Lexbase Droit privé - Archive n°606 du 26 mars 2015 : Contrats et obligations

[Projet, proposition, rapport législatif] Projet d'ordonnance portant réforme du droit des obligations : véritable révolution ou simple cartographie du livre III du Code civil ?

Réf. : Projet d'ordonnance portant réforme du droit des obligations du 25 février 2015

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par Samantha Rosala, Rédactrice - droit privé

le 27 Mars 2015

Pilier du droit civil français, le droit des contrats n'a subi que peu de modifications depuis l'adoption du Code civil de 1804. Or, combattre le "French Law Bashing" dont est victime le droit français auprès des opérationnels européens (1) suppose une réforme en profondeur de notre édifice contractuel. Si ce constat est partagé par la grande majorité des juristes, tous ne s'accordent pas sur les réformes à adopter ou quant à la méthode à employer. Ces divergences de positions sont notables dans les projets de réformes du droit des obligations qui ont vu le jour, les uns préconisant un simple "toilettage" du Code civil, les autres proposant une restructuration en profondeur. Arguant de l'absolue nécessité de réformer le droit des obligations, l'Assemblée nationale a décidé de passer outre ces réticences en habilitant le Gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance par la loi n° 2015-177 du 16 février 2015, relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures (N° Lexbase : L9386I7R) (2). Fustigée par la doctrine, cette méthode n'en a pas moins le mérite d'accélérer le processus.

Oscillant entre innovations importantes et codification à droit constant, les termes de l'habilitation laissaient déjà présager une réforme de fond, en ce qu'ils préconisaient de moderniser la structure et le contenu du livre III du Code civil, afin "d'améliorer la lisibilité du droit, la sécurité juridique, de renforcer l'accessibilité du droit commun des contrats, du régime des obligations et du droit de la preuve".

Le projet d'ordonnance du droit des contrats conforte cette position, et défrayera nécessairement la chronique en confirmant la suppression de notions phares, au rang desquelles figurent l'objet et la cause, en consacrant les principes de liberté contractuelle et de bonne foi ou en réformant le régime général du droit des obligations par la consécration de figures contractuelles, telles que la cession de dettes (3).

Les transformations apportées au droit des contrats sont certes palpables mais demeurent mesurées. Nombre de dispositions ne font que reprendre l'avant-projet de la Chancellerie, tandis que les autres confirment l'oeuvre de la jurisprudence, ou n'entreprennent que la transposition d'une multitude de définitions. Si à première vue, un tel projet est louable et entend favoriser l'attractivité du droit français, force est de constater que le nombre d'incohérences qu'il contient, la prolifération de définitions, de même que la consécration de certaines figures contractuelles, auront l'effet inverse.

Déterminer la teneur du projet d'ordonnance (I), permettra d'en apprécier la portée et de s'interroger sur les incidences de certaines mesures "de lege feranda" (II).


I -  Projet d'ordonnance : épilogue des dispositions codifiées à droit constant


A - Compilation des textes existants et des normes en vigueur

1. Définition du contrat et typologie de ses différentes déclinaisons

1.1. Définition du contrat

L'article 1101 du Code civil (N° Lexbase : L1190ABP) définit le contrat comme une "convention par laquelle une ou plusieurs personnes s'obligent, envers une ou plusieurs autres, à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose". Reprenant à leur compte une approche abstraite du contrat, l'ensemble des projets doctrinaux le situe dans la catégorie plus large de l'acte juridique (4).

Le projet d'ordonnance du droit des contrats fait sienne cette approche abstraite en énonçant que le contrat constitue : "un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destiné à créer des effets de droit". Le contrat ainsi définit s'insère dans la catégorie plus large de "source d'obligations".

1.2. Typologie des différentes déclinaisons de contrats

Le projet énumère la définition de tous les contrats en fonction de leur objet et de leur nature. Sont ainsi appréhendées les différentes classifications de contrat, telles que la distinction opérée entre les contrats synallagmatiques et les contrats unilatéraux, ou encore la distinction entre les contrats instantanés et les contrats à exécution successive. De prime abord, ces définitions n'appellent aucune remarque. Cependant l'office du Code civil ne consiste pas à recenser un ensemble de définitions, mais à fixer des principes généraux (5). Le cas échéant, l'objectif de lisibilité du droit recherché aura du mal à être atteint, a fortiori lorsque certaines définitions s'illustrent par leurs maladresses.

