Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 10 février 2014, n° 367262, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3840MEX)
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par François Brenet, Professeur de droit public à l'Université de Poitiers, Directeur de l'Institut de droit public (EA 2623)
le 27 Mars 2014
En l'espèce, le service départemental et de secours (SDIS) du Doubs avait conclu, en 2010, avec un cabinet d'avocats, un marché public de prestations de services ayant pour objet, d'une part, une mission d'assistance et de conseil pour la passation de marchés publics d'assurance et, d'autre part, une mission d'assistance technique permanente pour les questions d'assurance. La société A., candidate malheureuse à l'attribution de ce marché, en avait contesté la régularité dans le cadre d'un recours en contestation de validité, autrement dit d'un recours dit "Tropic" (2). Par un arrêt du 18 janvier 2013, la cour administrative d'appel de Nancy a partiellement fait droit à son recours (3) en annulant le marché public litigieux, en tant qu'il comportait un premier volet d'assistance technique juridique en matière d'assurance et qu'il aurait donc dû être attribué à un intermédiaire d'assurance, et non à un cabinet d'avocat.
Saisi en cassation, le Conseil d'Etat avait à régler une question inédite, qui avait donné lieu à un contentieux peu fourni devant les juridictions administratives jusqu'à présent (4), mais dont on imagine bien qu'elle est importante en pratique. Il lui appartenait de préciser le périmètre des missions d'intermédiation, qui ne peuvent être exécutées que par des prestataires immatriculés au registre adéquat. Et, de cette interrogation dépendait évidemment la place que peuvent être appelés à jouer les cabinets d'avocat en matière de prestations juridiques relatives aux marchés publics d'assurance. Deux conceptions étaient envisageables. Une interprétation large des dispositions de l'article L. 511-1 du Code des assurances aurait nécessairement conduit à priver l'accès des professions non autorisées à de nombreux marchés publics. En revanche, une interprétation plus stricte desdites dispositions aurait permis un accès plus large des opérateurs économiques auxdits marchés publics, sans pour autant priver les professions autorisées de la possibilité de présenter leur candidature. Contrairement à la cour administrative d'appel de Nancy, le Conseil d'Etat fait sienne cette seconde conception.
La solution retenue du Conseil d'Etat ne se justifie pas seulement du point de vue de la préservation et de la promotion de la concurrence. Elle se justifie, également, au regard de la lettre de la Directive du 9 décembre 2002 (Directive 2002/92/CE N° Lexbase : L7682A8Z) et du Code des assurances dont il assure la transposition. En effet, dans son arrêt du 28 janvier 2013, la cour administrative d'appel de Nancy avait retenu la qualification d'intermédiation en se fondant sur une partie des missions correspondant au premier volet du contrat (mission d'assistance et de conseil pour la passation des marchés publics d'assurances). Plus précisément, elle avait relevé que le cabinet d'avocat devait analyser les contrats existants, évaluer les risques et assurer une fonction de conseil dans la définition des niveaux de couverture, évaluer l'opportunité d'une auto-assurance, élaborer un cahier des charges ainsi que les documents de la consultation pour le renouvellement du marché public d'assurances, proposer des critères d'appréciation des offres, analyser les offres et aider à la finalisation des contrats à venir. Cette lecture des dispositions du Code des assurances était assurément maximaliste et assez éloignée de la notion d'intermédiation. En effet, l'article R. 511-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L1472HSC) dispose que "pour l'application de l'article L. 511-1, est considérée comme présentation, proposition ou aide à la conclusion d'une opération d'assurance, le fait pour toute personne physique ou morale de solliciter ou de recueillir la souscription d'un contrat ou l'adhésion à un tel contrat, ou d'exposer oralement ou par écrit à un souscripteur ou un adhérent éventuel, en vue de cette souscription ou adhésion, les conditions de garantie d'un contrat.
Les travaux préparatoires à la conclusion d'un contrat mentionnés à l'article L. 511-1 s'entendent comme tous les travaux d'analyse et de conseil réalisés par toute personne physique ou personne morale qui présente, propose ou aide à conclure une opération d'assurance. Ils ne comprennent pas les activités consistant à fournir des informations ou des conseils à titre occasionnel dans le cadre d'une activité professionnelle autre que celle mentionnée à l'alinéa premier".
