Réf. : Cass. mixte, 17 mai 2013, 2 arrêts, n° 11-22.768 (N° Lexbase : A4414KDT) et n° 11-22.927 (N° Lexbase : A4415KDU), P+B+R+I
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N7670BTA
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par David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI)
le 27 Juin 2013
Sur le premier point, celui de l'interdépendance des contrats concomitants ou successifs qui s'inscrivent dans une opération incluant une location financière, il convient d'abord de remarquer, à la suite d'un auteur, que, d'un point de vue sémantique, la Cour de cassation parle d'interdépendance des conventions, et non d'indivisibilité, à l'image de l'avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription dont l'article 1172 prévoit que "les contrats concomitants ou successifs dont l'exécution est nécessaire à la réalisation d'une opération d'ensemble à laquelle ils appartiennent sont regardés comme interdépendants dans la mesure ci-après déterminée", sans que l'on sache d'ailleurs bien s'il faut ou non attacher une importance particulière à cette préférence puisqu'on sait que la Cour utilise souvent l'une et l'autre des expressions (8). Toujours est-il que les arrêts entendent manifestement trancher la question du critère de l'interdépendance, question qui, depuis les déjà célèbres arrêts "Sédri" de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, avait suscité de sérieuses controverses (9).
On n'ignore pas en effet que, schématiquement, deux approches de l'indivisibilité étaient concevables :
- la première, d'essence subjective, repose sur l'idée selon laquelle chaque contrat constitue un organisme autonome, si bien que, en dépit de l'unicité de l'opération économique dont il constitue le support avec les autres contrats qui composent le groupe, l'indivisibilité entre ces contrats ne peut résulter que de la volonté des parties, autrement dit de leur participation consciente et volontaire à une opération d'ensemble. En somme, dans cette conception, l'effet extinctif du groupe de contrats est irréductiblement lié à l'expression de la volonté, expresse ou tacite, des parties au contrat anéanti de lier le sort de celui-ci au sort de tous les autres contrats de l'ensemble (10) ;
- la seconde, plus objective, conduit à atténuer le rôle de la volonté des parties. On admet alors qu'il suffit de constater objectivement que des contrats sont économiquement indissociables et que, ainsi, un contrat du groupe n'aura été conclu qu'en contemplation de l'existence d'autres contrats pour que l'anéantissement de l'un provoque la disparition du groupe. Ici, l'interdépendance économique des contrats composant un groupe doit l'emporter sur l'autonomie juridique de chaque contrat considéré isolément.
Sur cette question des critères de l'indivisibilité, la jurisprudence a paru hésiter entre l'une ou l'autre de ces deux conceptions. Certains arrêts paraissent, en effet, s'attacher plus ou moins explicitement à la volonté des parties (11). Subjectivement, l'indivisibilité suppose alors des éléments permettant d'établir que le cocontractant avait connaissance ou aurait dû avoir connaissance des autres contrats de l'ensemble (12), connaissance permettant d'établir sa volonté de ne s'engager qu'en considération des autres contrats (13). D'autres arrêts privilégient, eux, le seul lien économique des contrats qui composent le groupe : un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 15 juin 1999 paraît ainsi s'être fondé sur un critère d'ordre objectif et économique pour assigner aux contrats du groupe un destin juridique commun. En effet, pour critiquer la solution des juges du fond, une société de crédit-bail soutenait que "la volonté des parties était de conclure une convention de crédit-bail parfaitement autonome par rapport au but recherché par ailleurs par le locataire et qui n'était pas précisé". Ce faisant, elle prétendait donc que les contrats de régie publicitaire et de crédit-bail ne pouvaient pas, faute de volonté exprimée en ce sens, constituer un groupe de contrats soumis à un régime juridique unique. L'indivisibilité des contrats serait exclue faute de volonté des contractants de consacrer juridiquement leur interdépendance économique. Or, si la Chambre commerciale a rejeté le pourvoi, c'est parce que les différents contrats avaient été signés dans le même temps et pour une même durée et, surtout, parce que "les contrats de crédit-bail, dont le coût [...] était calqué sur celui des redevances versées [en exécution du contrat de régie publicitaire], n'ont été conclus qu'en considération de la gratuité de l'accès au réseau télématique" engendrée par le contrat de régie publicitaire (14). Par où l'indivisibilité repose ici sur l'analyse globale de l'opération économique que les différents contrats permettent de réaliser (15). Il reste que les arrêts les plus récents paraissaient tout de même plutôt privilégier la première approche, subjective. Ainsi dans un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 28 octobre 2010 (16), c'est parce qu'il ressortait des circonstances de la cause, souverainement appréciées par les juges du fond, que la volonté des parties avait été de rendre divisibles les contrats en cause, que la demande du client avait été rejetée. Un arrêt de la Chambre commerciale du 12 juillet 2011 est dans le même sens (17) : l'indivisibilité est une émanation de la volonté des parties.
