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par Julien Prigent, avocat à la cour d'appel de Paris, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Baux commerciaux"
le 15 Mai 2014
Solution
Le preneur titulaire d'un bail saisonnier qui revendique le bénéfice du statut des baux commerciaux doit être immatriculé à la date de son assignation judiciaire.
Faits
Entre 2000 et 2006, avaient été consentis au même locataire sept baux qualifiés de saisonniers, chacun étant conclu pour une durée de neuf mois du 1er avril au 31 décembre. Le 2 avril 2008, le bailleur avait délivré un congé pour reprise à effet au 2 mai 2008. Le preneur a alors assigné le bailleur en reconnaissance de l'existence d'un bail commercial soumis au statut. Cette demande ayant été accueillie, le bailleur s'est pourvu en cassation.
Observations
L'article L. 145-5 du Code de commerce (N° Lexbase : L2320IBK) prévoit que les parties peuvent, à certaines conditions, déroger aux dispositions du statut des baux commerciaux mais que si le locataire reste et est laissé en possession des lieux ou qu'un nouveau bail est conclu, le statut des baux commerciaux s'appliquera. Le dernier alinéa de ce texte exclut les locations à caractère saisonnier de cette dernière règle. Il en a été conclu que ces locations sont exclues du statut des baux commerciaux (voir, par exemple, Cass. civ. 3, 3 janvier 1978, n° 75-13982 N° Lexbase : A7186AGA ; Cass. civ. 3, 22 mai 1986, n° 84-16.400 N° Lexbase : A4797AAW ; Cass. civ. 3, 6 novembre 2001, n° 00-13.767, F-D N° Lexbase : A0458AXA).
La location à caractère saisonnier est caractérisée par le fait que le preneur n'occupe les loués que par intermittence, le temps d'une "saison" (une saison estivale, par exemple), voire plus. Une location sur une période du 15 mars au 30 septembre peut ainsi être une location saisonnière (Cass. civ. 3, 7 novembre 1990, n° 89-12.065 N° Lexbase : A7998AHP). La location garde son caractère saisonnier même si elle est renouvelée chaque année (Cass. civ. 3, 6 novembre 2001, n° 00-13.767, préc.). En revanche, le bail consenti sur un local pour l'exercice d'une activité commerciale sera soumis au statut des baux commerciaux même si l'exploitation du fonds de commerce n'y est que saisonnière (Cass. civ. 3, 16 avril 1973, n° 72-11.351 N° Lexbase : A6892AGD). En présence d'un contrat qualifié par les parties de "location saisonnière", limitant la jouissance des lieux loués pour des saisons déterminées, renouvelé chaque année, le locataire est bien fondé à invoquer le bénéfice d'un droit au renouvellement issu du statut des baux commerciaux dès lors qu'en réalité, son maintien dans les lieux, hors des périodes désignées dans les contrats successifs, ne résulte pas d'une simple tolérance, mais démontre la pérennité des rapports locatifs (Cass. civ. 3, 15 janvier 1992, n° 90-13.865 N° Lexbase : A7923AGK).
Dans l'arrêt rapporté, le preneur avait assigné son bailleur en "reconnaissance de l'existence d'un bail soumis au statut". En dépit de la qualification de contrats saisonniers, le locataire avait, selon les juges du fond, été laissé en possession des lieux à l'issue des saisons 2006 et 2007 car il y laissait son stock, conservait les clés du local et maintenait tous ses abonnements et assurances. Les juges du fond (CA Rennes, 27 juin 2012, n° 11/00112 N° Lexbase : A8221IP8) avaient estimé qu'en application des dispositions de l'article L. 145-5 du Code de commerce, le preneur bénéficiait d'un bail commercial commençant à courir à compter du 1er janvier 2007 (date correspondant a priori au terme du bail signé le 15 avril 2006). A cette fin, ils avaient estimé, tout d'abord, que le bailleur avait renoncé à son congé notifié le 2 avril 2008 car il n'avait pris aucune initiative procédurale, et avait encaissé les loyers sans contestation en demandant l'indexation. Cette motivation interroge dès lors que, d'une part, cette renonciation serait équivoque et non caractérisée (voir Cass. civ. 3, 22 janvier 2014, n° 12-29.856, FS-P+B N° Lexbase : A9840MCG, ci-après commenté) et que, d'autre part, en tout état de cause, s'il s'est opéré un bail commercial à compter du 1er janvier 2007, ce congé serait inefficace, le bailleur ne pouvant, sauf exception, délivrer de congé en cours de bail pour une date qui ne correspondrait pas à son terme. La censure de la Cour de cassation n'a pas porté sur ce point, mais sur la question de l'immatriculation du preneur. Si les juges du fond en avaient fait une condition de la possibilité d'invoquer le statut des baux commerciaux, ils avaient considéré que cette condition était remplie dès lors que le preneur s'était immatriculé en cours de procédure.
