La lettre juridique n°773 du 21 février 2019 : Public général

[Conclusions] Conditions de communicabilité d’une convention de prêt entre une banque et un parti politique – conclusions du Rapporteur public

Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 13 février 2019, n° 420467, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9109YWB)

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par Anne Iljic, Rapporteur public au Conseil d'Etat

le 20 Février 2019

Dans un arrêt rendu le 13 février 2019, le Conseil d'Etat a dit pour droit qu’une convention de prêt entre une banque et un parti politique est communicable au public sous réserve de l’occultation des mentions relatives aux coordonnées bancaires de ce parti, et à la durée ainsi qu'au taux d'intérêt de ce prêt. Lexbase Hebdo - édition publique vous propose les conclusions anonymisées du Rapporteur public, Anne Iljic.

Contrairement à ce qu’une certaine proximité d’acteurs et d’objet pourrait à première vue laisser penser, y compris d’ailleurs aux parties, le présent litige, qui oppose en cassation l’association Rassemblement national, successeur du Front national, à la société éditrice de Médiapart et à l’une de ses journalistes n’a, en termes juridiques, pas grand-chose à voir avec votre décision d’Assemblée du 27 mars 2015 (CE Ass., 27 mars 2015, n° 382083 N° Lexbase : A6889NEU, p. 128, concl. A Bretonneau). Vous y aviez jugé que  revêtent le caractère de documents administratifs, au sens de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978, portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public et diverses dispositions d'ordre administratif, social et fiscal  (N° Lexbase : L6533AG3), l’ensemble des documents justifiant les écritures figurant dans le compte de campagne d’un candidat à l’élection présidentielle et qui permettent à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) de s’assurer de sa régularité, tout en précisant que de tels documents ne deviennent communicables qu’après l’expiration du délai de recours contre la décision de la CNCCFP rejetant, approuvant ou réformant le compte de campagne ou jusqu’à l’intervention de la décision rendue par le Conseil constitutionnel sur le recours formé, le cas échéant, contre cette décision. Cette réserve d’incommunicabilité temporaire, que vous avez formulée de manière prétorienne et pour tout dire très constructive au regard de la lettre du texte, constitue la manifestation de la gêne que vous aviez éprouvée du fait de l’adhérence du litige avec l’article 6 de la Constitution (N° Lexbase : L1325A9X), qui réserve au législateur organique la détermination des modalités de l’élection du Président de la République au suffrage universel.

 

Rien de tout cela n’est en cause ici, puisque c’est sur la communicabilité d’un document reçu par la CNCCFP dans le cadre d’une autre de ses missions, tenant non pas au contrôle des comptes de campagne en matière électorale mais à celui, annuel, qu’elle exerce sur le financement des partis politiques, que s’est noué le présent litige (article 11-7 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988, relative à la transparence de la vie politique N° Lexbase : L8358AGN).

 

La publication sommaire, par la CNCCFP, des comptes des partis politiques pour l’année 2014 au JO du 31 décembre 2015 a en effet attisé la curiosité de la société éditrice de Médiapart et en particulier de l’une de ses journalistes, Mme X. Y était mentionnée l’importance du recours à l’emprunt dans le financement du Front national et le fait que la Commission avait demandé que lui soit transmis, sur le fondement du dernier alinéa de l’article 11-7 de la loi de 1988, qui lui permet d’obtenir communication de «toutes les pièces comptables et tous les justificatifs nécessaires au bon accomplissement de sa mission de contrôle», le contrat de prêt correspondant, conclu le 11 septembre 2014, et dont elle avait estimé après en avoir pris connaissance qu’il n’appelait pas d’observation.

           

Sans attendre, l’intéressé a demandé communication de ce contrat à la CNCCFP, qui s’y est refusée, par décision du 15 mai 2016, en dépit d’un avis favorable de la CADA intervenu trois jours plus tôt (CADA, n° 20161117 N° Lexbase : X1688AQL), pour des motifs tenant à la protection du secret en matière industrielle et commerciale de l’établissement bancaire prêteur. Saisi par Mme X et par la société éditrice de Médiapart, le tribunal administratif de Paris a pour sa part annulé ce refus de communication et a enjoint à la CNCCFP de communiquer le contrat de prêt demandé, dont il a au passage indiqué qu’il avait été conclu avec la banque russe First Czech Russian Bank, dans le délai d’un mois à compter de la notification de son jugement, sous la seule réserve de l’occultation des coordonnées bancaires de l’association Front National (TA Paris, 7 mars 2018, n° 1610948/5-3 N° Lexbase : A5274YQE).

