Lexbase Affaires n°332 du 28 mars 2013 : Transport

[Chronique] Chronique de droit des transports - Mars 2013

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par Christophe Paulin, Professeur de droit, Directeur du Master de droit des transports, Université Toulouse I Capitole

le 28 Mars 2013

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique trimestrielle d'actualité en droit des transports de Christophe Paulin, Professeur de droit, Directeur du Master de droit des transports, Université Toulouse I Capitole. Ce mois-ci l'auteur a choisi de revenir en premier lieu sur un arrêt, promis aux honneurs du Bulletin, rendu le 12 mars 2013 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans lequel cette dernière rappelle les principes d'indemnisation dans le transport routier international de marchandises (Cass. com., 12 mars 2013, n° 09-12.854, F-P+B). Le Professeur Paulin commente ensuite un arrêt rendu par la même formation le même jour qui apporte une réponse bienvenue à la question de la place du destinataire dans le cas où le contrat, relatif à un transport maritime, a donné lieu à un connaissement (Cass. com., 12 mars 2013, n° 10-24.465, F-D). L'auteur nous livre ensuite ses réflexions sur un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne qui a répondu, le 31 janvier 2013, à la question de savoir si le transporteur aérien est tenu de prendre le passager en charge lorsque l'exécution de cette obligation est, par son ampleur, pratiquement irréalisable. Enfin deux arrêts sont signalés : dans le premier, la cChambre commerciale affirme clairement que le contrat de transport s'accommode d'une pluralité de prestations, dès lors que les obligations autres que le déplacement sont accessoires à celui-ci (Cass. com., 11 décembre 2012, n° 11-18528, F-D) ; dans le second, qui fera l'objet d'un commentaire dans la prochaine chronique, la première chambre civile se prononce sur les causes d'exonération de responsabilité du transporteur aérien (Cass. civ. 1, 13 mars 2013, n° 09-72.962, FS-P+B+I).
  • Les principes d'indemnisation dans le transport routier international de marchandises (Cass. com., 12 mars 2013, n° 09-12.854, F-P+B N° Lexbase : A9724I9Z)

L'arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 12 mars 2013, qui a reçu les honneurs d'une publication au Bulletin, vient opportunément rappeler aux plaideurs les principes d'indemnisation du préjudice dans le transport routier international de marchandises.

En l'espèce, une cargaison de crevettes surgelées est confiée à un prestataire pour un transport entre Vitrolles et Lisbonne. Les marchandises, endommagées à la suite d'un incendie, sont finalement détruites. Le transport ayant donné lieu à diverses sous-traitances, les assureurs de la marchandise et ceux du transporteur principal assignent les transporteurs effectifs en responsabilité. La cour d'appel de Rennes calcule alors l'indemnité d'après le prix de vente de la marchandise par l'expéditeur au destinataire, lui permettant ainsi d'obtenir une réparation non seulement des marchandises perdues, mais également du gain manqué, en l'occurrence le bénéfice de la vente (CA Rennes, 14 janvier 2009, n° 07/04453 N° Lexbase : A0897HGC).
L'arrêt est cassé sur pourvoi, sous le visa des articles 23 et 25 de la Convention du 19 mai 1956, relative au contrat de transport international de marchandises par route ([LXB=L4084IPX)] dite "CMR") : "selon ces textes, l'indemnité mise à la charge du transporteur pour perte ou avarie doit être calculée d'après la valeur de la marchandise au lieu et à l'époque de la prise en charge", de sorte que l'indemnité aurait dû être fonction du prix payé par l'expéditeur pour acquérir la marchandise et non du prix de vente, au lieu et à l'époque de la livraison.

L'arrêt rappelle deux enseignements pratiques.

D'abord, il précise que le demandeur d'une indemnité doit impérativement établir son préjudice, c'est-à-dire le prouver, tant dans son existence que dans son montant, conformément aux principes élémentaires de la responsabilité civile. Il est fréquent, en effet, que l'on réclame au transporteur le montant de l'indemnité d'assurance, l'indemnisation d'une marchandise censée ne plus être commercialisable et qui a été opportunément détruite, une somme déterminée arbitrairement et unilatéralement par le demandeur... quand on ne se contente pas de demander simplement le montant des limitations de responsabilité du transporteur, comme si celles-ci constituaient une réparation forfaitaire. La censure de l'arrêt d'appel remémorera aux juges du fond, parfois indulgents à cet égard, la nécessité de la preuve du préjudice.

