Réf. : CA Agen, 15 mai 2013, n° 12/01359 (N° Lexbase : A3450KD7) ; CA Paris, Pôle 3, 2ème ch., 22 mai 2013, n° 12/10231 (N° Lexbase : A6969KDH)
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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux et Directrice du CERFAP
le 27 Juin 2013
Opposition du fils de l'adoptant. L'arrêt de la cour d'appel d'Agen du 15 mai 2013 concerne l'adoption par un homme des deux filles, majeures, de sa seconde épouse, avec qui il avait vécu longtemps et entretenait des liens très forts. Ce projet d'adoption se heurtait cependant à l'opposition du fils de l'adoptant avec lequel celui-ci était en conflit depuis son divorce. Le fils semblait ne pas supporter que son père lui impose sa seconde épouse, y compris dans des moments importants comme la naissance de son propre fils. Pour démontrer la piètre qualité des relations entre le père et le fils, l'arrêt précise que le nom du fils ne figurait pas sur le faire-part de décès de son grand-père.
Compromission de la vie familiale. L'opposition du fils de l'adoptant est analysée par la cour d'appel dans le cadre de la mise en oeuvre de l'article 353, 2°, du Code civil (N° Lexbase : L2869ABU) en vertu duquel "dans le cas où l'adoptant a des descendants le tribunal vérifie en outre si l'adoption n'est pas de nature à compromettre la vie familiale". La cour d'appel définit, de manière intéressante, la vie familiale, comme "la communauté d'intérêts unissant les parents et leurs descendants". Elle déduit des différents éléments de fait rapportés en l'espèce relatifs aux relations de l'adoptant et de son fils, un absence certaine de concertation et de discernement, qui n'irait pas dans le sens d'un respect de la vie familiale.
Nom des adoptés. Un argument supplémentaire dans le sens de la compromission de la vie familiale résidait, selon la cour d'appel, dans le fait qu'il était demandé que les adoptants joignent le nom de l'adoptant, et donc celui de son fils, au leur. On peut s'étonner de la précision selon laquelle l'adjonction était "demandée" puisqu'au moment où l'arrêt a été rendu, l'ajout du nom de l'adoptant au nom de l'adopté dans le cadre de l'adoption simple était obligatoire, l'article 363 affirmant, dans son alinéa premier, que "l'adoption simple confère le nom de l'adoptant à l'adopté en l'ajoutant au nom de ce dernier". La seule possibilité différente était de n'attribuer à l'adopté que le nom de l'adoptant. Ainsi dans l'arrêt commenté, ce ne sont pas les adoptées ou l'adoptant qui avait sollicité l'ajout du nom de ce dernier ; il s'agissait seulement d'un effet légal et obligatoire de l'adoption simple.
Réforme. Cet effet automatique de l'adoptant avait d'ailleurs subi de fortes critiques, ce qui a conduit le législateur de 2013, dans la loi n° 2013-404 du 17 mai (N° Lexbase : L7926IWH), à prévoir, dans la possibilité pour le tribunal de décider, en cas d'adoption de l'enfant du conjoint, que l'adopté conservera son nom d'origine. Le nouvel article 363 du Code civil (N° Lexbase : L8017IWT) précise, en outre, que l'adjonction du nom de l'adoptant au nom de l'adopté doit faire l'objet du consentement de ce dernier s'il est majeur. Ainsi aurait-il été possible dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt commenté d'éviter que les adoptantes se voient attribuer le nom de l'adoptant.
Critique. Il n'en reste moins que l'arrêt confère à l'opposition de l'adopté un poids particulièrement important qui suscite la réflexion. Est-ce à dire que l'adoption est une histoire de famille -par le sang- et non pas seulement celle d'une relation entre un adulte et un enfant (même devenu grand) ? La cour d'appel répond par l'affirmative et son approche, certes particulière, n'est pas sans intérêt. Elle considère que l'adoption de nouveaux enfants, appelés à devenir, juridiquement, les frères et soeurs des descendants de l'adoptant, doit recueillir l'assentiment des différents membres de la famille et ne pas provoquer de dissensions. En l'espèce, la cour tient sans doute particulièrement compte de l'opposition du fils de l'adopté compte tenu de ses relations difficiles avec son père et du fait que ce dernier a, semble-t-il, toujours voulu imposer sa seconde épouse à son fils, sans faire de concession. Admettre l'adoption des enfants de celle-ci pouvait être considéré comme une étape supplémentaire dans une démarche que les juges ont sans doute refusé de cautionner.
