Réf. : Cass. civ. 3, 19 juin 2013, n° 12-11.791, FS-P+B (N° Lexbase : A1877KHY)
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par Anne-Lise Lonné-Clément, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition privée
le 27 Juin 2013
Les demandes en remise en état avaient été déclarées irrecevables, pour cause de prescription, par la cour d'appel de Versailles (CA Versailles, 26 septembre 2011, n° 10/01507 N° Lexbase : A2272H7B), qui avait fait application de l'article 42, alinéa 1er, de la loi du 10 juillet 1965, aux termes duquel "sans préjudice de l'application des textes spéciaux fixant des délais plus courts, les actions personnelles nées de l'application de la présente loi entre des copropriétaires, ou entre un copropriétaire et le syndicat, se prescrivent par un délai de dix ans".
Il résulte de ces dispositions que trois critères cumulatifs permettent de déterminer le champ d'application de la prescription décennale : l'action doit être personnelle, elle doit être née de l'application de la loi du 10 juillet 1965, et elle doit s'exercer entre des copropriétaires, ou entre un copropriétaire et le syndicat.
Pour contester la décision de la cour d'appel, les requérants soutenaient que l'action devait être considérée, non pas comme une action personnelle, mais comme une action réelle soumise à la prescription trentenaire. Telle était donc la question soulevée par la présente affaire.
Au vu de la subtilité de la question, on comprendra qu'il n'est pas inutile de procéder à un rappel de ces deux notions. Selon le Vocabulaire juridique du Doyen Cornu, l'action personnelle est "l'action par laquelle on demande la reconnaissance ou la protection d'un droit personnel (d'une créance) quelle qu'en soit la source (contrat, quasi-contrat, délit, quasi-délit) et qui est, en général, mobilière, comme la créance dont l'exécution est réclamée (ex. action en recouvrement d'un prêt d'argent) mais qui peut être immobilière, si cette créance l'est aussi (ex. l'action en délivrance de tant d'hectares de terre dans un terrain de lotissement)".
Quant à l'action réelle, elle se définit comme l'"action par laquelle on demande la reconnaissance ou la protection d'un droit réel (droit de propriété, servitude, usufruit, hypothèque) et qui est mobilière si le droit réel exercé porte sur un meuble (ex. action en revendication d'un meuble perdu ou volé) ; immobilière si le droit porte sur un immeuble (ex. action en revendication d'un immeuble)".
La jurisprudence a été amenée à préciser la notion d'actions personnelles. Constituent, notamment, des actions personnelles : l'action tendant à l'application d'une décision d'assemblée générale (Cass. civ. 3, 7 décembre 1994, n° 92-21.003 N° Lexbase : A4436CPY) ; l'action tendant à obtenir le respect du règlement de copropriété, s'agissant notamment de l'usage des lots privatifs (CA Paris, 23ème ch., sect. B, 30 janvier 2003, n° 2002/13972 N° Lexbase : A5873DHY) ; l'action en recouvrement des charges de copropriété (Cass. civ. 3, 17 novembre 1999, n° 98-13.114 N° Lexbase : A3621AUN) ; l'action tendant au remboursement de charges indûment payées (Cass. civ. 3, 6 février 2002, n° 00-15.319, FS-P+B N° Lexbase : A9300AXQ).
En revanche, l'action qui tend à faire cesser l'appropriation des parties communes par un copropriétaire est une action réelle qui se prescrit par trente ans (Cass. civ. 3, 16 janvier 2008, n° 06-21.123, FS-D N° Lexbase : A0960D4C).
Au regard de ces décisions, la distinction ne semble guère soulever de difficultés, on saisit aisément le caractère réel de cette dernière action.
Mais si l'on analyse plus attentivement les solutions rendues dans le cadre de litiges tendant à faire cesser des empiétements sur les parties communes imputables à un copropriétaire et en restitution desdites parties, les très nombreuses décisions apparaissent contradictoires dans un premier temps, certaines retenant la qualification d'action réelle, et d'autres celle d'action personnelle.
C'est alors qu'il convient d'opérer la distinction suivante, qui repose sur la formulation de la demande.
- Une action qui tend à titre principal à la démolition, en vue d'assurer le respect du règlement de copropriété ou d'une décision d'assemblée générale, est une action personnelle soumise à la prescription de dix ans.
