La lettre juridique n°562 du 13 mars 2014 : Procédure pénale

[Chronique] Chronique de procédure pénale - Mars 2014

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N1182BUC

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par Guillaume Beaussonie, Maître de conférences en droit privé à l'Université de Tours (CRDP Tours, EA 2116 ; IEJUC Toulouse, EA 1919) et Lionel Miniato, Maître de conférences en droit privé au Centre universitaire d'Albi (IDP Toulouse, EA 1920)

le 28 Août 2014

Lexbase-Hebdo édition privée vous invite à retrouver la chronique de procédure pénale de Guillaume Beaussonie, Maître de conférences en droit privé à l'Université de Tours (CRDP Tours, EA 2116 ; IEJUC Toulouse, EA 1919) et de Lionel Miniato, Maître de conférences en droit privé au Centre universitaire d'Albi (IDP Toulouse, EA 1920). Sans grande surprise, l'activité jurisprudentielle en matière de procédure pénale s'avère encore très intense et particulièrement intéressante en ce début d'année 2014. Un certain nombre de séquences très remarquables se dégagent ainsi, au sein desquelles nous ne retiendrons cependant que, d'une part, plusieurs arrêts relatifs à la confrontation des droits des propriétaires et des impératifs de la procédure pénale (Cass. crim., 8 janvier 2014, n° 12-88.072, F-P+B+I ; Cass. crim., 19 février 2014, n° 13-81.159, F-P+B+I ; Cass. crim., 15 janvier 2014, n° 13-81.874, F-P+B+I ) et, d'autre part, deux décisions relatives aux droits du gardé à vue dans des situations assez peu orthodoxes (Cass. crim., 7 janvier 2014, n° 13-85.246, FS-P+B+I ; Cass. crim., 11 février 2014, n° 13-86.878, F-P+B+I). A ces ensembles d'arrêts, s'ajoutent plus ponctuellement quelques décisions tout aussi notables : une est relative à la confrontation classique en la liberté d'expression et la présomption d'innocence (Cass., crim., 28 janvier 2014, n° 12-88.430, F-P+B+I) ; une autre est relative à la judiciarisation de l'application des peines (Cass. crim., 12 février 2014, n° 13-81.683, FS-P+B+I+R). I - Propriété et procédure pénale
  • La procédure en restitution prévue par l'article 41-4 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L1875H3T) n'est pas applicable aux biens dont la confiscation a été ordonnée ; des biens saisis dont ni la confiscation ni la restitution n'a été ordonnée par une décision définitive de la juridiction de jugement ne peuvent être restitués que selon les modalités prévues par l'article 41-4 du code précité (Cass. crim., 8 janvier 2014, n° 12-88.072, F-P+B+I N° Lexbase : A0241KT4 et Cass. crim., 19 février 2014, n° 13-81.159, F-P+B+I N° Lexbase : A5504MEL ; cf. l’Ouvrage "Procédure pénale" N° Lexbase : E4436EUT)

Les impératifs de recherche de la vérité et de sécurité qui innervent le procès pénal peuvent conduire, parmi d'autres désagréments imposés à la personne mise en cause, à maltraiter sa propriété. Il n'en faut pas moins lui permettre, une fois la fin du procès venue ou lorsque le procès a pu être évité, de rétablir son droit sur ce qui n'a jamais cessé de lui appartenir. Tel est l'objet de la procédure dite de restitution, régie par l'article 41-4 du Code de procédure pénale en dehors des cas où une juridiction a été saisie ou lorsqu'une juridiction saisie a déjà épuisé sa compétence.

A l'instar de toutes les actions en restitution, cette action est de nature plus possessoire que pétitoire : elle ne joue que si la propriété d'un bien n'est pas sérieusement contestée. C'est pourquoi, comme le précise un premier arrêt du 8 janvier 2014, une restitution n'est pas concevable pour un bien qui a été confisqué. La confiscation provoque en effet, lorsque ses conditions sont réunies, un transfert de propriété du bien sans contrepartie au profit de l'Etat. Tel était bien le cas en l'espèce, où la somme confisquée à la personne condamnée entretenait, comme l'impose l'article 131-21 du Code pénal (N° Lexbase : L9506IYQ), un lien évident avec l'infraction qui a fondé la condamnation (plusieurs escroqueries).

