La lettre juridique n°955 du 27 juillet 2023 : Fiscalité internationale

[Focus] Transmettre son entreprise dans un contexte international : réflexions sur le bon usage du dispositif « Dutreil »

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par Jérôme Bissardon, Avocat Fiscaliste – FBT AVOCATS SA

le 26 Juillet 2023

Mots-clés : pacte Dutreil • transmission d’entreprises • donations • successions • conventions fiscales

Transmettre son entreprise, familiale ou non, reste l’objectif final des chefs d’entreprise. Les premiers vont s’efforcer de performer avant une cession à un repreneur, parfois à un fonds d’investissement. D’autres vont souhaiter « passer la main », bien souvent à un ou plusieurs enfants. Quel que soit l’objectif final du chef d’entreprise, qui d’ailleurs évolue parfois au gré de la conjoncture et des opportunités, il est vivement recommandé d’anticiper la transmission, en particulier les conditions fiscales en France d’une donation ou d’une succession. Pour les premiers qui souhaitent vendre, ils ne doivent pas occulter le risque d’un décès prématuré et les conséquences fiscales qui pèseront sur les héritiers. Pour les seconds, une préparation en vue d’une transmission au meilleur coût fiscal est généralement préconisée.     


 

L’implantation internationale d’une entreprise ou de ses actionnaires fait parfois oublier que des droits de succession et de donation sont dus en France dans de nombreux cas.

En France, c’est l’article 750 ter du CGI N° Lexbase : L9528IQX qui fixe les critères de territorialité pour l’application des droits de donation et des droits de succession :

Ainsi, sous réserve des dispositions des conventions internationales conclues entre la France et certains pays [1], les droits de mutation à titre gratuit sont applicables en France dans les trois situations suivantes :

  • à raison des biens meubles ou immeubles situés en France ou hors de France lorsque le donateur ou le défunt a son domicile fiscal en France,
  • à raison des biens meubles ou immeubles situés en France, lorsque le donateur ou le défunt n'a pas son domicile fiscal en France,
  • à raison des biens meubles et immeubles situés en France ou hors de France reçus d'un donateur ou défunt domicilié hors de France par un héritier ou un donataire, légataire qui a son domicile fiscal en France et l'a eu pendant au moins six ans au cours des dix dernières années précédentes.

Selon ces critères, un chef d’entreprise résidant hors de France, qui détient des titres d’une société en France se trouve concerné par les dispositions de ce texte légal (I).

Il en est de même en principe de celui qui réside hors de France, dont l’entreprise est située hors de France également mais dont l’un ou plusieurs des héritiers, légataires, donataires résidents en France (II).

Il y a également la situation du chef d’entreprise, résident en France, qui détient les titres d’une ou plusieurs sociétés à l’étranger (III).

Dans l’ensemble de ces situations, l’application du dispositif « Dutreil » prévu par l’article 787 B du CGI peut être préconisée. Il s’agit pour un chef d’entreprise de souscrire un engagement de conservation pour lui-même et ses ayants cause à titre gratuit, seul ou avec plusieurs associés, pour le bénéfice d’un abattement de 75 % sur l’assiette des droits de donation ou de succession, dans le respect de certaines conditions.

Focus sur les conditions de l’exonération partielle de 75 % (dispositif « Dutreil-transmission)

L’engagement collectif (ou unilatéral) de conservation est pris pour une durée minimale de deux ans. Il doit porter, s'il s'agit de titres de sociétés non cotées en bourse, sur au moins 17 % des droits financiers et 34 % des droits de vote (10 % et 20 % pour les sociétés cotées), tout au long de la durée de l'engagement collectif ou unilatéral de conservation. Cet engagement est donc un pacte d’actionnaires ou d’associés conclu dans un objectif de préparation d’une transmission future ou éventuelle : pour réduire le coût des droits de donation ou encore pour remplir le rôle de filet de sécurité en cas de décès prématuré. Pour le chef d’entreprise hésitant entre donner, vendre ou encore poursuivre l’activité, le pacte peut tout à fait être établi pour une durée indéterminée avec possibilité d’y mettre fin unilatéralement avant une vente, en l’absence de donation bénéficiant du dispositif. Au surplus, plusieurs pactes peuvent être conclus avec les mêmes associés ou non, sur les mêmes titres ou non, ce qui permet d’anticiper au mieux dans chaque cas particulier.

