La lettre juridique n°955 du 27 juillet 2023 : Vente d'immeubles

[Jurisprudence] L’appréciation temporelle de l’obligation de délivrance du vendeur

Réf. : Cass. civ. 3, 25 mai 2023, n° 22-12.870, FS-B N° Lexbase : A59809WE

Lecture: 13 min

N6445BZQ

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] L’appréciation temporelle de l’obligation de délivrance du vendeur. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/98308612-jurisprudence-lappreciation-temporelle-de-lobligation-de-delivrance-du-vendeur
Copier

par Pierre Lominé, notaire associé, Victoires Notaires Associés

le 01 Août 2023

Mots clés : vente • terrain à bâtir • inconstructibilité • obligation de délivrance • date d’appréciation • obligation d’information • vices cachés

Le respect de l’obligation de délivrance conforme du vendeur d’un terrain à bâtir devenu inconstructible après la vente s’apprécie au moment du transfert de propriété, au regard des dispositions du PLU en vigueur à cette date. Les modifications du PLU décidées avant la vente mais non encore publiées ne sont pas applicables et ne remettent pas ensuite en cause la bonne exécution de l’obligation de délivrance réalisée par le vendeur.


 

Le vendeur d’un bien immobilier a deux obligations principales, celle de délivrer et celle de garantir la chose qu’il vend (C. civ., art. 1603 N° Lexbase : L1703ABP). L’arrêt rendu le 25 mai 2023 par la troisième chambre civile de la Cour de Cassation apporte un éclairage important sur l’appréciation temporelle de l’obligation de délivrance de la chose vendue.

En l’espèce, par acte authentique en date du 31 janvier 2012, Madame D a vendu un terrain à bâtir à Madame H et Monsieur F. Un certificat d’urbanisme délivré en date du 9 janvier 2012, soit trois semaines avant la vente indique que ce terrain est classé en zone Ui, donc en zone constructible du plan local d‘urbanisme (PLU) approuvé le 15 juin 2006 et mis en révision le 29 avril 2008. Par la suite l’acheteur s’étant vu refuser son permis de construire, il s’est en fait avéré que trois jours avant la vente une décision du conseil municipal en date du 27 janvier 2012 approuvait la modification du PLU. Le terrain objet de la vente a été alors classé en zone AN et AH du PLU et comme tel devenu inconstructible.

La décision du conseil municipal a par la suite été publiée le 9 février 2012 soit neuf jours après la vente. L’acquéreur assigne le vendeur en paiement de dommages et intérêts pour manquement à son obligation de délivrance conforme.

Se pose en fait la question de la date d’effet de la modification du plan local d’urbanisme et de son interaction avec la bonne exécution ou non de l’obligation de délivrance du vendeur du terrain.

La cour d’appel de Chambéry ne donne pas satisfaction à l’acheteur en considérant que l’obligation de délivrance conforme du vendeur doit s’apprécier au moment du transfert de propriété de la chose, donc en l’espèce le 31 janvier 2012. Elle considère également que la décision du conseil municipal n’ayant été publiée que postérieurement à cette date, elle était alors inopposable au moment de la délivrance qui a été parfaitement réalisée.

La Cour de cassation considère que c’est à bon droit que la cour d’appel, ayant constaté que le PLU modifié par délibération du conseil municipal du 27 janvier 2012 avait été publié le 9 février 2012, a retenu que cette date étant celle à laquelle il était entré en vigueur et devenu opposable, le bien vendu était bien un terrain à bâtir au jour de sa délivrance.

Si une première lecture des faits de l’espèce peut interpeller et nous faire éprouver une certaine compassion pour l’acheteur, qui finalement aura payé un terrain au prix fort pour ne rien pouvoir en faire, il ressort cependant que la décision de la Cour de cassation ne relève que d’une application stricte et logique des textes. L’action intentée sur le moyen fondé sur l’obligation de délivrance ne pouvait qu’échouer.

I. Le rejet logique du moyen fondé sur l’obligation de délivrance

Le vendeur doit garantir la délivrance conforme de la chose vendue. La délivrance consiste, selon l’article 1604 du Code Civil N° Lexbase : L1704ABQ, dans « le transport de la chose vendue en la puissance et possession de l’acquéreur ». Même si la délivrance est différente du transfert de propriété, c’est en pratique, pour des ventes d’immeubles existants, souvent à ce moment-là que le vendeur transporte la chose en la possession de l’acquéreur. Le vendeur doit délivrer ce qui a été convenu au contrat, c’est-à-dire l’immeuble tel qu’il a été désigné dans l’acte de vente.