Comme l'a démontré M. Bertrand Dacosta, dans ses conclusions (que nous remercions pour leur aimable communication), il ressort de ces dispositions que "la notion même d'intermédiaire implique celle de mise en relation de deux personnes, en l'espèce l'assuré et l'assureur". C'est précisément cette notion de mise en relation, ou de présentation comme on la qualifiait autrefois, qui constitue le coeur de l'activité d'intermédiation. Cela suppose donc d'interpréter les dispositions de l'alinéa 2 de l'article R. 511-1 en liaison avec celles de l'alinéa 1. Les travaux préparatoires en question ne sont donc pas tous ceux qui se rapportent à la conclusion d'un contrat d'assurances quelconque. Ils sont ceux qui se rapportent à la conclusion d'un contrat que l'intermédiaire d'assurances a proposé à la personne publique. En d'autres termes, ce ne sont pas tous les travaux d'analyse et de conseil qui constituent des actes d'intermédiation, ce sont seulement ceux qui se rapportent à une opération d'intermédiation, c'est-à-dire à une opération de mise en relation entre l'assuré et l'assureur.
Cette grille de lecture permet de faire la distinction entre les missions d'intermédiation, qui ne peuvent être confiées qu'à des opérateurs économiques enregistrés, et les missions de conseils, qui peuvent être attribuées à n'importe quelle entreprise et qui s'apparentent non à de l'intermédiation, mais à de l'assistance au maître d'ouvrage (B. Dacosta). En l'espèce, le cabinet d'avocat s'était légalement vu confier une mission consistant à assister et à conseiller le SDIS afin de lui permettre de passer des marchés publics d'assurance et, notamment, de sélectionner les candidats dans le respect des dispositions du Code des marchés publics et il n'était donc nullement chargé de présenter, de proposer ou d'aider à conclure un contrat d'assurance ou de réaliser d'autres travaux préparatoires à sa conclusion (cons. 6). Simple dans son principe, le critère de distinction proposé par le Conseil d'Etat pourrait susciter quelques difficultés d'application à l'avenir, pour la simple raison qu'il n'y aura parfois qu'une différence infime entre la mission de conseil et la mission de mise en relation qui caractérise l'intermédiation.
(1) C. assur., art. L. 512-1 : "I. - Les intermédiaires définis à l'article L. 511-1 doivent être immatriculés sur un registre unique des intermédiaires, qui est librement accessible au public.
Un décret en Conseil d'Etat précise les conditions d'immatriculation sur ce registre et détermine les informations qui doivent être rendues publiques. Il détermine également les modalités de sa tenue par un organisme doté de la personnalité morale et regroupant les professions de l'assurance concernées.
Un commissaire du Gouvernement est désigné auprès de cet organisme. Sa mission et les modalités de sa désignation sont fixées par décret en Conseil d'Etat.
L'immatriculation, renouvelable chaque année, est subordonnée au paiement préalable, auprès de l'organisme mentionné au deuxième alinéa, de frais d'inscription annuels fixés par arrêté du ministre chargé de l'Economie, dans la limite de 250 euros.
Ces frais d'inscription sont recouvrés par l'organisme mentionné au deuxième alinéa, qui est soumis au contrôle général économique et financier de l'Etat. Leur paiement intervient au moment du dépôt de la demande d'inscription ou de la demande de renouvellement.
Lorsque la demande d'inscription ou de renouvellement est déposée sans le paiement correspondant, l'organisme mentionné au deuxième alinéa adresse au redevable par courrier recommandé avec accusé de réception une lettre l'informant qu'à défaut de paiement dans les trente jours suivant la date de réception de cette lettre la demande d'inscription ne pourra être prise en compte. Dans le cas d'une demande de renouvellement, le courrier indique que l'absence de paiement entraîne la radiation du registre.
II. - Les dispositions du présent article ne s'appliquent pas aux personnes physiques salariées d'un intermédiaire d'assurance ou de réassurance".
(2) CE Ass., 16 juillet 2007, n° 291545, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4715DXW) : Rec. CE, p. 360, concl. D. Casas ; AJDA, 2007, p. 1577, chron. F. Lénica et J. Boucher ; GAJA, n° 113 (avec les références bibliographiques).
(3) CAA Nancy, 4ème ch., 28 janvier 2013, n° 12NC00126, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6149I8A).
(4) Outre l'arrêt précité de la CAA de Nancy, on peut citer : CAA Marseille, 6ème ch., 8 avril 2013, n° 10MA01631, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A0537KDA).
Décision
CE 2° et 7° s-s-r., 10 février 2014, n° 367262, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3840MEX) Annulation (CAA Nancy, 4ème ch., 28 janvier 2013, n° 12NC00126, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6149I8A) Lien base : (N° Lexbase : E9497ETW) |
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