A l'occasion de cette même affaire, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a, par ailleurs, été amenée à refuser le renvoi d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à l'article 41-4 du code précité, précisant simplement que ce texte "prévoit une procédure de restitution d'objets saisis lorsqu'aucune juridiction n'a été saisie ou lorsque la juridiction a épuisé sa compétence sans avoir statué sur la restitution des objets et n'est ainsi pas applicable lorsqu'une confiscation a été prononcée". Autrement dit, l'objet de la procédure de restitution n'est pas de contester la légalité de la confiscation, ce qui confirme sa nature exclusivement possessoire.

Une telle nature de l'action en restitution n'empêche cependant pas que, si elle n'est pas exercée "dans un délai de six mois à compter de la décision de classement ou de la décision par laquelle la dernière juridiction saisie a épuisé sa compétence, les objets non restitués deviennent propriété de l'Etat". C'est cette règle qui est rappelée et appliquée dans un second arrêt rendu le 19 février 2014, où une personne condamnée (pour abus de biens sociaux, faux et usage) dont les biens avaient été saisis, mais pas confisqués par les autorités, a agi plus de six mois après la décision qui l'a condamnée sans se prononcer sur la restitution et sans prononcer une confiscation.

La Cour de cassation précise que le texte de l'article 41-4, qui institue de la sorte une forme d'usucapion très abrégée au profit de l'Etat, "ne met pas en cause les principes fondamentaux du régime de la propriété, à laquelle il ne porte pas une atteinte disproportionnée". Ce n'est pas si sûr, le propriétaire si rapidement dépossédé ne l'étant ainsi ni volontairement, ni consécutivement à sa responsabilité, puisque l'hypothèse suppose précisément qu'aucune confiscation n'ait été prononcée.

Guillaume Beaussonie

  • En vertu de l'article 131-21 du Code pénal, un propriétaire de mauvaise foi ne peut revendiquer un bien confisqué (Cass. crim., 15 janvier 2014, n° 13-81.874, F-P+B+I N° Lexbase : A7831KT9 ; cf. l’Ouvrage "Droit pénal général" N° Lexbase : E4111EXK)

Dans le cadre d'une confiscation, il ne saurait plus être question d'une simple restitution ; la propriété est en cause, qui suppose de déterminer qui, si ce n'est pas l'Etat ou la personne condamnée, est le véritable propriétaire d'un bien, avant et afin que celui-ci puisse recouvrir sa possession. Le texte de l'article 131-21 du Code pénal est effectivement très large, qui autorise la confiscation de biens dont le condamné a simplement "la libre disposition", autrement dit dont il n'est pas nécessairement propriétaire (1). Aussi apparaît-il comme la moindre des choses que de permettre au propriétaire de bonne foi de revendiquer ses biens qui ont été confisqués.

Cela signifie à l'inverse que sa mauvaise foi, en ce qu'elle caractérise son association à une infraction commise par un autre, lui ferme la porte de toute revendication. Tel était le cas en l'espèce, où a été confisquée la voiture d'une SARL que le gérant était seul à conduire, mais sans permis, à cause de sa condamnation. Comment en effet, dans cette hypothèse, dissocier la volonté de la société de celle de son gérant ?

Guillaume Beaussonie

II - Droit de la garde à vue

  • La sonorisation d'une cellule de garde à vue est un procédé déloyal de recherche des preuves qui amène le gardé à vue à s'incriminer lui-même (Cass. crim., 7 janvier 2014, n° 13-85.246, FS-P+B+I N° Lexbase : A0243KT8 ; cf. l’Ouvrage "Procédure pénale" N° Lexbase : E4387EUZ)

Le principe de la loyauté des preuves est désormais bien ancré en droit pénal français, quand bien même on demeure en droit de ne pas se satisfaire de son inapplication aux parties privées (2). La Chambre criminelle de la Cour de cassation le conjugue toujours avec l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR) ainsi qu'avec l'article préliminaire du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L8532H4R), l'idée étant, sans doute, qu'il serait une manifestation comme une autre du droit à un procès équitable (3).