Les juges du fond avaient estimé qu'en ne prenant aucune initiative procédurale, en percevant les loyers sans contestation et en demandant l'indexation de ceux-ci, la bailleresse avait renoncé à son congé. Et, le preneur avait été inscrit au registre du commerce et des sociétés en cours de procédure. C'est sur la condition relative à l'immatriculation qu'intervient la censure de la Cour de cassation puisqu'elle casse la décision de la cour d'appel au motif qu'elle n'avait pas précisé si, à la date de l'assignation par laquelle le locataire revendiquait le bénéfice du statut des baux commerciaux, celui-ci était inscrit au registre du commerce et des sociétés (cf. l’Ouvrage "baux commerciaux" N° Lexbase : E2443AWE). La décision est rendue au visa de l'article L. 145-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L2327IBS) qui précise que le statut des baux commerciaux est applicable, notamment, au bail portant sur un local dans lequel est exploité un fonds de commerce appartenant à un commerçant immatriculé au registre du commerce et des sociétés.
La Cour de cassation précise que c'est à la date de l'assignation par laquelle le preneur sollicite l'application du statut des baux commerciaux, que doit être appréciée la condition de l'immatriculation. Il incombait donc aux juges du fond de rechercher si à la date de l'assignation, le preneur était ou non immatriculé. Dès lors que la solution est rendue au visa de l'article L. 145-1 du Code de commerce, elle a vocation à concerner, a priori, toute action tendant à voir reconnaître la soumission d'un contrat au statut des baux commerciaux, malgré une qualification des parties qui devrait exclure cette application. Cette solution pourrait remettre en cause la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle l'immatriculation du preneur n'est qu'une condition du droit au renouvellement et non une condition d'application du statut des baux commerciaux (Cass. civ. 3, 1er octobre 1997, n° 95-15.842 N° Lexbase : A1903ACH). Cette décision est également intéressante en ce qu'elle implique que la reconnaissance de l'existence d'un bail commercial, alors qu'une location à caractère saisonnier a été conclue, ne s'effectuera pas dans le cadre du régime du bail dérogatoire. Il doit être rappelé que l'immatriculation n'est pas une condition du bénéfice du statut invoqué à l'issue d'un bail dérogatoire (Cass. civ. 3, 30 avril 1997, n° 94-16.158 N° Lexbase : A9908ABL). L'inapplication des dispositions de l'article L. 145-5 du Code de commerce peut apparaître logique dès lors que l'application du statut des baux commerciaux à l'issue d'un bail dérogatoire suppose au préalable la conclusion d'un tel bail, ce qui n'est pas le cas, a priori, en présence d'une location saisonnière, étant précisé, puisque par hypothèse il existe une discordance entre la qualification du contrat et la réalité, qu'il est difficile d'admettre que ce qui serait éludé, c'est le régime du bail dérogatoire. En réalité, c'est bien l'application du statut des baux commerciaux en son entier qui est en jeu.
Solution
Ni l'acceptation par le bailleur, avant la date de renouvellement du bail, du calcul opéré par le locataire et du paiement de loyers indexés sur la base du loyer minoré correspondant au seul loyer exigible avant renouvellement, ni le silence gardé postérieurement au terme de cette période, ne manifestent de manière non équivoque sa volonté de renoncer à exiger le loyer prévu au bail à compter de ce renouvellement.
Faits
Un bail consenti à effet du 1er octobre 1990, pour une durée de neuf années renouvelable moyennant un loyer annuel de 144 000 francs (environ 21 952 euros) indexé, prévoyait qu'en contrepartie de l'engagement du locataire de prendre à sa charge les travaux nécessaires pour rendre l'immeuble habitable, ce loyer serait réduit à 120 000 francs (environ 18 293 euros) durant les neuf premières années. Le bail s'était, semble-t-il, renouvelé sans que le loyer n'ait été porté à la somme annuelle prévue. Après le départ du preneur, le bailleur avait demandé le paiement d'une somme correspondant à la différence, sur les cinq dernières années, entre le loyer non minoré indexé et le loyer minoré indexé.
Observation
Le preneur avait tenté de faire échec à la demande du bailleur en soutenant que ce dernier aurait renoncé à exiger le loyer contractuellement prévu. Les juges du fond avaient accueilli cet argument. Au visa de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), la Cour de cassation censure la solution des juges du fond (CA Poitiers, 4 juillet 2012, n° 11/02916 N° Lexbase : A4342IQU) au motif que ni l'acceptation par le bailleur, avant la date de renouvellement du bail, du calcul opéré par le locataire et du paiement de loyers indexés sur la base du loyer minoré correspondant au seul loyer exigible avant renouvellement, ni le silence gardé postérieurement au terme de cette période, ne manifestent de manière non équivoque sa volonté de renoncer à exiger le loyer prévu au bail à compter de ce renouvellement. Si la renonciation à un droit peut être tacite, c'est en effet à la condition qu'elle ne soit pas équivoque (Cass. civ. 3, 5 mai 1975, n° 73-14.130 N° Lexbase : A6744AX3). L'attitude passive d'une partie rend équivoque son consentement à la renonciation aux droits dont elle est titulaire, même si cette passivité entre en contradiction avec ces droits. Ainsi, et par exemple, l'encaissement par le bailleur des loyers réglés par un cessionnaire ne vaut pas renonciation du bailleur à se prévaloir de l'irrégularité de la cession (Cass. civ. 3, 5 mai 1975, n° 73-14.130, préc.). Plus récemment, la Cour de cassation a jugé que l'inaction du bailleur à la suite d'un congé notifié avant le terme d'un bail dérogatoire ne valait pas renonciation aux effets de ce congé (Cass. civ. 3, 5 juin 2013, n° 12-19.634, FS-P+B N° Lexbase : A3320KG3).
Dans l'arrêt rapporté, la Cour de cassation précise, tout d'abord, que l'acceptation par le bailleur du calcul opéré par le preneur avant la date d'effet de l'application du loyer non minoré ne manifestait pas de manière non équivoque sa volonté de renoncer à exiger le loyer prévu au bail. La renonciation du bailleur sur ce point était plus qu'équivoque puisqu'il est difficile de conclure que son acceptation du mode de calcul du loyer sur la base d'un loyer minoré pouvait caractériser une renonciation à exiger un loyer qui n'était pas encore plus applicable. La Haute cour précise, également, que le silence gardé par le bailleur après l'application du loyer non minoré ne manifestait pas de manière non équivoque sa volonté de renoncer à exiger ce dernier loyer. Il doit être noté que la question n'avait pas été posée sous l'angle de la novation, peut-être parce que le locataire avait quitté les lieux et que l'action ne portait que sur un arriéré et non pour l'avenir. En tout état de cause, une solution identique aurait pu être retenue dès lors que l'article 1273 du Code civil (N° Lexbase : L1383ABT) précise que "la novation ne se présume point ; il faut que la volonté de l'opérer résulte clairement de l'acte" (voir, en ce sens CA Paris, 16ème, sect. A, 12 janvier 2005, n° 03/18816 N° Lexbase : A1095DGN).
Solution
La détermination de la valeur marchande du fonds de commerce, prise en compte pour la détermination du montant de l'indemnité d'éviction, s'effectue selon les usages et modalités retenus dans la profession ou le secteur d'activité commerciale concernés.
Faits
Un local situé dans un centre commercial avait été donné en location à un preneur pour l'exercice d'une activité de vente de prêt-à-porter, pour une durée de neuf années à compter du 1er avril 1997. Le 29 mai 2007, le bailleur avait fait délivrer un congé à effet du 1er décembre 2007 avec offre d'une indemnité d'éviction. Le juge a été saisi aux fins de fixation du montant de l'indemnité d'éviction. La cour d'appel de Bastia, le 24 octobre 2012, a considéré, concernant le montant de l'indemnité d'éviction, que seul le montant hors taxe sur la valeur ajoutée du chiffre d'affaires devait être pris en considération, l'indemnité attribuée s'inscrivant dans la réparation d'un préjudice et non dans une transaction imposable.