Le pacte porte sur les parts ou les actions d’une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, à l’exclusion donc des activités patrimoniales, de certaines activités immobilières, financières, avec des spécificités pour les sociétés holding animatrices ou non-animatrices ; 

Cet engagement doit, en principe, être en cours à la date de la transmission. Il est pris par le défunt (ou le donateur), pour lui et ses ayants cause à titre gratuit, seul ou avec un ou plusieurs autres associés, personnes physiques ou morales. L’engagement peut être pris également par une société holding sur les titres d’une société exerçant une activité éligible : la transmission des titres de la société holding bénéficiera de l'exonération à la condition que les participations soient conservées inchangées à chaque niveau d'interposition pendant toute la durée de l'engagement collectif et durant la période d'engagement individuel.

L'un des associés signataires ou l'un des héritiers, légataires, donataires ayant pris l'engagement individuel de conservation, doit exercer dans la société pendant la durée de l'engagement collectif et pendant les trois années qui suivent la transmission, son activité principale s'il s'agit d'une société de personnes, ou une fonction de direction éligible s'il s'agit d'une société soumise à l'impôt sur les sociétés.

 

I. Transmission par un résident hors de France des titres d’une société française

Cette hypothèse est en réalité très vaste et recouvre un grand nombre de situations : les activités commerciales de ventes ou de services développées par une société française dédiée pour satisfaire le marché local, l’industriel étranger qui s’implante en France en raison de son attractivité (avantages fiscaux dans certaines zones, ou dans certains domaines tels que la recherche et le développement, le cinéma et les œuvres audiovisuelles, les jeux vidéo, le disque, le spectacle et le théâtre, etc), ou encore l’investisseur étranger dans les domaines agricole, viticole, forestier…

Le dispositif « Dutreil-transmission » permettra dans toutes ces situations d’anticiper au mieux les conséquences fiscales d’une transmission à titre gratuit, qu’elle soit volontaire (donation) ou non (décès), sauf si par application d’une convention fiscale, la France est privée du droit d’imposer.

Exemple applicatif :

Madame et Monsieur A, l’un et l’autre âgés de 55 ans, résident hors de France. Ils ont deux enfants, non-résidents également. Ils détiennent chacun 50 % des titres d’une société française constituée sous la forme de SCEA, exerçant principalement une activité d’élevage et d’entrainement de chevaux de compétition. La SCEA loue un domaine à cette fin et emploie des salariés. Madame, passionnée de chevaux, est gérante de la société. La société est estimée à 2.000.000 euros.

Hypothèse d’une donation en pleine propriété par Monsieur, ou d’un décès, sans dispositif « Dutreil-transmission » (en partant du principe que les enfants reçoivent la pleine propriété et qu’ils n’ont pas bénéficié de donation antérieurement, à titre de simplification pour les besoins de l’exemple) :  

Part imposable par enfant :                                   500 000 €

Abattement en ligne directe applicable :           100 000 €

Part nette taxable :                                                  400 000 €

Calcul des droits :

8 072,00 x 5% :                                                         403,60 €

4 037,00 x 10% :                                                       403,70 €

3 823,00 x 15% :                                                       573,45 €

384 067,00 x 20% :                                                  76 813,40 €

Total par enfant :                                                     78 194,15 €

Total pour les deux enfants :                               156 388,30 €

La donation ici peut sembler dissuasive au regard de son coût fiscal. Le dispositif « Dutreil-transmission » favorisant la transmission d’entreprises permettra ainsi de réduire considérablement le coût fiscal, à condition de respecter certaines conditions. Au cas particulier :

  • Madame et Monsieur pourraient conclure ensemble un engagement collectif de conservation sur la totalité des titres de la SCEA donc l’activité est éligible au cas particulier,
  • L’engagement pourrait être conclu pour une durée fixe de deux ans et se reconduire tacitement sauf si une donation intervient dans le délai initial de deux ans,
  • Madame, exerçant un mandat social de gérante dans cet exemple, remplirait la condition qui tient à l’exercice d’une fonction de direction, à supposer qu’elle soit effectivement exercée par elle pendant l’engagement collectif et au moins les trois années qui suivent la donation (un donataire peut tout à fait exercer une fonction éligible en plus ou à la place de Madame à compter de la donation),
  • L’acte de donation viserait cet engagement collectif, préalablement enregistré, pour l’application de l’abattement,
  • Les donataires s’engageraient à détenir individuellement les titres donnés pendant une durée de quatre ans à compter de la fin de la période d’engagement collectif.