Dans cet arrêt du 7 janvier 2014, une fois n'est pas coutume, la Chambre criminelle exprime même liminairement le principe de la façon la plus simple et la plus concise qui soit : "porte atteinte au droit à un procès équitable et au principe de loyauté des preuves le stratagème qui en vicie la recherche par un agent de l'autorité publique". Cela permet de constater ce que la formation répressive de la Cour de cassation a choisi de faire de ce principe de loyauté : un simple principe de dignité -voire de pure déontologie- attaché à la fonction d'enquêteur -et non à la recherche probatoire en général-. Cette ambiguïté est originelle, puisque dans leur très notoire arrêt "Wilson", rendu le 31 janvier 1888, les chambres réunies de la Cour de cassation précisaient déjà que le juge avait "employé un procédé s'écartant des règles de la loyauté que doit observer toute information judiciaire, et constituant, par cela même, un acte contraire aux devoirs et à la dignité du magistrat" (4). Qu'en est-il en l'espèce ?

Un juge d'instruction pensait pouvoir trouver, dans les articles 706-92 (N° Lexbase : L9743HEL) à 706-102 du Code de procédure pénale, le pouvoir d'ordonner la sonorisation dissimulée de deux cellules de garde à vue contiguës. Les propos échangés par les deux mis en cause retenus étaient ainsi enregistrés à leur insu, durant leur période de repos, l'un d'entre eux s'auto-incriminant durant les échanges. Ce dernier était mis en examen, puis placé en détention provisoire, profitant de son nouveau statut pour déposer une requête en annulation de différents actes de procédure. Il se fondait notamment sur la violation du droit de se taire, du droit au respect de la vie privée et sur la déloyauté dans la recherche de la preuve. Bien étrangement, tant ses arguments semblaient congrus, la chambre de l'instruction ne faisait pas droit à sa requête, précisant à l'appui d'une décision ô combien contestable que "le mode de recueil de la preuve associant la garde à vue et la sonorisation des cellules de la garde à vue ne doit pas être considéré comme déloyal ou susceptible de porter atteinte aux droits de la défense, dès lors que les règles relatives à la garde à vue et les droits inhérents à cette mesure ont été respectés et que la sonorisation a été menée conformément aux restrictions et aux règles procédurales protectrices des droits fondamentaux posées expressément par la commission rogatoire du juge d'instruction et qu'il peut être discuté tout au long de la procédure". Autrement dit, il ne s'agissait, selon elle, que d'une garde à vue et d'une sonorisation comme les autres, leur association étant indifférente et, quoi qu'il en soit, le principe du contradictoire étant respecté.

Ce dernier motif montrait déjà à quel point la motivation dans son ensemble était viciée, puisque le respect du principe du contradictoire constitue précisément le seul garde-fou en matière d'apport d'une preuve déloyale ou illégale par une partie privée (5). Au-delà, même en concédant que la garde à vue et la sonorisation soient deux mesures d'enquête réglementées par la loi et, qu'en l'occurrence, ladite loi a bien été respectée, leur association concomitante à l'encontre d'une même personne ne représente que la manifestation d'un abus de pouvoir, puisqu'il va finalement s'agir de mettre une personne dans un état de vulnérabilité, puis de profiter de cet état (6). Le principe de loyauté est ici légitimement mobilisé, puisqu'il constitue, par nature, un instrument modérateur, qui peut et doit agir alors même que la loi a été respectée (7).

La Chambre criminelle souligne, au surplus, que le procédé déloyal "a amené [le gardé à vue] à s'incriminer lui-même au cours de sa garde à vue". Bien que non expressément consacré en droit interne, le droit de ne pas s'auto-incriminer, par ailleurs notamment reconnu par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme (8), est au coeur d'un certain nombre de prérogatives dont dispose tout mis en cause en droit français, à commencer, bien sûr, par son droit de se taire (9).

Qu'il s'agisse effectivement de loyauté ou d'autre chose, ces pratiques d'un autre âge ne sont certainement pas dignes d'autoriser qu'une information -indéniablement utile- soit recueillie puis utilisée par les juridictions pénales. La fin ne justifie pas les moyens.

Guillaume Beaussonie

  • Il peut être décidé en cours de garde à vue de la soumettre au régime de la criminalité organisée ; nul ne peut se prévaloir de l'irrégularité de l'audition libre d'autrui (Cass. crim., 11 février 2014, n° 13-86.878, F-P+B+I [LXB=A3775MEK ] ; cf. l’Ouvrage "Procédure pénale" N° Lexbase : E4377EUN)

