La lettre juridique n°955 du 27 juillet 2023 : Responsabilité

[Brèves] L’action en garantie des vices cachés doublement encadrée : délai de prescription et délai butoir

Réf. : Cass. mixte, 21 juillet 2023, quatre arrêts, n° 20-10.763 N° Lexbase : A85511BC, n° 21-15.809 N° Lexbase : A85501BB, n° 21-17.789 N° Lexbase : A85491BA, n° 21-19.936 N° Lexbase : A85481B9, B+R ; communiqué du 21 juillet 2023

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par Anne-Lise Lonné-Clément

le 27 Juillet 2023

► L’action en garantie des vices cachés doit être engagée dans un délai de deux ans, à compter de la découverte du défaut par l’acquéreur ; ce délai est un délai de prescription qui peut donc être suspendu, en particulier lorsqu’une mesure d’expertise a été ordonnée ;
l’action en garantie des vices cachés est également encadrée dans un délai butoir de vingt ans, à compter de la vente du bien.

Par ses quatre décisions rendues le 21 juillet 2023, au centre de nombreux enjeux économiques, et comme indiqué dans son communiqué du même jour, la Chambre mixte apporte une réponse unifiée tant aux interrogations des consommateurs, particuliers ou commerçants, qui ont découvert un défaut de fabrication et doivent connaître le temps dont ils disposent pour engager une action en réparation, qu’à celles des fabricants sur lesquels pèse une obligation de garantie. 

Pour rappel, en vertu des articles 1641 N° Lexbase : L1743AB8 et suivants du Code civil, le vendeur est tenu d’une garantie des vices cachés, « à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus ». L’article 1648, alinéa 1er, du même code N° Lexbase : L9212IDK prévoit que « l’action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l’acquéreur, dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice ».  

Les affaires. Dans une première affaire (pourvoi n° 21-15.809), un producteur de pulpe de tomate avait commandé à une autre société des poches de conditionnement pour cet aliment. Plusieurs clients avaient constaté un gonflement de ces poches, à l’origine d’une détérioration de la pulpe de tomate. Un expertise judiciaire avait conclu à un défaut de fabrication. Le producteur avait ensuite assigné le vendeur de poches et son assureur sur le fondement de la garantie des vices cachés. Les juges du fond avaient jugé que les poches étaient affectées d’un vice caché. Le producteur de poches et son assureur ont formé un pourvoi en cassation.  

Deux autres affaires (pourvois n° 21-17.789 et n° 21-19.936) concernaient toutes deux l’achat d’un véhicule d’occasion, tombé en panne et pour lesquelles une expertise judiciaire avait conclu à un défaut de fabrication. Dans l’affaire n° 21-17.789, l’acquéreur avait ensuite agi en réparation contre le fabricant, sur le fondement de la garantie des vices cachés. Les juges du fond avaient condamné le fabricant à verser une indemnisation. Le fabricant soutenait que l’action en garantie était prescrite : il a formé un pourvoi en cassation. 

Dans l’affaire n° 21-19.936, l’acquéreur avait agi à la fois contre le revendeur du véhicule d’occasion, le fabricant et son assureur. Les juges du fond avaient jugé que l’action de l’acquéreur contre le fabricant était prescrite, condamné le revendeur à indemniser l’acquéreur, et condamné le fabricant à garantir intégralement le revendeur. Le fabricant a formé un pourvoi en cassation. 

Dans la dernière affaire (pourvoi n° 20-10.763), un producteur agricole avait confié à un constructeur la couverture d’un bâtiment. Ce dernier s’était approvisionné en plaques de fibrociment auprès d’un fournisseur, lequel avait commandé les plaques chez un fabriquant. La société agricole avait remarqué l’existence d’infiltrations dans la toiture du bâtiment. Ce constat avait été confirmé par une expertise judiciaire. La société agricole avait ensuite assigné le constructeur, le fournisseur et le fabricant en indemnisation de son préjudice. Le constructeur avait appelé en garantie le fournisseur et le fabricant sur le fondement de la garantie des vices cachés. Le tribunal de commerce avait condamné l’entrepreneur à indemniser le producteur agricole et écarté les demandes en garantie du constructeur à l’égard du fournisseur et du fabricant. La cour d’appel avait condamné le fournisseur et le fabricant à garantir le constructeur des condamnations prononcées à son encontre. La Chambre commerciale de la Cour de cassation a censuré la décision de la cour d’appel. La cour d’appel chargée de rejuger l’affaire a déclaré que l’action du constructeur était prescrite. Le constructeur a donc formé un pourvoi en cassation.   

Dans un souci d’unification de la jurisprudence, il a été décidé de réunir une Chambre mixte, présidée par le premier président, et au sein de laquelle les trois chambres de la Cour concernées par ces contentieux sont représentées. 

Les arrêts de la Chambre mixte permettent ainsi de répondre aux questions suivantes concernant le délai d’action en garantie des vices cachés.

Délai de forclusion ou délai de prescription susceptible d’être suspendu ? La réponse est très claire : la Chambre mixte vient préciser que le délai de deux ans prévu pour intenter une action en garantie à raison des vices cachés d’un bien vendu est un délai de prescription qui peut donc être suspendu, en particulier lorsqu’une mesure d’expertise a été ordonnée.  

Délai butoir ? Le délai de deux ans dont dispose une personne pour exercer une action en garantie des vices cachés s’écoule à compter de la découverte du défaut par l’acquéreur. Mais ce délai est-il encadré par un second délai dit « butoir » qui, lui, s’écoule à compter de la vente du bien ? Si ce « délai butoir » existe, quelle en est la durée ? S’agit-il du délai de vingt ans prévu à l’article 2232 du Code civil N° Lexbase : L7744K9P ou du délai de cinq ans prévu à l’article L. 110-4 du Code de commerce N° Lexbase : L4314IX3 ? Enfin, la vente initiale du bien est-elle toujours le point de départ de ce « délai butoir » ? 

Comme indiqué dans son communiqué, la réponse peut être résumée comme suit. Pour engager une action en garantie des vices cachés l’acheteur doit saisir la justice :

  • dans un délai de deux ans à compter de la découverte du défaut affectant le bien qui lui a été vendu ;
  • mais également dans un délai de vingt ans à compter de la vente du bien. 

La Cour de cassation consacre donc l’existence d’un délai butoir de vingt ans qui encadre l’action en garantie des vices cachés.  

La Cour établit ainsi un équilibre entre la protection des droits des consommateurs, qui ne doivent pas perdre leur droit d’agir lorsqu’ils découvrent tardivement un vice caché ; et les impératifs de la vie économique, qui imposent que l’on ne puisse rechercher indéfiniment la garantie d’un vendeur ou d’un fabricant. 

La Cour de cassation précise, enfin qu’elle apporte la même solution :

  • qu’il s’agisse d’une vente simple ou intégrée dans une chaîne de contrats ;
  • quelle que soit la nature du bien.  

Cette solution unique appliquée à différents cas de figure vise à renforcer la sécurité juridique.           

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