Hypothèse d’un décès prématuré de Monsieur, avec dispositif « Dutreil-transmission » : 

Part imposable par enfant :                                  500 000 €

Abattement « Dutreil-transmission » :               375 000 €

Abattement en ligne directe applicable :          100 000 €

Part nette taxable :                                                 25.000 €

Calcul des droits :

8 072,00 x 5% :                                                        403,60 €

4 037,00 x 10% :                                                      403,70 €

3 823,00 x 15% :                                                       573,45 €

9 067,00 x 20% :                                                   1 813,40 €

Total par enfant :                                                  3 194,15 €

Total pour les deux enfants :                                6 388,30 €

Hypothèse d’une donation en pleine propriété de Monsieur, avec dispositif « Dutreil-transmission » : 

  • Liquidation identique à l’hypothèse en cas de décès, sauf à appliquer une réduction de droits lorsque le donateur est âgé de moins de soixante-dix ans (CGI, art. 790 N° Lexbase : L8960IQW). Tel est le cas dans notre exemple :

Total par enfant :                            1 597,08 €

Total pour les deux enfants :      3 194,15 €

En synthèse, le différentiel des droits de donation avec ou sans application du dispositif « Dutreil-transmission » est de 153 194,15 € (156 388,30 € - 3 194,15 €). Exprimé en pourcentage, le coût fiscal est donc ici de :

  • 15,64 % sans le dispositif « Dutreil-transmission »,
  • 0,32 % avec le dispositif « Dutreil-transmission ».

    Hypothèse d’une donation en nue-propriété de Monsieur, avec dispositif « Dutreil-transmission » : 

    Tout en ayant la volonté de transmettre son patrimoine pour en assurer la pérennité, un donateur peut légitimement vouloir conserver l’usage et la jouissance des biens objet de la donation. Dans cette hypothèse, il limite la transmission à la nue-propriété et s’en réserve l’usufruit. Cette faculté n’est pas ouverte qu’aux biens immobiliers. Des titres d’une société peuvent tout à fait faire l’objet d’un démembrement, avec prise en charge des droits par le donateur.

    Dès lors qu’un donateur consent une donation en nue-propriété, l’impôt sera calculé sur une fraction seulement de la valeur des biens (selon l’âge de l’usufruitier).  Une telle transmission retarde ainsi la taxation dans les tranches hautes du barème. Lorsque l’usufruit arrivera à son terme, il s’éteindra sans imposition.

    Important : Pour l’application du dispositif « Dutreil-transmission » en cas de donation avec réserve d’usufruit, les droits de vote de l'usufruitier doivent statutairement être limités aux décisions concernant l'affectation des bénéfices. Si les statuts ne le prévoient pas, il sera nécessaire de les modifier et de réaliser les formalités juridiques préalablement à la donation.

    Part en pleine propriété par enfant :                  500 000 €

    Soit pour la nue-propriété (50% ici) :                  250 000 €

    Abattement « Dutreil-transmission » :               187 500 €

    Abattement en ligne directe applicable :         100 000 €

    Part nette taxable :                                                0 €

    Total par enfant :                                                    0 €

    Total pour les deux enfants :                               0 €

    Le différentiel des droits de donation avec ou sans application du dispositif « Dutreil-transmission » se creuse un peu plus dans cet exemple, compte tenu de la part nette taxable après abattement « Dutreil », intégralement imputée de l’abattement en ligne directe. La donation démembrée intervient ici en franchise de droits ; lui conférant un attrait fiscal indéniable.

    Bien évidemment, il sera nécessaire de vérifier préalablement si ces opérations sont opportunes au regard du droit dont relèvent localement le donateur et les donataires ne résidant pas en France. Une situation de double imposition pourrait en effet se présenter, parfois avec son élimination en tout ou partie par application du droit local ou d’une convention fiscale répartissant le droit d’imposer. Les situations sont variées et doivent être étudiées au cas par cas

    Focus sur les conventions conclues avec la Belgique, l’Espagne, les États-Unis, l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni, en cas de transmission d’une entreprise française par un résident de ces États

    La transmission par décès d’une entreprise française par un défunt résident de Belgique ou d’Espagne ne sera pas imposable en France ; par opposition à la donation qui sera soumise aux droits de donation en France par application des règles de droit commun.

    Pour les États-Unis, la France sera privée du droit d’imposer lorsque le défunt ou le donateur réside aux États-Unis.

    Pour l’Allemagne, malgré la résidence allemande d’un défunt ou d’un donateur, si l’héritier ou le donataire réside en France, la France taxera la totalité des biens et appliquera un crédit d'impôt égal à l'impôt allemand selon certaines modalités.

    Pour l’Italie, c’est le lieu de situation de la société qui importe. Ainsi, la transmission à titre gratuit de titres par un défunt ou un donateur résident italien sera imposable en France si la société est établie en France.