Aucune disposition du Code civil ne vient préciser le moment de la délivrance. La délivrance est donc avant tout une affaire contractuelle. Dans les actes de ventes, le paragraphe « propriété-jouissance » traite de cette question en distinguant d’ailleurs la date de transfert de propriété et la date de prise de possession du bien par l’acquéreur. En pratique, et hors cas de différé de jouissance, en matière d’actes courants, la délivrance et le transfert de propriété sont en fait très souvent simultanés. C’est le cas en l’espèce.

La délivrance est un fait matériel qui, soit est exécuté, soit ne l’est pas. Quand elle a été exécutée, la délivrance ne peut plus être demandée ou son défaut invoqué en fondement d’une action, sauf à prouver sa non-conformité à l’objet vendu. C’est ce qui a été plaidé en l’espèce, le terrain étant devenu inconstructible postérieurement à la vente.

La question, ici, se pose de savoir en fait si la non-constructibilité est antérieure ou non à la vente et de la réponse découlera la constatation de l’accomplissement ou non de l’obligation de délivrance du vendeur. La décision du conseil municipal est antérieure à la vente, mais sa publication est postérieure.

Dans une application stricte des textes, la cour d’appel puis la Cour de cassation constatent que l’opposabilité de la décision résultant de la publication, c’est à cette date que le changement de PLU est effectif. Dès lors, la décision n’étant pas opposable au moment de la vente, l’ancien PLU était en vigueur à cette date, donc le terrain était à bâtir au moment de la vente, date de la délivrance du bien. Dès lors, la délivrance du bien ayant été exécutée par le vendeur, le changement de situation postérieur à cette exécution ne saurait lui être reprochée.

Le point particulier en l’espèce réside dans le fait que la décision du conseil municipal est antérieure à la vente, donc que le fait générateur du changement de classement du terrain est antérieur à la délivrance effectuée. La Cour de cassation considère que cela indiffère et que l’obligation est remplie dès lors que le classement effectif (opposable) était conforme au jour de la délivrance du terrain à l’acheteur. Si cette solution est logique et sécurisante pour le vendeur non professionnel qui se trouve protégé d’une éventuelle revendication abusive de son acquéreur insatisfait, le résultat peut sembler inique pour l’acheteur.

La question se pose donc de savoir si, dans une telle situation, le fondement de la demande était le bon. Le vendeur qui a délivré, et nous avons vu qu’en l’espèce cette obligation a été remplie, doit en effet également informer son acquéreur des caractéristiques du bien et garantir la chose vendue.

II. L’éventuelle action sur un autre fondement : défaut d’information ou garantie des vices cachés

Une action aurait-elle pu être intentée sur un autre fondement que le défaut de délivrance ?

Nous pouvons facilement imaginer que l’acquéreur ait été tenté de se fonder soit sur le défaut d’information du vendeur, soit sur la garantie des vices cachés.

A. Le devoir d’information du vendeur

Il est important de rappeler qu’une obligation générale d’information pèse sur le vendeur. Si les articles 1602 N° Lexbase : L1702ABN et 1104 N° Lexbase : L0821KZG du Code Civil ne précisent pas le contenu de l’obligation d’information du vendeur, l’article 1112-1 du même code N° Lexbase : L0598KZ8 dispose que l’information devant être transmise est celle dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre partie. On ne peut douter un instant que si l’information précise de la décision du conseil municipal avait été portée à la connaissance de l’acquéreur, ce dernier n’aurait pas réalisé son acquisition dans ces conditions. Toutefois le vendeur n’est tenu de transmettre à l’acquéreur que les informations dont il a lui-même connaissance (Cass. civ. 3, 21 juillet 1993, n° 91-20.639 N° Lexbase : A5916ABQ). À l’inverse il ne peut être reproché au vendeur de ne pas avoir transmis une information dont l’acheteur avait ou aurait dû avoir connaissance.

Une action sur ce terrain aurait donc nécessité de prouver que le vendeur avait connaissance du changement à venir mais aussi et surtout que l’acquéreur l’ignorait ou ne pouvait en connaître la probabilité. Il semble surprenant en effet que l’acheteur n’ait pas eu connaissance du changement de PLU en cours. Un certificat d’urbanisme a été délivré le 9 janvier 2012, soit antérieurement à la vente et trois semaines avant le changement du PLU en question. Rappelons que tout certificat d’urbanisme, simple ou pré-opérationnel doit indiquer les règles d’urbanisme applicables au terrain au moment de sa délivrance ; le certificat doit indiquer si le bien est compris dans une ZAC, dans un lotissement, le cas échéant doit mentionner un possible sursis à statuer de la part de l’administration en cas de déclaration préalable ou de demande de permis de construire. Il est de tout temps très hasardeux de signer l’achat d’un terrain à bâtir à la simple vue d’un certificat d’urbanisme, simple ou opérationnel. Le certificat d’urbanisme ne constitue pas une autorisation mais une simple information sur les règles applicables. Certes le certificat cristallise les règles d’urbanisme applicables au moment de sa délivrance, de sorte que si une demande d’autorisation ou une déclaration préalable est déposée pendant le délai de validité du certificat d’urbanisme et respecte les dispositions d’urbanisme applicables à la date de ce certificat, ces dernières ne peuvent être remises en cause et l’autorisation sollicitée est instruite sur la base des règles existant au moment de la délivrance du certificat. Il faut toutefois que la demande soit faite dans le délai de validité du certificat délivré. Par ailleurs, en délivrant un certificat d’urbanisme début janvier sachant qu’une résolution pour approuver un changement de PLU allait être soumise au vote du conseil municipal à la fin du même mois, la commune a certainement indiqué dans ledit certificat la possibilité d’un sursis à statuer dans l’hypothèse où une autorisation d’urbanisme serait demandée avant l’adoption du nouveau PLU. Quand bien même ce sursis à statuer ne serait pas mentionné dans le certificat d’urbanisme, cela ne ferait pas obstacle à l’opposition d’un sursis à statuer par l’autorité compétente, outre le fait d’entacher le certificat d’urbanisme d’illégalité.