A cet égard, mérite d'être signalé l'article 1105 définissant les contrats à titre gratuit en excluant toute référence à l'existence d'une contrepartie (6). Or, en déniant toute utilité à la "cause-contrepartie" du contrat, on aboutit à la consécration de définitions incohérentes, alors que nombre d'actes passés à titre gratuit, tels que le testament et la donation, ont une contrepartie, qu'il s'agisse de la continuation de la personne du de cujus au travers de son patrimoine, ou de la simple intention libérale.

2. La formation du contrat

Le rôle du consentement est primordial dans le processus de formation du contrat, mais également lors de la phase des pourparlers et de la rencontre de l'offre et de l'acceptation.

2.1. L'encadrement de la phase précontractuelle

Le déroulement des pourparlers, de même que celui de la rupture est irrigué par le principe de liberté contractuelle, ce qui est parfaitement logique dans la mesure où une telle liberté emporte également la liberté de ne pas contracter. En droit français, si la rupture est libre, elle est néanmoins encadrée sur le terrain de la rupture abusive (7). La jurisprudence a ainsi pallié le silence du Code civil en faisant de la bonne foi, une exigence à respecter.

L'article 1111 du projet d'ordonnance entérine les avancées jurisprudentielles, à la nuance près qu'il conditionne l'utilisation d'une information confidentielle échangée dans le cadre de pourparlers à l'autorisation des cocontractants.

2.2. La rencontre de l'offre et de l'acceptation

Les régimes de l'offre et de l'acceptation n'appellent aucune remarque particulière, en ce qu'ils ne font que rappeler le droit positif afférent aux caractères de l'offre, à la rencontre de l'offre et de l'acceptation, à l'opposabilité des conditions générales et au délai raisonnable à respecter à défaut de stipulation d'un délai. En cas de décès du pollicitant ou si l'offre vient à expirer, le projet réaffirme ainsi la sanction de la caducité (8).

Compte tenu de l'importance du contentieux portant sur le processus de formation du contrat (9), mais surtout du développement des contrats passés par voie électronique, les dispositions proposées méritent d'être saluées en ce qu'elles améliorent la clarté du droit positif. Il en va de même de la renumérotation des dispositions afférentes à l'offre électronique dans la partie relative à la formation du contrat.

2.3. Les conditions de validité du contrat

2.3.1. Les vices du consentement

Le projet d'ordonnance prévoit dans un nouvel article 1127 que sont "nécessaires à la validité d'un contrat, le consentement des parties ; leur capacité de contracter ; un contenu licite et certain", et diffère quelque peu de l'actuel article 1108 du Code civil (N° Lexbase : L1014AB8) ne prévoyant le consentement que de la partie qui s'oblige.

Les dispositions relatives aux vices du consentement tendent à simplifier l'appréhension des différents vices que sont le dol, l'erreur et la violence. Tandis que l'article 1130 du projet précise les effets communs aux vices du consentement, les dispositions suivantes visent à définir avec précision le régime applicable à chaque catégorie de vices. Si la définition du domaine de chacun des vices du consentement est une entreprise louable, en se noyant dans le détail, le projet est loin de répondre à l'objectif de simplification du droit pourtant affiché.

2.3.2. Précisions sur le régime des nullités

Les articles 1178 et suivants du projet d'ordonnance précisent le régime de la nullité sanctionnant une irrégularité commise au moment de la formation du contrat. Jusqu'alors, le Code civil ne renfermait aucune théorie générale des nullités (10). En opérant une distinction entre les nullités relatives -protégeant un intérêt privé- et, les nullités absolues -destinées à protéger un intérêt général-, le projet de réforme opte pour la théorie moderne des nullités. Or, de nombreux auteurs ont mis en exergue les difficultés de sa mise en oeuvre, notamment parce que l'appréciation de l'intérêt général recouvre des réalités différentes (11).

Au-delà des considérations doctrinales, force est d'admettre que le projet d'ordonnance est au diapason des projets de réforme de droit des contrats s'agissant des effets attachés à la nullité (12). En revanche, rien n'est dit sur son étendue. Tout au plus, le projet prévoit-il la possibilité de demander confirmation par écrit de la nullité à peine de forclusion (C. civ. art., 1183). Une telle omission est gênante face à des droits concurrents préférant la sanction de l'annulation partielle à la disparition pure et simple du contrat. A l'instar de nos voisins européens, l'amélioration de la sécurité juridique supposerait de favoriser l'annulation subsidiaire du contrat, et seulement dans le cas où son maintien serait déraisonnable (13).

