Réf. : Cass. com., 23 avril 2013, n° 12-14.906, FS-P+B (N° Lexbase : A6929KCM)
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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition affaires
le 13 Juin 2013
En l'espèce, un débiteur a été mis en liquidation judiciaire le 20 juillet 2007. Par acte notarié du 5 novembre 2007, ce dernier et son épouse ont acquis un bien immobilier au moyen de deux prêts consentis par un établissement de crédit (la caisse) suivant offres préalables acceptées le 20 décembre 2006. Par deux ordonnances du 17 mars 2010, le juge-commissaire a rejeté les créances déclarées par la caisse au titre de ces prêts. En appel, la cour d'Aix-en-Provence infirme ces deux ordonnances et admet donc les créances de la caisse au passif de la liquidation judiciaire (CA Aix-en-Provence, 15 septembre 2011, n° 10/06757 N° Lexbase : A8455H7B). Le débiteur forme en conséquence un pourvoi contre cet arrêt. La Chambre commerciale rejette le pourvoi énonçant que "l'origine et la naissance d'une créance de remboursement d'un crédit immobilier dont l'offre a été acceptée se situent à la même date, de sorte qu'il est sans incidence sur la solution du litige que la cour d'appel se soit déterminée en considération de l'origine plutôt que de la naissance des créances de la caisse".
La loi de sauvegarde des entreprises a procédé à une modification terminologique en ce qui concerne les notions de créances antérieures et de créances postérieures. Alors que sous la loi de 1985 (loi n° 85-98, relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises N° Lexbase : L7852AGW), la créance antérieure était la créance qui "a son origine" antérieurement au jugement d'origine (C. com., art L. 621-43), la loi du 26 juillet 2005 lui a substitué la notion de créance qui "née" antérieurement à ce même jugement. Au lendemain de la réforme, l'une des questions les plus débattues par la doctrine fut donc de savoir si ce changement terminologique devait ou non avoir des conséquences sur la détermination des créances antérieures et des créances postérieures. En d'autres termes, le législateur a-t-il entendu déplacer le curseur ? Si lors des travaux parlementaires, il a été précisé, dans l'excellent rapport de Xavier Roux, que "ces deux termes ne correspondent pas au même cas" (1), la grande majorité des auteurs les plus éminents (2) s'accordait à dire que la substitution du terme "née" à l'expression "a son origine" n'est que formelle et qu'elle ne doit emporter aucune conséquence jurisprudentielle, de sorte que les solutions acquises devaient perdurer. Une doctrine minoritaire, tout aussi éminente, s'était un temps fait l'écho d'une autre théorie : celle selon laquelle l'origine se situerait avant la naissance, l'origine s'entendant de "l'élément causal" qu'il conviendrait de distinguer de la naissance, équivalant à "l'accession à la vie juridique" (3). Les juges du fond se sont rangés à la première analyse, majoritaire. Ainsi la cour d'appel de Versailles, dans l'un des premiers arrêts remarqués sur la question, a considéré que "la cour [...] estime devoir appliquer aux nouveaux textes la même interprétation que celle donnée aux anciens textes" (4), de sorte qu'en l'espèce elle juge que la créance de recours de la caution prend naissance à la date de souscription de l'engagement, continuant à appliquer une solution précédemment dégagée par la Cour de cassation (5).
Récemment la Chambre commerciale de la Cour de cassation a adopté une position similaire (6). En effet, en jugeant que la créance de l'acquéreur née du défaut de conformité de la chose vendue a son origine au jour de la conclusion de la vente, elle reconduit sous l'empire des dispositions nouvelles, une solution consacrée antérieurement à l'application de la loi du 26 juillet 2005 pour la garantie des vices cachés (7).
Par l'arrêt rapporté du 23 avril 2013, la Cour de cassation affirme clairement sa position sur la question : l'origine et la naissance d'un crédit immobilier se situent à la même date et le fait que la cour d'appel se soit déterminée en fonction de l'origine, critère antérieur à la loi de sauvegarde pourtant applicable à l'espèce, au lieu de la naissance, est sans incidence sur la solution du litige. Il semblerait donc acquis que, pour la Haute juridiction, les solutions dégagées antérieurement à la loi de sauvegarde doivent être reconduites pour les procédures ouvertes après le 1er janvier 2006.
