La lettre juridique n°773 du 21 février 2019 : Droit pénal du travail

[Panorama] Panorama de droit pénal du travail (août 2018 - janvier 2019)

Lecture: 30 min

N7642BXC

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Panorama] Panorama de droit pénal du travail (août 2018 - janvier 2019). Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/50004854-panorama-panorama-de-droit-penal-du-travail-aout-2018-janvier-2019
Copier

par Emmanuel Gouesse, avocat, avec le cabinet PBA - Pech de Laclause, Bathmanabane & associés

le 05 Avril 2019

Principale évolution législative du semestre écoulé, la loi «pour la liberté de choisir son avenir professionnel» a été adoptée et publiée au Journal officiel le 6 septembre 2018 (N° Lexbase : L9567LLW). Plusieurs dispositions du Code du travail sont modifiées touchant au détachement de salariés, simplifiant pour partie le régime -les décrets d’applications sont cependant encore attendus- tout en aggravant la répression -un nouveau cas de délit de travail dissimulé par dissimulation d’activité a ainsi été inséré, sanctionnant expressément la fraude à l’établissement-. Sans surprise le sujet occupe une place importante de la jurisprudence rendue en matière de droit pénal du travail.

 


 

Sommaire

I - Procédure

Visite domiciliaire : CA Grenoble, 28 août 2018, n° 17/01630

Saisies : Cass. crim., 24 octobre 2018, n° 17-86.199, F-P+B (N° Lexbase : A5513YIZ)

Preuve : Cass. crim., 30 octobre 2018, n° 17-87.520, FS-P+B (N° Lexbase : A0149YKQ)

II - Imputabilité

Délégations de pouvoirs : Cass. crim., 22 août 2018, n° 17-83.966, F-D (N° Lexbase : A0243X3E)

Délégations de pouvoirs (preuve) : Cass. crim., 13 novembre 2018, n° 17-87.566, F-D (N° Lexbase : A7887YLP)

Personne morale : Cass. crim., 8 janvier 2019, n° 17-87.246, FS-D (N° Lexbase : A9706YSB) et n° 17-86.430, F-D (N° Lexbase : A9785YS9)

Personne morale (délégations de pouvoirs) : Cass. crim., 4 septembre 2018, n° 18-80.942, F-D (N° Lexbase : A5519YE7)

III - Hygiène et sécurité

Accident du travail (complicité) : Cass. crim., 27 novembre 2018, n° 17-82.773, F-D (N° Lexbase : A9258YN9)

IV- Harcèlement

Harcèlement moral (responsabilité civile) : Cass. crim., 13 novembre 2018, n° 17-81.398, FS-P+B (N° Lexbase : A7907YLG)

V - Travail illégal

Salarié étranger soumis à autorisation de travail : Cass. crim., 8 août 2018, n° 17-84.920, F-P+B (N° Lexbase : A8517XZH)

Détachement : Cass. crim., 8 janvier 2019, n° 17-82.553, FS-D (N° Lexbase : A9698YSY) ; Cass. crim., 18 septembre 2018, n° 13-88.631, FS-P+B (N° Lexbase : A6578X7R), n° 13-88.632 (N° Lexbase : A6600X7L), n°15-80.735 (N° Lexbase : A6616X78) et n°15-81.316, FS-P+B (N° Lexbase : A6475X7X)

VI - Entraves

Obstacle à l’Inspection du travail : Cass. crim., 4 septembre 2018, n° 17-80.908, F-D (N° Lexbase : A7183X3G)

Entrave au Comité d’entreprise : Cass. crim., 30 octobre 2018, n° 17-87.260, FS-D (N° Lexbase : A0151YKS)

VII - Conformité

Lanceur d’alerte : Cass. crim., 17 octobre 2018, n° 17-80.485, F-D (N° Lexbase : A9859YGA)

 


 

I - Procédure

 

Visite domiciliaire - Recours effectif - CA Grenoble, 28 août 2018, n° 17/01630

 

Par un arrêt du 28 aout 2018, la cour d’appel de Grenoble se rattache au droit européen, et plus spécifiquement au contrôle juridictionnel effectif (v. en ce sens CEDH, 21 février 2008, Req. 18497/03, R. et autres c/ France N° Lexbase : A9979D4D), pour annuler des visites domiciliaires et saisies effectuées le 30 mai 2012 dans les locaux d’une entreprise de transport. Par ordonnance prise sur le fondement de l’article L. 8271-13 du Code du travail (N° Lexbase : L3452IMS), l’inspection du travail et la police judiciaire avaient été habilitées à rechercher et constater des infractions au titre du travail illégal en lien avec des prestataires européens.

 

Particularité de cet article, il a été censuré près de deux ans après ces opérations par le Conseil constitutionnel, le 4 avril 2014 (Cons. const., décision n° 2014-387 QPC, du 4 avril 2014 N° Lexbase : A4069MIK). Le Conseil a reporté les effets de son abrogation au 1er janvier 2015 et précisé «que les poursuites engagées à la suite d’opérations de visite domiciliaire, de perquisition ou de saisie mises en œuvre avant cette date en application des dispositions déclarées contraires à la Constitution ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité». La Chambre criminelle ne déroge pas aux recommandations précitées, en ne contestant pas la régularité des mesures prises avant 2015 sur le fondement de l’article désormais abrogé (Cass. crim., 28 janvier 2014, n° 13-83.217, FS-P+B+I N° Lexbase : A4147MDX).