A titre d'exemples, on relèvera l'action tendant à la reconstruction d'une partie commune irrégulièrement démolie, sans aucune appropriation, par un copropriétaire (Cass. civ. 3, 5 juillet 1989, n° 88-10.028 N° Lexbase : A9979AAT) ; la demande de remise en l'état antérieure des parties communes à jouissance privative, fondée sur la non-conformité des installations créées aux autorisations données par l'assemblée générale (Cass. civ. 3, 25 mai 2005, n° 04-10.345, FS-D N° Lexbase : A4252DIC) ; ou encore l'action de copropriétaires tendant à obtenir la suppression dans le conduit de cheminée desservant leur lot du tubage aménagé au profit d'un autre lot (Cass. civ. 3, 21 novembre 2000, n° 99-14.146 N° Lexbase : A3676CYS).
- Au contraire, une action qui tend à titre principal à la restitution des parties communes indûment appropriées (et à titre seulement subsidiaire à la démolition des constructions irrégulières) est une action réelle en revendication pour laquelle la prescription est trentenaire (cf. notamment : Cass. civ. 3, 20 novembre 1985, n° 84-16.414 N° Lexbase : A5604AAS ; Cass. civ. 3, 11 janvier 1989, n° 87-13.605 N° Lexbase : A8923AAQ ; Cass. civ. 3, 17 mai 1995, n° 93-14.872 N° Lexbase : A7774ABK).
On citera, notamment, à propos de l'action tendant à la réouverture d'un passage cocher permettant l'accès aux parties communes situées à l'arrière du bâtiment à usage d'annexe et la démolition de diverses clôtures empêchant l'accès aux parties communes (Cass. civ. 3, 16 janvier 2008, n° 06-21.123, FS-D N° Lexbase : A0960D4C) ; ou encore s'agissant de l'action du syndicat des copropriétaires en restitution du local chaufferie commun qui a fait l'objet d'une appropriation par un copropriétaire (Cass. civ. 3, 6 mars 2002, n° 01-00.335, FS-D N° Lexbase : A1884AYG).
Si l'on cherche à appliquer la distinction dans l'affaire soumise à la Cour de cassation le 19 juin 2013, la simple lecture du dispositif des dernières conclusions du syndicat des copropriétaires démontrait que celui-ci poursuivait essentiellement "la condamnation de M. et Mme W. à combler la pièce en sous-sol située sous l'appentis, à reculer de 40 cm la véranda, à reculer de 30 cm l'appentis, à reculer la partie de la construction au 1er étage dite 'dent creuse', à détruire l'abri de jardin et à remettre en état le mur mitoyen avec la propriété" voisine.
Le litige tendait donc à remettre en cause la conformité des travaux effectivement réalisés par M.et Mme W. par rapport à ceux autorisés lors de l'assemblée générale du 12 mars 2005. La demande de remise en état des parties communes fondée sur la non-conformité des installations créées aux autorisations données par une assemblée générale est manifestement une action personnelle.
L'action en cause devait donc être qualifiée d'action personnelle née de l'application de la loi du 10 juillet 1965, et notamment de son article 25 (N° Lexbase : L4825AH8) qui soumet à l'autorisation de l'assemblée générale des copropriétaires les travaux affectant les parties communes ou l'aspect extérieur de l'immeuble à condition que ces travaux soient conformes à la destination de l'immeuble et de son article 26 (N° Lexbase : L4826AH9) qui requiert l'autorisation de l'assemblée générale pour les travaux portant appropriation de parties communes dont la conservation n'est pas nécessaire au respect de la destination de l'immeuble.
C'est ce que retient la Cour de cassation, qui approuve la cour d'appel ayant énoncé que "l'action en suppression d'un empiétement sur les parties communes, intervenu à l'occasion de travaux autorisés par une assemblée générale était une action personnelle soumise à la prescription décennale". La solution est donc parfaitement classique et conforme à la jurisprudence établie depuis de nombreuses années. Il n'en reste pas moins que le rappel est loin d'être inutile, tant la confusion des objets des deux types d'action est permise. Il faudra retenir de tout cela l'importance de la formulation de la demande, qui permettra de déterminer l'objet de l'action. L'enjeu est de taille, puisque c'est la durée de la prescription qui en dépend. Le plus grand soin doit donc ici être apporté par les professionnels à la rédaction des écritures.
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