2.4. Les effets du contrat

2.4.1. Effet obligatoire du contrat

Les articles 1194 et 1195 du projet rappellent le principe d'autonomie de la volonté de l'actuel article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC). L'article 1196 du projet consacre textuellement la possibilité offerte aux parties de renégocier le contrat en cas de circonstances imprévisibles lors de la conclusion du contrat et rendant son exécution excessivement onéreuse. Cette possibilité offerte aux parties, ne vient pas condamner la jurisprudence "Canal de Craponne" (14) ayant refusé de consacrer la théorie de l'imprévision, et ne fait qu'entériner la pratique des clauses de "hardship", ainsi que celle consistant à recourir à une révision judiciaire du contrat en cas de commun accord des parties. Or une telle possibilité ressort déjà de la liberté contractuelle.

2.4.2. Effet translatif du contrat

L'article 1197 pose le principe selon lequel le transfert des contrats ayant pour objet l'aliénation de la propriété ou d'un autre droit s'opère lors de la conclusion du contrat et consacre la possibilité pour les parties de différer volontairement le transfert de propriété.

2.4.3. La durée du contrat

L'article 1211 du projet prend le soin de préciser la prohibition des engagements perpétuels et le respect de la durée stipulée au contrat. L'article 1212 offre aux parties la possibilité de rompre unilatéralement un contrat à durée indéterminée moyennant le respect d'un préavis raisonnable, et constitue l'un des apports phares du projet. Néanmoins, ces dispositions sont totalement superfétatoires, et ce d'autant que la plupart relève déjà de la liberté contractuelle des parties, liberté comprenant le droit de déterminer librement le contenu du contrat.

2.4.4. La résolution unilatérale par notification

L'article 1226 semble innover en consacrant la résolution unilatérale du contrat sur simple notification, il postule ainsi que "le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification. Il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable [...]".

La procédure de résolution est subordonnée à la preuve de la gravité de l'inexécution et à la délivrance d'une mise en demeure préalable. En outre, si la faculté offerte au débiteur de contester la résolution pouvait laisser craindre un anéantissement de la sécurité des transactions, son encadrement a posteriori par le juge aura nécessairement l'effet inverse (15). Il convient de se demander si les parties pourront en pratique renoncer au bénéfice d'une résiliation unilatérale, et si l'urgence causée par une inexécution grave justifie qu'on porte atteinte à l'intangibilité de principe des conventions.

D'un point de vue sémantique, la résolution extrajudiciaire ne constitue pas une révolution et reprend à son compte le principe posé par l'arrêt "Tocqueville" (16). D'un point de vue pratique, la solution relègue au second plan la résolution judiciaire visée à l'article 1184 du Code civil (N° Lexbase : L1286ABA) et permet ainsi de répondre à la flexibilité tant demandé des opérateurs commerciaux. Reste à déterminer si dans les deux types de résolution, l'appréciation de la gravité du comportement du débiteur à l'origine de la résolution sera identique.


B - Cartographie des innovations consacrées

1. Recensement des nouvelles dispositions relatives à la formation du contrat

1.1. Offre : délai de réflexion et délai de rétractation

L'article 1123 du projet innove en instaurant un délai de réflexion et un délai de rétractation en matière d'offre. Ainsi, s'agissant du délai de réflexion, il est prévu que, "lorsque la loi ou les parties prévoient un délai de réflexion, le destinataire de l'offre ne peut consentir efficacement au contrat avant l'expiration de ce délai".

A priori, une telle mesure semble avoir pour finalité de protéger le débiteur du contrat, souvent considéré comme partie faible en lui permettant de macérer son consentement. Néanmoins, cette disposition soulève d'ores et déjà deux difficultés. La première tend à l'inexistence de la sanction de l'abus, la seconde tient au fait que le destinataire n'est pas en mesure de renoncer au bénéfice de cette disposition, ne serait-ce que sur le plan contractuel (17).

La disposition suivante relative au droit de rétractation vient complexifier le tracé des frontières de la liberté contractuelle en permettant au destinataire de l'offre bénéficiaire d'un délai de rétractation au titre du contrat "de rétracter son consentement [...] sans avoir de motif à fournir". Or, en restreignant la liberté de contracter du destinataire de l'offre, le projet est en parfaite contrariété avec le principe de liberté contractuelle pourtant réaffirmé au sein des dispositions préliminaires. De telles restrictions s'expliquent lorsqu'il s'agit de protéger la partie faible au contrat mais doivent rester l'apanage du droit spécial.