 

Face au refus des juges du droit de se fonder sur cette inconstitutionnalité, les prévenus ont soulevé la nullité de ces opérations en avançant l’inconventionnalité de cet article, au regard des exigences des articles 6 (N° Lexbase : L7558AIR) et 8 (N° Lexbase : L4798AQR) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme. Ils dénoncent notamment l’absence de recours effectif ; la cour d’appel fait droit à cet argument après avoir constaté que le contrôle était incertain car conditionné à la mise en œuvre de poursuites de la part du ministère public, effectuées trois ans plus tard, ce qui ne permettait pas de pallier les irrégularités. Quant à l’atteinte au respect du domicile, les prévenus avançaient que la seule autorisation judiciaire des opérations réalisées ne peut suffire à assurer un contrôle effectif de leur déroulement, rappelant au passage que ministère public n’est pas une autorité judiciaire au sens de la Convention (CEDH, 29 mars 2010, Req. 3394/03, M. et autres c/ France N° Lexbase : A2353EUP ; CEDH, 23 novembre 2010, Req. 37104/06, M. c/ France N° Lexbase : A7244GKI et Cass. crim., 15 décembre 2010, n° 10-83.674, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A1815GNK). La cour d’appel les suit en se fondant sur l’absence d’un contrôle concret effectué par un magistrat indépendant et constate la violation de l’article 8 de la Convention.

 

En conséquence, la cour d'appel annule les visites domiciliaires et saisies réalisées en 2012 ainsi que la procédure subséquente, et relaxe les prévenus à défaut de pouvoir caractériser un quelconque «lien de subordination juridique».

 

Un pourvoi a été formé par le Parquet général de la cour d’appel de Grenoble à l’encontre de cet arrêt.

En l’état de la jurisprudence hostile de la Chambre criminelle, la solution n’en est que plus attendue.

 

Saisies - Contestations - Cass. crim., 24 octobre 2018, n° 17-86.199, F-P+B (N° Lexbase : A5513YIZ)

 

Nemo ex delicto consequatur emolumentum [1]. Pour que le délit ne puisse profiter à celui qui en serait l’auteur, la loi du 9 juillet 2010 (N° Lexbase : L7041IMQ) a instauré un nouveau régime juridique des saisies pénales en vue de garantir la peine de confiscation. L’arrêt du 24 octobre 2018 est la parfaite illustration du recours de plus en plus courant à ces mesures tant en droit pénal des affaires qu’en droit pénal du travail. Les délits de travail dissimulé, de marchandage et de prêt illicite de main d’œuvre en particulier peuvent tomber sous le coup de ces mesures conservatoires, avant de relever d’une éventuelle peine de confiscation (Cass. crim., 13 novembre 2018, n° 18-80.027, F-D N° Lexbase : A7902YLA).

 

Protéiformes, les saisies conservatoires peuvent se faire, en nature ou en valeur, en matière mobilière ou immobilière, sur des biens corporels ou incorporels, avec ou sans dépossession, avec une affectation possible, à titre gratuit, aux services d’enquête, sans que la Cour de cassation n’y voie une atteinte disproportionnée au droit de propriété (Cass. crim., 12 septembre 2018, n° 18-81.110, F-D N° Lexbase : A5547YE8). Si les enjeux sont importants a fortiori dans le cadre d’investigations qui peuvent durer plusieurs années, les moyens de contestation sont limités avec un droit d’accès au dossier restreint (Cass. crim., 25 février 2015, n° 14-86.447, FS-P+B+I N° Lexbase : A5129NCX) et des pouvoirs de la chambre de l’instruction qui le sont tout autant (Cass. crim., 5 décembre 2018, n° 18-80.059, F-P+B N° Lexbase : A0093YNR).

 

Aux termes de cet arrêt du 24 octobre 2018 publié au Bulletin rendu dans une affaire de fausse sous-traitance réalisée avec une société roumaine, la Cour de cassation a entendu rendre les droits de la défense plus effectifs en veillant, au visa de l’article 706-154 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9507IYR), à ce que «les seules pièces de la procédure se rapportant à la saisie qu’il conteste» devant la chambre de l’instruction comprennent non seulement l’ordonnance d’autorisation de saisie pénale du juge des libertés et de la détention mais encore la requête du procureur de la République le saisissant à cette fin. Ces pièces doivent être mises à la disposition de l’appelant et de son avocat sans qu’ils aient à en formuler la demande.

 

L’intérêt d’un tel recours est à rechercher dans les 300 000 euros saisis sur les comptes bancaires des sociétés poursuivies des chefs de prêt illicite de main d'œuvre, marchandage, exercice illégal de la profession de transporteur routier sans inscription au registre des transporteurs, travail dissimulé, infraction à la réglementation des conditions de travail dans les transports routiers, recours aux services d'une personne exerçant un travail dissimulé et recel de choses.

 

Toujours limité, le droit d’accès au dossier gagne du terrain même si le secret de l’enquête et de l’instruction garde le pas sur les droits de la personne concernée par la saisie. Les dispositions supérieures ressortant du droit au procès équitable (CESDH, art. 6) et de la Directive 2012/13/UE relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales (N° Lexbase : L3181ITY) n’y sauraient rien changer. Le moyen pris sur ces fondements est rejeté, à l’instar de la demande d’accès à l’entier dossier au stade de la garde à vue (Cass. crim., 31 janvier 2017, n° 16-84.615, F-D N° Lexbase : A4280TB7).

 

A noter que dans le cadre de poursuites où plusieurs sociétés sont mises en causes, comme en l’espèce, la Cour de cassation a précisé, le même jour, dans un arrêt publié au Bulletin (Cass. crim., 24 octobre 2018, n° 18-80.834, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A5490YI8), que «lorsque plusieurs auteurs ou complices ont participé à un ensemble de faits, soit à la totalité, soit à une partie de ceux-ci, chacun d’eux encourt la confiscation du produit de la seule ou des seules infractions qui lui sont reprochées» ce qui conduit à «rechercher, dans l’hypothèse où il serait apparu que l’intéressé n’aurait pas bénéficié du produit de l’infraction, si l’atteinte portée par la saisie au droit de propriété de l’intéressé était proportionné s’agissant de la partie du produit de l’infraction dont il n’aurait pas tiré profit» (voir déjà en ce sens, s’agissant d’une peine de confiscation : Cass. crim., 27 juin 2018, n° 16-87.009, FP-P+B N° Lexbase : A5508XXB).