Une action sur le fondement du manquement à l’obligation d’information du vendeur aurait sans doute été vouée également à l’échec dès lors que le certificat d’urbanisme mentionnait bien comme indiqué dans l’arrêt qu’une révision du PLU était en cours et donc que l’acheteur avait l’information du risque inhérent à cette situation.

B. La mise en œuvre de la garantie des vices cachés

Le sujet de la garantie ces vices cachés s’invite également dans la réflexion pour savoir si notre acquéreur aurait pu obtenir la résolution de la vente sur ce terrain. Conformément aux dispositions de l’article 1641 du Code civil N° Lexbase : L1743AB8 « le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l’acheteur ne l’aurait pas acquise ou n’en aurait donné qu’un moindre prix, s’il les avait connus ». 

On pourrait soutenir que le vice était intrinsèquement latent dans la mesure où la décision du conseil municipal existait au moment de la vente, il couvait donc même si la décision prise n’était pas encore opposable. En matière de vice caché, la jurisprudence considère que ce dernier peut être retenu s’il existait préalablement à la vente ou même simplement s’il était en germe à la date de celle-ci (Cass. civ. 3, 9 février 1965, Bull. civ. III, n° 103). Telle était incontestablement la situation en l’espèce compte tenu de la chronologie des faits.

Cela étant, il est usuel en matière de vente immobilière de stipuler une clause de non-garantie des vices cachés. La validité de cette clause est subordonnée à l’ignorance du vice par le vendeur non-professionnel. Autrement dit, il faudra que l’acquéreur prouve que le vendeur ait eu connaissance du vice en germe pour intenter une action sur ce terrain. Il faudra également démontrer qu’il n’en n’a pas eu lui-même connaissance ce qui ne sera pas évident au vu du certificat d’urbanisme délivré par la commune. En l’espèce, le vice n’étant pas intrinsèque à une caractéristique physique du bien dont le vendeur ne pouvait ignorer l’existence et dont lui seul à l’exclusion de l’acquéreur pouvait avoir connaissance, une action sur ce fondement semblait également vouée à l’échec. L’acheteur pouvait donc très difficilement demander réparation sur le terrain des vices cachés ou sur celui d’un défaut d’information du vendeur. Sa demande se portait donc sur le terrain de la délivrance, mais était cependant logiquement vouée à l’échec, la délivrance étant une action de fait s’appréciant à la date de sa réalisation instantanée uniquement. Les évolutions du bien postérieurement à la délivrance étant indifférentes, même si les éléments conduisant au changement étaient en germe au moment de la délivrance.

À retenir en pratique :

L’obligation de délivrance conforme s’apprécie de manière instantanée laquelle ne peut être remise en cause une fois exécutée, même si le fondement de la remise en cause était en germe au jour de la délivrance faite par le vendeur.

L’obtention d’un certificat d’urbanisme informant d’une modification en cours du PLU ne garantit pas la cristallisation des règles d’urbanisme applicables à cause du sursis à statuer dont dispose la mairie et n’apporte donc aucune garantie.

L’obtention d’un certificat d’urbanisme informant d’une modification en cours du PLU est de nature à interdire à l’acheteur une action sur le fondement de l’obligation d’information du vendeur ou des vices cachés.

Dès lors qu’il s’agit de réaliser la vente d’un terrain à bâtir isolé, c’est-à-dire non-inclus dans un lotissement, il est primordial de rappeler l’importance, afin de garantir toutes les parties, de ne signer l’acte de vente qu’après que l’acquéreur ait obtenu un permis de construire et que celui-ci soit purgé de tous recours.

Seul le permis de construire devenu définitif est en mesure de garantir efficacement l’acheteur de la possibilité de réalisation de son projet.

newsid:486445