1.2. Avant-contrats : promesse unilatérale et pacte de préférence

1.2.1. Définition et régime de la promesse

L'article 1124 définit la promesse unilatérale comme "le contrat par lequel une partie, le promettant, consent à l'autre, le bénéficiaire, le droit, pendant un certain temps, d'opter pour la conclusion d'un contrat dont les éléments essentiels sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement". La consécration d'une définition mérite d'être saluée (18), en ce qu'elle met l'accent sur le droit d'option dont dispose le bénéficiaire de la promesse (19). Néanmoins, sa formulation reste maladroite et ne manquera pas de susciter les émois de ceux qui perçoivent la promesse comme une sorte d'engagement unilatéral par lequel le promettant consent définitivement au contrat (20).

Nonobstant les incohérences notionnelles, le projet d'ordonnance n'en consacre pas moins la sanction préconisée par la doctrine en cas de rétractation de la promesse avant l'expiration du délai d'option, à savoir la formation du contrat. Il s'agit ici de briser la jurisprudence "Cruz", jurisprudence en vertu de laquelle la rétractation de la promesse avant la levée de l'option ne doit donner lieu qu'au versement de dommages-intérêts (21). Une grande partie des auteurs s'était élevé contre cette décision au motif que la sanction prévue en cas de violation d'un contrat de promesse, était nettement moindre que celle appliquée en matière de pacte de préférence dont la nature serait par essence moins contraignante.

En forçant le promettant à exécuter un contrat dont il ne veut plus, le projet méconnaît sa liberté contractuelle de conclure un contrat à des conditions économiquement plus avantageuses. Or, ce qui est en cause en matière de promesse c'est la liberté de ne pas contracter, et en filigrane l'aliénation du droit de propriété. Le pacte de préférence ne vise quant à lui que le libre choix du cocontractant. Dès lors, il paraît logique que la rétractation du promettant ne donne lieu qu'à des dommages-intérêts dans un cas, et à la formation du contrat définitif dans l'autre.

1.2.2. Le pacte de préférence

La définition du pacte de préférence extirpe toute référence au contrat préparé, et le régime du pacte s'illustre en abandonnant la preuve de l'élément psychologique, "preuve diabolique" (22) qui était jusqu'à présent nécessaire pour obtenir l'annulation du contrat passé avec un tiers et la substitution du bénéficiaire dans ses droits.

2. Recensement des innovations portant sur les conditions de validité du contrat

2.1. Consécration d'un devoir d'information général

L'article 1129 du projet innove en consacrant l'existence d'un devoir d'information. Ainsi, "celui des contractants qui connaît ou devrait connaître une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, ce dernier ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant". Un manquement à un tel devoir peut en outre être à l'origine d'un vice du consentement et justifier la mise en oeuvre d'une responsabilité de nature délictuelle.

Jusqu'alors, seule la bonne foi permettait d'encadrer le processus des négociations (23). L'exigence d'un devoir d'information n'était clairement posée qu'en jurisprudence, ou dans le cadre des projets de réforme européens, à la nuance près que ces derniers imposent dans certaines circonstances une obligation de confidentialité quant aux informations échangées (24).

2.2. La violence économique

En droit positif, le vice de violence se définit comme l'exploitation abusive d'une situation de dépendance économique (25). L'annulation d'un contrat suppose toutefois d'apporter la preuve de la menace des intérêts légitimes de la victime. Or, en pratique, une telle preuve psychologique est quasiment impossible à rapporter (26).

Pour pallier cette difficulté, l'article 1142 du projet d'ordonnance considère qu'"il y a également violence lorsqu'une partie abuse de l'état de nécessité ou de dépendance dans lequel se trouve l'autre partie pour obtenir un engagement que celle-ci n'aurait pas souscrit si elle ne s'était pas trouvé dans cette situation de faiblesse". Il s'agit d'apprécier l'état du débiteur en situation de faiblesse lors du processus de formation du contrat. En procédant de la sorte, le texte distingue la situation de violence du déséquilibre significatif, et de la lésion (27).

Une telle disposition fait oeuvre de compromis et démontre que la protection de la partie faible n'est pas incompatible avec le développement des échanges commerciaux. En effet, le droit anglais, pourtant ultra-libéral, sanctionne lui-même de telles pratiques via l'indue influence ou l'economic duress. L'article 1142 rejoint ainsi la position de nombreux droits européens sanctionnant l'abus de faiblesse et constitue une formidable avancée en matière justice contractuelle.