    Il en est de même pour le Royaume-Uni, mais seulement en matière de succession : le droit d’imposer sera accordé à l’État du lieu où la société a été constituée, et le lieu où l’affaire est principalement exploitée pour les parts d’intérêts dans les partnerships et sociétés de personnes, notamment. Une transmission par décès par un résident britannique d’une société établie en France devrait en principe être soumise aux droits de succession en France. Il en sera de même pour les donations, par application des règles de droit commun.

    Malgré l’existence d’une convention fiscale, la France se verra ainsi attribuer le droit de taxer dans de  nombreuses situations. Autant de situations où le dispositif « Dutreil-transmission » devrait pouvoir réduire efficacement le coût d’une transmission.

     

    II. Transmission par un résident hors de France des titres d’une société située hors de France mais dont l’un ou plusieurs des héritiers, légataires, donataires résident en France

    C’est l’hypothèse classique d’un enfant qui s’installe durablement en France, y fonde son foyer, développe sa carrière… et ne veut pas rentrer au pays ! C’est aussi le cas de l’enfant qui réside en France depuis sa naissance et dont les parents ont transféré leur domicile hors de France. Les situations sont variées avec toutefois un point commun : le coût fiscal que représentera la succession ou une donation, sauf rares applications d’une convention fiscale qui répartira autrement le droit d’imposer.   

    L’administration fiscale souligne dans sa doctrine que « les sociétés étrangères peuvent bénéficier de ce dispositif, étant précisé que les conditions d'application sont dans ce cas identiques à celles exigées pour les transmissions de titres de sociétés françaises » (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, §30).

    Arrêtons-nous quelques instants sur la formule employée « les conditions d'application sont dans ce cas identiques à celles exigées pour les transmissions de titres de sociétés françaises ». L’exercice sera parfois difficile de tenter de remplir les conditions en présence de sociétés établies hors de France, qui ne sont donc pas régies par le droit français, dont les formes sociales, la gouvernance, le fonctionnement sont proches parfois des sociétés commerciales françaises ; mais sans jamais être strictement identiques. Nous tenterons toutefois, au cas par cas, d’analyser si nous pouvons remplir les conditions.

    S’agissant de la condition qui tient à la fonction de direction, l’administration fiscale précise dans sa doctrine qu’il « s’agit des fonctions énumérées limitativement au 1° du 1 du III de l'article 975 du CGI [….] » (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, §290). Pour les sociétés anonymes par exemple, il s’agit des président, directeur général, directeur général délégué, président du conseil de surveillance et membre du directoire.

    Pour une société anonyme établie hors de France, il sera donc nécessaire de vérifier si le mandat de président exercé est comparable à celui du président d’une société anonyme de droit français. Il sera alors nécessaire de réaliser un exercice de comparaison du conseil d’administration selon le droit français et selon le droit local pour conclure au caractère relativement similaire des attributions. Lorsque le président du conseil d'administration d’une SA située hors de France est habilité à représenter seul la société, ou avec un ou plusieurs autres membres du conseil, ses attributions se rapprochent parfois du président du conseil d'administration d’une SA française cumulant cette fonction avec celle de Directeur général, avec ou sans limitations de pouvoirs.

    Exemple applicatif :

    Madame et Monsieur B, l’un et l’autre âgés de 55 ans, résident hors de France. Ils ont quatre enfants dont un seul réside en France depuis plus de six ans. Ils détiennent chacun 50 % des titres d’une société anonyme située hors de France, exerçant principalement une activité de conception et développement de logiciels informatiques. La société loue des locaux à cette fin et y emploie des salariés. Madame est présidente du conseil d’administration de la société. La société est valorisée 10 000 000 d’euros.

    Hypothèse d’une donation en pleine propriété par Monsieur, ou d’un décès, sans dispositif « Dutreil-transmission » (en partant du principe que les enfants reçoivent la pleine propriété et qu’ils n’ont pas bénéficié de donation antérieurement, à titre de simplification pour les besoins de l’exemple) : seul l’enfant qui réside fiscalement en France est imposable au cas particulier.

