La lettre juridique n°662 du 7 juillet 2016 : Maritime

[Jurisprudence] La portée d'une SCOPIC dans une convention d'assistance maritime Lloyd's Open Form

Réf. : Cass. com., 14 juin 2016, n° 14-28.966, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7820RSG)

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par Gaël Piette, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique des Encyclopédies "Droit des sûretés" et "Droit des contrats spéciaux"

le 07 Juillet 2016

Les décisions de la Cour de cassation en matière d'assistance maritime sont rares. Encore plus quand elles s'intéressent aux mécanismes contractuels auxquels les parties peuvent avoir recours, notamment la SCOPIC (Special Compensation P & I Clause), comme c'est le cas de l'arrêt rendu le 14 juin 2016 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation.
Le 26 juin 2007, le navire Athena a chaviré en rade de Pointe Noire, au Congo, et s'est posé sur le lit de la mer à douze mètres de profondeur. Afin de tenter de sauver le navire et d'éviter un accident écologique, l'armateur a conclu avec une société d'assistance maritime un contrat d'assistance dit Lloyd's Open Form (LOF), aujourd'hui devenu le principal contrat régissant l'assistance. Ce contrat incluait une SCOPIC. Invoquant cette clause, l'assistant a obtenu le 3 juillet 2007 une garantie de paiement d'une indemnité de 3 millions de dollars du P & I Club auquel l'armateur était affilié pour la prise en charge des risques liés à l'exploitation du navire, les dommages de pollution et les frais de retirement d'épave. Le 6 août 2007, les soutes ont été récupérées et l'assistance s'est poursuivie pour tenter de redresser le navire. Estimant le risque écologique écarté, l'armateur a mis fin à l'application de la SCOPIC le 4 septembre 2007. Le lendemain, l'assistant a cessé son assistance en raison de l'absence de perspective d'un résultat utile. Les assureurs corps de l'armateur lui ont réglé la valeur agréée du navire au cours du mois d'octobre 2007. Le P & I Club, subrogé dans les droits de l'armateur et soutenant que la part des frais engagés pour préserver le navire devait être prise en charge par les assureurs corps, a assigné ces derniers en paiement de ces dépenses et de la rémunération du Special Casualty Representative désigné pour suivre les opérations d'assistance. Débouté par la cour d'appel de Paris (1), le Club s'est pourvu en cassation. Son long moyen, qu'il est inutile de détailler ici, n'a pas convaincu la Chambre commerciale, qui rejette le pourvoi, avec substitution de motif. Le raisonnement de la Cour se développe en quatre étapes :
- elle relève que l'indemnité spéciale de l'article 14 vise toutes les dépenses, sans distinguer celles engagées pour préserver le navire de celles engagées pour préserver l'environnement ;
- elle relève également que le contrat d'assurance sur corps conclu par l'armateur excluait de la garantie l'indemnité spéciale due en vertu de l'article 14 ou en vertu de toute autre disposition de portée semblable ;
- elle estime que la SCOPIC a une portée semblable à celle de l'article 14, "en ce qu'elle permet d'allouer à l'assistant, même en l'absence de résultat utile, une indemnité qui couvre l'ensemble des dépenses engagées sans opérer de distinction entre celles engagées pour sauver le navire et celles engagées pour éviter un dommage à l'environnement" ;
- elle conclut que l'indemnité payée en vertu de la SCOPIC est exclue de la garantie de l'assureur corps.

Il est intéressant de remarquer dès à présent que la Cour de cassation rejette le pourvoi, tout en retenant une solution fort différente, du point de vue de la portée de la SCOPIC, de l'arrêt d'appel.

L'arrêt ne pouvant être correctement appréhendé qu'au regard de l'origine et la raison d'être de la SCOPIC, encore faut-il les rappeler (I), avant de discuter le bien-fondé de la solution en ce qu'elle considère que cette clause a une portée semblable à l'article 14 (II).

I - La Special Compensation P & I Clause

L'assistance maritime est l'opération entreprise pour assister un navire, ou un engin assimilé, en danger. Contrairement au sauvetage en mer, qui concerne l'aide aux personnes, l'assistance maritime vise les biens, c'est-à-dire le navire et sa cargaison. S'agissant d'une aide portée aux biens, il est considéré que l'assistant a droit à une rémunération, afin d'inciter les bonnes volontés (2).