 

La CNCCFP n’est plus requérante devant vous, seule l’association Front national, entretemps rebaptisée «Rassemblement national», demandant en cassation l’annulation de ce jugement. Son intérêt à former le présent pourvoi, qui n’est d’ailleurs pas contesté, ne fait pas de doute au regard de vos décisions «Syndicat des pharmaciens du Nord» (CE, 3 juillet 2000, n° 196259 N° Lexbase : A2365B7Q, T. p. 1194) et «Harenne» (CE, Sect. 9 janvier 1959, p. 23), dès lors qu’elle était intervenante en défense en première instance et qu’elle aurait été recevable à former tierce opposition contre le jugement attaqué.

 

Les premiers moyens du pourvoi ne vous retiendront pas.

 

Il est soutenu que les premiers juges auraient insuffisamment motivé leur jugement et commis une erreur de droit en écartant la fin de non-recevoir soulevée devant eux, tirée du défaut d’intérêt pour agir de Mme X et de la société éditrice de Médiapart. Mais comme vous le savez, le droit à communication des documents administratifs n’est pas subordonné à la démonstration d’un intérêt ou d’une qualité particulière (CE, 21 juillet 1989, n° 34954 N° Lexbase : A5126ALG, T. p. 687), et c’est ce que le tribunal administratif a rappelé au point 4 de son jugement, par des motifs qui vous mettent à même d’exercer votre contrôle.

 

Il ne peut pas non plus lui être reproché d’avoir méconnu son office en omettant de se faire communiquer le contrat de prêt, la lecture du dossier témoignant de ce qu’une telle mesure d’instruction a en l’espèce bien été ordonnée, sans que la convention soit pour autant versée au contradictoire, comme le permet votre jurisprudence «Banque de France c/ Hüberschwiller» s’agissant des documents dont le refus de communication constitue l’objet même du litige (CE, Section, 23 décembre 1988, n° 95310 N° Lexbase : A7922AP4, p. 464, concl. S. Daël). 

 

Nous pouvons en venir à la première des deux questions qui se trouvent au cœur du litige. Elle porte sur le point de savoir si le contrat de prêt conclu entre le Front National et la First Czech Russian Bank le 11 septembre 2014 revêt bien le caractère d’un document administratif communicable sur le fondement du code des relations entre le public et l’administration (CRPA), comme l’a jugé le tribunal administratif, qui a précisé en outre que l’existence dans ce contrat d’une clause de confidentialité était sans incidence sur la solution retenue.

 

Pour vous prononcer sur ces motifs, critiqués à plusieurs titres en cassation, il faut d’abord vous assurer que les documents afférents à l’exercice par la CNCCFP de sa mission de contrôle du financement des partis politiques ne sont pas soumis pas à un régime de communication spécifique.

 

Dans sa version applicable au litige, l’article 11-7 de la loi du 11 mars 1988, relative à la transparence financière de la vie politique (rédaction issue de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 N° Lexbase : L3622IYS) prévoyait seulement que les partis ou groupements politiques bénéficiaires des articles 8 à 11-4 de la même loi[1] devaient déposer leurs comptes à la CNCCFP, cette dernière étant chargée d’assurer leur publication sommaire au JO. Il n’était donc pas prévu que les contrats de prêts éventuellement souscrits par les intéressés soient transmis d’office à la CNCCFP. Cela explique que cette dernière ait dû faire usage en l’espèce de son droit de communication, prévu par le dernier alinéa de cet article 11-7, pour obtenir le contrat de prêt litigieux.

 