Sous cet aspect, l'apport indiscutable des deux arrêts de Chambre mixte est d'avoir tranché le débat en faveur d'une approche résolument objective : toute recherche de la commune intention des parties est écartée. Il faut en effet comprendre que le contrat principal et le contrat de location financière sont nécessairement et naturellement interdépendants. Le visa de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), dans l'arrêt de censure, ne doit pas tromper : l'interdépendance trouve certes sa source dans la volonté des parties qui ont le pouvoir d'agencer les contrats comme elles l'entendent, mais ce sont seuls des éléments objectifs, en l'occurrence la date de conclusion des contrats ou, plus globalement, leur économie générale, qui révèlent cette volonté. Pour autant, le champ de cette interdépendance objective est formellement limité, puisqu'elle suppose, à lire les arrêts, que les contrats en cause "s'inscrivent dans une opération incluant une location financière", c'est-à-dire un contrat assez comparable au crédit-bail, mais distinct de celui-ci en ce qu'il ne comporte pas de promesse unilatérale de vente au bénéfice du preneur (18). Il semblerait donc, ainsi qu'on l'a suggéré, qu'il soit "encore possible de stipuler des clauses de divisibilité dans les autres ensembles contractuels, du moment que le montage réalisé ne contient pas de contrat de location financière ou assimilé" (19), alors que cette faculté est, en présence d'une location financière, à présent exclue.
Sur le second point, celui de l'inefficacité des clauses de divisibilité, les arrêts, complétant le premier message, règlent l'incertitude qui affectait la validité des clauses classiquement insérées par des bailleurs financiers par lesquelles ils entendaient assurer le maintien du contrat de financement en dépit de l'anéantissement du contrat de prestation de services. Il faut dire que, contrairement à la Chambre commerciale de la Cour de cassation qui avait, à plusieurs reprises, privé ces clauses d'efficacité, la première chambre civile semblait, au contraire, parfaitement les admettre (20). Il apparaissait en effet que, pour la première chambre civile en tout cas, la liberté contractuelle permettait aux parties d'insérer dans leurs contrats des clauses de divisibilité, c'est-à-dire des "clauses stipulées dans le contrat de financement qui emportent la divisibilité des contrats du groupe, en dépit de la contradiction qu'elles emportent avec l'économie générale de l'opération qu'incarnaient précisément ces contrats interdépendants" (21). Dorénavant, plus de débat : ces clauses, comme vraisemblablement toutes les clauses inconciliables avec l'interdépendance, sont réputées non écrites. C'est ainsi qu'on a pu dire que les arrêts de Chambre mixte "posent une loi d'airain applicable en toutes hypothèses" (22) qui repose sur l'idée de cohérence : tout comme doivent être réputées non écrites les clauses limitatives ou exclusives de responsabilité qui contredisent la portée de l'obligation essentielle du débiteur, et qui donc, parce qu'elles font dégénérer cette obligation en une simple illusion pour le créancier, ruinent l'économie générale de la convention, les clauses qui contredisent l'interdépendance contractuelle sont, elles aussi, réputées non écrites (23).
Le moins que l'on puisse dire, en tout cas, c'est que la solution est catégorique. On se demandera, à ce titre, si elle n'est pas, du même coup, un peu trop radicale. En dehors du fait qu'il restera à déterminer avec précision ce qu'il faut exactement entendre par clause "inconciliable" avec l'interdépendance, on pourrait, à la suite de certains auteurs (24), s'interroger sur le point de savoir si une clause de divisibilité est bien réellement, contrairement à la position des arrêts de Chambre mixte, une clause qui contredit l'interdépendance ? Ne s'agirait-il pas plutôt d'une clause de répartition du risque de l'inexécution du contrat principal ? Mais il est vrai qu'on peut, inversement, approuver la solution qui exprime un choix politique destiné à tarir un contentieux abondant et à neutraliser des clauses que les clients n'ont, en pratique, que rarement pu négocier parce que, bien que professionnels, ils sont la partie faible de l'opération.
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