 

Preuve - Domaine dévolu aux constats de l’inspection du travail - Cass. crim., 30 octobre 2018, n° 17-87.520, FS-P+B (N° Lexbase : A0149YKQ)

 

La publication au Bulletin de l’arrêt du 30 octobre 2018 conduit à en avoir une lecture attentive. Il porte toute l’exigence de la matière puisqu’en droit pénal du travail la défense est souvent contrainte par la force probante des constatations matérielles de l’inspection du travail. Selon l’expression consacrée, dérogatoire au droit commun (C. pr. pén., art. 430 N° Lexbase : L3253DGL), les procès-verbaux de l’inspection du travail «font foi jusqu’à preuve du contraire» (C. trav., art. L. 8113-7 N° Lexbase : L5737K7M, L. 8112-1 N° Lexbase : L7484K93 et L. 8112-2 N° Lexbase : L5734K7I). Cette règle est de principe en matière contraventionnelle et s’applique avec une particulière vigueur puisque la preuve contraire ne peut être rapportée que par écrit ou par témoin (C. pr. pén., art. 537 N° Lexbase : L8172G7S).

 

Ce n’est pas moins de 992 contraventions à la législation sur le travail de nuit que l’inspection du travail avait au cas présent relevé à l’encontre d’une enseigne de la distribution agroalimentaire (C. trav., R. 3124-15 N° Lexbase : L3131LBL). Sans égard aux contentieux périphériques qui se nourrissent souvent de la procédure pénale, les enjeux étaient considérables pour la société puisqu’en matière contraventionnelle les peines se cumulent, de sorte que l’amende encourue affichait plus de six chiffres.

 

A la suite de pourvois formés par des salariés et une organisation syndicale, la relaxe acquise en appel -là où le tribunal de police était entré en voie de condamnation- a été remise en cause par la Cour de cassation en visant «les articles L. 8113-7 du Code du travail, dans sa version en vigueur au moment des faits, 537 et 593 du Code de procédure pénale» : devant «des lacunes, des imprécisions et des contradictions» du procès-verbal de l’inspection du travail, les juges d’appel avaient entendu en relativiser la force probante pour neutraliser la répression. C’était toutefois omettre que l’intime conviction du juge est liée par les constatations de l’inspection du travail, y compris par celles se fondant sur les documents remis ultérieurement par l’employeur.

 

C’est sur ce dernier point que se concentre le principal apport de l’arrêt puisque la Cour de cassation considère que «la valeur probante des constatations de l’inspecteur du travail s’étend à celles qui résulteraient des documents fournis par l’employeur». Un listing de pointage remis par l’employeur à la demande de l’inspection du travail permet à celle-ci de constater objectivement la présence de salariés dans l’établissement au-delà de 21 heures, ce que la cour d’appel ne pouvait écarter.

 

Il doit être rappelé qu’ainsi contraint de participer à sa propre incrimination, l’employeur ne peut résister aux demandes de communication de l’inspection du travail. Refuser serait en effet constitutif d’une infraction (C. trav., art. L. 8114-1 N° Lexbase : L5741K7R) ; s’y soumettre assoie la preuve d’une infraction d’autant plus facilement acquise lorsque l’étendue de la force probante attachée aux constations de l’inspection du travail est ainsi consacrée par la Cour de cassation.

 

II - Imputabilité

 

Délégations de pouvoirs - Pas de délégation de pouvoirs possible en cas d’interdiction de gérer - Cass. crim., 22 août 2018, n° 17-83.966, F-D (N° Lexbase : A0243X3E)

 

Problématique incontournable du droit pénal du travail (comme des affaires), les délégations de pouvoirs sont au cœur de la défense des personnes physiques pour s’exonérer de leur responsabilité pénale. Cet arrêt en est une nouvelle illustration avec une position des prévenus qui -quoique originale- n’est pas nouvelle (voir déjà en ce sens, Cass. crim., 13 juin 2012, n° 11-85.280, F-D N° Lexbase : A8150IQW).

 

Complémentaires à la vie, au travail comme au prétoire, une épouse poursuivie aux côtés de son époux pour travail dissimulé entendait se prévaloir de l’existence d’une délégation de pouvoirs au profit de ce dernier, définitivement condamné par la cour d’appel. Frappé d’une interdiction de gérer, l’époux dirigeait de fait ce qu’il ne pouvait exercer en droit. De cette qualité, l’épouse inférait l’existence d’une délégation de pouvoirs «tacite».

 

Outre qu’une délégation de pouvoirs doit être expresse -fût-elle orale- pour ressortir d’un accord de volonté, elle doit répondre à la triple exigence «de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires» (Cass. crim., 11 mars 1993, quatre arrêts, n° 92-80.773 N° Lexbase : A1552ATN, n° 91-80.958 N° Lexbase : A1524ATM, n° 91-83.655 N° Lexbase : A1523ATL, n° 90 -84.931 N° Lexbase : A3494ACE) dont doit nécessairement disposer le délégataire dans l’exercice de sa mission, à charge pour le délégant d’en justifier, a fortiori en l’absence de formalisation par écrit (voir dernièrement, sur la charge de la preuve : Cass. crim., 27 juin 2018, n° 17-81.918, F-D N° Lexbase : A5827XUD).

