La lettre juridique n°955 du 27 juillet 2023 : Construction

[Brèves] De la procédure abusive en droit de la construction

Réf. : Cass. civ. 3, 13 juillet 2023, n° 22-13.693, F-D N° Lexbase : A29021B4

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N6516BZD

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par Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, M2J Avocats, Chargée d’enseignements à l’UPEC, Responsable de la commission Marchés de Travaux, Ordre des avocats

le 11 Septembre 2023

► La procédure abusive peut être sanctionnée sur les dispositions de l’article 1240 du Code civil ; il faut alors démontrer les circonstances particulières faisant dégénérer le droit en abus.

Nombreux sont ceux qui ont pensé, sans l’oser, demander une condamnation pour procédure abusive à l’encontre du maître d’ouvrage qui tente de tirer profit des dispositions légales et règlementaires ainsi que de la jurisprudence rendue en droit de la responsabilité des constructeurs.

Il est pourtant très rarement plaidé dans le domaine de la construction, ce qui rend, d’emblée, opportune la mise en lumière de la présente décision.

Si le droit d’agir en justice est un principe fondamental, l’abus dans l’exercice de ce droit peut être sanctionné. L’article 32-1 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6815LE7 dispose ainsi que « celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 3 000 euros, sans préjudice des dommages et intérêts qui seraient réclamés ». Il s’agit alors de solliciter une amende civile (pour exemple, Cass. civ. 2, 28 janvier 2016, n° 14-20.726, F-P+B N° Lexbase : A3371N7Y). Mais cet article n’est pas le seul fondement possible comme le rappelle l’arrêt rapporté.

Un particulier confie à une entreprise la réalisation d’un garage. Se plaignant de l’arrêt du chantier et de dépenses complémentaires hors devis, le maître d’ouvrage assigne le constructeur aux fins d’exécution des travaux sous astreinte et de réparation des préjudices, moral et de jouissance, qu’elle estime avoir subi.

La cour d’appel d’Orléans, dans un arrêt rendu le 19 janvier 2022, rejette ses demandes et prononce la résiliation du marché à ses torts exclusifs, au motif qu’il n’aurait pas remboursé au constructeur le coût des matériaux dont celui-ci s’est acquitté.

Les conseillers la condamnent, également, à payer une somme au constructeur pour procédure abusive. Le maître d’ouvrage forme un pourvoi en cassation. Il articule, notamment, que la procédure initiée ne peut être abusive dès lors que le Juge de première instance avait, au contraire, considéré que ses prétentions étaient fondées.

La Haute juridiction censure au visa de l’article 1240 du Code civil N° Lexbase : L0950KZ9. Les juges, dans le cadre de leur liberté d’appréciation souveraine, auraient dû caractériser une faute ayant fait dégénérer le droit du maître d’ouvrage d’agir en abus.

Les conseillers avaient seulement retenu qu’il était évident que le comportement procédural du maître d’ouvrage, qui a soutenu de mauvaise foi des faits inexacts contre toute évidence, allant même jusqu’à prétendre que son adversaire n’avait pas comparu devant le premier juge, ce qui était rigoureusement faux, constitue une série de fautes blâmables qui a causé un préjudice au constructeur.

La solution, bien que conforme à l’application classique de la théorie de l’abus de droit (pour exemple Cass. civ. 3, 27 janvier 2015, n° 13-25.305, F-D N° Lexbase : A6941NAC), est assez surprenante rapportée au droit de la construction, tant l’habitude est prise de lire des décisions favorables aux maîtres d’ouvrage.

Elle ouvre ainsi des perspectives.

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