2.3. Le contenu du contrat

2.3.1. La suppression de la cause et de l'objet

Le projet d'ordonnance propose d'intégrer dans le Code civil une nouvelle section relative "au contenu du contrat". Le contenu du contrat est destiné à englober sous un même vocable l'objet et la cause (28). Beaucoup objecteront que la cause est une notion ancrée dans les "moeurs juridiques", et que sa malléabilité abonde dans le sens d'un plus grand solidarisme contractuel, notamment dans la lutte contre les clauses abusives. D'autres salueront l'initiative de la suppression d'une notion ignorée dans la plupart des systèmes européens concurrents, lui préférant le principe directeur de bonne foi.

2.3.2. La fixation unilatérale du prix

Les articles 1163 et suivant du Code civil -nouvelle version- instaurent la possibilité d'une fixation unilatérale du prix dans les contrats-cadres et dans les contrats à exécution successive. Ces dispositions viennent conforter la jurisprudence (29) et les avant-projets de réforme (30) en admettant la validité de principe d'une détermination unilatérale du prix, et consacrant la possibilité d'un contrôle a posteriori du juge par le truchement de l'abus.

L'article 1164, bien que n'ayant vocation à s'appliquer qu'avant l'exécution du contrat, va cependant plus loin que le droit positif en vigueur, en permettant au juge de fixer le prix indéterminé dans les contrats de prestation de service en cas de désaccord des parties, alors que jusque ici, celui-ci ne disposait que du pouvoir de contrôler la fixation du prix par une partie dans le cadre des contrats-cadres.

3. La faveur faite à l'exécution forcée en nature en cas d'inexécution du contrat

L'article 1217 du projet d'ordonnance prévoit expressément que la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, a le choix entre plusieurs modes de sanction, dont l'exécution forcée en nature. Il envisage la possibilité de cumuler les remèdes à l'inexécution. Ainsi, des dommages-intérêts pourront être alloués quel que soit le mode d'exécution forcée choisit.

L'article 1221 précise le régime de la sanction de l'exécution forcée en nature dont bénéficie le créancier, mais l'assortie d'une exception de taille, celle "du coût manifestement déraisonnable". Or, l'appréciation du coût manifestement déraisonnable est difficilement évaluable, et peut aboutir à un amenuisement des droits du créancier, qui  jusqu'alors bénéficiait du choix d'opter en toute circonstance pour l'exécution forcée en nature (31). Ainsi l'équilibre contractuel tant recherché est chimérique lorsque le débiteur fautif se voit offrir la possibilité d'invoquer la précarité de sa situation pécuniaire pour se dérober à ses obligations.

Dans son ensemble, le projet d'ordonnance oscille entre restructuration majeure et simple codification à droit constant. Le foisonnement de définitions exhaustives, et de principes qui ne font l'objet d'aucune controverse, loin de contribuer à la simplification du droit, dénote de nombreuses incohérences d'un point de vue méthodologique (32). Le même constat peut être dressé s'agissant de certaines dispositions touchant au fond du droit. Incontestablement, un tel dispositif, s'il contribue à améliorer certains mécanismes contractuels, il en dénature un certain nombre, de sorte qu'il s'agira de mettre en exergue les incidences desdits mécanismes en droit prospectif (II).


II - Projet d'ordonnance : les incidences d'une restructuration en profondeur de lege ferenda


A - Les incidences liées aux maladresses textuelles

1. Consécration légale des principes de bonne foi et de liberté contractuelle

L'article 1102 du projet d'ordonnance insère au sein du Code civil deux principes cardinaux du droit des contrats : la liberté contractuelle et la bonne foi. De valeur constitutionnelle, le principe de liberté contractuelle fait ainsi l'objet d'une consécration légale. Or, compte tenu de son importance dans la hiérarchie des normes, on peut s'interroger sur l'opportunité d'une codification légale. En outre, il convient de s'interroger sur l'incidence d'une telle consécration en pratique, et notamment sur l'articulation du principe de liberté avec la bonne foi contractuelle.

S'agissant du principe de bonne foi, le projet généralise ses applications à toutes les phases du contrat. Or, la malléabilité attachée à la notion pourra tenter les contractants de mauvaise foi de l'invoquer à mauvais escient et s'accompagne nécessairement d'un risque d'aléa judiciaire. En outre, son articulation avec d'autres mécanismes risque de compliquer le droit positif. En effet, quel peut être l'intérêt d'appliquer la bonne foi au stade de la formation du contrat, là où les vices du consentement suffisent amplement à protéger la volonté des cocontractants ?

2. Réminiscence des applications de la cause

2.1. Opportunité de la suppression de la cause

La Cour de cassation a considéré que la bonne foi pourrait constituer un palliatif à la fonction subjective de la cause (33). Cette originalité française, complexe et obscure serait de l'avis de certains vouée à disparaître. Militant pour le maintien des avancées obtenues via la cause subjective, ses opposants soutiennent que la bonne foi et la lésion qualifiée seraient les substituts idéaux de la cause dans sa fonction objective.