 

C’est toutefois sans compter la déchéance résultant de l’interdiction de gérer au terme de laquelle l’époux «ne peut, ni statutairement ni par délégation de pouvoirs, accomplir des actes de gestion d’une société». Ce rappel de la Cour de cassation pointant l’échec fait aux conditions de validité de ladite délégation s’imposait ; il rendait inutile le raisonnement suivi par la cour d’appel, selon lequel «une telle délégation ne peut être faite qu’au profit d’un salarié de la société», s’appuyant ainsi sur le critère de l’autorité du délégataire prétendu -lequel dans l’hypothèse d’un dirigeant de fait pouvait ne pas être le plus pertinent-. Le bon sens précède l’évidence, d’autant qu’il en va de l’économie même de la délégation de pouvoirs.

 

Délégations de pouvoirs - Preuve d’une délégation de pouvoirs - Cass. crim., 13 novembre 2018, n° 17-87.566, F-D (N° Lexbase : A7887YLP)

 

Le droit pénal du travail concentre la responsabilité pénale sur la tête du chef d’entreprise. La position est traditionnelle selon laquelle en particulier, «il appartient au chef d'entreprise de veiller personnellement à la stricte et constante application des dispositions édictées par le Code du travail en vue d'assurer l'hygiène et la sécurité des travailleurs» (Cass. crim., 17 février 1897, D. 1900, jur., n° 1240, note Pic).

 

L’article L. 4741-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5704K7E) est le siège des obligations particulières de sécurité ou de prudence applicables au chef d’entreprise en matière d’hygiène et de sécurité au travail. Pénalement sanctionnées, ces obligations fondent aussi la matérialité des infractions de blessures ou homicides involontaires lorsqu’un accident du travail se réalise, conformément à l’article 121-3, alinéa 4, du Code pénal (N° Lexbase : L2053AMY). En pareille hypothèse, ainsi que l’illustre l’arrêt du 13 novembre 2018, il est particulièrement difficile pour le chef d’entreprise de se départir de sa responsabilité pénale personnelle, sauf à se prévaloir de l’existence d’une délégation de pouvoirs dont il faut alors démonter l’existence.

 

Après avoir été condamné devant le tribunal correctionnel, celui-ci a entendu en faire état devant la cour d’appel, ce que les juges du fond ne manqueront pas de relever en soulignant la tardiveté de ce moyen de défense. S’il n’en était pas moins recevable, l’argument était fragilisé pour n’avoir jamais été évoqué ni durant l’enquête ni dans le cadre des premiers débats devant le tribunal. La force de l’argument ne dépend donc pas uniquement de sa pertinence mais aussi du moment où il sera soulevé pour servir au mieux la défense.

 

Seconde difficulté, arguant d’une exonération de sa responsabilité, la charge de la preuve incombe au prévenu de sorte qu’en l’absence de formalisation écrite de la délégation de pouvoirs au profit de deux salariés qu’il visait, la tâche n’en sera que plus ardue (voir dernièrement, sur la charge de la preuve : Cass. crim., 27 juin 2018, n° 17-81.918, précité). Les juges du fond ont en réponse notamment relevé que si ces derniers pouvaient disposer de la compétence nécessaire au vu de leur qualification, le chef d’entreprise ne justifiait ni des moyens ni de l’autorité conférés dans l’exercice des pouvoirs prétendument délégués. La preuve doit être complète. Les juges du fond avaient donc écarté l’existence d’une délégation de pouvoirs et sont approuvés par la Cour de cassation. La mise en place de délégation de pouvoirs écrite demeure ainsi le moyen le plus efficace de déterminer -avant toute crise- les responsabilités individuelles.

 

Personne morale - Identification du représentant - Cass. crim., 8 janvier 2019, n° 17-87.246, FS-D (N° Lexbase : A9706YSB) et n° 17-86.430, F-D (N° Lexbase : A9785YS9)

 

Deux arrêts rendus le mêmes jour ont eu le mérite de rappeler qu’il ne faut pas confondre le «représentant légal» au sens de l’article 706-43 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L4117AZI) avec l’«organe ou le représentant» au sens de l’article 121-2 du Code pénal (N° Lexbase : L3167HPY ; voir déjà en ce sens, Cass. crim., 17 octobre 2017, n° 16-87.249 N° Lexbase : A4460WW4).

 

Les responsabilités pénales de la personne morale et de la personne physique étant cumulatives, ces dernières peuvent être poursuivies ensemble devant le tribunal correctionnel sans qu’une identité entre celui qui représente la personne morale à l’instant du procès et celui par le truchement duquel sa responsabilité est engagée ne soit exigée.

 

Le temps du procès pénal (et notamment la phase d’enquête) étant particulièrement long, il est fréquent que celui qui représentait la société au moment des faits reprochés ne sera plus celui qui la représentera devant les juridictions pénales. Dans ces conditions, il importe peu que l’actuel dirigeant de la société soit relaxé des infractions également reprochées à la société au motif qu’il n’était pas son représentant au moment des faits dès lors que ceux-ci ont été commis pour le compte de cette dernière, sous l’autorité du dirigeant de l’époque, par le responsable atelier coordination sécurité (ce dernier ayant signé pour la société un bon de commande, décision rendue sur un sujet de détachement -sur ce premier arrêt, voir également infra).

 

Par hypothèse encore, dans le cadre d’une délégation de pouvoirs -a fortiori si elle ressort des débats-, celui qui représentera la société devant le tribunal conformément à l’article 706-43 du Code de procédure pénale ne sera pas celui par le truchement duquel sa responsabilité pénale sera engagée conformément à l’article 121-2 du Code pénal. Aussi, saisi d’une infraction non-intentionnelle, il incombe au juge d’identifier la personne physique, délégataire de la responsabilité de l’employeur, dont la faute est imputable à la personne morale. Il importe peu que la poursuite contre la personne morale vise un autre représentant que celui qui a engagé sa responsabilité pénale, cette mention ne délimitant pas sa saisine (deuxième arrêt, rendu dans un cas d’accident du travail : le délégant fut relaxé mais la faute du délégataire emporte responsabilité de la personne morale).

