Lexbase Public n°285 du 18 avril 2013 : Environnement

[Evénement] La prévention par l'entreprise des risques industriels et environnementaux

Lecture: 10 min

N6668BT7

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Evénement] La prévention par l'entreprise des risques industriels et environnementaux. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/8065826-evenementlapreventionparlentreprisedesrisquesindustrielsetenvironnementaux
Copier

par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

le 18 Avril 2013

Le Conseil national des barreaux organisait à l'hôtel Marriott Paris rive gauche, le 11 avril 2013, la troisième édition des Etats généraux du droit de l'entreprise (EGDE) sur le thème de la "pérennité et croissance de l'entreprise". Cette manifestation nationale, devenue un rendez-vous annuel incontournable de la profession, marque l'investissement des avocats auprès des PME-PMI, des artisans, des commerçants et des indépendants. Présidé par William Feugère, avocat au barreau de Paris, Président de la Commission Droit et entreprise du Conseil national des barreaux et Président de l'Association des Avocats Conseils d'Entreprises (ACE), un atelier se déroulait sur le sujet de la prévention des risques industriels et environnementaux, dont Lexbase Hebdo - édition publique vous propose ici le compte-rendu. Alexandre Moustardier, avocat au barreau de Paris, membre du conseil de l'Ordre, indique que, selon son expérience professionnelle, les entreprises n'anticipent pas suffisamment le risque environnemental, alors que des démarches volontaristes leur incombent en la matière, notamment lors des opérations de cession d'actifs, de contrôle de la conformité de leurs activités avec les normes en vigueur, ou encore lors des procédures d'audit. La norme ISO 14001 de l'Association française de normalisation (AFNOR), qui définit les exigences relatives à un système de management environnemental, permet, notamment, l'identification et la maîtrise de l'impact environnemental des produits, services et de l'activité de l'entreprise. Le respect de ces prescriptions est obligatoire, puisque l'activité d'une société peut atteindre jusqu'à 3 000 déclarations de non-conformité règlementaire, allant de l'absence de bassin de prévention contre les inondations jusqu'à un fonctionnement effectué sous simple déclaration lorsqu'il doit donner lieu à une autorisation préfectorale. La difficulté réside dans le fait que des arrêtés préfectoraux en matière environnementale peuvent souvent se révéler obsolètes du fait de la profusion constante des normes en la matière. Il appartient, toutefois, à l'exploitant de se conformer à toute prescription nouvelle, sous peine de voir son activité suspendue pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois en cas de manquement graves à la réglementation.

Dans le cadre d'une démarche cette fois semi-volontaire de l'exploitant, le reporting environnemental (RSE), dans le cadre de la norme ISO 26000, occupe une place importante prévue notamment à l'article 116 de la loi dite "NRE" (loi n° 2001-420 du 15 mai 2001, relative aux nouvelles régulations économiques N° Lexbase : L8295ASZ) et à l'article 225 de la loi "Grenelle 2" (loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010, portant engagement national pour l'environnement N° Lexbase : L7066IMN). L'article 224 de cette même loi modifie l'article L. 214-12 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9213IQB), lequel énonce que, désormais, "les sociétés d'investissement à capital variable et les sociétés de gestion mentionnent dans leur rapport annuel et dans les documents destinés à l'information de leurs souscripteurs les modalités de prise en compte dans leur politique d'investissement des critères relatifs au respect d'objectifs sociaux, environnementaux et de qualité de gouvernance". Cette démarche d'approche des contraintes environnementales s'imposant à l'entreprise doit également inclure les salariés eux-mêmes, puisque l'article 225 précité indique que "les institutions représentatives du personnel et les parties prenantes participant à des dialogues avec les entreprises peuvent présenter leur avis sur les démarches de responsabilité sociale, environnementale et sociétale des entreprises en complément des indicateurs présentés [...]". Les aspects environnementaux les plus souvent retenus en matière de RSE sont la consommation des ressources et des énergies, les émissions de gaz à effet de serre, les déchets et le recyclage, la certification, la formation et les incidents et les provisions pour risques environnementaux.

L'on peut noter que l'article L. 225-102-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L5756ISY), modifié notamment par cet article 225 de la loi "Grenelle 2" et par l'article 12 de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012, relative à la simplification du droit et à l'allègement des démarches administratives (N° Lexbase : L5099ISN), étend l'obligation de publication d'informations de RSE au sein du rapport de gestion, jusque là réservée aux seules sociétés cotées, à certaines sociétés non cotées dépassant certains seuils et instaure une vérification obligatoire de ces informations par un organisme tiers indépendant. Le décret n° 2012-557 du 24 avril 2012, relatif aux obligations de transparence des entreprises en matière sociale et environnementale (N° Lexbase : L8543IS9), précise, notamment, les informations à publier par les sociétés concernées, ainsi que la nature des conclusions que doit remettre l'organisme tiers indépendant, à savoir une attestation sur la présence des informations et un avis sur leur sincérité. Cet organisme doit être accrédité par le Comité français d'accréditation (COFRAC) ou par un équivalent européen et doit être indépendant vis-à-vis de la société. Cependant, selon Alexandre Moustardier, le risque demeure que ce contrôle s'effectue plus sensiblement sur la forme que sur le fond, car dans les très grandes entreprises comptant plusieurs milliers de salariés, il semble difficile de pouvoir retracer de manière effective la chaîne des responsabilités, à moins qu'une stricte délégation de pouvoir ait été effectuée.

