Lexbase Fiscal n°523 du 11 avril 2013 : Fiscalité des particuliers

[Questions à...] Société, dividende, donation indirecte : cherchez l'intrus - Questions à Aurélia Barbé, Avocat au barreau de Paris

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[Questions à...] Société, dividende, donation indirecte : cherchez l'intrus - Questions à Aurélia Barbé, Avocat au barreau de Paris. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/8060872-questions-a-societe-dividende-donation-indirecte-cherchez-lintrus-questions-a-b-aurelia-barbe-avocat
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par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale

le 11 Avril 2013

De tous temps, les parents font plaisir à leurs enfants, en leur faisant des "cadeaux". Si les petits cadeaux n'intéressent pas l'administration fiscale, ce n'est pas le cas des plus gros. En effet, la donation simple est exonérée d'impôt, parce que sa valeur (appréciée selon les caractéristiques du patrimoine du donateur) est faible et que l'occasion est particulière (anniversaire, Noël, etc.). Mais cet acte, connu et apprécié de tous, ne concerne qu'une toute petite partie des mutations à titre gratuit exécutées du vivant de celui qui transmet et qui est habité d'une intention libérale. En effet, ces autres formes de donation sont soumises à l'impôt. En principe, une donation donne lieu à l'établissement d'un acte notarié (C. civ., art. 931 N° Lexbase : L0088HPX), ce qui entraîne des frais. Toutefois, trois types de donation échappent à cette exigence de forme : les donations de biens meubles, de sommes d'argent, et de titres immatériels. Cette transmission est appelée "don manuel". Ni le donateur, ni le bénéficiaire de la donation n'ont à déclarer l'opération, mais, dès qu'elle est révélée, l'administration applique les droits d'enregistrement. Par ailleurs, le législateur a prévu des mesures d'allègement de l'impôt, dont notamment un abattement pour toute donation effectuée par un parent à son enfant. Depuis le 1er janvier 2013, son montant est de 100 000 euros (CGI, art. 779 N° Lexbase : L0670IUD). Il s'agit d'un montant confortable, mais qui ne satisfait pas les plus généreux. Ainsi, certains ont recours à des montages optimisants, mettant en scène des sociétés, qui ont le double objectif de transmettre à leurs enfants des biens ou de l'argent, et qui échappent aux droits de donation. Comment ? En contournant la qualification de donation. Pour comprendre les tenants et les aboutissants d'une telle méthode, Lexbase Hebdo - édition fiscale a interrogé Aurélia Barbé, Avocat au barreau de Paris.

Lexbase : Comment le recours à des sociétés peut-il permettre de disqualifier de donation une transmission de patrimoine d'un parent à son enfant ?

Aurélia Barbé : L'article 894 du Code civil (N° Lexbase : L0035HPY) dispose que "la donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l'accepte". Les conditions ainsi posées sont cumulatives ; si l'une d'entre elles fait défaut, l'administration n'est pas en mesure de qualifier l'opération de donation et donc de la soumettre aux droits de mutation à titre gratuit. Le principal intérêt du recours aux sociétés dans les schémas d'optimisation réside dans l'écran qu'elles créent entre les patrimoines du donateur et du donataire.

Classiquement, les parents majoritaires d'une société donnent la nue-propriété des parts à leurs enfants. L'usufruitier a vocation aux fruits et vote l'affectation du résultat. Dans ce type de contexte, où l'intention libérale des parents à l'égard de leurs enfants est sensible, le vote de la mise en réserve systématique du résultat pose la question de la donation indirecte dès lors que le nu-propriétaire dispose d'un quasi-usufruit sur ces réserves.

Pour autant, la Cour de cassation juge fréquemment qu'il manque un élément pour caractériser la donation : le dépouillement du donateur. Les bénéfices de la société appartiennent à la société et non au donateur. Leur affectation est votée par des associés et non par un donateur. La Haute juridiction tire toutes les conséquences juridiques de la présence de cette société pour disqualifier l'opération de donation.

Lexbase : Pourquoi la jurisprudence hésite-t-elle tant à appliquer les règles des droits de donation à ce type de schéma ?

Aurélia Barbé : Juridiquement, les motifs de la Cour de cassation sont de pur droit : "les bénéfices réalisés par une société ne participent de la nature des fruits que lors de leur attribution sous forme de dividendes, lesquels n'ont pas d'existence juridique avant l'approbation des comptes de l'exercice par l'assemblée générale, la constatation par celle-ci de l'existence de sommes distribuables et la détermination de la part qui est attribuée à chaque associé. Il s'ensuit qu'avant cette attribution, l'usufruitier des parts sociales n'a pas de droit sur les bénéfices et qu'en participant à l'assemblée générale qui décide de les affecter à un compte de réserve, il ne consent aucune donation au nu-propriétaire" (Cass. com., 10 février 2009, n° 07-21.806, FS-P+B N° Lexbase : A1249EDM, dit arrêt "Cadiou").

Pour appliquer les règles des droits de donation, il faudrait donc très sérieusement contrarier le droit des sociétés, et notamment faire abstraction de la société. La cour d'appel de Lyon, dans l'affaire "Cadiou", n'a pas été censurée sur le sens de sa décision, mais sur ses motifs car elle jugeait que la société pouvait être considérée comme fictive en raison du caractère majoritaire de la participation (CA Lyon, 1ère ch., sect. B, 16 octobre 2007, n° 06/03324 N° Lexbase : A2339EDY). La cour d'appel de Douai a également tenté de prendre en compte ce contexte particulier en soulignant que les décisions sont prises à l'unanimité par l'assemblée générale extraordinaire des associés et qu'elles émanent donc nécessairement des parents, donateurs, qui disposent en tant qu'usufruitiers, de l'essentiel des droits de vote dans les assemblées (CA Douai, 1ère ch., sect. 1, 5 septembre 2011 n° 10/06319 N° Lexbase : A9588H4U). Ces motifs ne sont jamais repris par la Cour de cassation, qui leur substitue l'attendu de principe précité.

Si les juges du fond sont proches d'une certaine réalité économique, les juges du droit ne peuvent revenir sur une évidence aussi fondamentale que celle de la personnalité juridique des sociétés.

Lexbase : Quel est l'avenir de cette position prétorienne ?

Aurélia Barbé : Compte tenu de la décision de principe dans l'affaire "Cadiou", un revirement jurisprudentiel semble peu probable. Toutefois, ces opérations sont dans le collimateur de l'administration fiscale et les juges du fond font preuve d'une certaine imagination pour permettre la taxation du montage.

La cour d'appel de Douai, dans l'arrêt du 5 septembre 2011, a ainsi réussi à juger que la renonciation des parents à une fraction de leurs dividendes au profit de leurs enfants était constitutive d'une donation indirecte. Elle caractérise le dépouillement irrévocable des donateurs en assimilant l'assemblée générale aux personnes physiques qui la composent, c'est-à-dire principalement aux parents, en considérant que le partage des dividendes est une décision qui ne concerne pas la société mais les associés, dès lors que les dividendes relèvent de leur patrimoine propre, et elle contourne le problème de l'existence du dividende en invoquant la donation de droits futurs. L'intention libérale et l'acceptation du donataire sont ensuite des conditions caractérisées sans trop de difficulté.

Pour aussi originale qu'elle soit, cette motivation révèle une volonté de contourner la personnalité de la société ; après tout, l'assemblée générale est sous le joug des parents usufruitiers et les bénéfices de la société sont des dividendes en puissance, pourquoi pas des droits futurs. Ce qui est certain, c'est que l'usufruitier ne se dépouille pas de rien. S'il renonce à percevoir des dividendes, il renonce nécessairement à une valeur patrimoniale.

Lexbase : Si la jurisprudence venait à inverser sa tendance, faudrait-il s'attendre à l'usage, par l'administration, de l'arme de l'abus de droit fiscal ?

Aurélia Barbé : Toute la question est de savoir sur quel fondement un tel revirement pourrait avoir lieu. Aux termes de l'article L. 64 du LPF (N° Lexbase : L0035HPY), l'administration dispose de deux armes pour lancer la procédure d'abus de droit : l'acte fictif ou la recherche d'une application littérale des textes à l'encontre de leur esprit et ce, dans le but exclusif d'atténuer ou d'éluder l'impôt normalement dû.

Le vote qui consiste à affecter un bénéfice n'a rien de fictif, il est, tout au contraire, très explicitement relaté dans les procès-verbaux des assemblées. L'opération ne relève pas davantage du second pilier de l'abus de droit, car cette affectation peut être dictée par bien d'autres raisons que celle d'éluder l'impôt. La mise en réserve ou la distribution de dividendes relève d'une décision de gestion de la société dont l'administration n'a pas à apprécier le caractère opportun, sous peine d'ingérence dans la gestion de la société.

D'ailleurs, l'administration n'essaie pas de caractériser l'abus de droit dans les procédures dont la Cour de cassation a eu à connaître, mais tente de réunir les conditions de la donation imposées par l'article 894 du Code civil.

Reste que l'argument tiré de l'abus de droit saurait peut-être être plus convaincant tant la caractérisation de la donation semble parasitée par l'écran que constitue la société.

Lexbase : Que conseillerez-vous à vos clients qui souhaiteraient transmettre, de leur vivant, leur patrimoine à leurs enfants, sans avoir à payer les droits de donation ?

Aurélia Barbé : En l'état actuel de la jurisprudence, je leur conseillerais volontiers ce schéma !

De façon générale, le démembrement de propriété est une bonne technique d'optimisation fiscale qui permet aux parents de transmettre la nue-propriété de leurs biens à leurs enfants avec, à terme, une économie d'impôt importante. Les droits de donation ne sont alors assis que sur la valeur de la nue-propriété des parts, d'autant moins importante que l'usufruitier est jeune. Cette donation peut même se faire en franchise d'impôt si l'abattement en ligne direct n'est pas dépassé (100 000 euros). Au décès du parent, les enfants retrouveront la pleine propriété des parts en exonération d'impôt, sous réserve de la présomption de l'article 751 du CGI (N° Lexbase : L5296H9Z).

Dans le cas particulier du démembrement de parts sociales, les parents usufruitiers peuvent régulièrement libérer du cash pour leurs enfants nu-propriétaires, en modifiant la répartition des dividendes entre eux ou en affectant systématiquement le bénéfice aux réserves de la société. La Cour de cassation nous le répète assez, il ne s'agit pas d'une donation ; aucun n'impôt n'est dû, et ce, même si ces mêmes parents votent dans l'heure qui suivent la distribution des réserves, qui reviennent en quasi-usufruit aux enfants.

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