    Part imposable :                                                     1 250 000 €

    Abattement en ligne directe applicable :            100 000 €

    Part nette taxable :                                                1 150 000 €

    Calcul des droits :

    8 072,00 x 5% :                                                     403,60 €

    4 037,00 x 10% :                                                    403,70 €

    3 823,00 x 15% :                                                    573,45 €

    536 392,00 x 20% :                                               107 278,40 €

    350 514,00 x 30% :                                               105 154,20 €

    247 162,00 x 40% :                                                98 864,80 €

    Total :                                                                    312 678,15 €

    La donation ici semble pareillement dissuasive au regard de son coût fiscal ; ce qui est possiblement problématique si les autres enfants, non-résidents fiscaux français, sont allotis de la même manière mais avec une pression fiscale sensiblement plus faible dans leur État de résidence. Dans une telle situation, le donateur choisit parfois de réduire le lot de l’enfant résident français afin que son lot, droits de donation inclus, soit identique à celui des autres enfants. La solution est louable mais elle est loin d’être parfaite : l’enfant résident fiscal français subira ici la dure loi de la fiscalité de son pays et se trouvera ainsi inégalitairement traité.

    Le dispositif « Dutreil-transmission » sera ici un atout majeur pour réduire les impositions, à condition de respecter l’ensemble des conditions bien évidemment. Au cas particulier :

    • Madame et Monsieur pourraient conclure ensemble un engagement collectif de conservation sur la totalité des titres de la société anonyme donc l’activité serait éligible au cas particulier,
    • L’engagement pourrait être conclu pareillement pour une durée fixe de deux ans et se reconduire tacitement sauf si une donation intervient dans le délai initial de deux ans,
    • Madame, exerçant un mandat social de président dans cet exemple, remplirait la condition qui tient à l’exercice d’une fonction de direction, à supposer que la fonction de direction soit comparable à une fonction éligible en France (impliquant donc un exercice de comparaison) et qu’elle soit effectivement exercée pendant l’engagement collectif et au moins les trois années qui suivent la donation. Par précaution, Monsieur pourrait également exercer une fonction éligible au cas où Madame viendrait à cesser ses fonctions. Par expérience, il n’est toutefois pas toujours possible, selon le droit local, de nommer à cette fonction l’enfant donataire résident de France,
    • L’acte de donation serait vraisemblablement établi hors de France dans ce cas particulier, présenté à l’enregistrement en France dans les conditions et formes requises pour les actes étrangers. Il devra viser cet engagement collectif, préalablement enregistré pour l’application de l’abattement,
    • Le donataire résident fiscal français s’engagerait, dans l’acte de donation, à détenir individuellement les titres donnés pendant une durée de quatre ans à compter de la fin de la période d’engagement collectif.

    Hypothèse d’un décès prématuré de Monsieur, avec dispositif « Dutreil-transmission » : 

    Part imposable :                                                    1 250 000 €

    Abattement « Dutreil-transmission » :                937 500 €

    Abattement en ligne directe applicable :           100 000 €

    Part nette taxable :                                                  212.500 €

    Calcul des droits :

    8 072,00 x 5% :                                                     403,60 €

    4 037,00 x 10% :                                                    403,70 €

    3 823,00 x 15% :                                                    573,45 €

    196 568,00 x 20% :                                          39 313,60 €

    Total :                                                                40 694,35 €

    Hypothèse d’une donation en pleine propriété de Monsieur, avec dispositif « Dutreil-transmission » : 

    • Liquidation identique à l’hypothèse en cas de décès, sauf à appliquer la réduction de droits lorsque le donateur est âgé de moins de soixante-dix ans (CGI, art. 790). Tel est le cas dans notre exemple :

    Total :                                                                      20 347,18 €

    En synthèse, le différentiel des droits de donation avec ou sans application du dispositif « Dutreil-transmission » est de 292 330,98 € (312 678,15 € - 20 347,18 €). Exprimé en pourcentage, le coût fiscal est donc ici de :

    • 25,01 % sans le dispositif « Dutreil-transmission »,
    • 1,63 % avec le dispositif « Dutreil-transmission ».

    Hypothèse d’une donation en nue-propriété de Monsieur, avec dispositif « Dutreil-transmission » : 

    Part en pleine propriété :                                     1 250 000 €

    Soit pour la nue-propriété (50% ici) :                    625 000 €

    Abattement « Dutreil-transmission » :                 468 750 €

    Abattement en ligne directe applicable :            100 000 €

    Part nette taxable :                                                     56 250 €

    Calcul des droits :

    8 072,00 x 5% :                                                     403,60 €

    4 037,00 x 10% :                                                    403,70 €

    3 823,00 x 15% :                                                    573,45 €

    40 318,00 x 20% :                                              8 063,60 €

    Total :                                                                   9 444,35 €

    Le différentiel des droits de donation avec ou sans application du dispositif « Dutreil-transmission » est pareillement significatif. Exprimé en pourcentage, le coût fiscal est donc ici de 0,76 %.