Mais traditionnellement, la rémunération de l'assistant est subordonnée à un résultat utile. En d'autres termes, si l'assistance n'a pas permis de sauver, au moins partiellement, le navire et/ou sa cargaison, l'assistant n'aura pas droit à rémunération, quels que soient les efforts déployés : c'est la règle No cure, no pay (3).

L'effet pervers de cette règle est double (4). D'une part, il y a le risque que l'assistant, voyant que le navire et la marchandise transportée sont condamnés, soit dissuadé d'agir puisque ses perspectives de rémunération sont obérées. D'autre part, la récompense étant plafonnée à la valeur des biens sauvés (C. transp., art. L. 5132-4, III N° Lexbase : L4306IQK), l'assistant peut être tenté de ne pas déployer tous les efforts possibles, en fonction de leur coût. Or, si le navire ou sa cargaison présentent un risque pour l'environnement, la règle No cure, no pay peut se révéler particulièrement problématique.

Ainsi qu'il fut justement relevé, "l'approche de l'assistance a changé, la protection de l'environnement passe désormais avant celle des biens transportés" (5). La Convention de Londres du 28 avril 1989 prévoit, dans son article 14, que "si l'assistant a effectué des opérations d'assistance à l'égard d'un navire qui par lui-même ou par sa cargaison menaçait de causer des dommages à l'environnement [...], il a droit de la part du propriétaire du navire à une indemnité spéciale équivalant à ses dépenses", même en l'absence de résultat utile (6). L'intention était louable, mais a rapidement montré ses limites. En particulier, la notion de dommage à l'environnement était trop sujette à discussion, la Convention y voyant des "préjudices matériels importants" (art. 1.d). Or, par définition, il n'est possible de savoir si le préjudice est important qu'après sa survenance, ce qu'a précisément pour but d'éviter l'assistance...

Aussi, les assistants et les P & I Clubs, ces derniers étant assureurs de responsabilité civile de l'armateur, ont-ils imaginé la SCOPIC. Cette clause, qui a pour but de se substituer à l'indemnité de l'article 14, permet à l'assistant, même en l'absence de résultat utile, de percevoir une rémunération couvrant au moins tous ses frais. Il y a ainsi deux hypothèses concevables. Soit l'assistance est couronnée de succès. L'assistant a alors droit à rémunération, qui sera versée par l'assureur corps. Soit l'assistant n'obtient aucun succès. Il sera alors payé par le P & I Club, sur la base de la SCOPIC. La sécurité pour l'assistant est renforcée par le fait qu'une garantie de paiement de la rémunération SCOPIC doit être fournie par le Club, dans les deux jours de la notification de la soumission des opérations à la SCOPIC. Cette garantie est d'un montant de 3 millions de dollars.

Enfin, il convient de préciser que la SCOPIC est un système de rémunération basé sur un barème journalier, pour chaque type de matériel employé par l'assistant au cours de l'opération (7). Par conséquent, plus l'application de la SCOPIC dure dans le temps, plus la somme à verser sera élevée. C'est la raison pour laquelle l'assisté, comme l'assistant, peut mettre fin aux opérations couvertes par la SCOPIC, ce qu'avait fait l'armateur dans l'espèce considérée.

II - Une solution discutable sur la portée de la SCOPIC

L'arrêt est parfaitement fondé sur un point : c'est lorsqu'il affirme que l'indemnité de l'article 14 de la Convention de Londres, de même que la SCOPIC, visent toutes les dépenses, sans opérer de distinction entre celles engagées pour sauver le navire et celles engagées pour éviter un dommage à l'environnement. C'est effectivement le cas, et cela se comprend aisément. En effet, il est particulièrement difficile, en pratique, de distinguer les opérations (et donc les dépenses) motivées par la volonté de sauver le navire et celles visant à protéger l'environnement. L'espèce même soumise à la Chambre commerciale en constitue un exemple révélateur. L'assistant a récupéré les soutes. Une telle opération, qui consiste à pomper le carburant présent dans le navire assisté, peut se justifier par la volonté d'éviter un dommage à l'environnement, mais aussi par le souci d'alléger le navire assisté, pour pouvoir l'empêcher de sombrer, ou tenter de le remonter à la surface. Il n'est donc pas judicieux de distinguer entre les dépenses engagées pour le navire et celles engagées pour l'environnement (8). Dès lors, la demande du P & I Club, qui soutenait que la part des frais engagés pour préserver le navire devait être prise en charge par les assureurs corps, ne pouvait aboutir.