L’article 11-7 de la loi de 1988 a depuis été modifié à deux reprises. C’est surtout la loi n° 2017-286 du 6 mars 2017, tendant à renforcer les obligations comptables des partis politiques et des candidats (N° Lexbase : L1686LDS), qui a apporté des modifications substantielles aux dispositions qui nous intéressent, les partis et groupements concernés devant depuis son entrée en vigueur transmettre d’eux-mêmes à la CNCCFP les «montants et conditions d’octroi des emprunts consentis ou souscrits par eux, l’identité des prêteurs ainsi que les flux financiers avec les candidats tenus d’établir un compte de campagne». Et il est désormais prévu que «lors de la publication des comptes, la commission indique les montants consolidés des emprunts souscrits répartis par catégories de prêteurs, types de prêts et par pays d'établissement ou de résidence des prêteurs, ainsi que l'identité des prêteurs personnes morales et les flux financiers nets avec les candidats». La loi n° 2017-1339 du 15 septembre 2017, pour la confiance dans la vie politique ((N° Lexbase : L7246LGH), n’a que très marginalement modifié ces dispositions. Mérite seulement d’être signalé qu’a été retirée du texte toute référence au pays d’établissement ou de résidence des prêteurs, ce qui doit être lu en cohérence avec la limitation, introduite à l’article 11-4, de la possibilité de consentir des prêts aux partis politiques aux seuls établissements de crédits et sociétés de financement ayant leur siège social dans un Etat de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen, dans le but d’éviter l’ingérence de puissances étrangères dans le financement des partis et groupements politiques [2] et garantir ainsi la souveraineté nationale, mentionnée à l’article 4 de la Constitution (N° Lexbase : L0830AH9) [3]. En pratique, cela signifie que l’association Rassemblement national ne pourrait plus, aujourd’hui, se financer auprès d’une banque russe [4].

 

La définition d’un tel régime de publication spécifique des comptes des partis politiques et, depuis la loi du 6 mars 2017, d’une partie des informations figurant dans les documents annexes à ces comptes, fait-il obstacle à l’application des dispositions du CRPA ? Cette piste nous semble devoir être écartée, car c’est justement celle sur laquelle vous avez refusé de vous engager par votre décision du 8 février 2012 (CE, 8 février 2012, n° 353357 N° Lexbase : A1469ALY, p. 31, concl. J. Boucher), dont il résulte que l’existence d’un régime spécifique de publication des sondages ne fait pas obstacle à ce que la communication des documents en possession de la commission des sondages, sur la base desquels ces sondages ont été publiés et diffusés, soit régie par la loi «CADA».

 

Vous devrez donc constater que la communication des documents afférents à l’exercice de la mission de contrôle du financement des partis politiques confiée à la CNCCFP est bien régie par le Code des relations entre le public et l'administration.

 

Or il est incontestable que le contrat de prêt litigieux a été reçu par la Commission dans l’exercice de cette mission de service public [5], ce qui en fait un document administratif au sens de l’article L. 300-2 de ce code (N° Lexbase : L4910LA4), qui définit comme tels, n’en déplaise à la requérante, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’Etat, les collectivités territoriales, ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d’une telle mission.

 

Vous pourriez être tentés de préciser que les documents reçus par la CNCCFP dans le cadre de sa mission de contrôle du financement des partis politiques revêtent un caractère préparatoire, au sens de l’article L. 311-2 du code (N° Lexbase : L1866KNG), tant qu’elle n’a pas achevé cette mission. Le texte définit comme tels les documents devant servir à la prise d’une décision administrative en cours d’élaboration (voyez par exemple CE, 30 décembre 1998, n° 172761 N° Lexbase : A8672ASY, T. p. 912 ; CE, 15 avril 1991, n° 106543 N° Lexbase : A6524AR3, p. 185 ou encore CE, 9 juillet 2003, n° 243246 N° Lexbase : A2519C98, T. p. 787), afin d’assurer la sérénité de cette prise de décision. Mais nous peinons ici à identifier une véritable décision dans la publication des comptes au JORF prévue par l’article 11-7 de la loi de 1988. Vous pourriez à la rigueur vous raccrocher à celle par laquelle la CNCCFP constate un manquement aux obligations prévues à cet article, mais le terme que vous définiriez serait alors délicat à manier : même si la pratique de la CNCCFP [6] semble être de prendre position sur la conformité des comptes déposés par l’ensemble des partis et groupements politiques dans l’avis qu’elle rend public en même temps que la publication des comptes, le texte ne prévoit pas qu’une décision intervienne systématiquement, et son intervention n’est pas enserrée dans des bornes temporelles définies. Le litige ne vous impose de toute façon pas de trancher ce point, puisqu’il s’est en l’espèce noué postérieurement à la fois à la publication des comptes des partis politiques et à l’avis rendu sur la conformité du dépôt des comptes. Nous vous invitons à le réserver.