    Avec un coût fiscal aussi mesuré, une donation pourrait être organisée a priori de façon égalitaire entre les enfants, le coût fiscal français ne justifiant plus ici de les allotir de manière différenciée. La situation de l’enfant résident fiscal français sera alors considérablement améliorée, pourvu que l’ensemble des conditions pour le bénéfice et le maintien de l’exonération soient respectées, jusqu’au terme de son engagement individuel de conservation.

    La faisabilité de l’opération doit bien évidemment être préalablement étudiée localement (notamment s’il est possible par exemple, de limiter les droits de vote de l’usufruitier dans les statuts de la société étrangère, en cas de donation avec réserve d’usufruit).

    Focus sur les conventions conclues avec la Belgique, l’Espagne, les États-Unis, l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni, en cas de transmission d’une entreprise non française par un résident de ces États à des héritiers et donataires résidents de France

    La transmission par décès d’une entreprise non française par un défunt résident de Belgique ou d’Espagne ne sera pas imposable en France. La donation sera toutefois soumise aux droits de donation en France par application des règles de droit commun.

    Avec les États-Unis, comme pour la transmission d’une entreprise française, la transmission d’une entreprise américaine ou située dans un autre État privera la France du droit d’imposer lorsque le défunt ou le donateur réside aux États-Unis.

    Avec l’Allemagne, comme cela a été dit plus tôt, si l’héritier ou le donataire réside en France, la France taxera la totalité des biens et appliquera un crédit d'impôt égal à l'impôt allemand selon certaines modalités.

    En Italie, la localisation dans cet État d’une société privera la France du droit d’imposer une succession ou une donation d’un défunt ou donateur résident italien.

    Avec le Royaume-Uni, la France se verra privée du droit d’imposer une transmission par décès d’une  société constituée au Royaume-Uni. Il en sera de même pour les parts d’intérêts dans les partnerships où l’affaire est principalement exploitée dans cet État. Il en sera autrement toutefois pour les donations où la France retrouvera son droit d’imposer, par application des règles de droit commun.

    Dans cette hypothèse, la France se voit davantage réduire son droit de taxer en retenant les mêmes  juridictions. Il n’en demeure pas moins des situations – nombreuses – où le dispositif « Dutreil-transmission » devrait pouvoir réduire le coût d’une transmission lorsque la France n’est pas privée de son droit d’imposer.

     

    III. Transmission par un résident français des titres d’une société située hors de France

    La conquête de nouveaux marchés conduit parfois l’entrepreneur à constituer une société à l’étranger, ou encore à acquérir ou souscrire les titres d’une société existante. Cette acquisition ou souscription est parfois réalisée directement par cet entrepreneur, ou par une société holding française à partir de laquelle il organise ses investissements.

    Quand bien même la société serait établie à l’étranger, l’administration fiscale sollicitera des droits de mutation à titre gratuit en cas de transmission des titres directement détenus. Il en sera de même en cas de transmission à titre gratuit des actions de sa société holding, interposée entre lui et la société étrangère.

    Bien évidemment, les conventions fiscales organisent la répartition du droit d’imposer, étant rappelé qu’elles sont relativement peu courantes.

    Exemple applicatif :

    Madame et Monsieur C, l’un et l’autre âgés de 55 ans, résident en France. Ils ont deux enfants. Ils détiennent chacun 50 % des titres d’une SAS française, exerçant une activité de société holding non animatrice de son groupe. Elle détient les titres d’une société commerciale établie hors de France, exerçant principalement une activité de conception et de vente de prothèses médicales, à destination de la clientèle locale. La société loue des locaux à cette fin et y emploie du personnel. La société holding est valorisée 6 000 000 euros. Son actif est composé de deux participations, dont la première est cette filiale étrangère, valorisée 3 000 000 d’euros, la seconde est française et développe la même activité en France, valorisée 2 000 000 d’euros, outre des valeurs mobilières de placement pour 2 000 000 d’euros. La société holding est présidente des deux filiales.