Le Conseil constitutionnel avait censuré, lors de son examen de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 dite "loi Perben 2" (N° Lexbase : L1768DP8), une disposition prévoyant que "le fait qu'à l'issue de l'enquête ou de l'information ou devant la juridiction de jugement, la circonstance aggravante de bande organisée ne soit pas retenue ne constitue pas une cause de nullité des actes régulièrement accomplis en application des dispositions" relatives à la criminalité organisée (10). Il s'agissait, à l'époque, d'éviter un détournement de procédure consistant en l'octroi d'une qualification originaire de criminalité organisée afin de bénéficier, consécutivement, des règles dérogatoires qui caractérisent ce régime, même s'il apparaissait ultérieurement que l'infraction en cause ne participait en réalité pas de ladite qualification. L'inverse, c'est-à-dire l'octroi d'une qualification de criminalité organisée dans une procédure initialement ouverte sur le fondement d'une qualification de droit commun, demeure en revanche parfaitement envisageable, avec les conséquences que cela suppose. Tel est le premier message de cet arrêt du 11 février 2014.

En l'espèce, une personne interpellée en possession de cocaïne était placée en garde à vue. Après une première prolongation de la mesure, le procureur de la République prescrivait aux enquêteurs d'appliquer le régime prévu par l'article 706-88 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9755IPY), relatif aux infractions de criminalité organisée, ce changement de cadre prenant effet à compter du placement initial en garde à vue. Ultérieurement mise en examen, la personne ayant subi ladite garde à vue déposait une requête en nullité aux fins d'annulation de ses auditions, ainsi que de celles de personnes en relation avec elle, qui s'étaient déroulées durant sa garde à vue, mais sous la forme d'auditions libres.

La chambre de l'instruction percevait une irrégularité dans l'absence de notification au mis en cause des dispositions de l'article 706-88 du Code procédure pénale dès le début de la garde à vue. Considérant, cependant, que cela ne lui avait pas causé grief, elle refusait d'annuler les procès-verbaux d'audition. Précisant à son tour, de façon plutôt obscure, que c'était "à tort que la chambre de l'instruction [avait] jugé que la garde à vue du demandeur était entachée d'une irrégularité qui ne lui faisait pas grief" -le tort portait-il, en effet, sur l'irrégularité ou sur le grief ?-, la Chambre criminelle de la Cour de cassation n'en confortait pas moins l'absence d'annulation au motif que "l'application des dispositions de l'article 706-88 [...] peut être décidée, en cours de garde à vue, en fonction de l'évolution d'une enquête ou d'une instruction sur l'une des infractions mentionnées à l'article 706-73 et que le demandeur a été régulièrement informé, lors de son placement sous le régime de la garde à vue, de la nature de l'infraction qu'il était soupçonné d'avoir commise, de la durée alors prévisible de la mesure et, à chaque stade de celle-ci, de ses droits". Autrement dit, il fallait, au départ, éclairer le mis en cause sur la qualification qui justifiait sa présence en garde à vue, ainsi que sur le délai prévisionnel de droit commun, puis, progressivement, lui notifier les droits afférents au cadre dans lequel il basculait -ce qui avait été fait en l'espèce-.

Ne serait-il pourtant pas opportun, pour les infractions susceptibles de recevoir une qualification de droit commun comme une qualification de criminalité organisée -bref pour les infractions indiquées à l'article 706-73 du Code de procédure pénale- d'informer une personne placée en garde à vue sur un tel fondement de l'évolution possible du cadre d'enquête et, partant, de son traitement procédural ?

Le second message de cet arrêt du 11 février 2014 est, à la fois, moins novateur et d'autant plus regrettable. La Chambre criminelle de la Cour de cassation poursuit effectivement son aveuglement assurément volontaire face aux exigences portées en la matière par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, en dénuant à une personne qui y trouve un intérêt la qualité à agir pour obtenir l'annulation d'une mesure d'enquête subie par une autre personne (11). En l'espèce, il s'agissait de l'audition libre de deux témoins, la personne mise en examen étant selon elle "sans qualité pour se prévaloir de la méconnaissance de formalités substantielles à l'occasion de l'audition libre d'une autre personne".