 

Reste l’objection, écartée comme inopérante par le tribunal administratif, tirée de ce que l’existence, dans le contrat conclu entre le Front National et la First Czech Russian Bank, d’une clause de confidentialité, ferait échec à l’application de ces dispositions, de même que le fait que les parties aient décidé de soumettre ce contrat à la loi russe.

 

Cette clause (art. 11.4 de la convention de prêt), telle que traduite par les requérants [7], prévoit que : «L’emprunteur et le prêteur garderont confidentielle toute information liée au sujet en question, ainsi que sur les termes et conditions de l’accord et prendront toutes dispositions pour empêcher que de telles informations soient dévoilées à un tiers à l’exception des dispositions prévues à cet effet par les lois de la Fédération de Russie».

 

Il est possible, et même probable, que la rencontre des volontés des parties n’ait en l’espèce été permise que par l’existence de cette clause de confidentialité. Mais cette dernière a pour seul effet de les lier l’une vis-à-vis de l’autre. Elle ne peut emporter de conséquences pour les tiers et surtout pas celle de déroger à la loi. Il serait au demeurant trop facile de faire usage de ce «joker» pour faire échec à l’application des dispositions du Code des relations entre le public et l'administration. 

 

Quant à la circonstance que les parties aient entendu se soumettre à la loi russe, elle nous semble indifférente dès lors que vous n’êtes pas saisis en tant que juge du contrat.

 

A la lumière des explications qui précèdent, vous pourrez écarter les moyens d’erreur de droit, de qualification juridique et de dénaturation soulevés à l’encontre des motifs du jugement ayant qualifié le contrat de prêt en cause de document administratif communicable.

 

Nous en arrivons à la seconde question qui se trouve au cœur du litige, et qui porte sur les mentions devant ou non être occultées au titre de l’atteinte que leur divulgation pourrait porter au secret en matière industrielle et commerciale [8].

 

Le moyen porte sur l’application du 1° de l’article L. 311-6 du Code des relations entre le public et l'administration (N° Lexbase : L5749LLI). Dans sa version applicable au litige -qui n’est effectivement pas celle citée par le tribunal administratif, mais cette erreur de plume peut être neutralisée-, cet article disposait que n’étaient communicables qu’à l’intéressé les documents dont la communication porterait atteinte à ce secret. Les modifications introduites par les lois n° 2016-1321 du 7 octobre 2016, pour une République numérique (N° Lexbase : L4795LAT) et n° 2018-670 du 30 juillet 2018, relative à la protection du secret des affaires (1) (N° Lexbase : L5631LL7), ont précisé qu’il comprenait «le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles » et qu’il devait être apprécié « en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public de l'administration mentionnée au premier alinéa de l'article L. 300-2 est soumise à la concurrence». Dans son dernier état, il ne mentionne plus le secret en matière industrielle et commerciale mais le secret des affaires. La lecture des travaux préparatoires témoigne de ce que ces modifications n’ont fait que préciser l’étendue des informations couvertes par lesdits secrets en s’inspirant de la jurisprudence de la CADA [9], ce qui, bien que celle-ci ne vous lie pas, révèle en tout cas que le législateur n’a pas entendu ajouter à la loi en les adoptant.

 

Relevons à titre d’élément de contexte que l’invocation de ces dispositions par l’association requérante peut paraître surprenante : ce n’est pas de l’atteinte qui pourrait être portée à sa propre stratégie commerciale qu’il s’agit, mais de celle qui pourrait affecter l’établissement prêteur, dont il vous est indiqué en défense, sans que cela ne soit contesté, qu’il se serait vu retirer sa licence en juillet 2016 et qu’il aurait depuis fait faillite. Nous vous redirons un mot de ce point.

 

Il est d’abord soutenu, sans toutefois que le pourvoi s’y arrête vraiment, ni n’articule de moyen contre le jugement sur ce point, que devraient être occultés le nom et la nationalité de l’établissement prêteur. Mais nous ne voyons pas en quoi ces éléments porteraient atteinte au secret en matière industrielle et commerciale de ce dernier, et ces informations figurent de toute façon dans le jugement attaqué, qui mentionne le nom de la banque prêteuse et donc sa nationalité, ce qui prive d’objet toute discussion sur ce point (sur le fait que la publicité donnée à documents prive d’objet le litige relatif au refus de les communiquer, voyez par analogie CE, 9 mars 1983, n° 43501 N° Lexbase : A8459ALU, T. p. 728, jugeant sans objet une demande dirigée contre le refus de communiquer des circulaires publiées au JO).