Il rappelle, ensuite, l'identique nécessité d'évaluer le préjudice conformément à la règle de droit, lorsque le texte applicable prévoit des règles d'évaluation. Ce n'est pas le cas du droit français, en vertu duquel l'arrêt n'aurait probablement pas été censuré. C'est, en revanche, celui de la CMR.

Le texte régit le contrat de transport routier lorsque le lieu de prise en charge de la marchandise et celui de la livraison sont situés dans deux Etats différents, dont l'un au moins est partie à la convention. En vertu de ce principe simple, tous les transports au départ de la France, comme en l'espèce, sont soumis à la CMR, dont l'application est impérative pour le juge français, qui doit, si besoin, la relever d'office. Or, l'article 23 de la CMR pose une règle précise, selon laquelle l'indemnité due par le transporteur est calculée d'après la valeur de la marchandise au lieu et à l'époque de la prise en charge. Ceci exclut effectivement que le juge retienne le prix de revente de la marchandise au moins lorsqu'il est clairement établi qu'il s'apprécie à la date et au lieu de la livraison (Cass. com., 27 mai 1981, n° 80-10157, publié N° Lexbase : A2064CKN, Bull. civ. IV, n° 254).

Faut-il pour autant, comme paraît le faire la Cour de cassation, poser en postulat que le prix de revente s'apprécie au regard de la livraison et retenir le prix d'achat, qui s'apprécierait lors de la prise en charge ? Cela semble discutable. D'abord, le prix de revente pourrait correspondre aux conditions de la convention : le contrat de vente est généralement conclu lors de la prise en charge, voire avant et non lors de la livraison. Ensuite, le lieu de conclusion du contrat est celui de l'émission de l'acceptation, c'est-à-dire celui de l'acheteur et donc, en pratique, le lieu de destination. Il n'est donc pas établi que l'évaluation retenue par la cour d'appel violait ouvertement les critères légaux et il aurait été intéressant qu'il y ait une précision à cet égard. Il n'est pas davantage acquis que le prix d'achat de la marchandise par l'expéditeur réponde aux conditions légales : ce prix correspond-il à la valeur de la marchandise au lieu de la prise en charge ? Il paraît plutôt refléter celle en vigueur dans le pays du premier vendeur.

Le prix de la marchandise dans les relations entre l'expéditeur et l'acheteur ne constitue pas, du reste, un critère pertinent au regard de la CMR. L'article 23 précise, en effet, non seulement qu'il convient de se référer à la valeur de la marchandise, mais également comment celle-ci s'apprécie. La référence se fait alors par rapport au cours de la bourse, à défaut au prix courant du marché ou, enfin, d'après la valeur usuelle de marchandises de même nature et qualité.

Il ne suffira donc pas, devant la cour de renvoi, d'établir le prix d'achat de la marchandise par l'expéditeur pour satisfaire aux conditions légales et obtenir l'évaluation d'un préjudice dont la réparation sera ensuite limitée par les plafonds d'indemnisation.

  • Le destinataire et le connaissement de transport maritime (Cass. com., 12 mars 2013, n° 10-24.465, F-D N° Lexbase : A9734I9E)

La question de la place du destinataire dans le contrat de transport est une question récurrente. Le présent arrêt rendu le 12 mars 2013 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation y apporte une réponse, tardive mais sans doute bienvenue, dans le cas où le contrat, relatif à un transport maritime, a donné lieu à un connaissement.

En l'espèce, un transport de véhicules est réalisé par la société CMA CGM entre le Japon et la Lybie, en vertu de deux connaissements émis dans le cadre d'une opération de crédit documentaire. Le transporteur assignait alors le destinataire mentionné au connaissement, en l'occurrence un établissement bancaire, en paiement de surestaries, frais supplémentaires afférents au stockage des conteneurs. L'action était portée devant les juridictions françaises, conformément à la clause attributive de compétence insérée aux connaissements. La cour d'appel ayant admis l'application de cette clause, le pourvoi la contestait, au motif que rien n'établissait que les parties au litige étaient liées par une convention (CA Aix-en-Provence, 12 mai 2010, n° 09/05386 N° Lexbase : A4930E3Y, rendu sur renvoi après cassation par Cass. civ., 1, 16 décembre 2008, n° 07-18.834, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8595EBX, Bull. civ. I, n° 283).

C'est donc la question de la place du destinataire dans le contrat de transport, en vertu du connaissement, qui était clairement posée à la Cour de cassation.