Guillaume Beaussonie

III - Liberté d'expression et présomption d'innocence

  • Liberté d'expression versus droit au respect de la présomption d'innocence : "commenter : oui ; reproduire : non" (Cass., crim., 28 janvier 2014, n° 12-88.430, F-P+B+I N° Lexbase : A4319MDC ; cf. l’Ouvrage "Droit de la responsabilité" [LXB=E4106ETA])

La liberté d'expression constitue, selon la Cour européenne des droits de l'Homme, l'un des fondements essentiels d'une société démocratique (12). Ce qui implique, notamment, le droit pour la presse de communiquer au public des analyses et des informations relatives aux affaires judiciaires. Il reste que cette liberté doit se concilier, notamment, avec le droit au respect de la présomption d'innocence, garanti par l'article 9 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 (N° Lexbase : L1373A9Q), l'article 6 § 2 de la Convention européenne des droits de l'Homme et l'article préliminaire du Code de procédure pénale. Le droit -subjectif- à la présomption d'innocence est par ailleurs proclamé par le Code civil qui, en son article 9-1 (N° Lexbase : L3305ABZ), dispose que "chacun a droit au respect de la présomption d'innocence". Et, pour l'article 9-1, la violation de ce droit consiste dans le fait pour une personne d'être, avant toute condamnation, présentée publiquement comme étant coupable de faits faisant l'objet d'une enquête ou d'une instruction judiciaire. La violation peut ainsi résulter de commentaires "à charge", mais aussi, plus directement, de la publication d'actes d'accusation ou tous autres actes de procédure criminelle ou correctionnelle avant qu'ils aient été lus en audience publique, ainsi que l'énonce l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881 (N° Lexbase : L7589AIW). Ces dispositions permettent non seulement la protection de la présomption d'innocence mais aussi de garantir l'autorité et l'impartialité de la justice, comme l'affirme la Cour européenne des droits de l'Homme (13). Dès lors que de telles publications reproduisant complètement ou partiellement des actes de procédure ont lieu pendant une information judiciaire, comme c'était le cas en l'espèce, elles constituent également une violation du secret de l'instruction. Cet article 38, avec d'autres dispositions (14) permet ainsi de sanctionner une telle violation, l'article 38 prévoyant une peine d'amende de 3 750 euros. La victime peut, en outre, obtenir des dommages et intérêts venant réparer son préjudice matériel et moral résultant de la publication. Par ailleurs, elle peut saisir en amont le juge des référés afin que ce dernier fasse cesser le trouble manifestement illicite né de la violation de l'article 38 (15).

Dans la présente affaire, un journal et son site internet publient un article comprenant des extraits d'un rapport d'expertise ordonnée par un juge d'instruction saisi pour des faits d'homicide involontaire et omission de porter secours. Les prévenus (l'auteur de l'article et le directeur de la publication), cités à comparaître par le procureur de la République devant le tribunal correctionnel, sont relaxés. Le jugement est confirmé en appel. Pour les juges du fond, la relaxe se justifie pour trois raisons : les extraits publiés concernaient un point de vue technique soumis à la contestation des parties à la procédure et ne valaient pas appréciation de la culpabilité ; cette publication ne portait atteinte ni à l'autorité et à l'impartialité de la justice, ni aux droits de la personne mise en examen laquelle avait pu exercer son droit de réponse dans le journal ; l'application de l'article 38 de la loi de 1881 constituerait en l'espèce une ingérence disproportionnée dans l'exercice du droit à la liberté d'expression. L'arrêt de la cour d'appel est cassé au visa des articles 38 de la loi de 1881 et 593 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3977AZC : insuffisance de motifs). En effet, pour la Cour de cassation, les juges du fond auraient dû apprécier l'incidence de la publication de ces extraits du rapport d'expertise, dans son contexte, sur les droits de la personne mise en examen. Rappelons, à cet égard, que l'arrêt précité de 2005 (CEDH, 24 novembre 2005, Req. 53886/00, T. et J. c/ France N° Lexbase : A7066DLB) avait considéré que l'article 38 n'était pas contraire à l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4743AQQ), dès lors que, même portant atteinte à la liberté d'expression, cette atteinte correspond à "un besoin social impérieux" -celui de protéger la présomption d'innocence- et apparaît proportionnée à ce but légitime, car l'article 38 n'interdit pas tout commentaire des actes de procédure ou la publication d'une information puisée dans la procédure elle-même (16). Au demeurant, l'article 11, depuis la loi n° 2000-516, renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes (N° Lexbase : L0618AIQ), prévoit que le procureur de la République peut rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure, afin de garantir la fiabilité des informations diffusées par la presse. Par ailleurs, comme autre source d'information, la presse peut disposer d'éléments communiqués par les personnes qui ne concourent pas à la procédure et ne sont donc pas tenues au secret de l'instruction : le mis en examen, la victime, le témoin et même l'avocat, à condition que ce dernier ne communique pas d'actes ou pièces de la procédure (17).