    Hypothèse d’une donation en pleine propriété par Monsieur, ou d’un décès, sans dispositif « Dutreil-transmission » (en partant du principe que les enfants reçoivent la pleine propriété et qu’ils n’ont pas bénéficié de donation antérieurement, à titre de simplification pour les besoins de l’exemple) : 

    Part imposable par enfant :                                  1 500 000 €

    Abattement en ligne directe applicable :            100 000 €

    Part nette taxable :                                                1 400 000 €

    Calcul des droits :

    8 072,00 x 5 % :                                                    403,60 €

    4 037,00 x 10 % :                                                  403,70 €

    3 823,00 x 15 % :                                                   573,45 €

    536 392,00 x 20 % :                                       107 278,40 €

    350 514,00 x 30 % :                                        105 154,20 €

    497 162,00 x 40 % :                                       198 864,80 €

    Total par enfant :                                           412 678,15 €

    Total pour les deux enfants :                      825 356,30 €

    Comme souligné précédemment, le coût fiscal d’une telle transmission semble difficile à organiser, sauf à mobiliser de la trésorerie personnelle ou à procéder à une distribution de dividendes depuis la société holding, taxée par hypothèse à 30 %. La situation est loin d’être idéale dans les deux cas.

    Dans cette situation et à supposer que la société holding en cause ne serait pas animatrice de son groupe, il sera opportun d’établir des pactes « Dutreil-transmission » sur les titres des filiales éligibles, toutes conditions devant être respectées par ailleurs. Comme indiqué ci-devant, la transmission des titres de la société holding pourra bénéficier de l'exonération à la condition que les participations soient conservées inchangées à chaque niveau d'interposition pendant toute la durée de l'engagement collectif et durant la période d'engagement individuel. L’administration fiscale précise à cet égard que « La valeur des titres d'une société interposée signataire d'un engagement qui sont transmis à titre gratuit bénéficie de l'exonération partielle à proportion de la valeur vénale de l'actif brut de cette société représentative de la valeur de la participation soumise à l'engagement collectif de conservation » (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, §430).

    Au cas particulier :

    • la société holding conclurait des engagements unilatéraux de conservation sur la totalité des titres des deux filiales donc les activités sont éligibles au cas particulier,
    • les engagements pourraient être conclus pour une durée fixe de deux ans et se reconduire tacitement sauf si une donation intervient dans le délai initial de deux ans,
    • la société holding, exerçant un mandat social dans les deux filiales, remplirait la condition qui tient à l’exercice d’une fonction de direction, à supposer qu’elle soit comparable à une fonction éligible en France et qu’elle soit effectivement exercée par son représentant pendant l’engagement unilatéral et au moins les trois années qui suivent la donation,
    • l’acte de donation viserait les deux engagements unilatéraux, préalablement enregistrés, pour l’application de l’abattement,
    • les donataires s’engageraient à détenir individuellement les titres donnés (de la société holding) pendant une durée de quatre ans à compter de la fin de la période d’engagement unilatéral.

    Hypothèse d’un décès prématuré de Monsieur, avec dispositif « Dutreil-transmission » : 

    Part imposable par enfant :                                  1 500 000 €

    Abattement « Dutreil-transmission » :                803 571 €

    (6 000 000 x [(3 000 000 + 2 000 000)/ 7 000 000] /2 /2 x 75%

    Abattement en ligne directe applicable :           100 000 €

    Part nette taxable :                                                  596 429 €

    Calcul des droits :

    8 072,00 x 5 % :                                                    403,60 €

    4 037,00 x 10 % :                                                   403,70 €

    3 823,00 x 15 % :                                                    573,45 €

    536 392,00 x 20 % :                                        107 278,40 €

    44 105,00 x 30 % :                                              13 231,50 €

    Total par enfant :                                              121 890,65 €

    Total pour les deux enfants :                        243 781,30 €

    En synthèse, le différentiel des droits de donation avec ou sans application du dispositif « Dutreil-transmission » est de 581 575 € (825 356,30 € - 243 781,30 €). Exprimé en pourcentage, le coût fiscal est donc ici de :

    • 27,51 % sans le dispositif « Dutreil-transmission »,
    • 8,13 % avec le dispositif « Dutreil-transmission », étant précisé qu’une fraction de l’actif de la société holding n’a pas bénéficié du dispositif dans cet exemple.

    Hypothèse d’une donation en nue-propriété de Monsieur, avec dispositif « Dutreil-transmission » : 

    Une donation démembrée présentera un attrait fiscal complémentaire (à condition que les droits de vote de l’usufruitier puissent être aménagés dans les statuts de la société étrangère). Comme dans les exemples précédents, la prise en charge des droits par le donateur présente un avantage fiscal considérable.