 

Personne morale - Délégations de pouvoirs - Cass. crim., 4 septembre 2018, n° 18-80.942, F-D (N° Lexbase : A5519YE7)

 

Aux termes d’une question audacieuse dont la solution était pressentie, l’auteur d’un pourvoi a interrogé la Cour de cassation par voie de question prioritaire de constitutionnalité en ces termes : «Les dispositions des articles L. 4741-1 du Code du travail et 121-2 du Code pénal ne sont-elles pas contraires au principe d'égalité devant la loi résultant de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, en ce qu'elles rendent l'employeur pénalement responsable, lorsqu'il s'agit d'une personne morale, des infractions à la sécurité des travailleurs commises par un préposé titulaire d'une délégation de pouvoirs en matière de sécurité et, comme tel, investi de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires pour veiller efficacement au respect des dispositions en vigueur, cependant que l'existence d'une telle délégation de pouvoirs, lorsque l'employeur est une personne physique, a pour effet d'exonérer ce dernier de la responsabilité pénale encourue à raison des mêmes infractions ?». 

 

La question met ainsi en exergue que, dans une même situation donnée en matière d’hygiène et de sécurité, une délégation de pouvoirs pourra exonérer la responsabilité pénale de la personne physique mais non celle de la personne morale (voir à titre d’exemple pour un accident du travail, Cass. crim., 8 janvier 2019, n° 17-86.430, cité supra). Cette dernière ne peut déléguer sa responsabilité de sorte que sa responsabilité est de principe dans les conditions posées par les articles précités.

 

Sans surprise en l’état de la jurisprudence du Conseil constitutionnel (voir dernièrement Cons. const., décision n° 2017-695 QPC, du 29 mars 2018 N° Lexbase : A0553XIC) et de la Cour de cassation (Cass. crim., 21 mars 2017, n° 17-90.003, F-P+B N° Lexbase : A7740ULA), les juges du droit rappellent que «la différence de situation entre les personnes physiques et les personnes morales, qui résulte, par la combinaison des textes contestés, de l'impossibilité où celles-ci se trouvent de déléguer leur responsabilité pénale, en ce qu'elle permet d'assurer la répression effective des fautes commises tant par les personnes physiques que par les personnes morales, est en rapport direct avec l'objet des lois qui l'établit». La ratio legis de chacun de ces fondements est encore rappelée pour justifier de cette différence de traitement.

 

Qu’il s’agisse toutefois de l’article 121-2 du Code pénal ou de l’article L. 4741-1 du Code du travail, il importe d’identifier respectivement l’organe ou le représentant (voir dernièrement, Cass. crim., 17 octobre 2017, n° 16-87.249 N° Lexbase : A4460WW4) ou l’employeur ou son délégataire (voir dernièrement, Cass. crim., 23 mai 2018, n° 17-83.315, F-D N° Lexbase : A5351XPU).

 

III - Hygiène et sécurité

 

Accident du travail - Caractérisation de la complicité - Cass. crim., 27 novembre 2018, n° 17-82.773, F-D (N° Lexbase : A9258YN9)

 

Un salarié d’une société intervenant en qualité de sous-traitant sur un chantier a fait une chute mortelle alors qu’il réalisait des travaux en hauteur, à l’aide d’une nacelle de fortune improvisée par la simple fixation d’une caisse à la fourche d’un engin de levage, lui-même situé sur un terrain meuble.

 

Condamné en première instance puis en appel, le maître d’œuvre a formé un pourvoi en cassation afin de contester la qualification du délit de complicité d’homicide involontaire. Il a estimé en substance que la complicité par instruction ne pouvait être retenue à son encontre s’agissant d'une infraction non intentionnelle, faute d’entente préalable et nécessaire entre l’auteur principal de la négligence et lui-même en qualité de complice.

 

La Chambre criminelle rejette ce moyen au motif que le maître d’œuvre dans un contexte où il manifestait une certaine autorité en donnant lui-même des instructions, était à l’origine de l’intervention concernée et avait suggéré dans son organisation l’utilisation des moyens ayant mené à l’accident.

 

Cet arrêt présente le mérite de rappeler que la responsabilité en matière d’accident du travail ne se limite pas à celle de l’employeur ou du maître d’ouvrage sur lesquels portent des obligations particulières de sécurité mais concernent tout intervenant dans le cadre de la responsabilité pénale de droit commun.

 

IV - Harcèlement

 

Harcèlement moral - Responsabilité civile du commettant - Cass. crim., 13 novembre 2018, n° 17-81.398, FS-P+B (N° Lexbase : A7907YLG)

 

Mise en cause en qualité de civilement responsable pour des faits de harcèlement moral, une clinique a saisi la Cour de cassation en contestation de sa condamnation, en vain. La Chambre criminelle rappelle en effet le principe selon lequel la commission d’une infraction pénale par un salarié est constitutive d’une faute civile susceptible d’engager la responsabilité de la personne morale, sauf à pouvoir renverser la présomption de responsabilité civile du préposé du fait de son commettant prévue par l’article 1384, alinéa 5 du Code civil (devenu article 1242 alinéa 5 N° Lexbase : L0948KZ7), en rapportant la preuve d’un abus de fonction de ce dernier. La Haute juridiction souligne en complément que la faute pénale du préposé, génératrice de la responsabilité civile de la personne morale, ne peut plus être contestée par le commettant quand une décision définitive est intervenue -en l’occurrence du fait de la déchéance du pourvoi du responsable des ressources humaines de la clinique qui était également mis en cause-.

 

Autrement dit, si la clinique disposait de la possibilité d’invoquer une clause d’exonération de sa responsabilité en établissant que son responsable des ressources humaines s’était placé en dehors de ses fonctions, elle n’était en revanche plus en mesure de contester l’existence de la faute pénale commise par ce dernier, une fois qu’il a été définitivement condamné.