Lionel Miniato

IV - Judiciarisation de l'application des peines

  • La Cour de cassation parfait la judiciarisation de la phase d'exécution des peines : appel d'une ordonnance du juge de l'application des peines formé par le seul condamné ; pas d'aggravation de son sort (Cass. crim., 12 février 2014, n° 13-81.683, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A1256MEA ; cf. l’Ouvrage "Procédure pénale" N° Lexbase : E4106ETA)

L'article 721-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L6740IXW) prévoit "qu'une réduction supplémentaire de la peine peut être accordée aux condamnés qui manifestent des efforts sérieux de réadaptation sociale". Cette décision d'aménagement -temporel- de la peine (18), prise par le juge de l'application des peines après avis de la commission de l'application des peines, peut être attaquée par la voie de l'appel par le condamné, par le procureur de la République et par le procureur général dans le délai de 24 heures à compter de la notification de l'ordonnance devant le président de la chambre de l'application des peines de la cour d'appel (19).

En l'espèce, un condamné se voit octroyer une réduction supplémentaire de sa peine pour une durée de deux mois. Il interjette seul appel de l'ordonnance, laquelle est infirmée en appel, le président de la chambre de l'application des peines considérant que la situation du condamné ne justifiait aucune réduction. Ainsi, la prohibition de la réformation in pejus (aggravation du sort de l'appelant sur son seul appel), mentionnée à l'alinéa 2 (N° Lexbase : L9908IQZ) de l'article 515 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3906AZP), ne serait-elle pas applicable à la phase d'exécution des peines. Du reste, c'est ce qui avait été jugé dans un arrêt de 2007 (20), où un condamné s'était vu octroyer une réduction supplémentaire de trente jours par le juge de l'application des peines, ramené à vingt-cinq jours par le président de la chambre de l'application des peines, à la suite de l'appel formé par le seul condamné. Dans cet arrêt, le moyen du pourvoi avait invoqué l'application de l'interdiction de la réformation in pejus, mais la Chambre criminelle avait écarté cet argument, en considérant, sur le fondement de l'article 721-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L6740IXW), "qu'en matière d'octroi de réduction supplémentaire de peine, l'article 721-1 du Code de procédure pénale laisse à l'entière appréciation du juge saisi le quantum de la réduction qu'il peut accorder aux condamnés manifestant des efforts sérieux de réadaptation sociale". Autrement dit, la Cour de cassation ne considérait pas, dans cette décision, que le président de la chambre de l'application des peines statue comme juge d'appel, mais qu'il est saisi pour, à son tour, apprécier le quantum de la réduction. Dans ces conditions, le président doit disposer de toute latitude pour pouvoir, le cas échéant, et en fonction de la situation du condamné, revoir à la baisse la réduction de peine supplémentaire accordée par le juge de l'application des peines.

C'est cette solution qui est remise en cause dans le présent arrêt, la Cour de cassation opérant ainsi un revirement de jurisprudence. La décision du président de la chambre de l'application des peines est en effet cassée au visa de l'article 721-1 du Code de procédure pénale, mais aussi, et surtout, des principes de l'effet dévolutif de l'appel et de la prohibition de l'aggravation du sort de l'appelant sur son seul appel. Ce qui est déterminant dans la solution est que la Cour de cassation se fonde sur l'application des principes gouvernant l'appel : le président de la chambre de l'application des peines de la cour d'appel peut certes, comme le juge de l'application des peines, décider du quantum de la réduction, mais, dans la mesure où il intervient comme juge d'appel, ses pouvoirs sont limités par le principe d'interdiction de la réformation in pejus. Cet arrêt concerne la réduction supplémentaire de peine, mais la solution qu'il consacre a évidemment vocation à s'appliquer à toutes les mesures d'aménagement de la peine, ce qui mérite d'être approuvé. En effet, si la judiciarisation des peines, véritablement consacrée avec la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (N° Lexbase : L1768DP8), ne s'accompagnait pas de l'application des principes fondamentaux et protecteurs applicables aux autres phases de la procédure pénale (notamment la phase de jugement), l'on aurait du mal à voir l'apport d'une telle judiciarisation.