    Part en pleine propriété :                                     1 500 000 €

    Soit pour la nue-propriété (50% ici) :                    750 000 €

    Abattement « Dutreil-transmission » :                 401 786 €

    (6 000 000 x [(3 000 000 + 2 000 000)/ 7 000 000] /2 /2 x 50 % x 75 %

    Abattement en ligne directe applicable :            100 000 €

    Part nette taxable :                                                   248 214 €

    Calcul des droits :

    8 072,00 x 5% :                                                     403,60 €

    4 037,00 x 10% :                                                    403,70 €

    3 823,00 x 15% :                                                    573,45 €

    232 282,00 x 20% :                                          46 456,40 €

    Total par enfant :                                                   47 837,15 €

    Total pour les deux enfants :                              95 674,30 €

    Le différentiel des droits de donation avec ou sans application du dispositif « Dutreil-transmission » est considérable ici, à l’instar des autres simulations. Estimé en pourcentage, le coût fiscal représente 3,19 % seulement, alors même qu’une quote-part de l’actif ne bénéficie pas de l’abattement dans cet exemple.

    Le coût fiscal pourrait être réduit davantage en recherchant l’application du dispositif « Dutreil-transmission » sur les titres de la société holding, directement, laquelle devra exercer de manière prépondérante une activité effective de société holding animatrice de son groupe, durant toute la période d’engagement collectif et individuel de conservation. À cet égard, il sera nécessaire de réaliser préalablement un « audit d’animation » pour s’assurer du caractère effectivement animateur de la société holding.

    Focus sur les conventions conclues avec la Belgique, l’Espagne, les États-Unis, l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni, en cas de transmission d’une entreprise non française par un résident français

    La transmission par décès à un héritier belge ou espagnol d’une entreprise non française par un défunt résident de France sera imposable en France. Il en sera de même en cas de donation par application des règles de droit commun.

    Avec les États-Unis, la transmission d’une entreprise américaine ou située dans un autre État confèrera à la France du droit d’imposer lorsque le défunt ou le donateur réside en France. Si au surplus le défunt ou le donateur a la nationalité américaine, la transmission sera imposée à la fois en France et aux États-Unis, avec imputation aux États-Unis d’un crédit d'impôt correspondant à l'impôt français.

    Avec l’Allemagne, le défunt ou le donateur résidant en France, la France taxera la totalité des biens.

    En Italie, la localisation dans cet État d’une société ne privera pas la France du droit d’imposer une succession ou une donation d’un défunt ou donateur résident français. Dans ce cas, un crédit d'impôt correspondant à l'impôt italien payé à raison de ces biens, sera imputable sur la fraction de l'impôt français correspondant à ces mêmes biens.

    Avec le Royaume-Uni, la France ne sera pas privée du droit d’imposer une transmission par décès.  Les droits de succession pourront être réduits du montant de l'impôt britannique.

    Dans cette hypothèse, la France taxe les successions et les donations dans l’ensemble de ces juridictions, conférant un attrait certain au dispositif « Dutreil-transmission ».

    En conclusion, l’anticipation des coûts fiscaux en France d’une donation ou d’une succession n’est pas qu’une préoccupation de résidents français dans un environnement franco-français. Le dispositif « Dutreil-transmission » est vraisemblablement le meilleur outil de l’avocat fiscaliste pour assister ses clients dans la transmission de l’entreprise à la génération suivante. Ce qui est parfaitement applicable aux résidents français l’est tout autant pour ceux qui résident hors de France, en particulier lorsqu’aucune convention fiscale n’est applicable pour répartir le droit d’imposer ou si la convention applicable ne prive pas la France du droit de taxer.  

    Même si aucune donation n’est envisagée à court ou moyen terme, la conclusion d’un « pacte Dutreil » sera une précaution très utile et permettra, toutes conditions devant être remplies par ailleurs, de réduire opportunément (et parfois supprimer !) les droits de succession en cas de décès prématuré. Cette mesure participe ainsi à protéger les héritiers si le pire devait arriver.

                                                                                                                                                                                


    [1] En matière de droits de donation, la France a conclu des conventions seulement avec l’Allemagne, l’Autriche, l’Italie, la Suède, les États-Unis, la Guinée, la Nouvelle- Calédonie, Saint-Pierre-et- Miquelon. En matière de droits de succession, les conventions fiscales sont un peu plus nombreuses : l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, l’Espagne, la Finlande, l’Italie, Monaco, le Royaume-Uni, la Suède, les États-Unis, l’Algérie, le Bénin, le Burkina, le Cameroun, la Centrafrique, le Congo, la Côte d’Ivoire, le Gabon, la Guinée, le Mali, le Maroc, la Mauritanie, le Niger, le Sénégal, le Togo, la Tunisie, l’Arabie saoudite, Bahreïn, les Émirats arabes unis, le Koweït, le Liban, Oman, le Qatar, la Nouvelle-Calédonie, Saint-Pierre-et- Miquelon.                    

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