Observations
Aux termes de l'article L. 145-14 du Code de commerce (N° Lexbase : L5742AII), le bailleur qui refuse le renouvellement du bail doit, en principe, payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement. Toujours selon ce texte, cette indemnité comprend, notamment, la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.
En l'espèce, le bailleur et le locataire étaient d'accord sur le fait que l'éviction entraînait la perte du fonds et que sa valeur devait être déterminée au regard du chiffre d'affaires moyen des dernières années augmenté d'un coefficient multiplicateur propre à l'activité exercée. Il existait, en revanche, une divergence sur la question de savoir si le chiffre d'affaires à prendre en compte devait être le chiffre d'affaires hors TVA ou incluant cette dernière. Sur le fondement de l'article L. 145-14 du Code de commerce, qui impose de déterminer la valeur marchande du fonds de commerce suivant les usages de la profession, la Cour de cassation avait précisé que les juges du fond devaient rechercher si l'usage de la profession est d'inclure, ou non, la taxe sur la valeur ajoutée dans le montant du chiffre d'affaires qui sert de base au calcul de l'indemnité d'éviction (Cass. civ. 3, 15 juin 1994, n° 92-14.172 N° Lexbase : A6931ABC). Dans un arrêt postérieur, la Haute cour avait rejeté un pourvoi formé contre un arrêt qui avait retenu comme base de calcul un chiffre d'affaires incluant la TVA, sans se référer aux usages de la profession, en précisant que la cour d'appel "a pu évaluer l'indemnité due à la locataire en incluant la taxe sur la valeur ajoutée" (Cass. civ. 3, 27 novembre 1996, n° 94-18.215 N° Lexbase : A8695AG7). Il était difficile d'affirmer que cet arrêt aurait traduit l'abandon de la référence aux usages de la profession. Etait en cause, en revanche, la nature du contrôle opéré par la Cour de cassation. Un arrêt du 17 décembre 2003 a réitéré la nécessaire prise en compte des usages de la profession en consacrant un contrôle "lourd" de ce point par le rejet du pourvoi formé à l'encontre d'un arrêt ayant exclu la TVA : "ayant relevé que si la référence aux usages de la profession exercée par le preneur faisait apparaître que le chiffre d'affaires toutes taxes comprises était retenu pour les transactions amiables car l'indemnité n'était pas exonérée de l'imposition, tel n'était pas le cas lorsque l'indemnité représentait la stricte réparation d'un préjudice, la cour d'appel en a exactement déduit, que l'indemnité d'éviction due au locataire devait être évaluée en excluant la taxe sur la valeur ajoutée du chiffre d'affaires qui a servi de base à son calcul" (Cass. civ. 3, 17 décembre 2003, n° 02-12.236, FS-P+B N° Lexbase : A4900DAQ).
Si l'arrêt du 5 février 2014 s'inscrit dans la continuité de cette décision en ce qu'il se réfère aux usages de la profession, il pourrait être soutenu qu'il s'en éloigne aussi concernant les modalités de prise en compte de ces usages. La cour d'appel avait retenu un chiffre d'affaires hors taxes au motif que l'indemnité d'éviction s'inscrivait dans la réparation d'un préjudice et non dans une transaction imposable. Cette solution repose, tout d'abord, sur une confusion entre l'absence d'assujettissement de l'indemnité d'éviction à la TVA et la détermination de son montant. Elle encourait, en outre, la censure dès lors qu'elle n'était pas fondée sur la prise en compte des usages de la profession. La Cour de cassation précise, à cet égard, que "la valeur marchande du fonds de commerce s'effectue selon les usages et modalités retenus dans la profession ou le secteur d'activité commerciale concernés". Elle impose même aux juges du fonds de rechercher quelles sont "les modalités d'évaluation des fonds de commerce en vue d'une transaction en usage dans la profession".
La question se pose, en conséquence, de savoir si la solution retenue par les juges du fond, approuvée par l'arrêt du 17 décembre 2003, qui avaient retenu des modalités différentes d'évaluation de la valeur du fonds de commerce selon les finalités de cette évaluation (transaction amiable ou indemnisation de la perte du fonds) pourrait de nouveau être consacrée. L'arrêt du 17 décembre 2003 recelait sans doute une ambiguïté (il se référait encore à l'absence d'imposition en cas de réparation d'un préjudice) que l'arrêt du 5 février 2014 a peut-être levée.
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