II - L'instauration d'un droit de visite et d'hébergement
Opposition de la mère de l'enfant. C'est également l'opposition de la famille par le sang à l'égard de l'instauration d'un lien entre l'enfant et le beau-parent qui est à l'oeuvre dans l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 22 mai 2013. En l'espèce, deux femmes avaient conçu ensemble un projet d'enfant, réalisé par le biais d'une procréation médicalement assistée avec tiers donneur en Espagne, dont était originaire, celle des deux qui n'a pas porté l'enfant. Quelques mois après la naissance, les concubines se sont séparées et l'enfant a continué à entretenir des relations avec l'ex-compagne de sa mère pendant trois ans. Alors qu'elle n'avait plus de contact avec la petite fille (Lili-Rose) depuis plus de trois ans, cette dernière a sollicité un droit de visite fondé sur l'article 371-4 du Code civil (N° Lexbase : L8011IWM), auquel la mère de l'enfant (Madame X) s'est fermement opposée. La demande porte plus précisément sur un droit de visite médiatisé permettant de soutenir la restauration du lien entre l'enfant, âgée de 6 ans, et de l'ex-compagne de sa mère (Madame Y).
Intérêt de l'enfant. La cour d'appel affirme de manière tout à fait juste que "si l'on peut comprendre que Madame Y vive très douloureusement le fait d'être écarté de la vie de Lili-Rose, née à la suite d'un projet commun avec Madame X, la question essentielle est celle de savoir si la reprise de ses relations avec la fillette serait de l'intérêt de cette dernière". Ce faisant, les juges du fond procèdent à une application littérale de l'article 371-4 du Code civil selon lequel "si tel est l'intérêt de l'enfant, le juge aux affaires familiales fixe les modalités des relations entre l'enfant et un tiers". En effet, contrairement à ce que prévoit l'alinéa premier de ce même texte au profit des grands-parents, pour lequel il existe une présomption selon lequel le droit de visite est conforme à l'intérêt de l'enfant, il est nécessaire de faire la démonstration que l'intérêt de l'enfant réside dans l'instauration d'un droit de visite au bénéfice du tiers. La cour procède, justement, à une appréciation in concreto de l'intérêt de l'enfant. Elle constate que l'enfant n'a plus de contact avec l'ex-compagne de sa mère depuis trois ans et que cette durée est importante proportionnellement à son âge ; elle relève, en outre, qu'il n'est pas établi que l'enfant souffre de l'absence dans sa vie de cet adulte. Par ailleurs, la cour affirme que le caractère conflictuel des relations entre la mère de l'enfant et son ex-compagne "pourrait la placer dans une position extrêmement délicate si elle devait revoir Madame Y sans que le bénéfice qu'elle pourrait trouver dans la reprise de ces liens n'apparaissent clairement". La conclusion, aussi difficile soit-elle pour l'adulte concerné, s'impose : l'intérêt de l'enfant n'est pas de poursuivre une relation avec celle qui a joué le rôle d'une seconde mère pendant un certain temps. Une telle solution est évidemment de nature à faire réfléchir sur les droits qu'on l'on serait tenté d'accorder au beau-parent...
Réforme. La loi n° 2013-404 a modifié l'article 371-4 du Code civil au bénéfice du beau-parent. Il prévoit, en effet, désormais, que "Si tel est l'intérêt de l'enfant, le juge aux affaires familiales fixe les modalités des relations entre l'enfant et un tiers, parent ou non, en particulier lorsque ce tiers a résidé de manière stable avec lui et l'un de ses parents, a pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation, et a noué avec lui des liens affectifs durables". La formule n'est pas impérative ; il s'agit seulement d'inciter le juge aux affaires familiales à examiner de manière bienveillante la demande de droit de visite du beau-parent. Ce dernier se voit ainsi accorder une place privilégiée, de fait, sinon de droit.
Rupture des liens. La nouvelle formulation de l'article 371-4 du Code civil n'aurait cependant sans doute rien changé en l'espèce. La rupture des liens avec l'enfant plusieurs années a été fatale à la demande ultérieure de droit de visite qui intervient beaucoup trop tardivement. Le risque de placer l'enfant dans un conflit de loyauté était en outre trop grand pour que le juge accepte d'y soumettre l'enfant. Cette décision éclaire particulièrement la difficulté de faire bénéficier un adulte, qui n'est pas à proprement parler un parent de l'enfant, de droit à l'égard de ce dernier, particulièrement lorsque le parent de l'enfant ne l'accepte pas. C'est la raison pour laquelle il est éminemment préférable, lorsque l'enfant est né d'un projet commun de conférer dès le départ aux adultes qui en sont les auteurs des droits relevant de la filiation. C'est désormais chose faite avec l'ouverture du mariage et de l'adoption aux couples de même sexe, et la facilitation de l'adoption de l'enfant du conjoint qui ressortent de la loi du 17 mai 2013. Dans une espèce comme celle jugée par la cour d'appel de Paris dans l'arrêt du 22 mai 2013, les deux femmes se seraient mariées, et l'enfant aurait été adopté par celle dont elle n'était pas biologiquement issue. Ainsi le lien entre cette dernière et l'enfant n'aurait pas pu ensuite être contesté par la mère biologique.
Finalement, l'établissement d'un lien entre l'enfant et le beau-parent ne relève jamais de l'évidence, surtout lorsque le parent de l'enfant n'y est pas favorable. De là à affirmer que c'est bien le parent qui fait le beau-parent, il n'y a qu'un pas...
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