 

La question des conditions financières du prêt est plus délicate. Le montant des emprunts souscrits par le Front National au titre de l’exercice 2014 ayant été rendu public à l’occasion de la publication sommaire de ses comptes au JO du 31 décembre 2015, le moyen ne porte que sur le taux et la durée du prêt consenti par la banque russe. 

 

Le seul argument mis en avant est tiré de ce que la communication des conditions d’octroi des prêts à la CNCCFP n’a été rendu été obligatoire qu’à compter de l’entrée en vigueur de la loi du 6 mars 2017, postérieure au litige, mais cela ne nous convainc pas dès lors que la Commission pouvait déjà se faire communiquer tout justificatif utile à son contrôle   avant cette date. Pour aller dans le sens de la requérante, vous pourriez en revanche relever que tout en procédant à ces modifications, le législateur n’a pas pour autant prévu que ces conditions d’octroi soient publiées au JO : le texte actuel prévoit seulement que «lors de la publication des comptes, la commission indique les montants consolidés des emprunts souscrits, répartis par catégories de prêteurs et types de prêts, ainsi que l'identité des prêteurs personnes morales […]». Mais vous ne pouvez rien tirer de concluant de ces évolutions postérieures du texte dès lors que vous vous refusez à faire coïncider les contours du droit à communication avec ceux des canaux de publication existant par ailleurs. C’est le sens de la jurisprudence n° 353357 (CE, 8 février 2012, n° 353357 N° Lexbase : A2024ICX, p. 31, concl. J. Boucher) que nous vous rappelions plus tôt.

 

Pour en revenir au cœur du sujet, bien que votre jurisprudence sur la question soit peu fournie, il nous semble que vous appréciez l’existence d’une atteinte au secret en matière industrielle et commerciale justifiant de faire jouer l’exception prévue à l’article L. 311-6 du Code des relations entre le public et l'administration en tenant compte du caractère concurrentiel, ou potentiellement concurrentiel de l’activité exercée (voyez, en matière de contrats administratifs : CE, 30 mars 2016, n° 375529 N° Lexbase : A1696RBG, p. 108, concl. E. Crépey). Cela ne fait pas obstacle à ce que ce secret soit opposé à une demande de communication relative à une entreprise en situation de monopole ou de quasi-monopole, les informations demandées pouvant précisément être utilisées pour remettre en cause cette situation (CE, 21 avril 2017, n° 394606 N° Lexbase : A3022WA8, T. p. 613, concl. E. Crépey).

 

Si l’on se réfère aux composantes du secret en matière industrielle et commerciale désormais reprises par le législateur, que nous vous invitons à vous approprier par anticipation dès lors que ce dernier ne semble avoir entendu apporter que des précisions, sans rien ajouter ou retrancher par rapport à l’état antérieur du droit [10], la question se pose ici de savoir si la divulgation du taux et de la durée d’un emprunt porte atteinte à la stratégie commerciale de la banque qui le consent.

 

Ces paramètres sont sans aucun doute des éléments clés de son offre commerciale, fruit de la négociation menée avec l’emprunteur. Leur divulgation pourrait, peut-être, donner à des banques concurrentes l’idée de faire à celui-ci une offre plus alléchante. Mais révèlent-ils réellement une stratégie commerciale ? Pour le dire autrement, les variables d’une offre de prêt isolée divulguent-t-elles à des tiers des informations suffisantes pour porter à la stratégie, c'est-à-dire à l’orientation d’ensemble des actions d’une entreprise ?

 

C’est une question de curseur, qui donne matière à hésiter. Pour tout dire nous aurions été encline à vous inviter à répondre par la négative si n’était votre jurisprudence en matière de commande publique. Vous avez en effet jugé que doivent être regardés comme communicables, sous réserve des secrets protégés par la loi, l’ensemble des pièces d’un marché public. Et vous avez précisé que dans cette mesure, «si l’acte d’engagement, le prix global de l’offre et les prestations proposées par l’entreprise attributaire sont en principe communicables, le bordereau unitaire de prix de l’entreprise attributaire, en ce qu’il reflète la stratégie commerciale de l’entreprise opérant dans un secteur d’activité, n’est quant à lui, en principe, pas communicable» (CE, 30 mars 2016, n° 375529 N° Lexbase : A1696RBG, p. 108, concl. E. Crépey, précitée). Par cohérence avec ce précédent, nous vous proposons de juger que le taux et la durée d’un emprunt figurant dans un contrat de prêt, qui constituent des paramètres indissociables du coût du crédit consenti par la banque, sont eux aussi, en principe, couverts par le secret en matière industrielle et commerciale mentionné au 1° de l’article L. 311-6 du Code des relations entre le public et l'administration.

 

Sans doute serait-il souhaitable, dans un souci de transparence de la vie politique, que les conditions d’octroi des prêts accordés aux partis et groupements politiques soient rendues publiques au même titre que leurs montants et que l’identité des prêteurs. Mais nous pensons c’est au législateur qu’il reviendrait de modifier la loi du 11 mars 1988 sur ce point.

 

Reste que la société éditrice de Médiapart et Mme X font valoir, et faisaient déjà valoir devant le tribunal administratif sans être contredites, que la First Czech Russian Bank a fait faillite en juillet 2016 et que la gestion de ses créances a été prise en charge par l’Agence d’assurance des dépôts bancaires russes. Or, à la différence des secrets absolus protégés par l’article L. 311-5 du Code des relations entre le public et l'administration (N° Lexbase : L6819LAS), ceux mentionnés à l’article L. 311-6 du même code sont relatifs comme en témoigne le fait qu’ils ne sont opposables qu’aux tiers. Leur seule raison d’être est de protéger des intérêts privés ou particuliers. La disparition de la personne intéressée, au sens de ces dispositions, désactive logiquement la protection dont elle pouvait bénéficier à ce titre, sous réserve, sans doute, de l’hypothèse d’une personne morale dont l’activité serait reprise par une autre société. Ce raisonnement nous paraît a priori pouvoir valoir pour l’ensemble des secrets relatifs protégés par l’article L. 311-6.

 

Votre office de juge de l’excès de pouvoir, qui suppose d’apprécier la légalité des actes attaqués à la date de leur édiction, vous interdit cependant de tenir compte de cette circonstance en l’espèce, dès lors que la disparition de la banque russe est postérieure à la date de la décision de refus de communication de la CNCCFP. Mais rien ne ferait obstacle à ce qu’une nouvelle demande de communication soit formée, dans le cadre de laquelle les demandeurs pourraient utilement se prévaloir de cette circonstance.

 

Par ces motifs nous concluons à l’annulation de l’article 3 du jugement attaqué, à ce qu’il soit enjoint à la CNCCFP de communiquer la convention de prêt conclue le 11 septembre 2014 entre le Front National et la First Czech Russian Bank, sous réserve non seulement de l’occultation des coordonnées bancaires de l’association Front national, mais aussi des mentions relatives au taux et à la durée du prêt, au rejet du surplus des conclusions du pourvoi, à ce que Mme X et à la société éditrice de Médiapart versent à l’association requérante une somme de 1 500 euros au titre des frais de procédure, et au rejet des conclusions présentées à ce titre en défense.

 

 

 

 

 

 

[1] C'est-à-dire, en substance, des aides publiques accordées aux partis politiques.

[2] Voir le rapport n° 607 du sénateur Philippe Bas.

[3] Article 4 de la Constitution : «Les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie. / Ils contribuent à la mise en œuvre du principe énoncé au second alinéa de l'article 1er dans les conditions déterminées par la loi. / La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation».

[4] Réserve faite des contrats en cours.

[5] Comme elle l’écrit elle-même dans plusieurs échanges de courriers avec le Front national versés au dossier.

[6] Telle qu’elle ressort de nos recherches sur les sites publics.

[7] Le contrat étant rédigé en anglais et en russe.

[8] C’est bien le secret en matière industrielle et commerciale qui est ici en cause et non le secret bancaire, secret professionnel qui implique que la banque assure la confidentialité des données relatives à ses clients.

[9] Voir notamment le rapport n° 534 du sénateur Christophe-André Frassa, p. 47 et s..

[10] La lecture des travaux préparatoires témoigne de ce que ces modifications n’ont fait que préciser l’étendue des informations couvertes par lesdits secrets en s’inspirant de la jurisprudence de la CADA[10], ce qui, bien que celle-ci ne lie pas le juge, révèle en tout cas que le législateur n’a pas entendu ajouter à la loi en les adoptant (voyez notamment le rapport n° 534 du sénateur Christophe-André Frassa, p. 47 et s.).

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