Réf. : CAA Paris, 5ème ch., 11 avril 2013, n° 11PA04236, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A4611KCR)
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par Guy Quillévéré, Président-assesseur à la cour administrative d'appel de Nantes
le 30 Mai 2013
La cour administrative d'appel de Paris, dans son arrêt du 11 avril 2013, précise les conditions dans lesquelles il est possible d'appliquer ces dispositions. Elle apporte ainsi sa contribution à la jurisprudence initiée par le Conseil d'Etat qui a déjà conduit la Haute juridiction, d'une part, à se prononcer sur la conformité des dispositions de l'article R. 200-18 du LPF au regard des dispositions du pacte international de New York (CE 8° et 9° s-s-r., 27 septembre 1991, n° 68736, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9111AQI) et, d'autre part, à préciser sous que les dispositions de l'article R. 200-18 du LPF doivent être regardées comme compatibles avec le principe de l'égalité des armes découlant des stipulations de l'article 6 § 1 de la CESDH, lorsque le litige porte sur des pénalités constituant des accusations en matière pénale (CE 9° et 10° s-s-r., 6 juin 2007, n° 270955, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8140DWE).
I - Les dispositions de l'article R. 200-18 du LPF ne méconnaissent pas le principe d'égalité
Les dispositions de l'article R. 200-18 du LPF, qui placent l'administration fiscale dans une situation différente de celle des autres justiciables, ne sont pas contraires au principe d'égalité
A - Le recours du ministre est recevable dès lors qu'il est enregistré dans un délai de quatre mois à partir de la notification du jugement au directeur des services fiscaux
Les dispositions de l'article R. 200-18 du LPF prévoient qu'"à compter de la notification du jugement du tribunal administratif qui a été faite au directeur du service de l'administration des impôts ou de l'administration des douanes et droits indirects qui a suivi l'affaire, celui-ci dispose d'un délai de deux mois pour transmettre, s'il y a lieu, le jugement et le dossier au ministre chargé du Budget". La solution retenue par la cour administrative d'appel de Paris pour écarter le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité est classique en contentieux général : il est possible de traiter différemment des personnes placées dans des situations différentes sans porter atteinte au principe d'égalité (CE Section, 10 mai 1974, n° 88032, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0207AZP) cette solution est transposée au contentieux fiscal pour l'application de dispositions du LPF. Le recours du ministre est recevable dans un délai de quatre mois, en application des dispositions combinées de l'article R. 200-18 du LPF et de l'article R. 811-2 du Code de justice administrative (CE 9° et 8° s-s-r., 11 octobre 1978, n° 09829, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A5671AIU).
Le juge a déjà eu l'occasion de préciser les règles de computation des délais. Le droit de former un recours contre une décision d'une juridiction administrative est définitivement fixé au jour où cette décision est rendue. Ainsi, le délai imparti pour saisir la cour administrative d'appel court, pour le ministre, de la date à laquelle expire le délai de transmission ou de la date de la signification faite au ministre. Par ailleurs, le délai de transmission du jugement et du dossier au ministre ne peut courir qu'à compter de la notification régulière du jugement faite à la direction ayant statué sur la réclamation contentieuse. Bien évidemment, ce délai complémentaire de deux mois pour saisir la cour administrative d'appel ne peut trouver à s'appliquer qu'aux litiges qui relèvent de la compétence de la juridiction administrative (CAA Nantes, 1ère ch., 27 mars 2002, n° 98NT01872, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4291AZX).
En l'espèce, le recours du ministre avait été enregistré dans le délai d'appel de deux mois dont il dispose à compter de l'expiration du délai de deux mois imparti au service local pour lui transmettre le jugement et le dossier d'une affaire, l'article R. 811-2 du Code de justice administrative prévoyant que le délai d'appel est de deux mois.
B - Les dispositions de l'article R. 200-18 du LPF ne placent pas le contribuable dans une situation de net désavantage par rapport au ministre du Budget
La requérante soutenait que les dispositions combinées des articles R. 200-18 du LPF et R. 811-2 du Code de justice administrative portent atteinte au principe d'égalité.
Le Conseil d'Etat a eu l'occasion de le rappeler en 2012 : le délai spécial ouvert par l'article R. 200-18 au ministre pour faire appel en matière fiscale n'est pas contraire au principe d'égalité au sens de l'article 14 de la CESDH (N° Lexbase : L4747AQU) (CE 10° et 9° s-s-r., 26 juillet 2007, n° 267594, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4763DXP et CE, 9° s-s., 18 juin 2012, n° 335920, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5157IPP). La combinaison de l'article 14 de la Convention et de l'article 1er de son premier protocole additionnel (N° Lexbase : L1625AZ9) permet aux requérants de contester l'existence de discriminations injustifiées entre contribuables placés dans une situation analogue. Tel est le cas lorsque la distinction contestée n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, autrement dit lorsqu'elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique ou n'est pas fondée sur des critères rationnels en rapport avec les buts de la loi. On ne saurait cependant se prévaloir de cette combinaison d'articles pour contester une différence de traitement entre la puissance publique et un contribuable.
S'agissant de la compatibilité des dispositions de l'article R. 200-18 du LPF et du principe d'égalité en droit interne, la cour administrative d'appel de Paris rappelle, dans son arrêt du 11 avril 2013, que les dispositions règlementaires fixant des délais d'appel différents tiennent compte des nécessités particulières de fonctionnement de l'administration fiscale qui la placent dans une situation différente de celle des autres justiciables et ne lui confèrent pas un privilège qui serait de nature à porter atteinte au principe d'égalité. Le Conseil d'Etat avait déjà eu l'occasion de le préciser en jugeant que les dispositions de l'article R. 200-18 du LPF tiennent compte des nécessités particulières de fonctionnement de l'administration fiscale qui la placent dans une situation différente de celle des autres justiciables et ne sont pas contraires au principe d'égalité (CE 8° et 9° s-s-r., 2 juillet 1990 n° 48892 et 57143, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4649AQA, RJF, 10/90, n° 1217, et CE 8° et 3° s-s-r., 23 décembre 2010, n° 306228, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6968GNE).
Ainsi, tant au regard du droit interne que du droit conventionnel, les dispositions de l'article R. 200-18 du LPF ne méconnaissent pas le principe d'égalité.
II - Les dispositions de l'article R. 200-18 du LPF sont compatibles avec le principe de l'égalité des armes découlant des stipulations de l'article 6 § 1 de la CESDH
Les dispositions de l'article R. 200-18 du LPF laissent à chaque partie une possibilité raisonnable de contester les pénalités fiscales.
A - Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 6 § 1 de la CESDH est opérant
Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 6 § 1 de la CESDH est, en l'espèce, opérant, puisque le litige porte sur les pénalités constituant des accusations en matière pénale. L'administration avait entendu assortir les redressements des majorations pour manoeuvres frauduleuses, le tribunal administratif ayant cependant fait droit à la demande de la société sur ce point et accordé la déchargée des pénalités pour manoeuvres frauduleuses, en leur substituant les pénalités de mauvaise foi. La cour administrative d'appel de Paris, s'agissant de la recevabilité du moyen reprend la solution dégagée par le Conseil d'Etat (CE 9° et 10° s-s-r., 6 juin 2007, n° 270955, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8140DWE). La Haute juridiction avait précisé dans cet arrêt les conditions de recevabilité en appel du moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 6 § 1 de la CESDH : ces stipulations ne peuvent être invoquées utilement dans un litige relatif à la contestation de la détermination de l'assiette d'un impôt direct, dès lors qu'elles ne visent que les procès portant sur des droits ou obligations de caractère civil ou sur des accusations en matière pénale (CE 8° et 3° s-s-r., 29 septembre 2000, n° 198325, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0380AZ4).
Par ailleurs, la Haute juridiction a aussi jugé que le délai spécial ouvert par l'article R. 200-18 au ministre pour faire appel en matière fiscale, qui est nouveau en cassation, n'est pas d'ordre public et est irrecevable s'il n'a pas été soulevé devant les juges du fond (CE 9° et 8° s-s-r., 16 janvier 1995, n° 112746, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1923ANK et CE, 26 juillet 2007 n° 267594, précité).
B - L'article R. 200-18 du LPF est compatible avec le principe de l'égalité des armes garanti par les stipulations de l'article 6 § 1 de la CESDH lorsque le litige porte sur des pénalités constituant des accusations en matière pénale
Il résulte des stipulations de l'article 6 § 1 de la CESDH qu'un juste équilibre doit être ménagé entre les parties au procès, de telle sorte que chacune d'entre elles ait une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de désavantage par rapport à son adversaire.
La cour administrative d'appel de Paris juge aussi que, si les dispositions de l'article R. 200-18 du LPF donnent au ministre chargé du Budget un délai d'appel qui peut excéder celui dont le contribuable dispose, en application de l'article R. 811-2 du Code de justice administrative, pour saisir la cour d'administrative d'appel territorialement compétente d'une requête tendant à l'annulation d'un jugement du tribunal, même lorsque le tribunal en cause a statué sur des pénalités fiscales, le contribuable conserve néanmoins la faculté, y compris lorsque le ministre a saisi la cour après expiration du délai de deux mois, outre de présenter des observations en défense, de former un appel incident en vue de contester les pénalités qui étaient en litige devant le tribunal, quand bien même le ministre ne contesterait que les impositions dont ce tribunal aurait déchargé le contribuable.
Ce principe de l'égalité des armes est d'autant plus respecté que le contribuable est, de plus, capable d'écourter le délai ouvert à l'administration. L'article R. 200-18 du LPF ne place donc pas le contribuable dans une situation de net désavantage par rapport au ministre chargé du Budget et laisse à chaque partie une possibilité raisonnable de contester les pénalités fiscales qui, ayant le caractère d'accusation en matière pénale, seraient en litige.
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