En conséquence, la Cour de cassation approuve la cour d'appel d'avoir retenu que constitue une créance antérieure pouvant être admise au passif d'une procédure collective, la créance de remboursement du crédit immobilier consenti suivant des offres acceptées antérieurement au jugement d'ouverture, quand bien même l'acquisition du bien est faite par acte postérieur audit jugement. Elle reprend le principe qu'elle avait énoncé dans un arrêt du 11 février 2004 selon lequel "la créance de remboursement d'un crédit immobilier dont l'offre a été acceptée antérieurement à l'ouverture de la procédure collective a son origine antérieurement au jugement d'ouverture et doit dès lors être déclarée" (8). Cette jurisprudence n'est que le prolongement en droit des entreprises en difficulté de l'analyse que fait la Haute juridiction des contrats de prêt dans lequel le prêteur est un professionnel. Il faut, en effet, rappeler qu'un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 27 mai 1998 avait déjà posé en principe que "les prêts régis par les articles L. 312-7 (N° Lexbase : L6769ABC) et suivants du Code de la consommation n'ont pas la nature de contrat réel", règle dont il découle que le contrat prend effet par la seule acceptation de l'offre (9). La première chambre civile, par un arrêt en date du 28 mars 2000, a finalement posé en principe que "le prêt consenti par un professionnel du crédit n'est pas un contrat réel" (10), ce que la Haute juridiction a réaffirmé à de nombreuses reprises (11). Aussi bien le prêt consenti par un professionnel du crédit n'est plus un contrat réel mais un contrat consensuel (12) ; en revanche, le prêt qui n'est pas consenti par un établissement de crédit demeure un contrat réel supposant la remise de la chose (13).
Appliqués au dommaine du droit des entreprises en difficulté, notamment en ce qui concerne le fait de savoir si une créance de prêt est ou non une créance antérieure, ces principes imposent donc d'opérer la même distinction : soit il s'agit d'un prêt qui n'est pas octroyé par un professionnel du crédit, et dans ce cas le fait générateur de la créance de ce contrat réel est la remise des fonds prêtés. Si cette remise est opérée avant le jugement d'ouverture, la créance de remboursement est une créance antérieure devant être déclarée au passif de la procédure dans le délai de deux mois à compter de la publication du jugement d'ouverture au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (C. com., art. R. 622-24 N° Lexbase : L0896HZ9) ; dans le cas contraire, il s'agira d'une créance postérieure et il conviendra de déterminer s'il s'agit d'une créance bénéficiant du traitement préférentiel, non soumise à déclaration, ou d'une créance ne répondant pas aux critères du traitement préférentiel (cf. supra) et devant alors être déclarée, s'agissant d'un contrat à exécution successive, pour la totalité des sommes échues et à échoir, sur la base d'une évaluation, dans un délai de deux mois à compter de la première échéance impayée (C. com., art. R. 622-22, al. 2 N° Lexbase : L0894HZ7). Enfin, si le prêt est octroyé par un professionnel du crédit, la créance de remboursement sera une créance antérieure si l'acceptation de l'offre est antérieure au jugement d'ouverture et auquel cas elle devra être déclarée dans les deux mois de sa publication au BODACC, peu important, comme en l'espèce, que les fonds aient été remis après ledit jugement.
Cet état du droit, ainsi reconduit par l'arrêt du 23 avril 2013, les créanciers et leurs conseils doivent bien l'avoir à l'esprit pour s'assurer de participer aux dividendes et aux répartitions et mettre toutes les chances de leur côté pour récupérer leur dû.
(1) Rapport n° 2095 par Xavier de Roux, enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le 11 février 2005
(2) F. Pérochon, Les créanciers postérieurs et la réforme du 26 juillet 2005, Gaz. proc. coll., 2005, n° sp. 7-8 septembre 2002, p. 57 et s. sp. p. 58 n° 11 ; P.-H. Roussel Galle, Entreprises en difficulté, LexisNexis, éd. 2012, n° 287.