Il est parfaitement admis que le destinataire est partie au contrat de transport, quand bien même il n'a pas participé à sa conclusion. Cette solution repose sur un impératif pratique : il convient d'éviter que le destinataire ne puisse, en agissant en responsabilité délictuelle contre le transporteur, éluder l'application des réglementations du contrat de transport, et dont la finalité est précisément de protéger le prestataire.

Pour les transports terrestres, l'intégration du destinataire au contrat de transport repose sur l'article L. 132-8 du Code de commerce (N° Lexbase : L5640AIQ), quoique son interprétation demeure controversée. S'agissant du transport maritime, ce texte n'apporte pas même un modeste secours, faute d'être applicable. La solution la plus généralement admise par la doctrine est que le destinataire adhère au contrat par une acceptation manifestée au moment où il prend livraison de la marchandise. Cette conception n'est pas satisfaisante. Elle invoque une volonté utopique : le destinataire, qui entend seulement recevoir sa marchandise, n'envisage pas d'adhérer au contrat de transport. Par ailleurs, le destinataire qui refuse la marchandise échappe alors au contrat de transport, de sorte que le transporteur est privé du bénéfice de la réglementation, au moment où il en a le plus besoin. Il en est de même en cas de perte de la marchandise.

L'existence d'un connaissement de transport maritime peut alors donner un autre fondement et une plus grande généralité à l'intégration du destinataire dans le contrat de transport. Le connaissement, en effet, est un titre de transport, négociable. La transmission du connaissement permet alors à ses titulaires successifs d'intégrer le contrat de transport et de s'en voir appliquer les clauses. Cette conception, dite cambiaire, du connaissement, se pratique surtout dans les droits anglo-saxons.

Le droit français se montre plus réservé. La jurisprudence, non sans ambiguïté, estime qu'il ne résulte d'aucun texte que le porteur du connaissement, en acceptant la livraison de la marchandise, succède aux droits et obligations du chargeur (Cass. com., 4 mars 2003, n° 01-01.043, FS-P N° Lexbase : A3581A7R, Bull. civ. IV, n° 33), tandis que la doctrine se montre plutôt hostile à la théorie cambiaire du connaissement.

L'arrêt pourrait alors constituer un pas dans cette direction. Certes, en l'espèce, la négociabilité du connaissement n'était pas en cause et le destinataire ne devenait pas partie au contrat de transport par la transmission de ce document. En revanche, la Cour régulatrice estime que le destinataire figurant sur le connaissement se trouve partie au contrat, "matérialisé" par le connaissement. Dès lors que la Cour admet, ainsi, que ce document représente le contrat, un pas important est franchi, l'adhésion au contrat se faisant naturellement par la mention sur le connaissement ou la transmission de ce titre représentatif.

On regrettera, en revanche, la précision selon laquelle le destinataire se prévalait du contrat de transport. Un élément volontaire serait-il encore requis, qui relativiserait la représentativité du connaissement. Il est vrai que, en ce qui concerne le destinataire simplement mentionné au connaissement, rien n'établit sa volonté d'être partie au contrat, tant qu'il ne s'est pas prévalu du connaissement. Il en va différemment de celui qui, succédant au destinataire initial, accepte le connaissement qui lui est transmis, donnant ainsi son accord à son intégration dans le contrat.

Le transporteur aérien est-il tenu de prendre le passager en charge lorsque l'exécution de cette obligation est, par son ampleur, pratiquement irréalisable ? C'est à cette question que répond l'arrêt de la CJUE rendu le 31 janvier 2013, s'inscrivant dans l'interprétation consumériste la plus absolue de la réglementation européenne.

Le Règlement n° 261/2004 du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d'indemnisation et d'assistance des passagers en cas de refus d'embarquement et d'annulation ou de retard important d'un vol (N° Lexbase : L0330DYU), a pour objectif, clairement établi et maintes fois répété, la protection des passagers aériens. Dans cette perspective, ce texte accorde différents droits aux passagers, dont celui à une "prise en charge", comprenant notamment hébergement et restauration, en cas d'annulation d'un vol. En l'espèce, cette obligation du transporteur aérien était confrontée à l'annulation massive des vols suite à l'éruption d'un volcan islandais devenu célèbre. La compagnie Ryanair n'avait pas assumé son obligation à l'égard d'un passager dont le vol avait été annulé, en raison de la fermeture des espaces aériens, suite à l'éruption. Le passager, qui était resté bloqué près d'une semaine sur son lieu de départ, assignait la compagnie en remboursement des sommes qu'il avait dû engager à la suite de son immobilisation, et qui représentaient près de dix fois le prix du billet.

A la demande du transporteur, la juridiction posait alors une question préjudicielle à la Cour de justice, sur le point de savoir si l'obligation de prise en charge restait exigible alors que des circonstances "éminemment extraordinaires" avaient entraîné l'annulation du vol. Il semblait nécessaire de rajouter ce qualificatif, des circonstances simplement extraordinaires ne suffisant pas, en effet, à dispenser le transporteur de son obligation, conformément à la lettre du texte.

Peut-être maladroitement posée, ou habilement interprétée par la Cour de justice, la question ne pouvait susciter qu'une réponse négative. En effet, le passager ressent le même besoin de prise en charge quelle que soit la cause de l'annulation de son vol. Le Règlement, qui n'exonère pas le transporteur en cas de "circonstances extraordinaires", n'évoque pas la notion de circonstances particulièrement extraordinaires. Du reste, les premières, qui comprennent tous les incidents hors de la maîtrise du transporteur, ne laissent guère d'événement hors de leur champ d'application. C'est ce que rappelle la Cour en rejetant la question et en maintenant, par conséquent, l'obligation et la responsabilité du transporteur.

On peut alors déplorer que la question de la possibilité même d'exécuter une telle obligation n'ait pas été plus clairement posée à la Cour. En effet, alors que la fermeture des espaces aériens avait immobilisé environ 10 millions de passagers, dont 1,4 million pour la seule compagnie en cause, la question se posait clairement de savoir si les circonstances ne devaient pas dispenser le transporteur, non en ce qu'elles affectaient la réalisation des vols, mais au regard de la possibilité même d'exécuter l'obligation. Comment en effet les transporteurs auraient-ils pu prendre en charge tous les passagers touchés par un tel événement ? Et, ne pouvant tous les assister, pouvaient-ils ne le faire que pour certains d'entre eux ? Une dispense s'imposait alors, devant l'impossibilité manifeste d'exécuter l'obligation.

Pour autant, si une réponse plus précise eût alors pu être donnée, il n'est nullement acquis que la Cour aurait adopté cette solution favorable au transporteur. Dans le présent arrêt, la Cour estime déjà que l'objectif de protection des passagers justifie des "conséquences économiques négatives, mêmes considérables" pour les transporteurs.

  • Qualification de contrat de transport : la perspective d'un revirement de jurisprudence (Cass. com., 11 décembre 2012, n° 11-18528, F-D N° Lexbase : A1072IZQ)

La question de la qualification du contrat de transport est récurrente, en raison des intérêts pratiques attachés à l'opération, comme de l'absence de réponse satisfaisante de la jurisprudence. En particulier, la Cour de cassation a longtemps laissé entendre que cette qualification supposait que le déplacement constitue non seulement l'obligation principale du contrat, mais, au-delà, la prestation unique, à défaut de quoi le contrat se devait d'être qualifié de contrat d'entreprise.

Cet arrêt de la Cour de cassation affirme enfin clairement que le contrat de transport s'accommode d'une pluralité de prestations, dès lors que les obligations autres que le déplacement sont accessoires à celui-ci. En l'espèce, il s'agissait d'un contrat portant sur la collecte et le transport d'échantillons d'analyse. L'arrêt est d'autant plus significatif qu'auparavant, la même juridiction avait rejeté la qualification de contrat de transport à l'égard d'une convention semblable (Cass. com., 3 mai 2011, n° 10-11.255 , F-D N° Lexbase : A7761HIB ; cf. nos obs. in Chronique trimestrielle de droit des transports - Juin 2011 (3ème commentaire), Lexbase Hebdo n° 255 du 16 juin 2011 - édition affaires N° Lexbase : N4337BSG).

  • Transport aérien de voyageurs : quid de la force majeure ? (Cass. civ. 1, 13 mars 2013, n° 09-72.962, FS-P+B+I N° Lexbase : A6912I9U)

On ne peut manquer de signaler ce très important arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation, qui recevra un commentaire plus étoffé dans une prochaine édition. En l'espèce, il s'agissait de l'affrètement d'un aéronef destiné à emmener des voyageurs assister à une manifestation sportive en Europe. L'aéronef ne s'étant pas présenté au départ et le voyage ayant été annulé, l'organisateur a assigné le fréteur en réparation, sur le fondement de l'article 19 de la Convention de Montréal du 28 mai 1999, relative à la responsabilité du transporteur aérien. Le texte pose le principe de la responsabilité du transporteur en cas de retard. L'arrêt, qui mérite d'être précisé en raison de diverses confusions quant aux textes concernés, se prononce sur les causes d'exonération de responsabilité du transporteur aérien.

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