Le projet d'ordonnance s'illustre par son incohérence, en ce qu'il dénie toute existence à la cause, mais qu'il en maintient ses applications. En effet, l'article 1168 répute non écrite toute clause privant de sa substance l'obligation essentielle du débiteur. Il s'agit là d'une fidèle retranscription de la jurisprudence relative aux clauses abusives et aux clauses limitatives de responsabilité.

2.2. Sanction des clauses abusives

Lorsqu'on compare les clauses abusives sanctionnées sur le fondement de la cause, et la Directive "clause abusive" (Directive 93/13 du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs N° Lexbase : L7468AU7) fondée sur le principe de bonne foi, on se rend compte que la première est plus restrictivement entendue que la seconde, car seule l'absence de contrepartie réelle est sanctionnée (34). Il s'agit de contrôler le déséquilibre significatif par l'analyse de l'économie générale de la convention. En prévoyant que l'appréciation d'un tel déséquilibre ne porte ni sur la définition de l'objet du contrat ni sur l'adéquation du prix de la prestation, le projet d'ordonnance consacre sans le dire les avancées obtenues grâce à la cause.

Il ne s'agit ici que de la consécration de la jurisprudence de droit commun sanctionnant les clauses abusives par le biais de la cause et non de la transposition en droit commun du droit de la consommation.

2.3. La caducité

L'article 1186 sanctionne par la caducité, le contrat dont l'un des éléments constitutifs disparaît. Il en va de même lorsque vient à faire défaut un élément extérieur au contrat mais nécessaire à son efficacité ou en présence de contrats indivisibles.

Cet article ressemble à s'y méprendre au dispositif de l'arrêt "SOFFIMAT" rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 29 juin 2010 (35). Dans cette affaire, les juges devaient rechercher si l'évolution des circonstances économiques provoquait un déséquilibre de l'économie générale du contrat de nature à priver de toute contrepartie réelle l'engagement souscrit. La Chambre commerciale a décidé d'appliquer la cause au stade de l'exécution du contrat, et décidé que la disparition d'un élément essentiel pouvait engendrer la caducité de la convention. Or, un tel arrêt n'a jamais fait les faveurs du bulletin, et sa consécration textuelle dénote l'omniprésence d'une notion que le projet entendait pourtant supprimer.


B - Les incidences liées au régime général des obligations

1. Les dispositions relatives au régime général des obligations

Le projet d'ordonnance insère dans le Code civil le régime général des obligations. Si les premières dispositions envisagent la définition et le régime des différentes modalités d'obligations, telles que les obligations conditionnelles ou les obligations solidaires, il insère également au sein du Code civil tout un chapitre relatif à l'extinction des obligations.

Le projet entreprend ainsi un remodelage du Code civil en insérant de manière chronophage un certain nombre de dispositions. Le titre consacré au régime général des obligations vise également à préciser certains domaines laissés de côté par les textes (cession de contrat, mise en demeure, restitutions, régime de la preuve...).

2. Des innovations à géométrie variable

2.1. Cession de contrats et cession de créances

Le débat sur l'assimilation d'une créance à un bien est latent en droit positif, tant et si bien que la question de sa transmissibilité fait débat en droit positif, notamment lorsqu'il s'agit de céder des contrats à forte empreinte subjective (36). De lege lata, les cessions de créances sont admises dans un certain nombre de cas, qu'il s'agisse de la cession du droit au bail en tant qu'élément du fonds de commerce ou encore de la cession de marché. La généralisation du procédé de transmission des créances dans le projet d'ordonnance allait donc de soi.

La codification du régime de la cession de créance au sein du Code civil constitue une véritable innovation, et ce d'autant que le consentement du débiteur-cédé n'est pas requis, sauf lorsque le contrat a été conclu intuitu personae. Cependant le chapitre relatif à la cession de créances contient une importante incohérence. Il s'agit de l'article 1335 qui dans le même temps qu'il prévoit la possibilité pour le débiteur-cédé d'invoquer la cession, retient l'inopposabilité de la convention au débiteur à défaut de notification de la cession ou de son acceptation.

Par ailleurs, on aurait pu penser que la cession de contrats obéirait au même régime, et ce d'autant que le cocontractant cédé bénéficie de garanties dans le paiement de sa créance via la solidarité instituée entre le cédant et le cessionnaire en cas d'inexécution du cédé. Néanmoins, l'absence d'assimilation entre le régime de la cession de créances et celui de la cession de contrat, s'explique par le fait que la seconde est plus contraignante en ce qu'elle implique la cession de droits et d'obligations.

2.2. Cession de dettes

Fondamentalement, aucun obstacle, ne s'oppose à la cession de dette, puisqu'a priori, il s'agit d'un bien cessible au même titre que la cession de créances. Si pour la cession de créances, le débiteur cédé peut régler sa dette entre les mains de n'importe quel créancier, il en va différemment du créancier en matière de cession de dette. Les qualités du débiteur, de même que les composantes de son patrimoine sont autant de critères qui ont pu déterminer son consentement.

En entérinant la cession de dette, l'article 1338 du projet d'ordonnance constitue une véritable évolution. Jusqu'alors, aucune disposition ne faisait état d'une telle cession ni de son régime. Néanmoins, cette innovation est mesurée et ne permet pas au débiteur-cédant de transférer à un cessionnaire son obligation et ses accessoires envers un créancier-cédé sans l'accord de ce dernier, le cas échéant, il aurait fallu s'interroger sur l'opportunité de maintenir certains mécanismes, tels que la délégation de paiement ou la subrogation.

Le projet fait oeuvre de compromis face aux divergences doctrinales sur la question, en ce qu'il subordonne la cession à l'accord du créancier-cédé et qu'il instaure une solidarité entre le cessionnaire et le cédant en cas d'inexécution du nouveau débiteur.

2.3. Restitution d'une chose autre qu'une somme d'argent

Un chapitre entier traite du régime des restitutions. S'agissant de la restitution d'une chose autre qu'une somme d'argent, il est ainsi prévu que la restitution inclut les fruits et la compensation de la jouissance qu'elle a procurée. Ladite compensation devra en outre faire l'objet d'une évaluation judiciaire. Une telle disposition s'illustre par son ambigüité, de sorte qu'il est délicat de déterminer si la compensation dont il est question correspond à l'indemnité d'utilisation de la chose que l'acheteur doit payer après la résolution du contrat.

Sur ce point, la jurisprudence agit avec pragmatisme et nuance sa jurisprudence lorsqu'il s'agit d'allouer une indemnité d'utilisation. La généralité des termes employés dans l'article 1353-2 risque de compromettre cet équilibre.

Conclusion

Les commentateurs ne manqueront pas de débattre sur les incohérences du projet, de soulever leur indignation face à la disparition de concepts clés et de s'interroger sur l'opportunité de certains mécanismes jusqu'alors absents du droit positif. Pour autant, l'initiative d'une réforme du droit des contrats, bien que lacunaire, doit être encouragée en ce qu'elle constitue le remède possible à la sécurité juridique et à l'endiguement des vicissitudes jurisprudentielles en la matière. Enfin, le projet gagnerait en cohérence s'il n'entreprenait pas l'élaboration de définitions hasardeuses, et qu'il permettait de revenir sur ce "dogme" qu'est l'intangibilité des conventions, en adoptant, par exemple, la théorie de l'imprévision. L'efficacité économique des contrats tant recherchée pourrait ainsi être atteinte...


(1) D. Mainguy, Droit d'inventaire : En route vers la réforme du droit des contrats et des obligations.
(2) Loi avalisée par le Conseil constitutionnel dans une décision du 12 février 2015 (N° Lexbase : A2991NBE).
(3) N. Molfessis, Droit des contrats : l'heure de la réforme, JCP éd G., 16 février 2015, doctr. 199.
(4) Catala, art. 1102 ; Terré, art. 7 ; Chancellerie, art. 4 ; voir R. Cabrillac, Droit européen compare des contrats, LGDJ, 2012.
(5) A. Bénabent, Portalissime, RDC, 31 mars 2014 n° 1, p. 1.
(6) O. Tournafond, Le projet de la Chancellerie de réforme du droit des contrats, commentaire raisonné et critique. Dr. et patr., 2014, p. 241.
(7) Cass. com ., 20 mars 1972, n° 70-14.154 (N° Lexbase : A6748AGZ), Bull. civ. IV, n° 93, JCP éd. G. 1973, II 17543, note J. Schmidt.
(8) Cass. civ. 3., 20 mai 2009, FS-P+B (N° Lexbase : A1946EHK), Bull. civ. III, n° 118, D., 2009. AJ. 1537.
(9) D. Mazeaud, Droit des contrats : réforme à l'horizon !, D., 2014, p. 291.
(10) F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, Les obligations, Précis Dalloz, 2009, 10ème édition.
(11) R. Libchaber, Défrénois 2002. 1253 et s. ; 2007 . 1729.
(12) Art. 1130-2 du projet "Catala" ; art. 88 du projet de la Chancellerie ; art. 86 du projet "Terré".
(13) Art. 4 : 116, PDEC.
(14) Arrêt "Canal de Craponne", 6 mars 1876, D., 1876, 1.193, note Giboulot.
(15) P. Stoffel-Munck, La résolution par notification : question en suspens, Dr. et patr., octobre 2014, n° 240 ; Cass. com.,15 décembre 2009, n° 08-10.148, FP-D (N° Lexbase : A0780EQX), voir D. Bakouche, La gravité du comportement du débiteur dans les rapports entre résolution unilatérale et mise en oeuvre d'une clause résolutoire, Lexbase Hebdo n° 595 du 18 décembre 2014 - édition privée (N° Lexbase : N5084BUT)
(16) Cass. civ. 1, 13 octobre 1998, n° 96-21.485, F-D (N° Lexbase : A9121ARA).
(17) O. Tournafond, Le projet de la chancellerie de réforme du droit des contrats : commentaire raisonné et critique, Dr. et patr., 2014, p. 421.
(18) B. Fages, La promesse unilatérale et le pacte de préférence dans le projet d'ordonnance de réforme du droit des obligations, Dr. et patr., octobre 2014, n° 240.
(19) D. Mainguy, Promesse unilatérale et pacte de préférence : des définitions inopérantes, Dr. et patr., octobre 2014, n° 240.
(20) B. Fages, Droit des obligations, LGDJ, 4ème éd., 2013, n° 55.
(21) Cass. civ.3, 15 décembre 1993, n° 09-13.345, F-D (N° Lexbase : A4251AGK).
(22) P.-Y Gautier, Le leurre de la double preuve, supposée non diabolique, pour l'opposabilité du pacte de préférence au tiers, RTDCiv. 2012 p. 127, note sous Cass civ. 3, 3 novembre 2011, n° 10-20.936, FS-P+B (N° Lexbase : A5243HZ9).
(23) Voir en ce sens l'arrêt qui condamne le cocontractant s'étant abrité derrière une clause d'exclusivité sans avoir informer son contractant de l'existence de ladite clause, Cass. com., 20 mars 1972, préc..
(24) Art. 7.1 CEDC, "au cours des tractations, chacune des parties a le devoir d'informer l'autre sur chaque circonstance de fait ou de droit dont elle a eu connaissance, et qui permet à l'autre de se rendre compte de la validité du contrat et de l'intérêt à le conclure".
(25) Cass. civ. 1, 3 avril 2002, n° 00-12.932, F-D (N° Lexbase : A4275AYY).
(26) J.-P. Chazal, Violence économique ou abus de faiblesse ?", Dr. et patr., 2014, n° 240.
(27) H. Barbier, Le vice du consentement pour cause de violence économique, Dr. et patr., 2014, n° 240.
(28) R. Boffa, Brèves remarques sur le projet de réforme du droit des contrats, D., 2015, p. 335.
(29) Ass. plén., 1er décembre 1995, n° 91-19.653 (N° Lexbase : A5344ABK), D., 1996, p. 18, note L. Aynès.
(30) Avant-projet "Catala", art. 1121-3 : "L'étendue de l'engagement ne doit pas être laissée à la seule volonté des parties" ; projet de la Chancellerie, art. 73 : " La fixation du prix est possible sous contrôle a posteriori par le juge sur le fondement de l'abus" ; projet "Terré", art. 60 : "l'objet de l'obligation peut être déterminé unilatéralement, dès lors que les modalités de détermination ont été fixées dans le contrat et qu'il est fait usage de cette faculté de manière raisonnable".
(31) T. Genicon, Contre l'introduction du "coût manifestement déraisonnable" comme exception à l'inexécution forcée en nature, Dr. et patr., 2014, n° 240.
(32) B. Fages, op.cit..
(33) Rapport du groupe de travail de la Cour de cassation sur l'avant projet de réforme du droit des obligations et de la prescription 15 juin 2007.
(34) B. Fauvarque-cosson et D. Mazeaud, L'avant projet français de réforme du droit des obligations et de la prescription : variations sur les champs magnétiques dans l'univers contractuel, Petites Affiches, 2006, n°146, p. 12.
(35) Cass. com., 29 juin 2010, n° 09-37.369, F-D (N° Lexbase : A6845E3W).
(36) F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Les obligations, n° 1309 et suivants, préc..

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