Lionel Miniato


(1) Cf. déjà, sur cette question : Cass. crim., 5 décembre 2013, n° 12-87.940, F-P+B (N° Lexbase : A8256KQT), sur lequel cf. nos obs. in Chronique de droit des biens - Janvier 2014, Lexbase Hebdo n° 554 du 16 janvier 2014 - édition privée (N° Lexbase : N0217BUL).
(2) Cf. par ex. G. Beaussonie, La relativité du principe de loyauté de la preuve en procédure pénale, Petites Affiches, 28 août 2008, n° 173, p. 7 (à propos de Cass. crim., 4 juin 2008, n° 08-81045, F-P+F N° Lexbase : A9418D8C, Bull. crim., n° 141). Cf. aussi M. Sanchez, Contribution à l'étude de la preuve pénale, thèse Toulouse 1-Capitole, 2010, nos 135 et s..
(3) La Cour européenne de sauvegarde des droits de l'Homme ne l'impose cependant pas : cf. CEDH, 12 juillet 1988, Req. 8/1987/131/182, S. c/ Suisse (N° Lexbase : A6480AWW).
(4) S., 1889, I, 241.
(5) Cf., encore récemment : Cass. crim., 7 mars 2012, n° 11-88.118, F-P+B (N° Lexbase : A3769IEC), Bull. crim., n° 64.
(6) La vulnérabilité du gardé à vue est soulignée de façon récurrente par la Cour européenne des droits de l'Homme. Cf. par ex. : CEDH, 27 nov. 2008, Req. 36391/02, S. c/ Turquie (N° Lexbase : A3220EPX), § 54 : "un accusé se trouve souvent dans une situation particulièrement vulnérable à ce stade de la procédure".
(7) Cf. B. de Lamy, "La loyauté, principe perturbateur des procédures ?", JCP, éd. G, 2011, 988.
(8) CEDH, 25 février 1993, Req. 82/1991/334/407, F. c/ France, (N° Lexbase : A6542AW9), § 44. Pour plus de précisions sur les normes internes et internationales en la matière, cf. M. Sanchez, Contribution à l'étude de la preuve pénale, préc., nos 255 et s..
(9) C. proc. pén., art. 63-1, 3° (N° Lexbase : L9742IPI).
(10) Cons. const., décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004, cons. 67-71 (N° Lexbase : A3770DBA).
(11) Cf. encore dernièrement : Cass. crim, 11 décembre 2013, n° 12-83.296, F-P+B (N° Lexbase : A3673KRH) et nos obs. in Chronique de procédure pénale - Janvier 2014, Lexbase Hebdo n° 553 du 9 janvier 2014 - édition privée (N° Lexbase : N0059BUQ). Le point de départ de cette position contestable est : Cass. crim., 14 février 2012, n° 11-84.694, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3688ICL). Pour un commentaire de cet arrêt et un rappel du contexte, cf. nos observations : Chronique de procédure pénale - Mars 2012, Lexbase Hebdo n° 476 du 8 mars 2012 - édition privée ([LXB=N0622BT9 ]).
(12) Sur le fondement de l'article 10 de la CESDH (N° Lexbase : L4743AQQ).
(13) CEDH, 24 novembre 2005, Req. n° 53886/00, T. et J. c/ France (N° Lexbase : A7066DLB), § 46. Elles contribuent par là même à ne pas entraver la manifestation de la vérité : CA Paris, 11 mai 2000, D., 2000, IR, 193.
(14) Cf. celles concernant le secret professionnel de l'avocat, ou bien celles de l'article 114-1 du Code procédure pénale (N° Lexbase : L4538AZ4).
(15) Ex. : Cass. civ. 2, 19 février 1992, n° 90-20.312 (N° Lexbase : A5542AHQ), Bull. civ., II, n° 61, livre relatif à "l'affaire Grégory" retiré de la vente car ayant reproduit de nombreuses pièces d'un dossier d'instruction en cours.
(16) § 69 et § 73.
(17) Sur la liberté d'expression de l'avocat, cf. CEDH, 15 décembre 2011, Req. n° 28198/09, M. c/ France (N° Lexbase : A6142IAQ).
(18) Cf. E. Garçon, V. Peltier, Droit de la peine, LexisNexis, 2010, nos 1104 et s..
(19) C. proc. pén., art. 712-11 (N° Lexbase : L5813DYX), 712-12 (N° Lexbase : L5814DYY) et 712-5 (N° Lexbase : L5807DYQ).
(20) Cass. crim., 7 mars 2007, n° 06-83.981, FS-P+F (N° Lexbase : A8098DUH), Bull. crim., 2007, n° 75.

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