(3) C. Régnault-Moutier, Act. proc. coll., 2005/16, n° 203, P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Actions, 2012/2013, n° 441.09.
(4) CA Versailles, 13ème ch., 21 février 2008, n° 07/03747 (N° Lexbase : A1648D9W) ; D., 2008, AJ 1053, note A. Lienhard.
(5) Cass. com., 16 juin 2004, n° 01-17.199, FS-P+B (N° Lexbase : A7318DCZ) ; P.-M. Le Corre, Du fait générateur de la créance de remboursement détenue par la caution, Lexbase Hebdo n° 129 du 15 juillet 2004 - édition affaires (N° Lexbase : N2336AB7) ; D., 2004, AJ p. 2046, Act. proc. coll., 2004/15, n° 185, note D. Legeais, JCP éd. E, 2005, chron. 31, p. 32, n° 15, obs. M. Cabrillac, RD banc. et fin., 2004/5, p. 326, n° 200, obs. D. Legeais et 2004/6, p. 410, n° 244, obs. F.-X. Lucas, RTDCom., 2004, p. 812, note A. Martin-Serf, RTDCiv., 2004, p. 758, n° 2, obs. P. Crocq, Gaz. Pal., 1 au 3 août 2004, p. 12, note P.-M. Le Corre.
(6) Cass. com., 2 octobre 2012, n° 10-25.633, F-P+B (N° Lexbase : A9634ITY) ; nos obs., Le fait générateur de la créance de réparation née d'une délivrance non-conforme, Lexbase Hebdo n° 316 du 15 novembre 2012 - édition affaires (N° Lexbase : N4493BTL) ; Dalloz actualité, 12 octobre 2012, obs. A. Lienhard.
(7) Cass. com., 8 juin 1999, n° 96-18.840 (N° Lexbase : A8043AGY) ; Cass. com., 18 février 2003, n° 00-13.257, F-D (N° Lexbase : A1815A7D).
(8) Cass. com., 11 février 2004, n° 01-11.654, FS-P+B (N° Lexbase : A2660DB7).
(9) Cass. civ. 1, 27 mai 1998, n° 96-17.312 (N° Lexbase : A2780ACX) ; D., 1999, Jur. p. 194, note M. Bruschi ; ibid. Somm. p. 28, obs. M.-N. Jobard-Bachellier ; ibid. 2000, Somm. p. 50, obs. J.-P. Pizzio ; v., sur la question, D. Mazeaud, Droit commun du contrat et droit de la consommation, Nouvelles frontières, in Mélanges J. Calais-Aulois, Dalloz, 2004, p. 697, n° 27.
(10) Cass. civ. 1, 28 mars 2000, n° 97-21.422 (N° Lexbase : A3516AUR), JCP éd. G, 2000, II, 10296, concl. J. Sainte-Rose, note S. Piédelièvre.
(11) Cass. civ. 1, 27 novembre 2001, n° 99-10.633, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2833AX9), JCP éd. G, 2002, II, 10050, note S. Piédelièvre ; Cass. civ. 1, 5 juillet 2006, n° 03-21.142, FS-P+B (N° Lexbase : A3616DQY), D., 2007 p. 50, note J. Ghestin ; Cass. com., 7 avril 2009, n° 08-12.192, FS-P+B (N° Lexbase : A1097EGQ).
(12) Sur cette qualification, s'agissant des contrats conclus entre professionnels et consommateurs, voir not. L. Aynès, in Le droit du crédit au consommateur, p. 63.
(13) Cass. civ. 1, 7 mars 2006, n° 02-20.374, FS-P+B (N° Lexbase : A4939DNA), Contrats, conc., consom., 2006, n° 128, obs. L. Leveneur, JCP éd E, 2006, jur. 2195, note S. Piédelièvre ; Cass. civ. 1, 19 juin 2008, n° 06-19.753, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2147D9E), JCP éd. G, 2008, IV, 2313.
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