 

On relèvera que le directeur de la clinique, également poursuivi, contestait sa condamnation en faisant valoir que le délit de harcèlement moral ne devait pas être confondu avec l’exercice, même autoritaire, du pouvoir hiérarchique : la Cour de cassation n’a pas été sensible à cette argumentation du directeur général, en renvoyant à l’appréciation souveraine des juges du fond.

 

V - Travail illégal

 

Salarié étranger soumis à autorisation de travail - Elément intentionnel - Cass. crim., 8 août 2018, n° 17-84.920, F-P+B (N° Lexbase : A8517XZH) et Cass. crim., 30 octobre 2018, n° 17-84.724, F-D (N° Lexbase : A0163YKA)

 

Les différents délits participant à la répression du travail illégal ne devraient pas faire abstraction d’une démonstration de l’élément intentionnel, en application de l’article 121-3, alinéa 1, du Code pénal. Toutefois, il a depuis longtemps été constaté par certains auteurs qu’en la matière «l’intention se réduit à peu de chose : ne pas vérifier. Autant dire qu'elle se résume à une imprudence, alors que l'on aurait dû faire» (B. Bouloc, Revue de Sciences Criminelles, 1998, p.535). L’intention coupable se déduit de l’irrespect de normes de contrôle et de vérification que l’employeur est censé connaître.

 

Le délit d’emploi d’étrangers non autorisés à travailler, prévu par l’article L. 8256-2 du Code de travail (N° Lexbase : L9230K4M) ne fait pas exception. Par un arrêt du 8 août 2018, la Cour de cassation rappelle que l’employeur s’abstenant de vérifier si le travailleur étranger qu’il envisageait de recruter était autorisé à exercer une activité salariée sur le territoire français, a sciemment commis le délit qui lui est reproché. La cour d’appel a en l’occurrence relevé qu’il s’était abstenu de solliciter la production de l’original de la pièce d’identité qui lui était présentée, outre qu’il s’est abstenu de vérifier la situation dudit salarié. Il doit être rappelé que l’article L. 8256-2, alinéa 4, du Code du travail prévoit en effet une exonération de l’employeur qui, n’ayant pas l’intention de participer à la fraude et sans connaissance de celle-ci, a procédé à une déclaration unique d’embauche mais également à une vérification auprès des administrations compétentes du titre autorisant un étranger à exercer une activité salariée en France.

 

Leçon complémentaire dressée par la Chambre criminelle dans un arrêt du 30 octobre 2018 : il ne suffit pas à cet égard d’évoquer le fait que les salariés concernés auraient été ressortissants de l’Union européenne. Le fait que le salarié se prévale de cette qualité ne dispense en effet pas l’employeur de son obligation de vérifier la nationalité invoquée par le salarié qu’il s’apprête à embaucher, en exigeant la production de l’original du document qui lui est présenté et, s’il s’agit alors d’un étranger soumis à autorisation, de s’assurer de la détention d’un titre approprié, la preuve de l’accomplissement de ces diligences reposant sur l’employeur.

 

Autrement dit, l’employeur s’apprêtant à embaucher un salarié étranger doit vérifier l’original de la pièce d’identité qui lui est présentée afin de s’assurer de la nationalité de celui-ci et, en conséquence doit alors s’assurer -en original- de la détention d’une autorisation de travail dont il vérifiera ensuite la véracité auprès de l’administration territoriale compétente. A défaut, le simple fait d’avoir procédé à une déclaration unique d’embauche si elle permet de s’exonérer d’une poursuite pour travail dissimulé par dissimulation de salariés ne suffit pas à démontrer l’absence d’élément intentionnel permettant la caractérisation du délit d’emploi de salariés étrangers sans autorisation de travail.

 

Détachement - Démonstration des fraudes - Cass. crim., 8 janvier 2019, n° 17-87.246, FS-D (N° Lexbase : A9706YSB) ; Cass. crim., 18 septembre 2018, n° 13-88.631, FS-P+B (N° Lexbase : A6578X7R), n° 13-88.632 (N° Lexbase : A6600X7L), n°15-80.735 (N° Lexbase : A6616X78) et n°15-81.316, FS-P+B (N° Lexbase : A6475X7X) ; Cass. crim., 8 janvier 2019, n° 17-82.553, FS-D (N° Lexbase : A9698YSY)

 

La volonté de réprimer les fraudes au détachement continue à occuper les juridictions pénales, utilisant à cette fin tous les outils du Code du travail réprimant le travail illégal, sans que le caractère international de la prestation et l’application des règles européennes en la matière n’interfèrent, parfois, dans le raisonnement des magistrats. Un arrêt du 8 janvier 2019 (n° 17-47.246) en constitue l’illustration, qui permet de condamner une société ayant eu recours à des salariés d’un prestataire polonais : l’entreprise est condamnée pour prêt illicite de main d’œuvre dès lors qu’existait un faisceau d’indices démontrant la constitution de l’infraction (absence de savoir-faire particulier, absence d’autonomie dans l’exécution des travaux confiés, instructions reçues directement des représentants de la société cliente, absence de chef d’équipe pour les encadrer, utilisation du matériel du client, planification et encadrement de leur travail par ce dernier, fixation des horaires et des jours travaillés, contrôle de conformité du travail et situation de dépendance entre les deux sociétés concernées). L’analyse aurait été identique pour une relation de sous-traitance entre sociétés françaises ; le détachement est ainsi réprimé sans avoir à réfuter l’application du principe de libre prestation de services. Mieux, le caractère international de la prestation n’est invoqué que pour relever le caractère lucratif du prêt de main d’œuvre, le recours à ces salariés étant considéré comme étant voulu afin de ne pas supporter le montant des charges sociales pertinentes.