Patricia Savin, avocat au barreau de Paris, secrétaire du Conseil national des barreaux, indique que la prévention par l'entreprise des risques industriels et environnementaux doit aussi s'effectuer dès l'acquisition du terrain ayant pu être sujet à une éventuelle pollution, que l'acquéreur ait, ou non, conscience de cette possibilité. Elle précise que son activité professionnelle l'a amenée à avoir connaissance de déclarations mensongères des vendeurs de terrain, les terrains parfaitement "propres" se trouvant, en effet, relativement rares en région parisienne. Outre les enjeux en termes de risques sanitaires que peuvent amener de tels comportements, ils peuvent aussi impliquer la dévitalisation de quartiers entiers d'une ville, les habitations du voisinage se révélant, dans ce cas, amputées de la majeure partie de leur valeur vénale. Le vendeur doit donc se conformer à une obligation générale de bonne information de l'acquéreur, telle que balisée par les articles y afférents du Code civil. Il ressort, ainsi, d'un arrêt rendu le 29 février 2012 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation, au visa de l'article 1603 du Code civil (N° Lexbase : L1703ABP), que, dès lors que l'acte de vente d'un immeuble mentionne que l'immeuble a fait l'objet d'une dépollution, le vendeur est tenu de garantir la dépollution totale du bien objet de la vente (Cass. civ. 3, 29 février 2012, n° 11-10.318, FS-P+B N° Lexbase : A8718IDA). La dissimulation volontaire par le vendeur de l'existence de l'usine soumise à autorisation ICPE à proximité du bien vendu par le vendeur constitue une réticence dolosive (Cass. civ. 3, 7 novembre 2007, n° 06-18.617, FS-D (N° Lexbase : A4216DZ8). Toutefois, l'acquéreur d'un terrain ne peut se prévaloir du vice caché que révèlerait une étude de sols postérieurement à la vente, dès lors qu'il est de notoriété publique que ce terrain était sérieusement pollué (Cass. civ. 3, 10 septembre 2008, n° 07-17.086, FS-P+B N° Lexbase : A1307EAN).

Par ailleurs, l'article L. 514-20 du Code de l'environnement (N° Lexbase : L3399IEM) énonce que, "lorsqu'une installation soumise à autorisation ou à enregistrement a été exploitée sur un terrain, le vendeur de ce terrain est tenu d'en informer par écrit l'acheteur [...] il l'informe également, pour autant qu'il les connaisse, des dangers ou inconvénients importants qui résultent de l'exploitation. Si le vendeur est l'exploitant de l'installation, il indique également par écrit à l'acheteur si son activité a entraîné la manipulation ou le stockage de substances chimiques ou radioactives". Le texte a, toutefois, une portée très restrictive puisqu'il vise les installations classées soumises à autorisation et non celles soumises à déclaration, et ne concerne, dès lors que 10 % des terrains sur lesquels ont été exploitées des installations classées. En cas d'absence ou d'insuffisance d'information, l'acquéreur aura ensuite le choix de poursuivre la résolution de la vente, de se faire restituer une partie du prix, ou encore de demander la remise en état du site aux frais du vendeur, lorsque le coût de la remise en état ne paraît pas disproportionné par rapport au prix de vente. Cependant, la Cour de cassation, le 5 décembre 2012 (Cass. civ. 3, 5 décembre 2012, n° 11-20.689, FS-D N° Lexbase : A5589IYN), a retenu que la présence de matériaux polluants sur l'immeuble ne constituait pas un manquement à l'obligation de délivrance, l'acquéreur ne pouvant se prévaloir d'un manquement à l'obligation de délivrance du vendeur en raison d'une pollution, dès lors que celui-ci ignorait son existence.

En outre, l'Etat a désormais l'obligation de rendre publiques les informations dont il dispose sur les risques de pollution des sols et de les prendre en compte dans les documents d'urbanisme, lors de leur élaboration et de leur révision (C. env., art. L. 125-6 N° Lexbase : L6897IRU). Sur cette base, une nouvelle obligation d'information incombe au vendeur d'un terrain lorsque les informations ainsi rendues publiques font état d'un risque de pollution des sols affectant le terrain concerné. Cette information doit être communiquée par écrit et l'acte de vente doit attester de l'accomplissement de cette formalité (C. env., art. L. 125-7 N° Lexbase : L6896IRT). Si l'article L. 125-7 n'est pas respecté, les sanctions sont identiques à celles prévues par l'article L. 514-20. Précisons, par ailleurs, que la société mère, au sens de l'article L. 233-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L6304AIC), c'est-à-dire détenant plus de 50 % du capital, peut se voir condamnée à financer tout ou partie des mesures de remise en état des installations classées d'une filiale en liquidation judiciaire (C. env., art. L. 512-17 N° Lexbase : L7948IMC). Cependant, il a été jugé que la société mère n'est pas tenue de réparer les dommages environnementaux d'une filiale qui n'est pas en cessation des paiements dont elle a décidé la dissolution (Cass. com., 26 mars 2008, n° 07-11.619, F-D N° Lexbase : A6100D73).

Concernant le régime des responsabilités, l'ancien exploitant reste responsable dans la limite de la prescription trentenaire. Auparavant, c'était le propriétaire, même s'il n'était pas l'exploitant, qui était sommé de remettre en état le terrain, les accords de droit privé conclus par ce dernier étant inopposables à l'administration (CE 2° et 6° s-s-r., 24 mars 1978, n° 01291, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2919AIX). Il avait aussi été jugé qu'en cas de succession d'exploitants exerçant une activité identique sur un même site, l'obligation de réhabilitation pèse sur le dernier exploitant de l'installation (CE 2° et 6° s-s-r., 11 avril 1986, n° 62234, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7663AMR). C'est une solution qui a été définitivement invalidée par le Conseil d'Etat dans son arrêt du 8 juillet 2005 (CE Ass., 8 juillet 2005, n° 247976, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9574DIG) dans lequel il a précisé qu'un détenteur, en cette seule qualité, ne peut être inquiété pour la remise en état du terrain. En l'espèce, le détenteur ne peut pas être inquiété au titre de la police des ICPE, mais peut l'être au titre de la police des déchets. C'est ce que le Conseil d'Etat a jugé dans son arrêt du 26 juillet 2011 "Wattelez II" (CE 1° et 6° s-s-r., 26 juillet 2011, n° 328651, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8327HWC), par lequel il a précisé "que le propriétaire du terrain sur lequel ont été entreposés des déchets peut, en l'absence de détenteur connu de ces déchets, être regardé comme leur détenteur au sens de l'article L. 541-2 (N° Lexbase : L9592INL) du Code de l'environnement, notamment s'il a fait preuve de négligence à l'égard d'abandons sur le terrain". Cette négligence avait, en effet, pu lui apporter un éventuel profit et il est donc normal qu'il en subisse les conséquences.

Cette solution a été confirmée par la cour administrative d'appel de Bordeaux, le 1er mars 2012 (CAA Bordeaux, 1ère ch., 1er mars 2012, n° 11BX01933, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5890IEU). A fait écho à cette décision un arrêt du Conseil d'Etat du 23 novembre 2011 (CE 1° et 6° s-s-r., 23 novembre 2011, n° 325334, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9792HZP), par laquelle les juges du Palais-Royal ont estimé qu'il résulte des articles L. 541-2 et suivants du Code de l'environnement relatifs à la législation sur les déchets "que le détenteur de déchets de nature à porter atteinte à l'environnement a l'obligation d'en assurer l'élimination dans des conditions propres à éviter une telle atteinte". Dans un arrêt rendu le 11 juillet 2012 (Cass. civ. 3, 11 juillet 2012, n° 11-10.478, FS-P+B+R+I N° Lexbase N° Lexbase : A6684IQM), la Cour suprême a indiqué que le propriétaire d'un terrain sur lequel ont été abandonnés des déchets issus de l'exploitation d'une ICPE est responsable des travaux de remise en état, sauf s'il démontre être étranger au fait de leur abandon et de n'avoir pas permis ou facilité celui-ci par négligence ou complaisance. Ils ont, d'ailleurs, poursuivi ce sillon récemment en estimant que la responsabilité du propriétaire du terrain sur lequel ont été entreposés des déchets n'a qu'un caractère subsidiaire vis-à-vis de celle des producteurs de ces déchets (CE 1° et 6° s-s-r., 1er mars 2013, n° 354188, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9312I8E) (1). La Cour de Luxembourg a jugé, pour sa part, qu'un exploitant visé par une mesure de réparation environnementale peut se voir restreindre le droit d'utiliser son terrain, même si celui-ci n'a jamais été pollué (CJUE, 9 mars 2010, aff. C-378/08 [LXB=A8584ESQ ] et C-379/08 (N° Lexbase : A8587EST).

La prévention par l'entreprise des risques industriels et environnementaux démontre chaque jour leur caractère indispensable, en témoigne encore, comme le rappelle Patricia Savin, le décès d'un pompier lors d'une intervention sur un violent feu d'entrepôt près d'Aix-en-Provence le 25 septembre 2012, une raison supplémentaire pour que toutes ces prescriptions législatives et règlementaires soient respectées scrupuleusement par l'ensemble des acteurs économiques et sociaux sur le terrain.


(1) Lire Le Conseil d'Etat précise la responsabilité du propriétaire du terrain pollué - Questions à Marie-Léonie Vergnerie, avocat à la Cour, cabinet Winston & Strawn (N° Lexbase : N6549BTQ), Lexbase Hebdo n° 285 du 17 avril 2013 - édition publique.

newsid:436668