En revanche, l'arrêt est plus critiquable lorsqu'il considère que la SCOPIC a une portée semblable à celle de l'article 14. Malgré le rejet du pourvoi, la Cour de cassation dément sur ce point l'arrêt de la cour d'appel de Paris. Cette dernière avait en effet estimé que la SCOPIC ne pouvait être réduite à l'indemnité de l'article 14, par un argument qui mérite d'être ici reproduit: "la clause SCOPIC a pour objet, d'une part, d'améliorer les conditions de calcul de l'indemnité spéciale, d'autre part, d'étendre ses conditions d'application à toutes circonstances et non plus seulement en cas de dommage environnemental ; [...] elle rémunère L'habileté et les efforts des assistants pour sauver le navire, les autres biens et les vies humaines', visé par l'article 13, non pas à l'once des résultats mais à celui des efforts et de l'investissement déployés ; [...] dès lors, sa portée, puisqu'elle tend au sauvetage des biens, des personnes et non plus seulement à préserver l'environnement, ne saurait être assimilée à celle de l'article 14 limitée à l'environnement".

Très judicieusement, la cour de Paris avait remarqué que la SCOPIC va plus loin que l'indemnité de l'article 14. Non seulement, elle est rédigée de manière très précise, établissant un barème des frais liés aux ressources humaines et matérielles : il suffit de constater que la SCOPIC 2014 se compose de 16 articles, enrichis par des annexes. En outre, la SCOPIC, contrairement à ce que pourrait laisser penser son origine, n'est pas limitée aux hypothèses de dommages environnementaux. Elle peut ainsi jouer pour l'assistance à un navire ne menaçant pas l'environnement (9). L'explication en est, encore une fois, qu'il est difficile de faire le départ entre les opérations et dépenses qui concernent le navire et celles qui concernent l'environnement.

Il nous semble donc inexact de considérer que la SCOPIC a une portée semblable à celle de l'article 14.

Néanmoins, il faut souligner que le résultat auquel aboutit la Cour de cassation n'est pas choquant : le P & I Club, subrogé dans les droits de l'armateur, ne peut se retourner contre l'assureur corps du navire, en raison de la clause excluant la garantie de ce dernier pour l'indemnité spéciale de l'article 14 ou toute autre disposition de portée semblable. Dès lors, l'indemnité SCOPIC pèsera sur le Club, et non sur l'assureur corps. Or, il est incontestable que c'est là l'esprit même de la SCOPIC, créée à l'initiative entre autres des P & I Clubs : c'est à l'assureur corps de verser la rémunération "normale" de l'assistance en cas de résultat utile (puisqu'il assure le navire), et c'est au Club de verser les indemnités de l'article 14 ou celles résultant d'une SCOPIC (10).


(1) CA Paris, Pôle 5, 5ème ch., 11 septembre 2014, n° 12/05684 (N° Lexbase : A3238MWT), DMF, 2014. 982, obs. J.-F. Rebora.
(2) En effet, contrairement au sauvetage, l'assistance n'est pas obligatoire, sauf pour le navire abordeur, lorsque le péril est la conséquence de l'abordage (C. transp., art. L. 5262-6 N° Lexbase : L7067IN3).
(3) Article 2§2 de la Convention du 23 septembre 1910, article 10 de la loi du 7 juillet 1967 (devenu C. transp., art. L. 5132-3 N° Lexbase : L4307IQL), article 12 de la Convention de Londres du 28 avril 1989.
(4) G. Gautier, Assistance maritime et environnement : Du compromis de Montréal aux discussions de la Conférence de Pékin sur le projet ISU, DMF, 2013, 108.
(5) S. Miribel, Assistance maritime: où en sommes-nous ?, DMF, 2012, 465.
(6) Avant même que la Convention de Londres ne s'empare de la question, le contrat type LOF 1980 prévoyait une indemnité majorée ("safety net") pour récompenser les efforts des assistants pour protéger l'environnement.
(7) J.-F. Rebora, La SCOPIC, DMF, 2003, 260.
(8) En ce sens, v. également G. Gautier, Assistance maritime et environnement..., préc. note 1, spéc. p. 111.
(9) P. Bonasies, "La convention internationale de 1989 sur l'assistance", DMF, 2003, 239, spéc. p. 255.
(10) Notons à ce sujet que la rémunération de l'assistance est admissible en avarie commune, au contraire de l'indemnité spéciale de l'article 14 et de l'indemnité SCOPIC (Règle VI-d des Règles d'York et d'Anvers 2016).

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