 

Les infractions de marchandage et de travail dissimulé sont par ailleurs également confirmées à l’encontre de la société prévenue en raison des droits dont les salariés polonais ont été privés (salaires inférieurs à ceux de la société cliente, heures supplémentaires non rémunérées, non application de la convention collective, non-participation aux instances représentatives du personnel ou comité d’entreprise), outre le fait que celle-ci était devenue de fait l’employeur des salariés polonais. Pour la Chambre criminelle, les faits ne procèdent pas de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable : le principe ne bis in idem ne fait pas obstacle à la condamnation de la société prévenue pour chacun de ces trois délits. La solution peut paraître étonnante dès lors que s’agissant à tout le moins du prêt de main d’œuvre d’une part et de la caractérisation de l’employeur de fait des salariés d’autre part, c’est la même situation et le même faisceau d’indices qui permettent de caractériser l’élément matériel de chaque infraction.

 

Un élément important n’apparaît cependant pas dans la motivation soumise à la critique de la Cour de cassation : celle de savoir de si les salariés polonais étaient rattachés à la sécurité sociale de leur pays d’envoi -ce qui paraît probable- et s’ils disposaient à cet égard d’une attestation A1 permettant de le démontrer. Cette attestation (anciennement certificat E101) indique pour chaque travailleur concerné qu’il relève des règles spéciales relatives aux travailleurs détachés jusqu’à une date fixée et détermine ainsi la législation de Sécurité sociale applicable à son détenteur. Est ainsi exclue l’application concurrente de la législation de sécurité sociale de tout autre Etat membre de l’Union européenne. L’attestation A1 ne peut être annulée par les juridictions nationales de l’Etat d’accueil où le salarié accomplit la prestation de son employeur

 

Dans un revirement de jurisprudence notable, la Chambre criminelle a en effet, par quatre décisions du 18 septembre 2018, repris la position de la Cour de justice de l’Union européenne affirmée dans ses décisions «A-ROSA» du 27 avril 2017 et «ALTUN» du 6 février 2018 et admis que de tels certificats ou attestations ne peuvent effectivement être écartés d’autorité par une juridiction nationale, y compris en matière pénale. Ce n’est que sous de strictes conditions de procédure et de fond qu’une fraude peut être caractérisée et de tels certificats perdre leur force probante. Cette obligation n’est pas sans conséquence en matière de requalification -et donc de travail dissimulé par dissimulation de salariés- la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation ayant ainsi par un arrêt du 20 décembre 2018 (n° 17-21.706) et malgré une condamnation pénale antérieure, censuré un arrêt ayant validé un redressement mené par l’URSSAF pour dissimulation d’emplois salariés, motif pris que les salariés détachés étaient dans un lien de subordination à l’égard de la société française pour le compte de laquelle ils intervenaient, alors que ceux-ci bénéficiaient d’attestations A1 non retirées par leur institution d’origine.

 

Au centre du raisonnement devant s’imposer en matière de détachements, aux fins notamment d’éviter une double imposition de charges sociales des salariés détachés ainsi que de permettre à ceux-ci de bénéficier d’un régime cohérent en matière de sécurité sociale, les formulaires A1 ont pour effet de rappeler la primauté du droit communautaire et modifient ainsi la marge d’appréciation des juridictions pénales. Aussi, la tentation existe de limiter les conséquences découlant des arrêts du 18 septembre 2018, lesquelles sont inexistantes si ces attestations A1 ne sont pas évoquées -ce qui paraît être le cas dans l’arrêt du 8 janvier 2019-. La question est également ouverte de savoir si les juridictions nationales pourraient passer outre dès lors qu’elles limiteraient leur raisonnement répressif au seul droit du travail, sans interférer avec le droit social : la Chambre criminelle a saisi en ce sens par un arrêt du même jour la CJUE d’une question préjudicielle afin de déterminer si lesdites attestations A1 lient «les juridictions de l’Etat membre dans lequel le travail est effectué pour déterminer la législation applicable, non seulement au régime de sécurité sociale, mais aussi au droit du travail, lorsque cette législation définit les obligations des employeurs et les droits des salariés» (Cass. crim., 8 janvier 2019, n° 17-82.553).

 

VI - Entraves

 

Obstacle à l’Inspection du travail - Caractérisation du délit - Cass. crim., 4 septembre 2018, n° 17-80.908, F-D (N° Lexbase : A7183X3G)

 

Si la procédure se pose comme un préalable à l’application des dispositions de droit pénal, il arrive que celles-ci veillent en retour à son bon déroulement. Deux infractions assurent notamment le respect des missions des agents de l’inspection du travail : le délit d’obstacle et la contravention de refus de communication de documents obligatoires respectivement prévus et sanctionnés aux articles L. 8114-1 et R. 8114-2 du Code du travail. Ces infractions viennent souvent en cacher d’autres.

 

En l’occurrence, la résistance d’un gérant aux sollicitations de l’inspection du travail avait manifestement pour objet de dissimuler les infractions de prêt illicite de main d’œuvre, de marchandage et de travail dissimulé - retenus par la suite en première instance comme en cause d’appel par les juges du fond. Un tel comportement a conduit à une condamnation du chef du délit d’obstacle à l’exercice des fonctions d’un inspecteur ou contrôleur du travail.

 

Entérinant la décision des juges du fond, la Cour de cassation a considéré que «le défaut de réponse aux courriers de l’inspection du travail, la stratégie de fuite adoptée par l’un des gérants qui a empêché les fonctionnaires de l’inspection du travail de prendre connaissance des documents obligatoires concernant le personnel, le refus d’explication sur des documents manifestement erronés mais présentés comme probants caractérise le délit obstacle reproché au gérant».

 

La Cour de cassation n’a toutefois pas entendu répondre expressément au moyen du pourvoi soutenant que le comportement décrit relève d’une simple abstention exclusive de la positivité de la matérialité du délit (Cass. crim., 13 mai 1986, n° 85-95.694).

