-E. Ray.
(4) Cass. soc., 13 janvier 2009, n° 07-43.282, FS-P+B+R Cass. soc., 13 janvier 2009, n° 07-43.282, FS-P+B+R (N° Lexbase : A3513EC4) ; JCP éd. G, 2009, II, 10066, note B. Bossu.
(5) Cass. soc., 7 avril 2010, n° 08-44.865, FS-P+B (N° Lexbase : A5814EUU) et les obs. de S. Tournaux, L'utilisation de son domicile à des fins professionnelles par le salarié : une sujétion qui doit faire l'objet d'une indemnisation, Lexbase Hebdo n° 392 du 22 avril 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N9429BNK) ; JCP éd. S, 2010, 1218, note G. Loiseau ; RDT, 2010, p. 517, note B. Bossu. Dans le même sens, Cass. soc., 8 juillet 2010, n° 08-45.287, F-D (N° Lexbase : A2213E4Q).
(6) Cass. soc., 12 décembre 2012, n° 11-20.502, FS-P+B (N° Lexbase : A1167IZA).
(7) Voir les obs. de S. Tournaux, Utilisation du domicile à des fins professionnelles : vers une généralisation de l'indemnisation, Lexbase Hebdo n° 511 du 10 janvier 2013 - édition sociale ([LXB=N5118BT]).
(8) ANI, 19 juillet 2005, art. 9 (N° Lexbase : L0119KIA).
(9) ANI, 19 juillet 2005, art. 6, préc..
(10) C. trav., art. L. 1222-9, al. 5.
(11) C. trav., art. L. 2323-6 (N° Lexbase : L2734H97).
(12) C. trav., art. L. 2328-1 (N° Lexbase : L2102KGX) et L. 4742-1 (N° Lexbase : L2095KGP).
(13) Il existe, par exemple, des logiciels de surveillance ayant la capacité de programmer à distance l'arrêt d'un ordinateur à des intervalles réguliers et de garder en mémoire les temps et durées réelles d'utilisation ainsi que leur répartition au long de la semaine ou du mois.
(14) ANI, 19 juillet 2005, art. 6, préc. ; C. trav., art. L. 1222-10, al. 6 (N° Lexbase : L5723ISR).
(15) C. civ., art. 9 (N° Lexbase : L3304ABY).
(16) C. pén., art. 226-4 (N° Lexbase : L9585I8I).
(17) Loi n° 2012-387 du 22 mars 2012, relative à la simplification du droit et à l'allégement des démarches administratives, art. 46 (N° Lexbase : L5099ISN).
(18) Cass. soc., 12 février 2013, n° 11-28.649, FS-P+B (N° Lexbase : A0485I8H) et les obs. de S. Tournaux, La consultation des fichiers contenus dans la clé USB du salarié, Lexbase Hebdo n° 518 du 28 février 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N5976BTI).
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