La lettre juridique n°562 du 13 mars 2014 : Éditorial

Les juges : boucs émissaires ou parangons ?

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Même insensible aux mouvements populaires, même hermétique aux humeurs de la clameur publique, même étanche à l'écume des erreurs judiciaires, même conscient d'être un pilier de la démocratie des Lumières, il y a des enquêtes ou des sondages qui interpellent et appellent des réponses, sinon urgentes, du moins opportunes.

"Plus des trois quarts des Français (77 %) pensent que la justice fonctionne mal. Et ils sont de plus en plus nombreux : +12 points par rapport à la précédente enquête, datant de 2011. Un cri d'alarme' pour l'Institut pour la justice (IPJ), commanditaire d'un sondage sur l'image de la justice réalisé par l'institut CSA publié lundi 3 mars [2014]. 91 % d'entre eux jugent par ailleurs difficile pour un citoyen de comprendre comment marche la justice (27 % très difficile')".

La critique de la justice n'est pas chose nouvelle, que la satire relève de la poésie antique d'Aristophane, au siècle de Périclès, à travers Les guêpes, prenne les traits de Dandin dans Les plaideurs de Racine, ou ressemble à un examen collectif de conscience à l'occasion de l'audition télévisuelle du juge Burgaud. Il n'y aurait donc pas lieu de s'alarmer outre mesure ; la vieille et noble institution serait habituée au regard accusateur de ses contemporains. Incomprise, le secret de ses rouages la protègerait, finalement, autant qu'il ne la dessert ; lui permettant de passer les âges, sans qu'un grand chambardement ne vienne trop déstabiliser la ruche.

Mais l'enquête ainsi publiée permet, pourtant, de poser de prime abord plusieurs questions. Certes la justice est rendue au nom du peuple français, mais est-elle rendue par lui et pour lui ? La réponse n'a jamais été aussi positive. A l'élitisme des recrutements du XIXème siècle a succédé une démocratisation de l'accès au concours, à la suite, bien évidemment, des flots d'étudiants de toutes couches sociales formés dans les universités. Et, l'apparente déjudiciarisation prônée par certains ne doit pas cacher le nombre de contentieux toujours plus important qui émaille la société française. Le procès de l'élitisme et de "l'entre soi" n'est donc pas le bon à tenir.

En revanche, il faut reconnaître que certains héritages peinent à expliquer leur ancrage au XXIème siècle. La coexistence des deux ordres juridictionnels aux champs de compétence cohérents et établis ne poserait pas de problème de compréhension pour le justiciable commun, si l'on renonçait à quelques "mélanges des genres" : du contentieux social au litige en droit des étrangers, en passant par les procédures fiscales, on ne compte plus les exceptions aux règles de compétence attribuant à l'un ou à l'autre ordre juridictionnel telle ou telle affaire ; au point de devoir instituer une juridiction ad hoc, le Tribunal des conflits, chargée de régler les contrariétés. Par ailleurs, d'aucuns prendront un malin plaisir à combiner justice consulaire et justice professionnelle, à détourner le procès vers des horizons communautaires lointains, à coup de questions préjudicielles, ou capitolins, vers le juge constitutionnel, à coup de QPC. Ils joueront des délais de procédure, différents selon les juridictions, voire selon les parties. Ils décortiqueront les moyens invoqués pour trouver l'erreur procédurale salvatrice. Mais au fond, pourquoi tant de complexité ?

Alors, on oublie trop vite que la procédure est en fait un gage de liberté et d'égalité. La complexité devant les juridictions est le pendant des difficultés à libéraliser l'accès au juge même pour les citoyens les plus démunis, les plus en marge de la société ; le pendant des difficultés à rétablir un sentiment d'égalité entre les justiciables dans un procès qui, sans cadre directionnel et processuel, ne serait affaire que de bons plaideurs. La démocratie crée la justice à son image : aussi pétrie de forces contraires que d'une certaine idée de la liberté et de l'égalité.

Pour autant, les juges ne sont-ils que les boucs émissaires voués au sacrifice expiatoire d'une société qui va mal ? Depuis Aristophane, on sait que la justice est l'affaire de quelques hommes chargés de régler les conflits de leurs contemporains : soit Cléon s'attache leur service pour quelques oboles électoralistes ; soit les Gouvernements leur octroient le budget le plus ridicule des pays de l'OCDE. Et, lorsque l'on sait que "Le rôle des magistrats dans le déroulement des audiences est plus directif que dans les autres pays comparables" ; que les juges français ont un pouvoir plus important que leurs homologues des autres démocraties, qui doivent s'effacer beaucoup plus souvent qu'eux, dans la prise des décisions, derrière des jurés populaires, -nous livre Benoît Garnot, Professeur d'histoire moderne à l'Université de Bourgogne- ; il y a un paradoxe qu'il convient de lever, avant toute idée de réformer la justice au XXIème siècle...

Grandement simplifiée, correctement dotée, et la justice recousue retrouvera les chemins de l'adhésion populaire ; un peuple qui cessera de la penser laxiste, quand il la juge pourtant aveugle, qui la craint aux ordres des pouvoirs politiques, quand elle n'a de cesse de s'y confronter... Parfois au risque de se perdre elle-même...

Injustice du sort, en même temps qu'était publiée cette enquête à charge sur la perception de la justice en France, disparaissait l'un de ses hauts représentants, Jean-Pierre Dintilhac. L'ancien procureur de Paris et avocat général près la Cour de cassation, qui avait terminé sa carrière comme président de la deuxième chambre civile aura, lui, donné son nom à l'une des plus importante oeuvre de simplification et d'intelligibilité du droit et de la justice : la fameuse nomenclature permettant d'améliorer les conditions d'indemnisation du préjudice corporel. C'est un petit pan de la justice, mais le fruit d'un travail d'agrégation et d'arbitrage, communément apprécié et respecté par les juges, comme par les avocats : un exemple de ce que peut offrir la justice, en son sein, au terme d'une importante réflexion, pour être en adéquation avec le peuple.

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