 

L’argument est souvent repris en défense même si la jurisprudence a une acception extensive des termes du délit conduisant moins à rechercher la nature des agissements reprochés que les effets escomptés. Aussi, lorsqu‘un auteur avance que la jurisprudence a pu reconnaître le principe d’une abstention coupable de l’employeur (Cass. crim., 31 janvier 2012, n° 11-85.226, F-P+B N° Lexbase : A8580ICR), c’est aussitôt pour rappeler l’importance de l’élément intentionnel (voir F. Grégoire, directeur adjoint du travail).

 

L’élément intentionnel est discriminant entre le délit d’obstacle et la contravention de refus de communication de documents obligatoires. En se détachant toutefois de l’exigence d’une matérialité positivement démontrée, il est plus difficile d’appréhender l’intentionnalité de l’auteur. Le risque est alors de verser dans la correctionnalisation d’un comportement purement contraventionnel, réprimé alors d’une peine d’un an d’emprisonnement et d’une amende décuplée par l’ordonnance n° 2016-413 du 7 avril 2016 (N° Lexbase : L5257K7T), passant de 3 750 euros à 37 500 euros.

 

C’est au demeurant sur le terrain de la pénalité que le pourvoi a prospéré au visa notamment des articles 132-1 (N° Lexbase : L9834I3M) et 132-20, alinéa 2 (N° Lexbase : L5004K8T), du Code pénal et 485 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9916IQC) conduisant à la cassation de l’arrêt des juges du fond qui ont prononcé des peines d’emprisonnement avec sursis et d’amende sans tenir compte «des circonstances de l’infraction, de la personnalité de son auteur et de sa situation personnelle». Cette motivation fait écho à la dernière évolution de la Chambre criminelle en la matière (Cass. crim., 1er février 2017, 3 arrêts, n° 15-83.984, FP-P+B+I N° Lexbase : A7002TAL, n° 15-85.199 N° Lexbase : A7004TAN et n° 15-84.511 N° Lexbase : A7003TAM).

 

Entrave au Comité d’entreprise - Application de la loi dans le temps - Cass. crim., 30 octobre 2018, n° 17-87.260, FS-D (N° Lexbase : A0151YKS)

 

L’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 (N° Lexbase : L7628LGM) a modifié le fonctionnement des instances représentatives du personnel : à échéance du 1er janvier 2020 au plus tard, un Comité social et économique (CSE) doit remplacer les Comités d’entreprise, CHSCT et délégués du personnel. La modification des textes qui en résulte a été vue comme une opportunité par un directeur d’établissement condamné pour entrave au fonctionnement d’un Comité d’entreprise, motif pris que ladite ordonnance avait abrogé au 1er janvier 2018 l’article L. 2328-1 du Code du travail (N° Lexbase : L2102KGX), lequel constitue le texte d’incrimination. A l’en suivre, l’entrave au fonctionnement du Comité d’entreprise n’entre pas en outre dans les prévisions du nouveau délit d'entrave au fonctionnement du Comité social et économique, incriminé par le nouvel article L. 2317-1 du Code du travail (N° Lexbase : L8434LGH).

 

Son pourvoi est rejeté par la Cour de cassation qui ne contredit pas cette analyse mais justifie la condamnation par le fait que des mesures transitoires ont été prévues, incluant parmi elles l'article L. 2328-1 du Code du travail (N° Lexbase : L2102KGX) : ces dispositions demeurent applicables pendant la durée des mandats en cours, tant que le CSE n'a pas été élu. Cette décision implique à l’inverse que l’abrogation du délit d’entrave à une instance représentative du personnel pourra être pertinemment soulevée pour toute entreprise qui aura mis en place son CSE.

 

VII - Conformité

 

Lanceur d’alerte - Application de la loi dans le temps - Cass. crim., 17 octobre 2018, n° 17-80.485, F-D (N° Lexbase : A9859YGA) ; v. aussi, J.-Y. Maréchal, Lexbase Pénal, novembre 2018 (N° Lexbase : N6365BXZ)

 

La protection qu’offre la loi dite «Sapin II» du 9 décembre 2016 (N° Lexbase : L6482LBP) au lanceur d’alerte peut-elle bénéficier rétroactivement à une inspectrice du travail ?

 

Cette question se pose à la suite de l’arrêt de la Chambre criminelle rendu le 17 octobre 2018 dans l’affaire «Tefal», concernant une inspectrice du travail condamnée en appel du chef de recel de violation du secret professionnel ; celle-ci revendiquait le fait justificatif introduit à l’article 122-9 du Code pénal (N° Lexbase : L7395LBI) au bénéfice des lanceurs d’alerte par la loi «Sapin II».

 

Rappelons que l’inspectrice du travail qui prétendait avoir subi des pressions de sa hiérarchie visant à entraver sa mission de contrôle, avait obtenu la preuve de ces faits au moyen de documents transmis par un tiers avant de les révéler aux organisations syndicales puis à la presse. La cour d’appel de renvoi devra analyser d’une part, si cette personne a révélé ou signalé des faits de manière désintéressée et de bonne foi et d’autre part, s’il s’agit de faits dont elle a eu personnellement connaissance, selon la définition du lanceur d’alerte. Enfin pour bénéficier du régime protecteur afférant, la cour d’appel devra rechercher si la divulgation était nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause et si elle est intervenue dans le respect des procédures graduées de signalement définies par la loi.

 

Si un consensus existe sur l’application de cet article aux faits de l’espèce eu égard au principe de la rétroactivité in mitius de la loi pénale plus douce -ce qu’a jugé la Chambre criminelle- la réflexion de la Cour de renvoi devra être menée au regard du statut général de lanceur d’alerte et de la protection associée, participant ainsi nécessairement à la construction de ce statut protecteur.

 

[1] Nul ne doit tirer profit de son délit

newsid:467642

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus